18 janvier 2012 par
RÉDUCTION DES RECETTES DE L’ÉTAT = CRISE DE LA DETTE
« Vingt ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre », c’est le titre du troisième ouvrage des Économistes atterrés (1). Le premier de la série intitulé Le Manifeste des économistes atterrés « lançait un cri d’alarme contre ceux qui tentent de nous faire croire que la SEULE solution à la crise est libérale », déclare Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’Université Paris 13 et coprésident des Économistes atterrés (2).
Quel énigmatique manifeste économique, quel étrange constat de ces économistes atterrés ! En effet, la solution à la crise économique libérale ne peut être ‘libérale’ car alors il n’y aurait pas de crise économique ‘libérale’. C’est par la faute des mesures économiques ‘libérales’ – anarchiques – que l’économie dite ‘libérale’ est en crise. Mais soyons honnête, la politique économique capitaliste ne peut être que ‘libérale’, c’est-à-dire follement et librement à la poursuite du taux de profit maximum – alors que les lois inéluctables qui régissent ce système économique anti-démocratique entraînent la baisse tendancielle des taux de profit –. Les politiques dites ‘libérales’ sont donc une réponse à cette quête perpétuelle, jamais assouvie, et non pas une solution à la crise ‘libérale’.
Écoutons à nouveau l’économiste atterré et indigné : « Dans cet ouvrage-ci, nous voulons tordre le cou à l’idée que la crise est la conséquence de dépenses publiques liées à une politique sociale trop dispendieuse. Il s’agit d’une mystification. Ne nous trompons pas de crise. La dette est intégralement provoquée par la spéculation financière » (3).
« C’est le coût de la crise financière qui nous a mis en difficulté et a fait éclater la dette souveraine », ajoute l’économiste Coriat. « Il est donc aberrant de taper sur les politiques sociales. Cette folie sur les cures d’austérité ne va pas nous faire sortir du trou financier. En 2011, les entreprises du Cac 40 (indice boursier parisien) ont distribué 37 milliards d’euros sous forme de dividendes. En regard, le coût de la dette publique en France est de 45 à 48 milliards d’euros. On appréciera » (4). Ici l’économiste outré a parfaitement raison, l’assistance sociale prodiguée aux banques et aux boursicoteurs à coups de milliards de fonds publics a été le vecteur qui a provoqué l’éclatement vertigineux de la dette souveraine (auxquels s’ajoutèrent les dépenses militaires débridées).
Les Économistes prostrés en appellent à un renouveau de la protection sociale : selon eux, la déconstruction des systèmes de protection sociale s’est accélérée dans la plupart des pays d’Occident à partir de la décennie 90, donc bien avant la crise boursière des ‘subprimes’ (2008) et avant la crise de la dette souveraine de 2011. « Dans les médias, la protection sociale (celle destinée au peuple pas celle destinée aux banques, NDLR) continue d’être présentée comme un puits sans fond, et la persistance des besoins de financement comme le résultat d’une croissance sans cesse plus forte des dépenses. « Pourtant, l’analyse des comptes sociaux dément ce discours – renchérit Monsieur Coriat. La part des dépenses sociales dans le PIB est à peu près stable depuis 15 ans ». Tout est dit, la part des dépenses sociales dans le produit intérieur brut est stable depuis 15 ans. Ces dépenses sociales ne peuvent donc avoir provoqué la hausse vertigineuse des déficits gouvernementaux et l’accroissement de la dette souveraine…
Les déficits publics sont davantage le résultat d’un manque de recettes et d’une hausse de certains postes budgétaires (déboursés militaires et subventions aux banques) que de l’augmentation incontrôlée des dépenses sociales.
Avec la croissance des besoins sociaux (vieillissement de la population, progrès médical, augmentation de la population), le dogme ‘libéral’ selon lequel il ne serait plus possible de dépenser davantage pour la protection sociale a entraîné des difficultés accrues de financement dans les services et les établissements de santé, d’autant que la multiplication des emplois à temps partiel et la progression du chômage ont réduit drastiquement les recettes de l’État. Les politiques ‘libérales’ ont transféré aux ménages une part croissante de ce financement, pendant que les employeurs bénéficiaient d’exonérations de cotisations sociales et que les riches obtenaient des congés d’impôts, des dégrèvements fiscaux. Tous ces ‘cadeaux’ se sont traduits par un manque à gagner fiscal important, déclare l’économiste pétrifié.
« Les Économistes atterrés dressent les indicateurs qui témoignent de la baisse de la couverture sociale : hausse du ticket modérateur, multiplication des déremboursements, instauration de forfaits et de franchises couplés au développement des dépassements d’honoraires. Résultat : la prise en charge de la consommation de soins de santé et de biens médicaux par la Sécurité sociale a fortement diminué (depuis 1990, NDLR) » (5).
