1. Les trajectoires migratoires bulgares : 1989, une rupture ?
Les migrations des Roms balkaniques en Europe occidentale : mobilités passées et présentes
Elena Marušiakova et Veselin Popov
Traduction par Nadège Ragaru
Résumé
L’article vise d’abord à inscrire les migrations présentes dans leur contexte historique. Pour ce faire, il revient brièvement sur les trois principales vagues migratoires roms en Europe : la première remonte au XVème siècle et voit l’installation progressive en Europe de Roms des Balkans. La seconde vague migratoire intervient à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle : à cette époque, des groupes roms, originaires des principautés valaque et moldave, se dispersent peu à peu à travers le continent européen et au-delà. La troisième vague migratoire des Roms d’Europe de l’Est est amorcée dans les années 1960 et l’on peut considérer que les mobilités observées après 1989 ne constituent qu’une étape, un redéploiement de cette vague migratoire. Au fil de l’article sont envisagées les principales causes socio-économiques des migrations roms - au premier chef, la recherche de nouvelles niches économiques et de nouveaux territoires. Ces variables nous paraissent plus importantes que les motivations politiques et idéologiques souvent avancées par les Roms eux-mêmes ou par une partie des chercheurs. Une attention particulière est accordée aux formes prises par les migrations actuelles depuis l’Europe de l’Est : le modèle de la mobilité de travail temporaire permet à un grand nombre de Roms de rester « non visibles » dans les pays d’Europe de l’Ouest (en dehors de situations spécifiques donnant lieu à un travail de scandalisation publique). Les politiques adoptées par les pays « d’accueil » des migrants temporaires sont également étudiées. Enfin, l’article examine plus en détail les stratégies migratoires spécifiques des Roms de Bulgarie et de Roumanie, mettant en évidence le rôle de l’hétérogénéité interne de la communauté rom, des modes de vie traditionnels (nomade ou sédentaire) et du degré d’intégration sociale au sein des pays d’origine dans la définition de chaque trajectoire migratoire singulière.
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Plan
Notes de la rédaction
Traduit du bulgare par Nadège Ragaru
Texte intégral
1Depuis leur arrivée d'Inde en Europe, l’histoire des Roms a été scandée par plusieurs grandes vagues migratoires. À la faveur de ces mobilités, les Roms se sont déplacés vers de nouveaux territoires, ont traversé les frontières étatiques et se sont appropriés des nouveaux espaces socioéconomiques où ils se sont installés. Les migrations observées depuis la chute du communisme à l’est de l’Europe viennent dès lors s’insérer dans une historicité plus longue qu’il convient de restituer si l’on souhaite en comprendre les dynamiques singulières. De fait, comme on le verra dans le présent article, on peut considérer que les déplacements de l’après-1989 ne constituent pas en tant que tels une rupture décisive, mais qu’ils font partie intégrante d’une vague migratoire amorcée dans les années 1960 avec l’ouverture de plusieurs États d’Europe occidentale aux flux en provenance de pays est-européens, au premier chef, la Yougoslavie. Dans le cadre de l’analyse, une attention particulière sera par ailleurs accordée aux stratégies et aux profils migratoires des Roms de Bulgarie et de Roumanie : leurs trajectoires, sensiblement différentes, soulignent l’importance d’une réflexion sur les migrations contemporaines qui les mettent en relation avec les modes d’insertion sociale des Roms dans leur pays d’origine, aussi bien sous le socialisme qu’après les changements de 1989, au lieu de postuler un hypothétique enracinement des rapports à la mobilité dans des modèles culturels supposés spécifiques aux communautés roms et immuables.
Un regard historique sur les mobilités roms et le nomadisme en Europe (XVème-XXème siècle)
Les premières migrations (XVème-XVIIIème siècle)
2La première grande vague migratoire rom remonte au début du XVème siècle, lorsque de petits groupes roms en provenance des Balkans entrent en Europe médiane sur le territoire de l’actuelle Hongrie. Pendant plusieurs décennies, ils parcourent le continent, se présentant soit comme des pèlerins chrétiens, soit comme des réfugiés de la “Petite Égypte”, un pays dirigé par des musulmans, et ils recherchent le concours des pouvoirs locaux laïcs ou religieux[1]. Après les avoir initialement bien accueillis, ces derniers commencent à les pourchasser et s'efforcent de les bannir ou de les contraindre à se sédentariser et à s'assimiler - c'est-à-dire qu’ils cherchent, en fait, à les détruire en tant que communauté distinctive, parfois même physiquement. Au gré des conditions locales, les Roms reprennent leurs migrations et investissent progressivement de nouveaux territoires. Ils atteignent ainsi la Russie aux ХVI-ХVIIème siècles en passant par l'Allemagne et la Pologne[2].
- 3 Liegeois (Jean-Pierre), Roma, Gypsies, Travellers, Strasbourg : Council of Europe, 1994, pp. 121-15(...)
3Au ХVIIIème siècle se dessine une image relativement stable de la présence rom en Europe : les Roms ont d'ores et déjà lié leur destinée à certains États et ils commencent, quoique lentement et avec plus ou moins de réussite, à s'intégrer dans les macro-sociétés d'accueil. Bien que ce processus ne soit pas linéaire, il est encadré et dirigé par les États. En Autriche-Hongrie et en Espagne, de larges groupes roms sont ainsi contraints à la sédentarisation sous la pression des pouvoirs publics[3]. En dépit de l’opposition forte des pouvoirs étatiques et locaux, cette première vague migratoire constitue un cas réussi d'appropriation de nouveaux territoires par une communauté nomade en quête de nouvelles niches socioéconomiques. Dans un premier temps, les Roms donnent à leurs migrations des motivations religieuses et politiques entièrement inventées. Il n'y a jamais eu d'État rom connu sous le nom de “Petite Égypte” et, ultérieurement, lorsque les migrations s’opèreront d'un État européen vers un autre, cette explication cessera d'être utilisée. Par ailleurs, les certificats de protection signés de la main de souverains européens qu'ils présentent aux pouvoirs municipaux sont le plus souvent falsifiés. Autrement dit, pendant cette période, la première grande vague migratoire des Roms de l'est vers l'ouest de l'Europe a des causes socioéconomiques, quels qu’aient été les efforts des personnes concernées pour lui attribuer des origines religieuses et/ou politiques.
L’émancipation des Roms de Moldavie et de Valachie et les migrations des XIXème-XXème siècles
4La seconde grande vague migratoire se déploie dans les dernières décennies du ХIХème et pendant les premières décennies du ХХème siècle, quand entrent massivement en Europe de l'ouest et en Russie des groupes roms nomadisants originaires de Roumanie et de régions rattachées à l'Autriche-Hongrie (la Transylvanie et le Banat). Pendant quelques décennies, ils sillonnent l'Europe, une partie d'entre eux atteignant le Nouveau monde - l'Amérique latine, les États-Unis et le Canada. Une nouvelle cartographie de la présence rom émerge ainsi progressivement à l’échelle internationale entre les deux guerres[4].
- 4 Fraser (Angus), « The Rom Migrations », Journal of the Gypsy Lore Society, Ser. 5, 2 (2), 1992 ; Ma(...)
- 5 Hancock (Ian), The Pariah Syndrome : An Account of Gypsy Slavery and Persecution, Ann Arbor : Karom(...)
- 6 Kogălniceanu (Mihail), Esquisse sur l'histoire, les moeurs et la langue des Cigains, Berlin : Libr(...)
