luni, 14 martie 2011

Minorités : les Aroumains, un peuple qui renaît

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

Publié dans Le Courrier des Balkans : 30 janvier 2011
Mise en ligne : dimanche 6 février 2011
Les Aroumains, qui parlent une langue latine, seraient les descendants des Thraces romanisés. Vivant au carrefour des mondes grec, albanais et slave, ils représentent un vrai casse-tête identitaire pour les actuels États-nations balkaniques où ils sont au mieux marginalisés au pire discriminés. Nicolas Trifon raconte à Politika les péripéties de ce peuple et son actuelle renaissance, alors que son ouvrage Les Aroumains, un peuple qui s’en va vient d’être traduit en serbe.
Par Dušica Milanović

Minorités : les Aroumains, un peuple qui renaît

Politika : Qu’est-ce qui a conduit à la « résurrection » des Aroumains sur la scène publique des Balkans ?
Nicolas Trifon (N.T.) : La métaphore christique n’est pas forcément très appropriée pour caractériser un événement qui a étonné certains Aroumains eux-mêmes. Mieux vaudrait parler de retour sur la scène publique des Aroumains, un certain nombre de conditions ayant été réunies, indépendamment de leur volonté d’ailleurs, pour qu’ils se découvrent, se parlent et parlent aux autres en exhibant leur particularisme qui auparavant était mal vu, voire interdit. Il s’agit, pour l’essentiel, du retour de la liberté d’expression et d’association sur le plan culturel et politique dans les pays où ils vivent. Malgré leur prudence proverbiale, due à leur isolement et à leur condition de minoritaires, les Aroumains se sont emparés de cette liberté et ont agi en conséquence. En République de Macédoine, où certains avaient déjà fait des démarches explicites dans ce sens, en Roumanie, juste après la mort de Ceausescu, dans l’euphorie des mois qui ont suivi la chute du régime communiste en Bulgarie et en Albanie, plus tard, certes, mais avec une vigueur inattendue. En Grèce, pays ayant rejoint l’UE dès 1981 mais où les minorités nationales ne sont constitutionnellement pas reconnues, aussi mais sous une forme différente – la centaine d’associations culturelles qui allaient voir le jour seront regroupées au sein d’une Union panhellénique. Dans ce pays où vivent encore de nos jours la plupart des Aroumains, l’appellation d’origine « aroumain » demeure en quelque sorte taboue. Le contraste avec les autres pays balkaniques qui avaient connu le régime communiste est considérable dans la mesure où dans ces pays, la notion de droits des minorités, autres que religieuses, existaient, même si les Aroumains n’en bénéficiaient pas.
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Politika : Ces initiatives ont-elles été précédées par des démarches à caractère symbolique de la diaspora aroumaine en Allemagne et aux États-Unis, fixant le cadre politique des revendications, tout en excluant des aspirations à caractère territorial et étatique, et ayant un contenu culturel ?
N. T. : Il faut rappeler les tensions à caractère national générées par le démembrement de la Fédération yougoslave. Répartie sur plusieurs pays, une petite minorité comme les Aroumains, même sans revendications politiques démesurées, suscitait l’intérêt de divers organes des États de la région : en Grèce des voix se levaient pour protester contre la violation des droits des Grecs, en fait des Aroumains, en République de Macédoine, d’autres retrouvaient des liens ancestraux avec les Grecs vlachophones d’Albanie - les Aroumains qui, selon certaines estimations sont plus nombreux que les membres de la minorité grecque dans ce pays -, tandis que la Roumanie multipliait ses appels vers les « Roumains de l’étranger » en proposant notamment des bourses aux jeunes Albanais, Bulgares ou Macédoniens capables de prouver des origines aroumaines. Si ces bourses, comme celles accordées par la Grèce en Albanie, ont eu du succès, les effets politiques ont été négligeables. C’est bien des droits pour la langue aroumaine, et non pas roumaine ou grecque, qu’exigent les nouvelles associations aroumaines là ou elles déploient leurs activités.
Politika : Qu’en est-il de leur statut ?