CONCURRENCE INTER-IMPÉRIALISTES
Ce qu’il faut toutefois comprendre c’est qu’ils sont inévitables ces dégrèvements d’impôts, ces congés de cotisation sociale et de cotisation chômage, ou encore ces congés de contribution aux caisses de retraite. Elles sont incontournables ces subventions destinées aux banques, aux multinationales et aux milliardaires de l’industrie. Comment voulez-vous qu’un capitaliste canadien, américain ou français parvienne à concurrencer un capitaliste chinois qui paie sa force de travail environ 300 euros par mois alors que ses concurrents occidentaux paient dix ou quinze fois ce salaire sans compter les avantages sociaux (régimes d’assurance emploi, assistance médicale, assurance accident du travail, caisse de retraite, etc.) ?
En termes économiques les dépenses gouvernementales dites ‘sociales’ sont des coûts, – des dépenses – qui se trouvent inclus dans le prix des produits offerts sur le marché. La ‘mondialisation’ et le ‘libre-échange’, éliminant les entraves – les protections tarifaires – entre les pays, ont placé toutes les marchandises, même la marchandise « main d’œuvre » directement en concurrence avec les marchandises et les coûts de production des pays asiatiques y compris la Chine.
L’économiste atterré et indigné devrait comprendre que le fait d’augmenter les charges sociales des entreprises de France, du Canada, des États-Unis élève directement le prix des marchandises commercialisées par ces vieux pays impérialistes en déclin qui ne sont plus concurrentiels face à l’impérialisme chinois.
LEVONS DES PROTECTIONS DOUANIÈRES !
Mais alors, pourquoi ne pas imposer des barrières tarifaires et taxer les importations chinoises, indiennes, asiatiques pour les rendre plus onéreuses et les empêcher d’entrer sur nos marchés étranglés ? Impossible, ce sont les impérialistes occidentaux eux-mêmes qui ont imposé l’élimination progressive des barrières tarifaires et qui imposent aujourd’hui le ‘libre-échange’ et le ‘libéralisme’ économique aux asiatiques.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC), mise sur pied par les pays occidentaux, a pour tâche de surveiller les récalcitrants et de sanctionner les protectionnistes qui ferment leurs frontières à l’invasion des produits asiatiques et chinois. Cent cinquante pays sont membres de l’OMC et vivent sous les diktats de cette organisation pour la mondialisation sans compter les édits du FMI et de la Banque Mondiale.
Pourquoi les capitalistes occidentaux ont-ils creusé ainsi leur propre tombe en abolissant les protections douanières, se plaçant à la merci de la concurrence étrangère ? C’est tout simplement que vers les années 1975 les capitalistes d’Occident ont pris modèle sur leurs concurrents impérialistes soviétiques qui eux délocalisaient en partie leur production vers les pays de leur sphère d’influence, pays aux salaires plus bas qu’en Union Soviétique. C’est ainsi que la Tchécoslovaquie, l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Hongrie sont devenues des pays ateliers de l’impérialisme soviétique. Chaque pays satellite avait sa spécificité industrielle, certains pays de la sphère d’influence tiers-mondiste n’avaient pour tâche que de fournir certaines matières premières (Cuba le sucre, Angola le pétrole, Vietnam le riz), d’autres des produits usinés ou semi-usinés.
À partir de 1975 les impérialistes occidentaux ont appliqué ce modèle d’exploitation aux pays sous leur domination en Asie, en Amérique latine et en Afrique et ils ont commencé à fermer leurs usines en métropole et à les relocaliser dans les pays néocoloniaux. C’est alors qu’ils ont eu l’idée d’abolir les barrières tarifaires et de préconiser le ‘libre-échange’ de façon que les marchandises de leurs filiales en pays coloniaux puissent entrer en métropole sans être taxées. Pour un impérialiste français, canadien ou américain encaisser ses profits à partir de sa filiale taiwanaise ou coréenne ou à partir de son usine de Montréal, de Toulouse ou de Pittsburg n’a aucune importance puisque pour ce capitaliste le profit est sa seule patrie.
Si demain la France érigeait des barrières tarifaires et imposait des tarifs douaniers aux produits importés, ce sont les entreprises Renault, Peugeot, Vivendi, Lagardère, Veolia ou Michelin qui ne pourraient plus importer en France les marchandises qu’elles font produire en Thaïlande, au Vietnam, en Côte d’Ivoire, en Corée et en Chine.