5Ce déplacement massif de Roms depuis les Principautés de Valachie et de Moldavie (qui ont été réunies au sein d’un même État roumain en 1859) a été traditionnellement interprété comme la conséquence directe de leur émancipation et de la liberté de circulation que leur avait alors été accordée[5]. La réalité est cependant différente : les origines de ces grandes migrations doivent être recherchées dans le système même d'asservissement des Roms. Dans les deux Principautés, le statut des Roms différait selon qu’ils appartenaient au Prince, aux monastères ou aux boyards. Les Roms du Prince étaient pour la plupart nomades, tout comme une partie des Roms dépendant de monastères ou de boyards. Tous les Roms nomades étaient répartis en quatre catégories – les Rudari (mineurs) ou les Aurari (chercheurs d’or) qui lavaient de l’or trouvé dans les rivières de montagne et que l’on appelait en Transylvanie les Bǎeši (c’est-à-dire ceux qui lavent de l’or) ;lesUrsari (montreurs d’ours)qui faisaient danser des ours dresséset qui proposaient également divers services de ferronnerie ;les Lungurari (fabricants de cuillères), qui taillaient des ustensiles ménagers en bois ; les Lăjaši (vagabonds/nomades)dont la majorité proposaient leurs services comme forgerons ou ferronniers, mais qui fabriquaient aussi despeignes en bois et des tamis de cuir et fournissaient par ailleurs une main d’œuvre dans la construction ou le travail agricole saisonnier[6]. Les Roms nomades n'avaient d'autre obligation envers l'État que de payer un impôt au Trésor public ou à leur propriétaire deux fois par an, au printemps et à l'automne (les jours de la Saint-Georges et de la Saint-Archange Michel, conformément au mode de définition traditionnel des principales relations contractuelles en Europe du sud-est). Ils étaient libres de circuler où ils le souhaitaient et aussi longtemps qu'ils le désiraient, n'étaient pas justiciables des crimes mineurs qu'ils avaient commis et jouissaient d'une autonomie dans le cadre de leur communauté (y compris sur le plan judiciaire) leur permettant de s'appuyer sur leurs traditions ethnoculturelles.
- 7 Achim (Viorel), Ţiganii în istoria României, Bucuresti : Editura Enciclopedica, 1998, pp. 58-63.(...)
- 8 Carte, Carte românească de învătătură. Ediţia critică, Bucureşti, 1961, p. 68.
- 9 Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « The Slavery of Gypsies in Wallachia and Moldavia », in S(...)
6L'État n'intervenait qu’en cas de conflits entre des Roms et d’autres populations des Principautés et ce, seulement en cas d'infractions sérieuses au droit (meurtre, fabrication de fausse monnaie)[7]. Ainsi, le recueil de lois édité par le Prince moldave, Vasile Lupu, en 1646, prévoyait-il : « le ou la Rom, ou leur enfant, s'ils volent une, deux ou trois fois une poule, une oie ou une autre bagatelle, qu'ils soient acquittés ; s'ils volent quelque chose de plus gros, qu'ils soient réprimandés (sic !) pour vol »[8]. Globalement, à la différence des autres serfs roms, la situation des Roms nomades dans les Principautés valaque et moldave à cette époque n'est pas conforme aux représentations stéréotypées qui en sont proposées. Ils y jouissent d'une série de libertés et même de privilèges qui demeurent inaccessibles à la plupart des couches sociales, les paysans asservis par exemple[9]. En vérité, l’une des questions clé concerne ici le poids relatif des nomades (Lăjaši, Rudari/Aurari/Băeši, Lingurari et Ursari), d’un côté, et celui des Vatrašite (les serfs domestiques qui vivaient sur les domaines de leurs propriétaires, principalement des boyards et des monastères), de l’autre, dans la structure globale de l’asservissement. Les statistiques dont nous disposons à ce sujet sont assez incomplètes ; en outre, le rapport entre sédentaires et nomades a évolué dans le temps. En l’occurrence, on observe une tendance lente mais nette à l’accroissement de la part des Roms sédentarisés. Au milieu du XIXème siècle - une période au cours de laquelle le servage est progressivement aboli -, les données statistiques suggèrent que le rapport entre le nombre des Roms nomades et celui des sédentaires est d’ores et déjà de un à trois.
- 10 Témoin les migrations des ХVI-ХVIIème siècles vers la Pologne et l'Ukraine ou celles des ХVII-ХVII(...)
- 11 Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « The Slavery of Gypsies in Wallachia and Moldavia » (art.c(...)
7Ce sont précisément les Roms nomades de Valachie et de Moldavie qui sont les acteurs des principales grandes migrations de la seconde moitié du ХIХème siècle. Le processus d'émancipation des serfs roms en Valachie et en Moldavie, qui s'étale sur quelques décennies (1829-1864), engendre pour les nomades des changements profonds. En pratique, leur nouvelle condition d'hommes libres en fait des habitants de villages ou de villes sur lesquels pèsent des obligations sociales et fiscales nombreuses, nettement plus lourdes que par le passé (notamment le respect des normes imposées par les corporations professionnelles, le paiement de diverses taxes locales, l’obligation de servir dans l’armée, etc.). De fait, la fin du servage en Valachie et en Moldavie constitue un facteur important dans les grandes migrations roms, même si elle n'en marque pas le début, pas plus qu'elle n'en épuise les causes. Les migrations ne résultent pas de la liberté obtenue ; les Roms nomades ont eu la possibilité de se déplacer avant cette date et ils ont plus d'une fois utilisé ces opportunités[10]. Bien que cela puisse sembler paradoxal, les grandes migrations postérieures à l'abolition du servage traduisent plutôt un effort pour fuir la liberté et les obligations et responsabilités citoyennes nouvelles qui en sont résultées. Ces obligations, les Roms nomades qui avaient vécu en communauté fermée avec un niveau d'intégration sociale bas, ne souhaitaient, ni ne pouvaient les assumer[11].
- 12 En premier milieu, les Kelderari et les Lovari et d'autres groupes et sous-groupes qui leur sont p(...)
- 13 Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « Segmentation vs. Consolidation : The example of four Gyps(...)
8En fait, la seconde grande vague migratoire est prioritairement déterminée par des variables socioéconomiques. Les facteurs politiques définissent seulement le cadre temporel de ces processus. Le décret du 6 novembre 1865 de l'empereur François-Joseph, qui supprime le contrôle aux frontières de l'Empire des Habsbourg (Emperor’s Decree, Nr. 116/1865) représente en la matière une date-clé : il marque le début des grandes migrations roms européennes, puis mondiales, entamées à la fin du XVIIIème siècle avec le déplacement de nombreux Roms nomades depuis la Valachie et la Moldavie vers le Banat et la Transylvanie. Ses principaux acteurs en sont les Roms nomades[12] qui ont préservé leur mode de vie en raison de la situation spécifique prévalant en Valachie et en Moldavie et, corrélativement, leur niveau comparativement bas d'intégration sociale[13].
Les expériences des Roms de Yougoslavie et les incohérences des politiques migratoires occidentales (des années 1960 à la chute du communisme)
9La troisième vague migratoire des Roms d'Europe de l'est vers l'Europe de l'ouest débute dans les années 1960 et se poursuit jusqu'à nos jours. Souvent, des différenсiations d'ordre chronologique, géographique ou typologique sont introduites dans la littérature. La période est parfois même découpée en plusieurs sous-périodes[14]. Avec le recul cependant, nous préférons parler d'une seule et même vague migratoire, hétérogène et variable dans le temps.
- 14 Reyniers (Alain), Evaluation of Gypsy Populations and their Movements in Central and Eastern Europe(...)
- 15 Concernant la tradition du gurbet, se reporter à l’article de Hristov (Petko), « Mobilités du trav(...)
10Initié à la fin des années 1960, le mouvement se renforce dans les années 1970 quand la Yougoslavie ouvre ses frontières (formellement en 1968) et encourage ses citoyens à partir travailler en Europe occidentale. Il ne s'agit pas de migrations du travail typiques, mais plutôt de variantes du gurbet, une forme traditionnelle de mobilité du travail caractéristique des Balkans depuis l'époque de l'Empire ottoman[15]. Par ce terme, l'administration ottomane désignait une catégorie de population de l'Empire, d'identifications ethniques diverses, qui travaillait et vivait loin de son lieu de naissance pendant une période donnée, en général une saison économique dont la durée variait en fonction du type d'activité exercé, tandis que le reste des familles demeurait au pays. Après la fin de l'Empire ottoman, ce mode de mobilité, qui se déclinait sous plusieurs formes, a perduré dans les Balkans.
11Initialement, les citoyens yougoslaves qui partent travailler en Europe occidentale (on les appelle des Gastarbeiter même s'ils ne travaillent pas seulement en Allemagne, mais aussi en Autriche, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède et dans d’autres pays) restent dans ce cadre : les migrants ne rompent pas les liens avec leur patrie d'origine, leurs familles y demeurent ; ils rentrent périodiquement, apportent une aide à leurs parents (rodnini) et construisent même des maisons pour les plus anciens, dans lesquelles ces derniers peuvent vivre à la façon de retraités occidentaux. Après 1972, quand les Gastarbeiter yougoslaves sont autorisés par les pouvoirs publics des pays d’accueil à procéder à un regroupement familial, une grande partie d’entre eux s’installe définitivement à l’Ouest et entreprend d’y légaliser sa présence. Autrement dit, de gorbetčii mobiles ils se transforment progressivement en travailleurs migrants.