N. T. : Dépourvus de tout statut reconnaissant leur particularisme lors du traité de Bucarest mettant fin aux deux guerres balkaniques, les Aroumains ont fait partie des « oubliés » des nouveaux États-nations. À plusieurs reprises, ils ont dû faire des efforts pour se faire oublier par les autorités des États où ils se sont retrouvés : en Grèce pendant la dictature de Metaxa puis des colonels, en Macédoine pendant l’occupation des troupes bulgares, en Roumanie pendant la guerre lorsqu’ils ont été ballottés du sud au nord de la Dobroudja, au début du régime communiste lorsqu’ils ont été déportés du Banat roumain, lors de la rupture avec Tito, etc. Dans l’ensemble, la plupart des Aroumains ont observé une stricte loyauté envers les États où ils évoluaient, indépendamment de l’attitude que ceux-ci adoptaient à leur encontre. Ce comportement remonte loin, à l’époque ottomane et austro-hongroise si l’on pense à la diaspora aroumaine à Vienne ou Buda et Pest. Avec les États-nations, on assiste cependant à des changements significatifs. Les patriotes bulgares, albanais, grecs ou roumains d’origine aroumaine ont fait leur apparition. Par intérêt, pour leur carrière, mais aussi par adhésion sincère et, de fait, souvent fanatique. Aussi, lors du renouveau aroumain auquel on assiste ces deux dernières décennies, une division considérable et une forte tension caractérise les milieux aroumains, c’est-à-dire ceux qui se considèrent comme albanais, grecs ou roumains, et ceux qui se disent aroumains tout court. Si les premiers sont virulents et bénéficient de tribunes qui leurs sont offertes par les milieux nationalistes des pays où ils vivent, les seconds, parfois tentés par le nationalisme aroumain, n’y croient pas trop. Il n’est jamais question de revendication territoriale parmi eux.
Politika : Comment ont-ils réussi à préserver leur identité ?
N. T. : La conservation de la langue et des traditions a été pratiquement une affaire familiale jusqu’à récemment. Cela dit, s’agissant de familles élargies, de véritables clans parfois, les communautés se retrouvaient assez fréquemment. Autre facteur de cohésion : le réflexe minoritaire acquis au cours de leur histoire, à la fois d’ouverture et de méfiance à l’égard des étrangers. Ouverture en raisons de leurs métiers : producteurs de produits laitiers, éleveurs, artisans, commerçants, professions libérales, mais presque jamais paysans cultivateurs dans les plaines ; et une certaine méfiance envers les xeni, les autres, les étrangers, avec lesquels on préférait ne pas se mélanger. Malheureusement, à l’occasion de l’anniversaire du retour sur la place publique des Aroumains, force est de constater que la transmission de la langue risque de demeurer une affaire familiale, à quelques exceptions près en République de Macédoine où ils ont acquis certains droits spécifiques. Ainsi, des cours d’aroumain ont été introduits à l’école. En Roumanie, les Aroumains, présents depuis l’émigration pendant l’entre-deux-guerres et la colonisation du Sud de la Dopbroudja, sont très actifs. Mais n’ont toujours pas obtenu le statut de minorité nationale comme ils le demandent.
Politika : Quelles sont vos relations avec la Serbie ?
N. T. : Belgrade et surtout Sofia sont des villes très familières pour moi, puisque mon père, mes tantes, et bien d’autres parlaient à la fois le bulgare – du côté de mon grand-père – et le serbe, du côté de ma grand-mère. Mon arrière-grand-père, Gaghi Trifon a installé son commerce en 1847 à Sofia. Il a été le premier à traverser le Danube en 1878 pour prendre un passeport roumain avant de revenir à ses affaires prospères dans la capitale bulgare. En effet, ayant soutenu l’effort de guerre contre les Turcs, il avait été élu conseiller à la mairie de Sofia. Lors de la première séance du conseil, un orateur a dit qu’après avoir chassé les Turcs, les Bulgares devaient faire de même avec tous les étrangers. Les « cincari », notre surnom, étaient visés aussi… Mon père est né à Sofia, il est mort à Bucarest. Moi, je suis né à Bucarest, mais je vis à Paris. Ainsi va le monde pour les Aroumains…

Publié dans la presse : 30 janvier 2011
Mise en ligne : dimanche 6 février 2011

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