Si un pays capitaliste décidait de quitter l’OMC et d’ériger des barrières douanières à ses frontières, d’abord il ne pourrait le faire sans se doter de sa propre monnaie nationale. Ensuite, il ferait augmenter drastiquement le prix des marchandises importées offertes sur son marché national ce qui provoquerait une inflation importante et la dépréciation de l’épargne des travailleurs et, par ricochet, la diminution de la consommation domestique ; ce qui entrainerait à son tour la réduction des recettes fiscales de l’État et l’augmentation de la dette souveraine, sans parler des mesures de rétorsion que les pays capitalistes voisins seraient en droit de lui imposer sur ses propres exportations.
J’entends d’ici clamer les nationalistes-socialistes, dont Ron Paul – candidat libertarien à l’investiture républicaine – : « Mais nous pourrions ainsi à l’abri de la concurrence chinoise réindustrialiser la France, les États-Unis, le Canada, la Grèce, l’Italie, et produire nos propres marchandises pour nos marchés domestiques ». Que nenni ! Sous la division internationale du travail impérialiste certains pays produisent des matières premières, d’autres fournissent l’énergie fossile, d’autres la main d’œuvre bon marché, d’autres les usines de transformation primaire, quelques-uns des machines-outils (Allemagne, Japon, Chine) moyens essentiels à la production des outils de production des marchandises. Toutes ces marchandises doivent pouvoir circuler d’un pays à l’autre afin de permettre aux capitalistes de réaliser le plus haut taux de profit et pour cela ravir à ses concurrents ses matières premières, sa force de travail (plus-value) et ses marchés.
La ‘ré-industrialisation’ d’un pays impérialiste désindustrialisé est une chimère que colportent les opportunistes en chemises brunes nationales-socialistes à l’occasion des mascarades électorales.
LE MÉCANISME DE LA CRISE ÉCONOMIQUE CAPITALISTE
Résumons l’ensemble de la mécanique de fabrication des crises économiques sous le régime capitaliste. Pour maintenir leurs profits les entreprises des vieux pays impérialistes décadents – françaises, canadiennes, américaines, britanniques, espagnoles italiennes – ont fermé plusieurs usines dans leurs pays respectifs et les ont relocalisées dans des pays émergents, semi-coloniaux, aux salaires de misère.
Ce faisant ces entreprises ont provoqué chômage, emploi précaire, diminution des contributions aux programmes d’assurance emploi, aux programmes d’assurance médicale et aux régimes de retraite des employés et réduction proportionnelle des taxes et des impôts versés à l’État, tout en réduisant en parallèle le pouvoir d’achat de leurs clients dans les pays métropolitains, clients que ces entreprises sollicitent tout de même pour acheter leurs marchandises fabriquées en Asie.
Moins d’argent à l’État et moins de pouvoir d’achat dans les poches des clients métropolitain en chômage ou sur l’assistance sociale amènent les banques à stimuler la demande en offrant du crédit inconsidérément : des millions de maisons ont été achetées à crédit, des automobiles et des appareils électroniques aussi. Que survienne une légère hausse des taux d’intérêts ou une perte d’emploi, les emprunteurs surendettés ne peuvent rembourser. Ils déclarent faillite personnelle et les banques s’effondrent – les gouvernements volent au secours non pas des emprunteurs mais des créanciers – les banquiers – et renflouent ces milliardaires à coup de fonds publics dévalués et inflationnistes alors que les revenus de l’État s’amenuisent comme peau de chagrin. C’est la crise de la dette souveraine – pas assez de revenus fiscaux tirés d’une économie asphyxiée et trop de déboursés en faveur de capitalistes qui exigent des aides de l’État providence pour maintenir la consommation, les emplois encore disponibles dans le tertiaire parasitaire et les quelques usines qui n’ont pas encore été délocalisées. C’est la spirale infernale de la misère.
L’IMPÉRIALISME CHINOIS
Pendant ce temps se profilait à l’horizon – 1990 – une nouvelle superpuissance industrielle bénéficiant du coût dérisoire de sa main d’œuvre. Contrairement aux pays ateliers du Sud-Est asiatique, la Chine championne de la ‘mondialisation’ développe ses propres entreprises nationales à l’abri de sa monnaie, le Yuan sous-évalué – c’est la tactique qu’utilise la Chine pour sa protection douanière – si bien que ce sont les capitalistes nationaux chinois qui empochent les profits et profitent des lois ‘libérales’ de libre-échange imposées préalablement par les capitalistes des vieux pays impérialistes en déclin (6).
La nouvelle puissance chinoise redéfinit l’ensemble des relations commerciales, industrielles et financières de la planète et impose sa nouvelle division internationale du travail. Pendant que la situation économique et financière des pays impérialistes occidentaux se détériore constamment, ils en viennent à emprunter à la Chine capitaliste extrêmement riche. De pays débiteur la Chine devient pays créditeur – le nouveau banquier du monde capitaliste. C’est le triomphe du yuan sur le dollar déprécié pendant que l’euro tente de se maintenir à flot.