12Dans l’ensemble, les Roms de cette vague migratoire reproduisent les modèles de travail des autres citoyens de Yougoslavie : ils sont employés dans la construction, l’industrie ou les services. Dans les pays d’Europe occidentale, les Roms sont alors considérés comme “yougoslaves”, sans être distingués des autres Gastarbeiter yougoslaves dans la mesure où ils ne correspondent pas aux images stéréotypées que l’on peut y avoir des Roms. Pour cette raison d’ailleurs, les Roms locaux des pays d’accueil ne leur accordent pas d’attention particulière ; lorsqu’ils apprennent leur existence, ils ne les considèrent pas comme de “vrais Roms” et évitent tout contact avec eux.
- 16 Marta (Claudio), The Acculturation of the Lovara, Stockholm : IMFO-Gruppen & University of Stoc(...)
13Les Roms de Yougoslavie migrent en tant que citoyens yougoslaves, c'est-à-dire en tant que partie intégrante de la macro-société dans laquelle ils vivent. Dans un premier temps, la politique des États occidentaux envers eux ne se différencie pas de celle menée à l'égard des autres “Yougoslaves”. Elle s'inscrit dans une même démarche, sans qu'ils soient considérés comme une communauté distincte. Au cours des années 1970, cependant, cette configuration commence à changer avec la constitution des migrants roms comme une communauté à part exigeant une politique spécifique. L'une des premières illustrations de cette évolution concerne le programme spécial mis en place par la Suède dans le but de démontrer que l'État suédois était capable de proposer aux Roms un modèle d'intégration sociale performant. En 1970, le Parlement suédois décide de commencer à “importer” des Roms de l’étranger – jusqu’aux années 1950, l’immigration des Roms dans le pays était interdite – auxquels l’État garantirait des opportunités maximales d’adaptation sociale. La même année, sont ainsi “importées” en Suède 113 familles Lovari depuis l’Italie (des migrants originaires de Yougoslavie). Une équipe de travailleurs sociaux et d’enseignants est placée en soutien auprès de chaque famille ; des consultations régulières avec des anthropologues sont assurées afin de vérifier que l’intégration des Roms ne risque pas d’entrer en conflit avec leurs spécificités ethnoculturelles[16]. Il est rare que les résultats de ce programme d’envergure soient commentés dans l’espace public. Au cours des années suivantes, plusieurs dizaines de famille roms continuent à arriver en Suède depuis des pays d’Europe de l’est, principalement apparentés aux Lovari. En l’espace de quelques années, l’État suédois a ainsi attiré environ 10 000 personnes sur son territoire, lesquelles doivent faire l’objet d’un suivi permanent des services sociaux et sont dépourvues de perspective d’intégration sociale “normale”. Le programme spécial d’adaptation à l’attention des Roms est alors abandonné.
- 17 Les Sinti sont un des sous-groupes de la communauté rom (au même titre que les Roma, les Manouches(...)
- 18 Matras (Yaron), « The Development of the Romani Civil Rights Movement in Germany 1945-1996 », in Te(...)
14À la fin des années 1980, en Allemagne, une campagne en faveur de la légalisation des Roms migrants de Yougoslavie, en tant que communauté distincte et non au même titre que les autres citoyens yougoslaves, fut par ailleurs lancée avec la participation de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme. Le début de l’investissement de la thématique rom par des organisations des droits de l’Homme date de la fin des années 1970, quand sur la base d’une initiative de la « Société des peuples menacés » (Gesellschaft für bedrohte Völker) et avec son soutien actif sont créées des organisations de Roms allemands (Sinti)[17] et est lancée une campagne en vue d’obtenir des réparations pour les Roms victimes de l’Holocauste pendant la seconde Guerre mondiale. Les efforts d’acquisition d’une visibilité dans l’espace public des nouvelles organisations roms (lesquelles s’appellent désormais des organisations “des Sinti et des Roms” selon la terminologie officielle adoptée en Allemagne) et des militants des droits de l’Homme qui leur sont associés les portent vers les Roms de Yougoslavie d’autant plus aisément que la date-limite pour la régularisation des citoyens originaires de Yougoslavie travaillant en Allemagne approche et qu’un nombre significatif de Roms figure parmi eux. Cette mobilisation s'accompagne de manifestations, de grèves de la faim et même de procédures devant la Cour suprême de Karlsruhe (Bundesgerichtshof). L'idée originelle des organisations de défense des droits de l'Homme militant en faveur d'un traitement spécial pour les Roms (désormais connus sous le nom de “Roms”, non de “Tsiganes”) était de démontrer qu'ils constituaient une minorité opprimée dans leur pays où leurs droits de l'Homme fondamentaux étaient régulièrement bafoués. Or cette thèse ne saurait être retenue, en particulier si l'on compare la politique de la Yougoslavie envers les Roms avec celle des autres États européens à la même époque. Fut alors mobilisé l'argument selon lequel les Roms auraient été, depuis toujours, porteurs d'une culture spécifique liée à leur mode de vie nomade. Dans leur cas, le mode de vie et non la citoyenneté auraient constitué la variable déterminante. Pour cette raison, ils devaient être traités selon des normes différentes de celles appliquées aux autres citoyens yougoslaves[18].
- 19 Par contraste, en Europe centrale et occidentale, les Roms nomades locaux nomadisent toute l'année(...)
15En pratique, cependant, à la différence des Roms de Valachie et de Moldavie qui ont joui d'un degré d'autonomie interne supérieur, les Roms des Balkans, longtemps partie intégrante de l'Empire ottoman, sont dans leur grande majorité des populations sédentarisées sur la longue durée. Depuis le XVème siècle, une période dont datent les toutes premières informations qui nous sont parvenues sur les Roms de l'Empire ottoman, la part des populations sédentarisées est très supérieure à celle des nomades. Dans la plupart des cas, ces derniers sont des migrants plus récents venus de Valachie et de Moldavie s'installer dans les Balkans au cours des vagues migratoires des ХVII-ХVIIIème siècles et des ХIХ-ХХème siècles. Et encore, leur mode de vie pourrait plus précisément être caractérisé comme semi-nomade avec un habitat stable en hiver (en général, des habitations sont louées à la population environnante) et une saison nomade active l'été[19].
- 20 Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), op.cit., pp. 47-48.
16Les Roms de l'Empire ottoman avaient le statut de “citoyens” de l’Empire au sens sociopolitique du terme, une situation qu'ils n'obtiendront en Europe occidentale qu'aux ХIХ-ХХème siècles. Ils remplissaient leurs obligations citoyennes - certes, parfois avec quelques difficultés dans le règlement de l’impôt notamment, comme le montre justement l’exemple suivant : en 1693, en Bosnie, le Rom Selim, fils d'Osman, boulanger, demande à la cour de Sarajevo d'être dispensé du djizie (un impôt imposé aux “non croyants”). Dans sa requête, il écrit : « je suis fils de musulman et musulman. Je vis dans un quartier musulman et avec mes voisins du quartier je paie le porez (tereme) quand j'y parviens (sic !). Qui plus est, avec les autres musulmans, je fais mes cinq prières par jour et j'envoie mes enfants au mеtkeb, avec les autres enfants, étudier le Coran. Je m'occupe de mes commandes et selon la loi, ma femme évite les inconnus... ». À sa requête, le requérant joint un certificat de mariage (fetva) et une circulaire du Sultan concernant les impôts payables par les musulmans. Sur décision finale de la cour, il sera dispensé du djizie[20].
17En dernier ressort, avec le recul les Roms des Balkans se révèlent avoir atteint un niveau d'intégration à la société plus élevé que leurs frères d'Europe occidentale. Et ils l'ont préservé dans les États balkaniques successeurs de l'Empire, en particulier en Yougoslavie et en Bulgarie. De ce point de vue, l'entreprise qui visait à faire reconnaître comme “anciens nomades” les Roms de Yougoslavie et, corrélativement, à leur appliquer une politique spécifique, s'est avérée assez fragile. La curiosité de cette situation est apparue avec plus de relief encore lorsqu'une des organisations Sinti allemandes (Zentralrat Deutscher Sinti und Roma) - une communauté qui a mené et continue à mener, dans une large mesure, une vie nomade - a écrit une lettre ouverte aux militants ayant participé à la campagne publiée dans les media où elle expliquait qu’elle s’était si longtemps battue afin que les Sinti soient considérés comme des citoyens d'Allemagne “normaux” qu'elle ne pouvait accepter de les voir désormais classés comme “nomades”. Le summum de l'absurdité a été atteint quand, au moment où la Cour suprême allemande s'apprêtait à rendre son jugement, l'un des principaux plaignants a demandé le report de la procédure sous prétexte qu’il devait se rendre en Yougoslavie où il construisait sa maison sur la côte adriatique...