Nous en sommes là présentement. Pour combattre ce nouveau concurrent chinois, les pays impérialistes occidentaux n’ont pas d’autres choix que de réduire le coût de la marchandise « main-d’œuvre » – force de travail – mais cela est très difficile car un ouvrier occidental ne peut pas se contenter d’un salaire de 300 euros par mois. Sans services sociaux, sans services médicaux, sans soutien à l’éducation et sans contribution aux régimes de pension, il mourrait de faim tout en travaillant comme un forçat. Déprécier et déliter totalement la force de travail ne peut être la solution aux problèmes des capitalistes occidentaux qui pourtant s’y exercent avec acharnement.
SUBVERSION ET GUERRES LOCALES
Les lois incontournables du développement systémique capitaliste le mènent à l’impasse. Comme ils ne peuvent concurrencer l’impérialisme chinois sur le terrain de la productivité et de la performance industrielle (sauf l’Allemagne et le Japon qui y sont parvenus un certain temps) les impérialistes des pays en déclin (États-Unis, France, Royaume-Uni, etc.) tentent par la subversion et la guerre de rapine de nuire aux intérêts chinois et de lui ravir ses sources de matières premières, ses approvisionnements en pétrole et ses marchés.
Voilà pourquoi depuis 1990 on assiste à une recrudescence des guerres régionales, des conflits locaux, à la remise en cause des résultats électoraux dans les pays néocoloniaux, à l’éclatement de révolutions colorées manigancées, à la révolte des peuples arabes, à l’agression contre le Liban, à la subversion contre la Syrie, l’Iran, le Yémen, à l’éclatement de guerres de basse et de haute intensité dans les ex-républiques soviétiques et dans de nombreux pays d’Afrique. La rivalité inter-impérialiste entre les trois grands blocs États-Unis-ALENA – Euroland – Alliance de Shanghai a pris cette forme meurtrière avant de possiblement dégénérer en conflit généralisé.
Afin de mieux contenir les appétits et les ambitions chinoises et de faire face à ses éventuelles représailles Obama annonçait en janvier 2012 le redéploiement des troupes d’agression américaine – abandonnant des fronts secondaires pour concentrer leurs subversions en Asie et autour du Pacifique face à la Chine – redéploiement que nous avions annoncé en décembre 2011 (7).
De tout ceci il faut déduire que ce n’est pas par mauvaise volonté, par bêtise, méchanceté ou par incompétence que les capitalistes occidentaux et leurs gouvernements de laquais à la solde des multinationales nous ont menés à la faillite et à la ruine sociale. Ce sont plutôt les lois inéluctables du système économique capitaliste ‘libéral’ dont l’objectif de l’activité économique n’est pas de satisfaire les besoins sociaux du peuple travailleur mais d’accumuler le plus de profits possible, peu importe que cela entraîne la réduction des services à la population, l’esclavage salarié et le chômage, la paupérisation des peuples et la misère pour le plus grand nombre.
Non, effectivement, la SEULE solution à la crise ‘libérale’ n’est pas ‘libérale’, monsieur l’économiste exaspéré ; SEULES les causes de la crise sont ‘libérales’. Dans ces conditions comment faire pour sortir collectivement de ce calvaire économique ‘libéral’ ? Par des ‘réformes’ vous ne parviendrez pas à sauver ce système en décrépitude, alors pourquoi ne pas l’occire ?
(1) Les économistes atterrés : changer d’économie ! Nos propositions pour 2012 : Éditions les liens qui libèrent : 18,50 euros : janvier 2012
Retrouvez les économistes atterrés sur leur site.
(2) Pour cette partie nous nous sommes inspiré de l’article de Anne-Marie Thomazeau. 6.01.2012.
(3) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(4) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(5) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(6) Vincent Gouysse. Le réveil du dragon s’accélère ! Septembre 2011.
(7) « (…) essaiera de soulever une vague de protectionnisme et de nationalisme fanatique et les États-Unis tenteront d’impulser une désastreuse "Guerre Froide" contre la Chine. Au cours de 2011 Obama a fourni le cadre et la justification d’une confrontation à grande échelle et de longue durée avec la Chine. Ce sera un effort désespéré pour maintenir l’influence étatsunienne et conserver ses positions stratégiques en Asie et partout dans le monde. » « Les États-Unis seront contraint de réduire leurs dépenses militaires et d’abandonner certains théâtres d’intervention pour concentrer leurs efforts sur quelques scènes prioritaires. ». Nous connaissons maintenant ces scènes prioritaires, la Chine et le Pacifique.
« Vingt ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre », c’est le titre du troisième ouvrage des Économistes atterrés (1). Le premier de la série intitulé Le Manifeste des économistes atterrés « lançait un cri d’alarme contre ceux qui tentent de nous faire croire que la SEULE solution à la crise est libérale », déclare Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’Université Paris 13 et coprésident des Économistes atterrés (2).
Quel énigmatique manifeste économique, quel étrange constat de ces économistes atterrés ! En effet, la solution à la crise économique libérale ne peut être ‘libérale’ car alors il n’y aurait pas de crise économique ‘libérale’. C’est par la faute des mesures économiques ‘libérales’ – anarchiques – que l’économie dite ‘libérale’ est en crise. Mais soyons honnête, la politique économique capitaliste ne peut être que ‘libérale’, c’est-à-dire follement et librement à la poursuite du taux de profit maximum – alors que les lois inéluctables qui régissent ce système économique anti-démocratique entraînent la baisse tendancielle des taux de profit –. Les politiques dites ‘libérales’ sont donc une réponse à cette quête perpétuelle, jamais assouvie, et non pas une solution à la crise ‘libérale’.
Écoutons à nouveau l’économiste atterré et indigné : « Dans cet ouvrage-ci, nous voulons tordre le cou à l’idée que la crise est la conséquence de dépenses publiques liées à une politique sociale trop dispendieuse. Il s’agit d’une mystification. Ne nous trompons pas de crise. La dette est intégralement provoquée par la spéculation financière » (3).
« C’est le coût de la crise financière qui nous a mis en difficulté et a fait éclater la dette souveraine », ajoute l’économiste Coriat. « Il est donc aberrant de taper sur les politiques sociales. Cette folie sur les cures d’austérité ne va pas nous faire sortir du trou financier. En 2011, les entreprises du Cac 40 (indice boursier parisien) ont distribué 37 milliards d’euros sous forme de dividendes. En regard, le coût de la dette publique en France est de 45 à 48 milliards d’euros. On appréciera » (4). Ici l’économiste outré a parfaitement raison, l’assistance sociale prodiguée aux banques et aux boursicoteurs à coups de milliards de fonds publics a été le vecteur qui a provoqué l’éclatement vertigineux de la dette souveraine (auxquels s’ajoutèrent les dépenses militaires débridées).
Les Économistes prostrés en appellent à un renouveau de la protection sociale : selon eux, la déconstruction des systèmes de protection sociale s’est accélérée dans la plupart des pays d’Occident à partir de la décennie 90, donc bien avant la crise boursière des ‘subprimes’ (2008) et avant la crise de la dette souveraine de 2011. « Dans les médias, la protection sociale (celle destinée au peuple pas celle destinée aux banques, NDLR) continue d’être présentée comme un puits sans fond, et la persistance des besoins de financement comme le résultat d’une croissance sans cesse plus forte des dépenses. « Pourtant, l’analyse des comptes sociaux dément ce discours – renchérit Monsieur Coriat. La part des dépenses sociales dans le PIB est à peu près stable depuis 15 ans ». Tout est dit, la part des dépenses sociales dans le produit intérieur brut est stable depuis 15 ans. Ces dépenses sociales ne peuvent donc avoir provoqué la hausse vertigineuse des déficits gouvernementaux et l’accroissement de la dette souveraine…
Les déficits publics sont davantage le résultat d’un manque de recettes et d’une hausse de certains postes budgétaires (déboursés militaires et subventions aux banques) que de l’augmentation incontrôlée des dépenses sociales.
Avec la croissance des besoins sociaux (vieillissement de la population, progrès médical, augmentation de la population), le dogme ‘libéral’ selon lequel il ne serait plus possible de dépenser davantage pour la protection sociale a entraîné des difficultés accrues de financement dans les services et les établissements de santé, d’autant que la multiplication des emplois à temps partiel et la progression du chômage ont réduit drastiquement les recettes de l’État. Les politiques ‘libérales’ ont transféré aux ménages une part croissante de ce financement, pendant que les employeurs bénéficiaient d’exonérations de cotisations sociales et que les riches obtenaient des congés d’impôts, des dégrèvements fiscaux. Tous ces ‘cadeaux’ se sont traduits par un manque à gagner fiscal important, déclare l’économiste pétrifié.
« Les Économistes atterrés dressent les indicateurs qui témoignent de la baisse de la couverture sociale : hausse du ticket modérateur, multiplication des déremboursements, instauration de forfaits et de franchises couplés au développement des dépassements d’honoraires. Résultat : la prise en charge de la consommation de soins de santé et de biens médicaux par la Sécurité sociale a fortement diminué (depuis 1990, NDLR) » (5).