Les circulations du post-communisme
18La situation des Roms migrant (ou cherchant à migrer) depuis l'Europe de l'est vers l'Europe de l'ouest change radicalement après l'effondrement à l’Est, en 1989-1990, de ce qu'il est convenu d'appeler le “système socialiste”. Le thème des atteintes aux droits de l'homme et des minorités et de la discrimination envers les Roms (selon la nouvelle terminologie politiquement correcte) en Europe de l'est revêt de nouvelles dimensions politiques et idéologiques quand les migrants roms tentent d'obtenir l'asile politique en Europe de l'ouest (ainsi qu'aux États-Unis et au Canada) en tant que représentants de communautés faisant l'objet de persécutions dans leur pays. Ces migrations varient dans leur ampleur, leur chronologie, les États dont elles procèdent et les destinations retenues[21].
- 21 On peut ainsi distinguer plusieurs migrations : les grandes vagues de Roms de Bulgarie et de Rouma(...)
Les pouvoirs publics d'Europe occidentale face aux demandeurs d'asile du début des années 1990
19En Europe occidentale, l'opposition des pouvoirs publics aux flux migratoires roms prend des formes variées, qui ont évolué au fil du temps. Au début des processus, les autorités cherchent plutôt à résoudre le problème de manière générale, ainsi qu'en témoigne le cas des Roms de Roumanie ayant tenté d'émigrer en Allemagne. Au début des années 1990, la Pologne se transforme en une immense zone de transit pour les Roms de Roumanie désireux de passer légalement ou, plus souvent, illégalement à l'Ouest. On estime leur nombre entre 50 000 et 100 000, parfois plus encore. La situation atteint un seuil critique en août 1992, quand les agences de presse internationales annoncent que 200 000 citoyens roumains, principalement des Roms, seraient concentrés autour de la rivière Oder et chercheraient à franchir illégalement la frontière avec l'Allemagne (ces chiffres sont clairement surestimés).
20Devant l'urgence de la situation, les pouvoirs publics allemands réagissent promptement. En septembre 1992, un accord est signé à Bucarest entre l'Allemagne et la Roumanie, qui organise le rapatriement “réciproque” des citoyens ayant séjourné illégalement dans l'un des deux pays. Le 2 novembre 1992, le premier avion arrive à l'aéroport de Bucarest avec, à son bord, 18 migrants roumains illégaux. A la fin de l'année 1992, on estime à 130 000 environ le nombre de citoyens roumains, principalement roms, rapatriés après avoir séjourné illégalement en Allemagne ou avoir essayé d'obtenir l'asile politique. Le dernier vol a lieu en août 1993. Jusqu'à ce jour, le montant des aides que l'Allemagne aurait versées à la Roumanie en échange de la réadmission des demandeurs d'asile roms ne figure dans aucune source d'information publique. En Roumanie, les leaders roms évoquent des chiffres astronomiques, de l'ordre de plusieurs milliards de DM.
21On mentionne plus rarement le fait que, pour endiguer les flux migratoires (ou, plus exactement, les circulations pendulaires) des Roms de Roumanie et de Bulgarie vers l'Allemagne au début des années 1990, les mesures légales-administratives se sont révélées nettement plus efficaces. Les pouvoirs publics allemands ont notamment limité le délai accordé aux autorités publiques afin de déterminer le statut de migrants (réfugiés politiques ou migrants économiques). Surtout, elles ont drastiquement réduit les aides financières accordées aux candidats à l'asile politique. Les Roms de Slovaquie qui avaient cherché à obtenir l'asile en Belgique en 1999-2000 ont connu une expérience similaire : le gouvernement belge a, à deux reprises, procédé à des rapatriements massifs et rétabli le régime de visa avec la Slovaquie. Mais, en dernier ressort, la mesure décisive pour arrêter ou, à tout le moins, réduire fortement les flux de migrants roms a été la suppression par le gouvernement belge, au début de l'année 2001, des aides financières accordées aux demandeurs d'asile. Leur furent dorénavant seulement garantis le couvert, un logement et une assistance médicale.
22Pendant la décennie 1990, lorsqu'il est question de migrations roms (ou de tentatives de migrations) depuis l'Est vers l'Ouest, dans la grande majorité des cas, il s'agit à n'en pas douter de migrations économiques de Roms venant d'une Europe de l'est tombée dans une profonde crise économique et souhaitant rejoindre un “Occident riche” - des migrations dissimulées derrière des motifs politiques et idéologiques ou dans la phraséologie de la défense des droits de l'homme. De fait, et quoique cela puisse paraître de prime abord paradoxal, en la circonstance plus de 5 siècles après leur première grande migration et installation en Europe occidentale, les Roms tentent de reproduire le même modèle.
- 22 Andjelković (Zoran), Scepanović (Sonja), Prlincević (Guljsen), Days of Terror. (In the Presence of(...)
23La trajectoire des Roms de l'ancienne Yougoslavie après son effondrement est spécifique. En raison des guerres et des nettoyages ethniques consécutifs, de larges groupes roms ont été contraints de migrer vers l'Ouest. Les premiers flux migratoires datent du début des années 1990 à une époque où, en pleine guerre de Bosnie-Herzégovine, de nombreux Roms (de Bosnie-Herzégovine mais aussi des autres Républiques ex-yougoslaves) gagnent prioritairement l'Italie et l'Allemagne. Les migrations depuis le Kosovo ont revêtu une ampleur particulière après l'intervention de l'OTAN au printemps 1999 et les opérations de “nettoyage ethnique” menées par des Albanais locaux qui s'en sont suivies : entre 120 000 et 150 000 Roms (d'après la terminologie actuellement admise “ Roms, Egyptiens et Ashkali”) ont été contraints de quitter la région et de fuir vers la Serbie, le Monténégro et la Macédoine[22]. Nombre d'entre eux sont parvenus à gagner l'Europe de l'ouest (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède, etc.), où ils ont été maintenus dans la menace permanente d'être renvoyés au Kosovo, bien que les forces internationales présentes au Kosovo n'aient pas été en mesure d’y garantir leur sécurité effectivement.
Mobilité du travail et migrations pendulaires
24Cependant, de manière plus générale, il convient de ne pas réduire les migrations de la troisième et dernière vague aux seules demandes d'asile, ainsi que la littérature universitaire tend à le faire[23]. Bien qu'elles puissent revêtir dans certains cas une grande ampleur (ainsi, par exemple, avec les réfugiés d'ex-Yougoslavie), ces migrations ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. Parallèlement aux demandes d'asile (qu'elles soient fondées ou masquent des motifs socioéconomiques) qui ont souvent reçu une large visibilité dans l'espace public, d'autres processus, moins médiatisés mais d'une ampleur incomparable, se déploient. Dès le milieu des années 1990, ont commencé des mobilités du travail à la faveur desquelles de larges segments des populations d'Europe de l'est (y compris roms) sont partis en Europe occidentale, Grèce incluse, à titre temporaire ou définitif. Après la création de l'espace Schengen en 1995[24] et avec la suppression des visas pour la Bulgarie et la Roumanie respectivement en 2000 et en 2001, les mobilités transfrontalières ont revêtu un caractère massif, en particulier dans des pays comme la Roumanie et la Bulgarie. À la différence des années 1970, les migrants travaillent alors dans plusieurs branches comme l'agriculture, la construction, les services sociaux (principalement illégalement ou semi-légalement) où ils compensent les déficits en main d'œuvre à faible coût et exercent des emplois non qualifiés. Les destinations privilégiées comprennent l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Grèce, etc. Elles varient, tout comme les méthodes de légalisation retenues, en fonction du pays d'origine des migrants, les Roms venant se mouler dans cette large vague migratoire qui embrasse toute l'Europe.
- 23 Sobotka (Eva), art.cit.
- 24 L'accord de Schengen, originellement signé en 1985 par cinq États européens, visait à faciliter la(...)