CONCURRENCE INTER-IMPÉRIALISTES
Ce qu’il faut toutefois comprendre c’est qu’ils sont inévitables ces dégrèvements d’impôts, ces congés de cotisation sociale et de cotisation chômage, ou encore ces congés de contribution aux caisses de retraite. Elles sont incontournables ces subventions destinées aux banques, aux multinationales et aux milliardaires de l’industrie. Comment voulez-vous qu’un capitaliste canadien, américain ou français parvienne à concurrencer un capitaliste chinois qui paie sa force de travail environ 300 euros par mois alors que ses concurrents occidentaux paient dix ou quinze fois ce salaire sans compter les avantages sociaux (régimes d’assurance emploi, assistance médicale, assurance accident du travail, caisse de retraite, etc.) ?
En termes économiques les dépenses gouvernementales dites ‘sociales’ sont des coûts, – des dépenses – qui se trouvent inclus dans le prix des produits offerts sur le marché. La ‘mondialisation’ et le ‘libre-échange’, éliminant les entraves – les protections tarifaires – entre les pays, ont placé toutes les marchandises, même la marchandise « main d’œuvre » directement en concurrence avec les marchandises et les coûts de production des pays asiatiques y compris la Chine.
L’économiste atterré et indigné devrait comprendre que le fait d’augmenter les charges sociales des entreprises de France, du Canada, des États-Unis élève directement le prix des marchandises commercialisées par ces vieux pays impérialistes en déclin qui ne sont plus concurrentiels face à l’impérialisme chinois.
LEVONS DES PROTECTIONS DOUANIÈRES !
Mais alors, pourquoi ne pas imposer des barrières tarifaires et taxer les importations chinoises, indiennes, asiatiques pour les rendre plus onéreuses et les empêcher d’entrer sur nos marchés étranglés ? Impossible, ce sont les impérialistes occidentaux eux-mêmes qui ont imposé l’élimination progressive des barrières tarifaires et qui imposent aujourd’hui le ‘libre-échange’ et le ‘libéralisme’ économique aux asiatiques.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC), mise sur pied par les pays occidentaux, a pour tâche de surveiller les récalcitrants et de sanctionner les protectionnistes qui ferment leurs frontières à l’invasion des produits asiatiques et chinois. Cent cinquante pays sont membres de l’OMC et vivent sous les diktats de cette organisation pour la mondialisation sans compter les édits du FMI et de la Banque Mondiale.
Pourquoi les capitalistes occidentaux ont-ils creusé ainsi leur propre tombe en abolissant les protections douanières, se plaçant à la merci de la concurrence étrangère ? C’est tout simplement que vers les années 1975 les capitalistes d’Occident ont pris modèle sur leurs concurrents impérialistes soviétiques qui eux délocalisaient en partie leur production vers les pays de leur sphère d’influence, pays aux salaires plus bas qu’en Union Soviétique. C’est ainsi que la Tchécoslovaquie, l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Hongrie sont devenues des pays ateliers de l’impérialisme soviétique. Chaque pays satellite avait sa spécificité industrielle, certains pays de la sphère d’influence tiers-mondiste n’avaient pour tâche que de fournir certaines matières premières (Cuba le sucre, Angola le pétrole, Vietnam le riz), d’autres des produits usinés ou semi-usinés.
À partir de 1975 les impérialistes occidentaux ont appliqué ce modèle d’exploitation aux pays sous leur domination en Asie, en Amérique latine et en Afrique et ils ont commencé à fermer leurs usines en métropole et à les relocaliser dans les pays néocoloniaux. C’est alors qu’ils ont eu l’idée d’abolir les barrières tarifaires et de préconiser le ‘libre-échange’ de façon que les marchandises de leurs filiales en pays coloniaux puissent entrer en métropole sans être taxées. Pour un impérialiste français, canadien ou américain encaisser ses profits à partir de sa filiale taiwanaise ou coréenne ou à partir de son usine de Montréal, de Toulouse ou de Pittsburg n’a aucune importance puisque pour ce capitaliste le profit est sa seule patrie.
Si demain la France érigeait des barrières tarifaires et imposait des tarifs douaniers aux produits importés, ce sont les entreprises Renault, Peugeot, Vivendi, Lagardère, Veolia ou Michelin qui ne pourraient plus importer en France les marchandises qu’elles font produire en Thaïlande, au Vietnam, en Côte d’Ivoire, en Corée et en Chine.
Si un pays capitaliste décidait de quitter l’OMC et d’ériger des barrières douanières à ses frontières, d’abord il ne pourrait le faire sans se doter de sa propre monnaie nationale. Ensuite, il ferait augmenter drastiquement le prix des marchandises importées offertes sur son marché national ce qui provoquerait une inflation importante et la dépréciation de l’épargne des travailleurs et, par ricochet, la diminution de la consommation domestique ; ce qui entrainerait à son tour la réduction des recettes fiscales de l’État et l’augmentation de la dette souveraine, sans parler des mesures de rétorsion que les pays capitalistes voisins seraient en droit de lui imposer sur ses propres exportations.
J’entends d’ici clamer les nationalistes-socialistes, dont Ron Paul – candidat libertarien à l’investiture républicaine – : « Mais nous pourrions ainsi à l’abri de la concurrence chinoise réindustrialiser la France, les États-Unis, le Canada, la Grèce, l’Italie, et produire nos propres marchandises pour nos marchés domestiques ». Que nenni ! Sous la division internationale du travail impérialiste certains pays produisent des matières premières, d’autres fournissent l’énergie fossile, d’autres la main d’œuvre bon marché, d’autres les usines de transformation primaire, quelques-uns des machines-outils (Allemagne, Japon, Chine) moyens essentiels à la production des outils de production des marchandises. Toutes ces marchandises doivent pouvoir circuler d’un pays à l’autre afin de permettre aux capitalistes de réaliser le plus haut taux de profit et pour cela ravir à ses concurrents ses matières premières, sa force de travail (plus-value) et ses marchés.
La ‘ré-industrialisation’ d’un pays impérialiste désindustrialisé est une chimère que colportent les opportunistes en chemises brunes nationales-socialistes à l’occasion des mascarades électorales.
LE MÉCANISME DE LA CRISE ÉCONOMIQUE CAPITALISTE
Résumons l’ensemble de la mécanique de fabrication des crises économiques sous le régime capitaliste. Pour maintenir leurs profits les entreprises des vieux pays impérialistes décadents – françaises, canadiennes, américaines, britanniques, espagnoles italiennes – ont fermé plusieurs usines dans leurs pays respectifs et les ont relocalisées dans des pays émergents, semi-coloniaux, aux salaires de misère.
Ce faisant ces entreprises ont provoqué chômage, emploi précaire, diminution des contributions aux programmes d’assurance emploi, aux programmes d’assurance médicale et aux régimes de retraite des employés et réduction proportionnelle des taxes et des impôts versés à l’État, tout en réduisant en parallèle le pouvoir d’achat de leurs clients dans les pays métropolitains, clients que ces entreprises sollicitent tout de même pour acheter leurs marchandises fabriquées en Asie.
Moins d’argent à l’État et moins de pouvoir d’achat dans les poches des clients métropolitain en chômage ou sur l’assistance sociale amènent les banques à stimuler la demande en offrant du crédit inconsidérément : des millions de maisons ont été achetées à crédit, des automobiles et des appareils électroniques aussi. Que survienne une légère hausse des taux d’intérêts ou une perte d’emploi, les emprunteurs surendettés ne peuvent rembourser. Ils déclarent faillite personnelle et les banques s’effondrent – les gouvernements volent au secours non pas des emprunteurs mais des créanciers – les banquiers – et renflouent ces milliardaires à coup de fonds publics dévalués et inflationnistes alors que les revenus de l’État s’amenuisent comme peau de chagrin. C’est la crise de la dette souveraine – pas assez de revenus fiscaux tirés d’une économie asphyxiée et trop de déboursés en faveur de capitalistes qui exigent des aides de l’État providence pour maintenir la consommation, les emplois encore disponibles dans le tertiaire parasitaire et les quelques usines qui n’ont pas encore été délocalisées. C’est la spirale infernale de la misère.
L’IMPÉRIALISME CHINOIS
Pendant ce temps se profilait à l’horizon – 1990 – une nouvelle superpuissance industrielle bénéficiant du coût dérisoire de sa main d’œuvre. Contrairement aux pays ateliers du Sud-Est asiatique, la Chine championne de la ‘mondialisation’ développe ses propres entreprises nationales à l’abri de sa monnaie, le Yuan sous-évalué – c’est la tactique qu’utilise la Chine pour sa protection douanière – si bien que ce sont les capitalistes nationaux chinois qui empochent les profits et profitent des lois ‘libérales’ de libre-échange imposées préalablement par les capitalistes des vieux pays impérialistes en déclin (6).
La nouvelle puissance chinoise redéfinit l’ensemble des relations commerciales, industrielles et financières de la planète et impose sa nouvelle division internationale du travail. Pendant que la situation économique et financière des pays impérialistes occidentaux se détériore constamment, ils en viennent à emprunter à la Chine capitaliste extrêmement riche. De pays débiteur la Chine devient pays créditeur – le nouveau banquier du monde capitaliste. C’est le triomphe du yuan sur le dollar déprécié pendant que l’euro tente de se maintenir à flot.