25En Europe occidentale, les pouvoirs publics encouragent de facto la mobilité du travail Est-Ouest en fermant les yeux sur les pratiques illicites. C'est seulement de manière sporadique qu'ils s'emploient à lutter contre les migrations, en menant des actions exemplaires destinées à apaiser l'opinion publique - tel le rapatriement, plusieurs fois par an, de groupes de migrants illégaux ayant commis des crimes dans les pays d'accueil. Mais, en pratique, les États occidentaux s'emploient périodiquement à légaliser la présence migrante, fût-ce partiellement. Plusieurs indicateurs, comme l'augmentation des installations définitives de familles entières à l'Ouest et leurs efforts de légalisation, suggèrent l'existence d'une transition progressive entre la mobilité de travail et une migration permanente, une transition qui dépend du degré d’insertion des migrants sur les marchés du travail des pays d’accueil.
- 25 Chiffres cités sur le site Internet de l'Institut national statistique bulgare (NSI) à l'adresse :(...)
26L’ampleur réelle de cette mobilité de travail “cachée” en train de se transformer en migration définitive “manifeste” est difficile à déterminer. La rareté des données officielles sert volontiers à dissimuler, à l'Est comme à l'Ouest, ce qui relève du secret de polichinelle. Mais, à vouloir ne pas publiciser des phénomènes connus de la société, on aboutit parfois à des situations curieuses. Ainsi, lors du recensement de 2001 en Bulgarie, fut-il établi que 7 928 901 personnes vivaient dans le pays[25]. Tous ceux qui avaient une adresse officiellement enregistrée en Bulgarie - qu'ils fussent dans le pays ou à l'étranger au moment du recensement - furent “comptabilibisés”. Trois ans plus tard, cependant, l'annonce selon laquelle 1 414 270 habitants - soit plus d'un tiers des personnes en âge de travailler - ne payaient pas ou payaient irrégulièrement leur cotisation à l'Institut national de la sécurité sociale fit scandale. En dépit de l'introduction de plusieurs délais de régularisation, ce nombre tourne aujourd’hui encore autour du million. Si un tel chiffre est assurément composite, on peut penser qu'une grande partie de non-cotisants travaille (sous diverses formes) et vit à l'Ouest.
- 26 Pour plus de détails sur les expériences migratoires des Roms de Bulgarie en Espagne, se reporter(...)
27Les migrants du travail jouent un rôle important dans le système économique global des pays d'Europe de l'ouest, singulièrement dans certaines branches d'activité souffrant d'un déficit de main d'œuvre. Mais la mobilité “cachée” est encore plus essentielle à l'économie des pays de l'est les plus affectés par la transition, tels la Bulgarie et la Roumanie, où environ un tiers des flux financiers (ces derniers n’étant pas à caractère officiel, rares sont les données chiffrées publiques disponibles à leur sujet) proviendrait, selon les calculs d'économistes, des transferts effectués, à destination de leurs proches, par des personnes travaillant à l'étranger. En Bulgarie comme en Roumanie, rares sont les familles qui n'ont pas de parents, plus ou moins éloignés, employés au-delà des frontières ; rares sont les villages qui ne comptent de migrants à l'étranger. Dans certains petits villages montagneux de la région de Kărdžali en Bulgarie (Rhodopes orientaux) à l'arrêt d'autobus figurent seulement deux destinations - l'une, bi-hebdomadaire, vers le chef-lieu de district, l'autre, hebdomadaire, en direction d'Amsterdam. La même remarque vaut pour les pays de destination. En Espagne, à la gare de Malaga, 26 lignes d'autobus rallient des centres régionaux de Roumanie, soit plus que le nombre des lignes en direction des autres provinces d'Espagne[26].
28Une partie significative de cette migration du travail est composée de Roms des Balkans, principalement de Roumanie, de Bulgarie et des pays issus de l'ex-Yougoslavie - des pays dans lesquels la population rom oscille entre 5 et 10% des habitants. En dehors des cas de demande d'asile politique ou des réfugiés des guerres yougoslaves, leurs déplacements s'inscrivent dans les flux migratoires plus généraux des macro-sociétés dans lesquelles ils vivent. Ils y préservent néanmoins une certaine spécificité en tant que communauté, principalement au niveau du groupe ou de la région/village, laquelle perdure au moment de l'installation à l'Ouest. Ainsi, par exemple, une grande partie de la population de Vidin migre à destination de l’Italie et les Roms de cette ville suivent les mêmes routes que les autres habitants.Les migrants originaires de la région de Kărdžali (Rhodopes orientaux), qu’ils soient roms ou non, travaillent principalement aux Pays-Bas dans les orangeraies locales. Les habitants des villages des régions de Plovdiv et de Burgas effectuent un travail saisonnier dans l’agriculture au moment des récoltes en Grèce, tout comme les Roms (principalement des Rudari). Ils utilisent en général les mêmes formes de migrations, les mêmes stratégies pour trouver du travail, les Roms créant progressivement leurs réseaux à l’image des Bulgares ethniques.
29Les pays d'Europe occidentale ont mis en place diverses politiques envers les Roms d'Europe de l'est. Dans la plupart des cas, ces derniers sont traités comme citoyens de leur pays de provenance, sans qu'aucun dispositif spécial ne soit élaboré à leur adresse. Il y a cependant des exceptions. En Italie, au début des années 1990, des mesures radicales ont été prises en réponse au lobbying d'organisations non gouvernementales (dont certaines liées à l'Église comme, par exemple, l’organisation Opera Nomadi) s'appuyant sur des analyses à prétention universitaire qui “démontraient” la spécificité communautaire des Roms et les raisons pour lesquelles leur ethnoculture ne leur permettait pas de vivre au milieu d'une population autre. Tous les personnes arrivées comme réfugiés roms des guerres de Yougoslavie, soit entre 120 000 et 150 000 selon les estimations, ont été automatiquement classées comme “nomades” et, à ce titre, exclues des programmes d'intégration proposés aux autres réfugiés et migrants. En lieu et place, elles ont été directement orientées vers des camps temporaires situés à la périphérie des grandes villes, destinés à l'hébergement des Roms, Sinti et Kaminanti nomades locaux. Ont ainsi été déclarés “nomades” des gens dont les ancêtres étaient, pour la plupart, sédentarisés depuis des siècles. Eux-mêmes avaient atteint un assez haut degré d'intégration en Yougoslavie et quelques-uns d'entre eux y occupaient de bonnes situations en tant que juristes, enseignants, ingénieurs, ouvriers qualifiés de l'industrie, etc. Le fait de placer les Roms de Yougoslavie dans des conditions de vie absolument non attrayantes pour eux couplées à un statut social inédit, a entraîné un phénomène de désocialisation massive - en particulier chez les représentants de la nouvelle génération qui sont nés et ont grandi dans les camps sans connaître d'autre réalité socioculturelle. Il s'agit sans doute là du cas le plus saisissant qu'il ait été donné d'observer en Europe ces dernières décennies, un cas dont les conséquences restent à surmonter.
30Heureusement pour les Roms d'Europe de l'est, la configuration italienne constitue plutôt une exception en Europe occidentale. La situation est dans une certaine mesure similaire en France, mais le panorama y apparaît plus diversifié et ne se prête pas à une interprétation univoque. Dans la majorité des cas, les Roms, migrants illégaux, n'y font pas l'objet d'un traitement spécifique ; pourtant, assez souvent, des Roms de Roumanie, plus rarement d'ex-Yougoslavie ou d'autres pays de l'est, sont orientés par les pouvoirs locaux ou s'installent d'eux-mêmes dans des hébergements précaires pour nomades assignés aux “gens du voyage” (des Roma, Manouches, Sinti et Gitans menant un mode de vie nomade et des non-Roms). Dans leur majorité, ce sont d'anciens nomades sédentarisés il y a une, deux ou trois générations ou des communautés qui n'ont jamais cessé de mener une existence, de fait, nomade. Dans ce dernier cas, on observe un processus de “re-nomadisation” qui atténue significativement les signes de désocialisation associés à une telle situation.
31Dans les autres pays d'Europe occidentale, ainsi en Allemagne et aux Pays-Bas, les cas d'adaptation des Roms d'Europe de l'est au mode de vie des Roms nomades locaux relèvent plutôt de l'exception. Le plus souvent, les Roms migrants prennent place dans les réseaux migratoires des pays dont ils sont originaires et utilisent, pour l’essentiel, leurs stratégies de mobilité du travail. À l'exception des réfugiés d'ex-Yougoslavie, l'autre cas particulier concerne la majorité des migrants roms de Roumanie. Une comparaison de leur trajectoire avec celle des Roms de Bulgarie aidera à mettre en exergue cette singularité.
Les modèles de mobilité bulgares et roumains
32Les stratégies migratoires des Roms de Bulgarie et de Roumanie se distinguent clairement des autres migrations roms observées massivement ces quinze dernières années. Leurs particularités nous autorisent à les séparer pour forger deux modèles typologiques de migrations roms dans lesquels la mobilité du travail tend à évoluer vers des migrations permanentes. Afin de mettre en exergue ces différences plus systématiquement (toute construction de modèle suppose un certain degré de systématisation), il convient de répondre à deux questions : quels Roms migrent ? (on a ici en vue l'hétérogénéité interne de la communauté rom qui comprend des sous-groupes plus ou moins constitués aux systèmes différents) et comment migrent-ils ?
- 27 Voir Protocole n°А 182 du 4 juin 1959 du Secrétariat du Comité central du Parti communiste bulgare(...)
- 28 Rezultati ot Prebrojavaneto na naselenieto. Tom 1. Demograhski harakteristiki, Sofia : Nationalen s(...)
33En Bulgarie, depuis leur installation sur les terres bulgares les Roms sédentarisés ont toujours prédominé. Quand, en 1956, le processus de sédentarisation obligatoire des Roms nomades est mis en œuvre par les pouvoirs publics, on ne recense que 14 000 nomades[27], alors que la même année, 197 865 personnes se déclarent “roms” à l'occasion du recensement, bien que les Roms aient été, en réalité, sensiblement plus nombreux[28]. Au moment de la sédentarisation, sur décision des pouvoirs publics la plupart des Roms s'installent non dans les quartiers roms des grandes villes, mais au milieu de la population des villages et des petites villes. Avec le soutien actif de l'État, qui leur propose des prêts pour la construction de maisons et d'autres systèmes préférentiels, ils connaissent alors un processus d'intégration sociale relativement rapide. Ce succès tient à l'épuisement des ressources du mode de vie nomade dans les nouvelles realia socio-économiques du socialisme bulgare : à cette même époque, les Roms nomades eux-mêmes recherchaient les moyens de passer à un mode de vie sédentaire et de développer de nouvelles formes d'activité économique. L'État intervient à un moment historique adapté - ce qui se rencontre rarement dans l'histoire des politiques étatiques envers les Roms - et se contente de faciliter le développement économique de la communauté et son intégration dans la société. Cependant, une partie des Roms nomades connus sous le nom de Kalajdžii “thraces” (qui s'auto-désignent comme Vlahorja) n'abandonneront jamais leur mode de vie traditionnel saisonnier, semi-nomade.
- 29 Ils comprennent, comme sous-groupes, les Lingurari et les Ursari.
34Lorsque commencent les mobilités de travail transfrontalières au début des années 1990, les anciens groupes nomades y prennent part de manières contrastées. Certains restent en dehors des flux migratoires : les Kalajdžii “thraces” poursuivent leur mode de vie traditionnel, légèrement modernisé (avec, par exemple, un abandon des carrioles tirées par des chevaux au profil de vieilles automobiles).Chez les Burgudžiite (ou Parpulii) qui vivent dans le nord-est de la Bulgarie, on rencontre même dans la population âgée des cas de renomadisation. Mais dans une situation comme dans l'autre, la mobilité n'excède pas le cadre territorial du pays. À l'autre pôle, les Rudari de langue roumaine[29] figurent parmi les premiers groupes roms à partir massivement travailler au-delà de la frontière, d'abord en Grèce, puis en Italie et en Espagne, de manière illégale. Chez ceux qu'il est convenu d'appeler les Kardaraši/Kaldaraši (qui s'autodéfinissent comme Rrom ciganjak au sens de “vrai Tsigane”), la mobilité transfrontalière revêt souvent une forme spécifique, les jeunes filles et les jeunes femmes mariées étant emmenées travailler comme pickpockets.
35Globalement, cependant, parmi les migrants prédominent des groupes dont les ancêtres mènent un mode de vie sédentaire depuis des siècles. Ils reproduisent les modèles de la population environnante et utilisent leurs réseaux migratoires régionaux pour trouver des emplois dans l'agriculture (les récoltes, l'élevage des animaux) ou les services sociaux (l'assistance aux personnes âgées ou aux malades, le travail à domicile) en Méditerranée (Grèce, Italie, Espagne et Portugal). Parfois, d'autres réseaux sont utilisés, ainsi par les Roms turcophones qui épousent les trajectoires des Turcs bulgares employés dans les serres des Pays-Bas ou la construction en Allemagne et en Suède. Certains réseaux transfrontaliers circonscrits sont dominés par des Roms, comme dans la région de Dobrič, où les migrants travaillent dans le commerce au détail sur les marchés de Pologne. Globalement, s'il existe une séparation communautaire des Roms, elle se situe à un niveau plus bas : ainsi, au sein des groupes de migrants d’un village donné, les personnes roms sont informellement identifiées et les relations avec elles sont un peu plus distantes, mais elles s’établissent toutefois dans le cadre d’une seule et même communauté migrante.
36Les Roms de Bulgarie ne se différencient pas non plus de la population environnante dans leurs stratégies migratoires. Les premiers partants pratiquent le gurbet traditionnel : d'ordinaire, un seul membre de la famille s'en va. En la matière, les femmes sont placées sur un pied d'égalité ; dans de nombreux cas, ce sont précisément elles qui partent et les hommes qui restent à la maison. Ensuite, toute la famille en âge de travailler quitte le pays. Progressivement, la mobilité transfrontalière s'élargit avec le départ des adolescents aptes au travail. Seuls demeurent au foyer les personnes âgées qui s'occupent des enfants en bas âge. Jusque là, les stratégies migratoires restent dans des cadres connus : il s'agit de gagner de l'argent à l'étranger et de vivre dans sa patrie (ou, à tout le moins, d'avoir cette perspective). La transition de la mobilité de travail transfrontalière vers l'émigration définitive intervient au moment où naissent des enfants à l'étranger ou lorsque sont emmenés les enfants très jeunes qui iront à l'école et se socialiseront dans le pays d'accueil. Les migrants entament alors un processus de légalisation de leur séjour qui s'amplifie peu à peu.
- 30 Achim (Viorel), op.cit., p. 159
- 31 Recensămăntul populaţiei si locuintelor din 7 ianuarie 1992, Bucureşti : Comisia Naţionala pentru(...)
- 32 Crowe (David), A History of the Gypsies in Eastern Europe and Russia, New York : St. Martin's Griff(...)
- 33 Achim (Viorel), op.cit., pp. 181-182.
37La situation des Roms de Roumanie est assez différente. En dépit de mesures étatiques sporadiques visant à sédentariser les Roms nomades dans les années 1950, 1960 et au début des années 1970, le pays comptait 66 500 nomades et semi-nomades selon les données du recensement de 1977. Parmi eux, environ 84% étaient “sans travail”, c'est-à-dire officiellement non engagés sur le marché du travail[30]. Au même recensement de 1977, 227 398 personnes s'étaient déclarées Roms[31], mais selon les données d'agences gouvernementales, leur nombre était estimé à environ 540 000[32]. La même année, l'État roumain adopte un programme spécial d'intégration sociale des Roms nomades : des parcelles et des terres sont mises à leur disposition pour la construction de maisons dans un cadre préférentiel. Les Roms ne disposant pas de documents d'identité sont enregistrés comme citoyens, les mariages sont également répertoriés. Des mesures sont prises afin d'envoyer les enfants à l'école et pour que les jeunes fassent leur service militaire[33]. Pour diverses raisons - au premier chef la crise économique générale à laquelle la Roumanie est confrontée au cours de cette période - ce programme reste toutefois inabouti. Après la “révolution télévisuelle” de 1989, il s'avère qu'une partie non négligeable des Roms nomades en Roumanie ne s'est de facto jamais sédentarisée ou qu'elle a seulement modernisé son mode de vie mobile traditionnel et que son degré d'intégration sociale est relativement bas.
38Ce sont précisément les Roms nomades (ou plutôt, les anciens nomades récemment sédentarisés) de Roumanie qui prennent la part la plus active aux migrations massives du début des années 1990 et engendrent l'image stéréotypée, répercutée dans les media, à tout le moins en Europe de l’est, de masses roms immenses se déversant en Europe occidentale jusqu'à aller déployer leurs tentes sous la Tour Eiffel. Le rapatriement des Roms depuis l'Allemagne en 1992-1993 et le durcissement consécutif du régime des visas ont brutalement réduit la durée de séjour et les aides sociales accordées aux demandeurs d'asile. En dernier ressort, le refus d'accorder le droit d'asile aux personnes originaires de pays dit “sûrs” (parmi lesquels figurent la Roumanie) limitent temporairement les migrations de Roms roumains.
39Un nouveau type de mobilité du travail transfrontalière émerge alors, qui reste pour l'essentiel dans le cadre du gurbet avec la recherche d'un travail illégal à l'étranger principalement en Italie, en France, puis en Espagne et au Portugal, en raison de la proximité linguistique. Ces processus prennent de l'ampleur, en particulier après la suppression des visas Schengen pour les Roumains en 2001. D'importants groupes roms y participent, qui reproduisent les stratégies migratoires de la population environnante. Certains sont d'anciens nomades, ainsi des Gabori de Transylvanie de langue romanes qui vont travailler en Hongrie et en Allemagne (essentiellement dans la construction, l'agriculture et le commerce). Cependant, les Roms sédentarisés prédominent dont beaucoup ont perdu leur langue. On compte aussi des communautés roumanophones (que les autres Roms appellent de manière péjorative Vatraši ou Kaštale) et des Rumungri hongarophones dont certains ont développé des identités préférentielles respectivement roumaine ou hongroise.
- 34 Ils sont fréquemment connus sous le nom générique de Laeši, Pletoši ou Kortorari, et divisés en gr(...)
40Les Roms nomades (ou anciennement nomades) de Roumanie[34] restent dans une large mesure en dehors de ces processus et développent leurs propres stratégies de mobilité transfrontalière, progressivement transformée en migrations. Si une frange d'entre eux demeurent en Roumanie où ils poursuivent leur mode de vie nomade traditionnel, la plupart portent leurs parcours nomades au-delà de la frontière en s'adaptant partiellement aux nouvelles conditions économiques et sociales. À la différence des Roms sédentarisés, ils partent avec leurs familles entières et tendent à émigrer définitivement. Certains rentrent l'hiver en Roumanie (où ils disposent de leur propre maison) reproduisant un modèle de vie semi-nomade avec une saison nomade active. Mais, de plus en plus, s'impose un modèle de résidence permanente en Europe occidentale, entrecoupé de retours sporadiques dans le pays d'origine (parfois, des rapatriements). Les migrants de ce groupe continuent à mener une vie communautaire entre eux en Europe occidentale, en liaison avec les personnes demeurées au pays ou rentrées pour une brève période. Pour le moment, on ne saurait parler de migrations roms définitives, parce que les parents des populations migrantes restent en Roumanie, que des contacts réguliers sont maintenus avec le pays et que le statut d'ordinaire incertain des migrants au-delà des frontières (avec la menace omniprésente d'une expulsion) ne leur permet pas de s'installer de façon permanente dans leur nouveau lieu de vie. On observe néanmoins une tendance à l'installation définitive chez certains groupes roms.
41Dans le nouvel environnement socio-économique d'Europe occidentale (les destinations privilégiées sont la France, l'Italie et l'Espagne en raison du milieu linguistique), ce sont les femmes qui assurent la survie de la famille, soit par la mendicité, soit par le vol à la tire. Les hommes cherchent également des niches économiques dans les sphères les plus diverses, souvent à la lisière de la loi. Ils se concentrent dans ou en bordure des grandes villes et utilisent souvent - en Italie et en France - les possibilités de résidence offertes par les pouvoirs locaux ou les hébergements temporaires des Roms locaux et d'autres nomades sans pour autant adopter un mode de vie nomade.
42Ce modèle de mobilité transfrontalière des Roms de Roumanie (nomades ou anciens nomades) les différencie des autres migrants d'Europe de l'est et les rend “visibles” dans les sociétés occidentales. D'autant que les femmes principalement continuent à porter certains éléments-clé des vêtements traditionnels (de longues jupes, des cheveux longs avec un fichu sur la tête), alors que les femmes roms des autres États est-européens (ou des autres groupes roms de Roumanie) ne se différencient pas du reste de la population par leur vêtement. Telle est la raison pour laquelle la présence des Roms de Roumanie est toujours connue dans l'espace public, alors que celle des Roms de Bulgarie ou d'autres pays est-européens n'est guère remarquée par le grand public.
43Globalement, les Roms de Bulgarie et de Roumanie présentent deux modèles différents de migration de l'Est vers l'Ouest. De prime abord, cette différence pourrait être imputée au mode de vie traditionnel, nomade ou sédentaire. La plupart des Roms de Roumanie se distinguent par leur passé ou même par leur présent nomade, alors que les Roms de Bulgarie mènent pour l'essentiel une vie sédentaire et reproduisent le modèle migratoire du reste de la population, un modèle commun à l'ensemble des Balkans. Mais cette explication n'est satisfaisante qu'au premier regard. Le mode de vie nomade ne constitue pas une caractéristique immuable ; il est imposé par les conditions. Chez les Roms, le nomadisme a été historiquement déterminé : il traduisait la recherche de niches socioéconomiques et a cessé de constituer une caractéristique culturelle centrale lorsque d'autres options ont été trouvées. Telle est la raison pour laquelle les Roms anciennement nomades de Bulgarie n'ont pas épousé le modèle migratoire des Roms nomades de Roumanie. Qui plus est, une frange significative de ces derniers adoptent un mode de vie sédentaire à l'ouest si la possibilité leur en est offerte. Dès lors, les différences des modèles migratoires doivent plutôt être recherchées dans le degré d'intégration sociale atteint au cours des siècles passés. Et en la matière, la présence ou l'absence de passé nomade constitue seulement une des variables.
44A la date présente, il est difficile de déterminer quelles seront les perspectives d'évolution des migrations roms de Bulgarie et de Roumanie vers l'Europe occidentale. Pour le moment, il semblerait qu'elles aient quasiment atteint leur apogée et que l'on ne puisse guère s'attendre à de nouveaux développements de grande ampleur. On peut toutefois anticiper un délitement progressif des liens avec les pays d'origine, suivi d’une légalisation et d’une installation définitive en Europe occidentale - ce qui dessinerait, en dernier ressort, une nouvelle cartographie de la présence rom dans l'Europe unie.
Notes
[1] Colocci (Adriano), Gli Zingari. Storia di popolo errante, Torino : Arnaldo Forni Ediore, 1889, pp. 33-66 ; Fraser (Angus), The Gypsies, Oxford / Cambridge : Blackwell, 1995, pp. 65-84.
[2] Mroz (Lech), Dzieje Cyganow - Romow w Rzeczypospolitej XV-XVIII, Warszawa : Wydawnictwo DIG, 2001, pp. 19-55, 220-255.
[3] Liegeois (Jean-Pierre), Roma, Gypsies, Travellers, Strasbourg : Council of Europe, 1994, pp. 121-152 ; Fraser (Angus), op.cit., pp. 85-129.
[4] Fraser (Angus), « The Rom Migrations », Journal of the Gypsy Lore Society, Ser. 5, 2 (2), 1992 ; Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « Segmentation vs. Consolidation : The example of four Gypsy Groups in CIS », Romani Studies, Ser. 5, 14 (2), 2004, pp. 164-170.
[5] Hancock (Ian), The Pariah Syndrome : An Account of Gypsy Slavery and Persecution, Ann Arbor : Karoma, 1987, pp. 37-48 ; Fraser (Angus), op.cit., pp. 226-237.
[6] Kogălniceanu (Mihail), Esquisse sur l'histoire, les moeurs et la langue des Cigains, Berlin : Librairie de B. Behr, 1837.
[7] Achim (Viorel), Ţiganii în istoria României, Bucuresti : Editura Enciclopedica, 1998, pp. 58-63.
[8] Carte, Carte românească de învătătură. Ediţia critică, Bucureşti, 1961, p. 68.
[9] Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « The Slavery of Gypsies in Wallachia and Moldavia », in Sprawy Narodowosciowe, Poznan : Zaklad Badan Narodowosciowych (PAN), 2007 (à paraître).
[10] Témoin les migrations des ХVI-ХVIIème siècles vers la Pologne et l'Ukraine ou celles des ХVII-ХVIIIème siècles vers l'Empire ottoman (Barannikov (Alexey),The Ukrainian and South Russian Gypsy Dialects. Leningrad : Academy of Sciences of the USSR, 1934, pp. 8-9 ; Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), Gypsies in the Ottoman Empire, Hatfield : University of Hertfordshire Press, 2001, p. 50).
[11] Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « The Slavery of Gypsies in Wallachia and Moldavia » (art.cit.).
[12] En premier milieu, les Kelderari et les Lovari et d'autres groupes et sous-groupes qui leur sont proches par la filiation, et les descendants des groupes connus sous le nom de Lješi.
[13] Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), « Segmentation vs. Consolidation : The example of four Gypsy Groups in CIS » (art.cit.), pp. 164-170.
[14] Reyniers (Alain), Evaluation of Gypsy Populations and their Movements in Central and Eastern Europe and in some OECD Countries, focusing on the issues of migration, application for asylum, demography and employment. Occasional Papers, Paris : OECD, 1999 ; Klímova (Ilona), Pickup (Alison), eds., « Romani Migrations : Strangers in Anybody's Land ? », Cambridge Review of International Affairs, 13 (2), 2000.
[15] Concernant la tradition du gurbet, se reporter à l’article de Hristov (Petko), « Mobilités du travail (gurbet), stratégies sociales et familiales. Une étude de cas dans les Balkans centraux », dans ce dossier.
[16] Marta (Claudio), The Acculturation of the Lovara, Stockholm : IMFO-Gruppen & University of Stockholm, 1979.
[17] Les Sinti sont un des sous-groupes de la communauté rom (au même titre que les Roma, les Manouches, les Kalo/Jitanos/Gitanes,etc.) dont des représentants vivent en Allemagne, en Autriche, en Suède et au Nord de l’Italie.
[18] Matras (Yaron), « The Development of the Romani Civil Rights Movement in Germany 1945-1996 », in Tebbut (S.), ed., Sinti and Roma. Gypsies in German-speaking Society and Literature. New York : Berghahn, 1998.
[19] Par contraste, en Europe centrale et occidentale, les Roms nomades locaux nomadisent toute l'année.
[20] Marushiakova (Elena), Popov (Vesselin), op.cit., pp. 47-48.
[21] On peut ainsi distinguer plusieurs migrations : les grandes vagues de Roms de Bulgarie et de Roumanie demandeurs d'asile en Allemagne en 1991-1993 ; l'émigration des Roms comme “réfugiés politiques” depuis la Pologne et la Lettonie vers la Grande-Bretagne pendant la seconde moitié des années 1990 ; l'émigration des Roms au Canada, qui a revêtu un caractère massif après 1997 et concerné des Roms de République tchèque, de Slovaquie et de Hongrie ; l'entrée de Roms de Tchéquie et de Slovaquie en Grande-Bretagne en 1997 et dans les années qui suivirent ; les vagues de réfugiés roms de Slovaquie vers la Belgique et la Finlande en 1999-2000 et l'arrivée d'un groupe de Roms de Bulgarie en Norvège en 2001, etc. Klímova (Ilona), Pickup (Alison), eds., art.cit. ; Sobotka (Eva), « Romani Migration in the 1990s : Perspectives on Dynamics, Interpretation and Policy », Romani Studies, Series 5, 13 (2), 2003). La plupart de ces migrations (ou tentatives de migration) s’effectuent grâce à l’obtention de visas de touristes. Une fois entrés dans le pays de destination, les Roms déposent des demandes d’asile politique. Dans certains cas, ils peuvent bénéficier des services d’agences de tourisme. Dans d’autres, ils s’appuient sur les réseaux de Roms ayant émigré plus tôt. Enfin, parfois, ils doivent compter sur leurs propres moyens, faute de relais déjà établis sur place.
[22] Andjelković (Zoran), Scepanović (Sonja), Prlincević (Guljsen), Days of Terror. (In the Presence of the International forces), Beograd : Center for Peace and Tolerance, 2000 ; Marushiakova (Elena), Heuss (Herbert), Boev (Ivan), Rychlik (Jan), Ragaru (Nadège), Zemon (Rubin), Popov (Vesselin), Friedman (Victor), Identity Formation among Minorities in the Balkans : The cases of Roms, Egyptians and Ashkali in Kosovo, Sofia : Minority Studies Society « Studii Romani », 2001.
[23] Sobotka (Eva), art.cit.
[24] L'accord de Schengen, originellement signé en 1985 par cinq États européens, visait à faciliter la circulation entre les États partie ; il prévoyait également des mesures d'harmonisation de la politique aux frontières et dans l'octroi des visas. Il est entré en vigueur dans quinze États européens en mars 1995.
[25] Chiffres cités sur le site Internet de l'Institut national statistique bulgare (NSI) à l'adresse : http://www.nsi.bg/Census/Census.htm
[26] Pour plus de détails sur les expériences migratoires des Roms de Bulgarie en Espagne, se reporter à l’article de Slavkova (Magdalena), « Being Gypsy in Europe. The Case of Bulgarian Roma Workers in Spain », dans ce dossier.
[27] Voir Protocole n°А 182 du 4 juin 1959 du Secrétariat du Comité central du Parti communiste bulgare.
[28] Rezultati ot Prebrojavaneto na naselenieto. Tom 1. Demograhski harakteristiki, Sofia : Nationalen statističeski institut, 1994, p. xxv.
[29] Ils comprennent, comme sous-groupes, les Lingurari et les Ursari.
[30] Achim (Viorel), op.cit., p. 159
[31] Recensămăntul populaţiei si locuintelor din 7 ianuarie 1992, Bucureşti : Comisia Naţionala pentru Statistica, 1994, IV : Tab. No 2.
[32] Crowe (David), A History of the Gypsies in Eastern Europe and Russia, New York : St. Martin's Griffin, 1994, p. 139.
[33] Achim (Viorel), op.cit., pp. 181-182.
[34] Ils sont fréquemment connus sous le nom générique de Laeši, Pletoši ou Kortorari, et divisés en groupes, en sous-groupes et en lignées familiales distinctes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Elena Marušiakova et Veselin Popov, « Les migrations des Roms balkaniques en Europe occidentale : mobilités passées et présentes », Balkanologie, Vol. XI, n° 1-2 | décembre 2008, [En ligne], mis en ligne le 31 décembre 2008. URL : http://balkanologie.revues.org/index972.html. Consulté le 19 septembre 2010.Auteurs
Elena Marušiakova
Veselin Popov
Dr. Elena Marušiakova et Dr. Veselin Popov sont tous deux directeurs de recherche à la Section d’Ethnologie balkanique de l’Institut et du Musée d’ethnographie de l’Académie des sciences bulgares (BAN), où ils ont fondé une bibliothèque dotée d’un fonds d’archives sur les « Etudes roms » (Studii romani). Elena Marušiakova dirige la Section d’ethnologie balkanique. Ils sont les auteurs de nombreux ouvrages et articles sur l’histoire, la structure sociale, l’ethnoculture et les mouvements politiques et sociaux des Roms en Europe centrale, en Europe de l’Est et en Europe du Sud-Est, dont une série d’ouvrages collectifs sur le folklore rom « Studii romani » (volume 1, 1994 ; volume 2, 1995 ; volumes 3-4, 1997, volumes 5-6, 1998). On leur doit également la première étude compréhensive sur les Roms de Bulgarie (1997), un ouvrage sur les Roms dans l’Empire ottoman (2000) et un livre sur les Roms dans les pays du Nord de la mer Noire (E.Marushiakova, U. Mischek, V. Popov, B. Streck, Zigeuner am Schwarzen Meer, Leipzig : Eudora Verlag, 2008). Leurs publications récentes comprennent : Elena Marušiakova et Veselin Popov, Studii romani. Izbrani [Etudes roms. Textes choisis], vol. 7, Sofia : Paradigma, 2007 ; Elena Marušiakova et Veselin Popov, « ONG, mouvements et partis roms en Bulgarie : quels modes d’organisation pour quelle articulation des intérêts ? », Revue d’Etudes comparatives Est-Ouest, 38(4), 2007, p.49-66 ; Elena Marushiakova et Veselin Popov, « De l’Est a l’Ouest. Chronologie et typologie des migrations tsiganes en Europe », Etudes Tsiganes, 27-28, 2006, p.10-26.
mstudiiromani@geobiz.net
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