Nous en sommes là présentement. Pour combattre ce nouveau concurrent chinois, les pays impérialistes occidentaux n’ont pas d’autres choix que de réduire le coût de la marchandise « main-d’œuvre » – force de travail – mais cela est très difficile car un ouvrier occidental ne peut pas se contenter d’un salaire de 300 euros par mois. Sans services sociaux, sans services médicaux, sans soutien à l’éducation et sans contribution aux régimes de pension, il mourrait de faim tout en travaillant comme un forçat. Déprécier et déliter totalement la force de travail ne peut être la solution aux problèmes des capitalistes occidentaux qui pourtant s’y exercent avec acharnement.
SUBVERSION ET GUERRES LOCALES
Les lois incontournables du développement systémique capitaliste le mènent à l’impasse. Comme ils ne peuvent concurrencer l’impérialisme chinois sur le terrain de la productivité et de la performance industrielle (sauf l’Allemagne et le Japon qui y sont parvenus un certain temps) les impérialistes des pays en déclin (États-Unis, France, Royaume-Uni, etc.) tentent par la subversion et la guerre de rapine de nuire aux intérêts chinois et de lui ravir ses sources de matières premières, ses approvisionnements en pétrole et ses marchés.
Voilà pourquoi depuis 1990 on assiste à une recrudescence des guerres régionales, des conflits locaux, à la remise en cause des résultats électoraux dans les pays néocoloniaux, à l’éclatement de révolutions colorées manigancées, à la révolte des peuples arabes, à l’agression contre le Liban, à la subversion contre la Syrie, l’Iran, le Yémen, à l’éclatement de guerres de basse et de haute intensité dans les ex-républiques soviétiques et dans de nombreux pays d’Afrique. La rivalité inter-impérialiste entre les trois grands blocs États-Unis-ALENA – Euroland – Alliance de Shanghai a pris cette forme meurtrière avant de possiblement dégénérer en conflit généralisé.
Afin de mieux contenir les appétits et les ambitions chinoises et de faire face à ses éventuelles représailles Obama annonçait en janvier 2012 le redéploiement des troupes d’agression américaine – abandonnant des fronts secondaires pour concentrer leurs subversions en Asie et autour du Pacifique face à la Chine – redéploiement que nous avions annoncé en décembre 2011 (7).
De tout ceci il faut déduire que ce n’est pas par mauvaise volonté, par bêtise, méchanceté ou par incompétence que les capitalistes occidentaux et leurs gouvernements de laquais à la solde des multinationales nous ont menés à la faillite et à la ruine sociale. Ce sont plutôt les lois inéluctables du système économique capitaliste ‘libéral’ dont l’objectif de l’activité économique n’est pas de satisfaire les besoins sociaux du peuple travailleur mais d’accumuler le plus de profits possible, peu importe que cela entraîne la réduction des services à la population, l’esclavage salarié et le chômage, la paupérisation des peuples et la misère pour le plus grand nombre.
Non, effectivement, la SEULE solution à la crise ‘libérale’ n’est pas ‘libérale’, monsieur l’économiste exaspéré ; SEULES les causes de la crise sont ‘libérales’. Dans ces conditions comment faire pour sortir collectivement de ce calvaire économique ‘libéral’ ? Par des ‘réformes’ vous ne parviendrez pas à sauver ce système en décrépitude, alors pourquoi ne pas l’occire ?
(1) Les économistes atterrés : changer d’économie ! Nos propositions pour 2012 : Éditions les liens qui libèrent : 18,50 euros : janvier 2012
Retrouvez les économistes atterrés sur leur site.
(2) Pour cette partie nous nous sommes inspiré de l’article de Anne-Marie Thomazeau. 6.01.2012.
(3) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(4) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(5) http://www.viva.presse.fr/spip.php?...
(6) Vincent Gouysse. Le réveil du dragon s’accélère ! Septembre 2011.
(7) « (…) essaiera de soulever une vague de protectionnisme et de nationalisme fanatique et les États-Unis tenteront d’impulser une désastreuse "Guerre Froide" contre la Chine. Au cours de 2011 Obama a fourni le cadre et la justification d’une confrontation à grande échelle et de longue durée avec la Chine. Ce sera un effort désespéré pour maintenir l’influence étatsunienne et conserver ses positions stratégiques en Asie et partout dans le monde. » « Les États-Unis seront contraint de réduire leurs dépenses militaires et d’abandonner certains théâtres d’intervention pour concentrer leurs efforts sur quelques scènes prioritaires. ». Nous connaissons maintenant ces scènes prioritaires, la Chine et le Pacifique.
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu