luni, 11 martie 2013

De citit cu grăbire.Cu mulțumiri pentru situl mai jos citat. Din partea lui Dan Culcer. 

http://julesmonnerot.com/index.html#laguerreenquestion


Jules MONNEROT

DÉSINTOX,

Au secours de la France décérébrée


A Messieurs
Henry de Lesquen
Michel Leroy
Jean-Antoine Giansily 
Didier Maupas
Jean-Yves Le Gallou
Yvan Blot

et à leurs amis du «Club de l’Horloge» sans qui ce livre n'existerait pas.


Comprends ou tu es dévoré.

                Le Sphinx

La Constitution du mythe « fascisme » en France et l'utilisation politique de ce mythe


Fascisme : un mot chargé
  
   Je ne vais pas traiter du fascisme, je vais traiter du mythe du fascisme.
   En France, depuis la Seconde Guerre mondiale, il n'y a pas de carrière politique ou administrative possible, pour un "fasciste". Je mets le mot entre guillemets. Il est  extrêmement frappant que cet état de choses n'ait pas subi, ne subisse pas de changement comme on eût pu s'y attendre au fur  et à mesure que, le temps s'écoulant, nous nous éloignons de l'époque 1944-1945, où il y a eu effectivement des "fascistes". Il vaut de faire la lumière sur cette anomalie. Un tel phénomène est-il purement spontané, purement produit par une sorte de fermentation dans la mémoire collective, ou bien cette mémoire, cette imagination collective, ont-elles été puissamment "travaillées" au moyen de répétitions systématiquement dirigées, qui relèvent de l'application d'une technique psychagogique (ce mot se forme comme démagogique) ? Bref, la persistance et l'efficacité de l'imputation de fascisme, qui n'ont pas diminué avec l'éloignement des temps, et qui peuvent arrêter net une carrière politique presque aussi bien en 1983 qu'en 1946, témoignent de la réussite d'une opération de grande psychagogie, et c'est de quoi je vais vous parler.
     Un coup d'oeil psychologique en profondeur permet de voir qu'une telle réussite perd tout mystère si l'on en examine les tenants et aboutissants. Il s'agit de la mise en action de techniques psychologiques que je vais caractériser très sommairement en étant, je l'espère, aussi simple qu'on peut l'être sans devenir inexact.
     A la fin de la Seconde Guerre mondiale en France, les opérateurs (passez-moi cette expression), les  opérateurs qu'on trouve derrière la prodigieuse réussite en question, avaient le meilleur des champs.
     Grâce à une organisation déjà rôdée, et à une expérience certaine de la subversion, les opérateurs en question ont mis la main sur ces futurs haut-parleurs à qui ils doivent tant en France, les "intellectuels de gauche", ceux qui ont mis en forme les passions collectives, et déguisé les cris de guerre et les clameurs de haine en raisonnements et en analyses.  Dès 1943-44, ayant des organisations de résistance à eux, et s'infiltrant dans les autres, les léninistes et assimilés, ne se donnant pas pour ce qu'ils étaient, abusant une foule de gens, ont disposé d'une incomparable plate-forme pour lancer l'opération  renouvellement des significations.
     Si l'on analyse le contenu du discours politique français dans la deuxième  moitié du XXe siècle, on y trouvera - et c'est une nouveauté par rapport à la période précédente - des éléments qui proviennent de ce que les Allemands nommaient le "vulgär-Marxismus", en sorte que beaucoup de Français qui sont consciemment aux antipodes du léninisme et de ses avatars sont trahis par leurs propres mots.
  

   
     L'infamie contagieuse 

     En grec ancien, le sens originaire du mot mythe, c'est parole. Dans l'histoire de la deuxième moitié du XXe siècle, la destinée du mot "fascisme", et la destinée du mythe "fascisme", s'éclairent chacune par l'autre. L'épithète seule de fasciste, dont se servent d'abord les communistes, les socialistes et ce qui s'appelle en France "la gauche" - il serait moins inexact de dire les gauches - l'épithète seule de fasciste est déjà le produit d'une opération. Tout se passe comme si on avait contracté et amalgamé par la mémoire sélective et l'imagination fabulatrice toutes les phases des deux fascismes, l'italien et l'allemand, qu'on n'en avait retenu que les caractéristiques les plus odieuses, et surtout, qu'on n'en avait retenu que la dernière phase, résumable en deux traits énormes :
     - le fascisme est monstrueux;
     - le fascisme est vaincu.
     Dans l'imagination ainsi orientée, cette phase dernière de l'histoire du fascisme schématisée contamine les phases précédentes. Le résultat final ? A peu près ceci : fasciste égale un monstre à face humaine et fatalement vaincu.

     Il est temps d'analyser l'opération elle-même. La manipulation psychologique au moyen de mots rendus inducteurs, de mots "chargés", et d'un jeu d'exécutants quadrillant en fait le territoire national, doit atteindre un objectif. Quel objectif ? Expédier les "fascistes", les personnes qu'on fait passer pour fascistes, à l'intérieur de la couleur, ou si l'on préfère, de la bande du spectre politique et moral qui correspond à l'infamie publique. Et cette infamie étant contagieuse, le vide social doit se creuser devant l'infâme.
     Le mot fasciste n'est que l'un de ces mots chargés, et en cours d'opération on peut lui ajouter ou lui substituer d'autres mots : "d'extrême droite", "de droite", "raciste", et on ne s'en fera pas faute. Mais le mot fasciste présente un cas de figure exemplaire parce qu'il est complet et complexe. 
     Grâce aux agitateurs-propagandistes conscients, et aux bénévoles, plus ou moins conscients, qui les imitent et qu'ils mettent en mouvement, notre pays puisqu'il ne s'agit ici que de lui, est quadrillé. Les haut-parleurs sont bien placés, nombreux et mobiles. Si vous êtes désigné comme fasciste, vous êtes magiquement, puisqu'ici nous sommes dans l'irrationnel du comportement humain, vous êtes magiquement identifié à ce qu'évoque toute la chaîne. Fasciste égale hitlérien, hitlérien égale tortionnaire de camp de concentration. Le personnage ainsi traité de fasciste, si l'opération est réussie, peut voir son image propre pour ainsi dire incorporée à une image publique préexistante. Les traits singuliers, la perception réelle de  cet  homme politique ne sont plus clairement perçus par les esprits manipulés. Les traits singuliers d'une figure personnelle ne sont plus assez distincts pour lutter contre l'image publique du fasciste, qui incorpore l'image particulière de l'homme politique en question à titre  de variante de peu de signification. Peu importent les faits réels. Par exemple, que vous n'avez absolument rien de commun avec les nazis et les fascistes.


Les transferts d'exécration

      Cette exploitation rationnelle de l'irrationalité du comportement atteint son plus haut rendement avec ce qu'il faut bien appeler les transferts d'exécration. Je m'explique. Les propagandistes chargent du même potentiel de malédiction plusieurs épithètes qui, destinées à produire le même effet, sont employées à tour de rôle. Nous avons, par exemple, "fasciste" et "d'extrême droite". On peut supprimer la distance théorique entre extrême droite et droite en faisant répéter par voie de mot d'ordre que la droite s'est radicalisée. A partir de là, nazi, fasciste, réactionnaire, de droite, étant des épithètes substituables les unes aux autres, le groupe ou la personne visée derrière l'une ou l'autre de ces épithètes, peut être l'objet d'un transfert d'exécration, et nous savons de reste que cette opération sur des signes peut être d'une redoutable efficacité. Il suffit d'avoir créé dans le psychisme public une association entre deux épithètes, d'avoir établi par répétition l'interchangeabilité, la substituabilité de ces épithètes.
     Il suit de là que si la machine à substituer tourne assez vite, et c'est le cas dans certaines périodes de tension, "de droite" et "fasciste" étant substituables, l'individu ou le groupe "de droite" apparaîtra passible, dans toutes les chaînes de psychisme ainsi manipulées, des traitements que mérite le "tortionnaire nazi". C'est le but de l'opération. Les fascistes sont de tels monstres que tout est permis contre eux.





     Si ce dispositif a parfaitement fonctionné, l'individu et le groupe-cible sont frappés d'une condamnation par contiguïté. Les hommes-satellites, et leurs imitateurs de moins en moins conscients, prennent le relais, et les cercles récepteurs s'élargissent. Lorsqu'on est allé suffisamment loin vers l'extérieur, pour ceux que l'onde porteuse atteint, aucune question d'origine ne se pose. Il ne s'agit plus que de hurler avec les loups. A la limite, les "masses" sont ainsi traitées comme un seul conducteur continu de communication. A partir d'un certain seuil de quantité, ce qui joue est la recherche de l'approbation, ce résidu, cet agrégat, sur quoi reposent les sociétés humaines, comme dit Pareto. On surenchérit sur le voisin. On ne se laisse pas distancer.




     Le pouvoir sémantique
          
     Nous avons vu à quel succès pouvait prétendre ce genre d'opération psychagogique lorsque - je ne me rappelle pas exactement l'année - aucun groupe parlementaire important n'a voulu s'asseoir sur les bancs de droite de l'Assemblée Nationale. En même temps ces dispositions psychologiques se diffusaient dans la masse des Français, et grâce à une Instruction Publique "pénétrée", les générations montantes subissaient une véritable insémination. A notre époque, l'idée de conditionner un peuple entier n'est pas utopique. Nous avons de redoutables raisons de le croire. Avec ce genre d'anathème désintégrant, "fasciste", on a pu, à la commande, détruire une réputation, assigner des limites infranchissables à une ascension sociale, etc. Le moins paradoxal n'est  pas que cette imputation de fascisme soit un non-sens. Vous ne pouvez pas plus être fasciste en 1983 que vous ne pouvez être bimétalliste. La situation historique réelle, la situation sociologique de la France, c'est-à-dire l'état présent de la stratification et de la différenciation sociales, ne se prêtent à rien de ce genre, et la question réelle ne se pose pas.

     Mais changeons de perspective pour mieux éclairer notre objectif.
     Lénine faisait toujours de son mieux pour coller une étiquette à ceux qu'il combattait afin de les discréditer. Bien après la mort de Lénine, pendant les années 1930, toute une génération d'agents du Komintern, dont le spécimen le plus connu, un autodidacte qui se révéla un maître et s'appelait Willy Münzenberg, se donna pour tâche d'étendre et de compliquer ce type de procédé qui n'en était encore qu'au stade artisanal, en s'inspirant des techniques capitalistes de la publicité. En lançant d'une manière qu'on dirait aujourd'hui promotionnelle la propagande antifasciste, Münzenberg et ses émules ont été les principaux initiateurs d'une technique psychagogique destinée à faire ses preuves. Regardons bien.
     Il est indispensable ici de rappeler en quelques mots des notions générales. La sémantique, nous dit le dictionnaire, traite du sens des mots, et particulièrement des variations et des changements du sens des mots. Changements de contenu intellectuel, changements de charge affective. Dans la vie d'une langue, ces changements ont lieu en général de manière insensible, inaperçue, et on peut le dire, inconsciente. Les changements dont traite cette science, la sémantique, étaient observés du dehors comme des phénomènes naturels. Le XXe siècle a de ce point de vue connu quelque chose de nouveau : un dirigisme sémantique.
     On peut dire que le langage politique français, à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, a été orienté et pour ainsi dire façonné. Je dis bien le langage, pas seulement ce que dans le parler à la mode on nomme le discours. Non. Le vocabulaire lui-même, la charge passionnelle qu'on fait porter aux mots et aux locutions. Il ne faut pas confondre ce contrôle, ce pouvoir sémantique, avec ce qu'on a pu appeler "pouvoir intellectuel", bien que les deux puissent aller de pair. S'agissant de la maîtrise et du contrôle, de l'usage d'un certain nombre de mots efficaces, ce pouvoir sémantique va beaucoup plus loin que le pouvoir intellectuel. Le pouvoir intellectuel ne s'exerce sélectivement et de façon directe que sur des personnes qui ont fait des études suffisantes pour lire des livres renfermant beaucoup plus que les trois mille mots basiques du communicateur français. Certes, les personnes instruites ont de l'influence, mais le pouvoir sémantique s'exerce sur  tout le monde, en passant par tous les grands vecteurs : l'école, les media, etc.
     Les psychagogues en question ont donc montré une maîtrise dans l'usage des meilleurs-canaux-de-communication-à-un-moment-donné, que n'ont  pas montrée leurs concurrents dits par eux "de  droite". Ils ont conditionné les conduites politiques, et jusqu'à celles de leurs adversaires. Ce conditionnement consiste à associer de manière durable des mots inducteurs et des états psychologiques induits pouvant s'achever en actes. Ainsi le mot fasciste n'a jamais cessé, au contraire, de 1945 à maintenant, de provoquer des réflexes d'agression ou de peur d'agression et de peur, combinées en proportions variables. Il y a deux grands types de réaction aux signaux qui sont les mots inducteurs, qui, eux aussi, ces types de réaction, peuvent être combinés et le sont souvent.
     Premier type de réaction : les individus récepteurs deviennent des agents actifs de contagion; le réflexe d'agression, même seulement verbale, domine.
     Deuxième type de réaction (type de réaction où la crainte domine) : l'individu récepteur, à des fins de prudence ou d'ambition, montre le souci de ne pas paraître manquer de zèle quand les signaux inducteurs, "fasciste", "de droite", "d'extrême-droite", etc..., sont émis. Les réactions hostiles dans le second cas paraîtront aussi vives que dans le premier.



     La censure en action

     Cette action psychologique est "pour ainsi dire" à double face. Si elle fait voir ce qui n'est pas, elle doit en même temps, dissimuler ce qui est. Bref, censurer. En même temps,  et par les mêmes techniques dont c'est pour ainsi dire l'envers, les individus et les groupes récepteurs sont soigneusement sevrés de tout ce qui met sur la voie de certaines vérités, et de proche en proche, de tout ce qui concourt à la recherche de certaines vérités. Des fictions remplacent l'histoire récente. La fausse histoire remplace la vraie, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne. Bref, l'opération positive doit nécessairement se compléter par un refoulement réussi, et par la mise à l'écart des moyens intellectuels qui la rendraient malaisée. C'est-à-dire des moyens de percevoir et de comprendre dont dispose un individu à l'esprit critique formé. Des individus, des lignées, des catégories sociales dotées d'une formation et, dans les meilleurs cas, d'une tradition critique, sont un obstacle à l'établissement du totalitarisme.
     Avant de poursuivre la description de cette conquête psychologique qu'est l'insémination dans un grand pays civilisé d'un mythe à la fois, pourrait-on dire, offensif et défensif, comme le mythe du fascisme, je dois indiquer un des principes qui a rendu possible l'opération décrite. On peut la formuler ainsi en termes d’axiome.
     En participant activement à un grand courant collectif passionnel, une organisation politique où les impératifs, les ordres et les mots d'ordre jouent de haut en bas, peut utiliser l'énergie principale de ce grand courant collectif passionnel dans le sens d'une volonté politique qui a préexisté à ce courant passionnel et qui lui survivra.
     Et maintenant, l'application.
     A l'avènement de Hitler, presque tous les Français ont été inquiets. Diversement. Il y avait là une triple menace : contre les marxistes, contre la forme politique de la démocratie, contre la nation française. C'est ce courant passionnel qui fut puissamment et progressivement réactualisé à partir de la défaite de la France en 1940, et des événements dont le monde fut le théâtre jusqu'en 1945. Le bilan du IIIème Reich a passé pour être le bilan du fascisme, ce qui était sans doute un abus de langage.
     Revenons à l'état passionnel de la France vaincue et meurtrie de 1944. A de pareils instants, ce qu'on peut appeler, par métaphore, le psychisme collectif d'un peuple, est dans une sorte d'état de fusion. On peut le travailler à chaud, il est ductile. Mais les mêmes opinions et croyances, une fois refroidies, seront très résistantes. Le mythe est trempé. Il ne s'agissait plus pour les psychagogues qui objectivement travaillaient pour le Kremlin, comme l'avait fait feu Willy Münzenberg, que d'orienter le courant passionnel consécutif en France à la Seconde Guerre Mondiale, et de contenir ce courant passionnel dans le lit de l'antifascisme de la fin des années 30, réactualisé à la puissance n.
     Une aussi vaste opération de conquête psychologique n'a pu être menée à bien que grâce à cet instrument politique que les historiens de l'avenir jugeront caractéristique du XXe siècle : le Parti, conçu suivant les directives qu'a données Lénine dans son livre Que faire ? et réalisées brutalement en URSS et hors d'URSS, par Staline. Le Parti fut le noyau, le foyer central d'une foule de filiales composées de non-communistes et animées par au moins un homme sûr, en général un permanent rétribué, qui ne se vantait pas de cette qualité. Autant de centres d'émission, autant de passages bien aménagés pour les canaux de communication sémantique.
     On ne saurait trop y insister, ces centres de préservation, d'émission et d'orientation du mythe, sont ceux où notre gauche actuelle, en général inconsciente de ce fait, a, politiquement parlant, appris à lire, à épeler la politique. Nous en avons aujourd'hui, avec le personnel politique socialiste, le résultat.
     Ce système d'investissement psychologique utilisant un langage porteur a finalement créé un péril de civilisation. Il est appliqué depuis un peu moins d'un demi-siècle à une nation dont, sans exceptions, le personnel politique en possession d'état, si l'on en juge par ses conduites prises dans leur continuité, ne comprend pas, ne voit pas ce qu'avec tout leur peuple, notre peuple, il subit. Mais je m'obstine à penser que cette cataracte politique n'est pas inopérable. Tout s'est passé sous deux Républiques, comme si les gouvernements successifs assistaient paralysés ou complaisants à la manipulation des pulsions les plus dynamiques des gouvernés dont ils avaient la charge et la mission de s'occuper.


     Main basse sur la morale

     Il s'est ainsi formé, en dehors du système des institutions, une instance qui tend à remplacer les religions et les Eglises, dans leur fonction éminente de désigner les bons et les méchants. Fonction d'excommunication et d'interdit, cela au moyen de mécanismes très simples comme celui que nous venons d'évoquer. L'acquisition de ce pouvoir des mots, potestas nominum, le fait d'imposer de manière insensible le cours d'une fausse monnaie intellectuelle, est un gain considérable à l'échelle d'une grande partie historique comparable à une "Guerre de Cent Ans". Et les "publicitaires" que nous avons ici sur le marché sont de bien petits sires comparés aux initiateurs de ces formidables transferts.

              

     Socialistes et communistes

    Mais regardons de plus près. Socialisme et communisme ont en commun une seule visée servie par  des moyens différents : organiser les insatisfactions provoquées par le fonctionnement de l'économie, et organiser ces mécontentements en vue de la prise du pouvoir par un groupe ou une formation (parti communiste ou parti socialiste) qui s'attribue une supériorité dogmatique sur tous les autres. La carte en poche des partis marxistes confère une imaginaire prescience historique. Les socialistes semblent spécialisés dans les moyens légaux, mais tout le monde sait que les communistes ne refusent pas ces moyens légaux. Les communistes jouent dans nos sociétés les deux jeux à la fois, le jeu révolutionnaire subversif et le jeu légal. Ils ont ainsi créé un modèle révolutionnaire pratiquement sans concurrence au XXe siècle, et une grande partie de nos socialistes portent manifestement la tête à gauche. Dans les faits, les socialistes "à la française" n'ont jamais fait preuve d'aucune originalité. Dans l'entreprise de conquête et de destruction psychologique que subit, entre autres, la société française, nos socialistes n'ayant pas, comme les communistes, une bureaucratie à la fois impériale et tentaculaire, qui gère la perpétuation de leur isme, nos socialistes, dis-je, ne peuvent en définitive, malgré qu'ils en aient, qu'apporter au communisme, souvent à leur corps défendant, la contribution du plus faible psychologiquement au plus fort. Dans le fonctionnement et l'extension du mythe "fascisme", les socialistes, ainsi que la frange qu'ils entraînent avec eux, n'ont pas été depuis 1934 émetteurs, mais vecteurs. Les socialistes et tutti quanti ont exploité l'indignation généralisée contre les fascistes dans une direction et dans les limites données par la bureaucratie communiste, qui, en définitive, gère de haut le dispositif entier des moyens de destruction de notre civilisation. Bien que les socialistes aient eu en général depuis le comité d'Amsterdam-Pleyel plus le sentiment de coopérer que celui d'être manipulés, ils ont contribué bon gré mal gré à ce dirigisme sémantique, à cette psychagogie qu'ils ne commandaient pas. Les fluctuations électorales présentes n'infirment nullement ce fait historique majeur.
     Le pavillon du socialisme, le nom de "parti socialiste", a couvert en France des générations politiques sensiblement différentes les unes des autres. Il y a eu dans les rangs socialistes jusqu'aux années 50, des hommes pour s'élever intelligemment contre la captation communiste, mais l'espèce de ces socialistes est éteinte. On n'en trouve plus guère trace dans le dernier avatar de ce que fut le socialisme parlementaire et légal en France, celui qui naquit véritablement au congrès d'Epinay, et qui prit comme leader le président Mitterrand. Les socialistes à la française n'ont pas quelque chose comme une doctrine et une discipline leur appartenant en propre, et qui pourrait être le support intellectuel et moral d'une résistance au communisme.
      Les stéréotypes communistes, affaiblis et aplatis par le passage dans un milieu mou sont reçus par les socialistes. Les plus habiles d'entre eux tentent désespérément, à grand renfort de tours de passe-passe purement verbaux, de dissimuler cette triste réalité.


La mauvaise conscience comme gaz paralysant

     Il nous reste maintenant à faire une remarque et à conclure.
     La remarque d'abord.
     Coller l'étiquette fasciste sur un homme public, ou tenter de le faire, nous l'avons dit, c'est, la plupart du temps, intellectuellement une contre-vérité, et moralement une imposture. Mais que nous apprend le procédé sur ceux qui le mettent en oeuvre ?
      L'analyse comparative des cas majeurs d'emploi de cette épithète de malédiction, "fasciste", si elle est elle-même interprétée, nous indique très clairement ce dont les usagers de ce procédé ont peur, et quel danger ils veulent écarter ainsi en priorité. L'étiquette fasciste est une étiquette dissuasive. De quoi donc les léninistes, les socialistes et leurs clients veulent-ils dissuader les Français ? Voici la réponse : ils veulent dissuader les hommes publics non communistes, non socialistes, de leur résister en suivant une logique de l'action qui ne leur laisse, à eux, le monopole d'aucun moyen de lutte, et surtout qui ne leur laisse pas le monopole de l'initiative.
     Les utilisateurs des procédés que je viens de décrire rendent d'ailleurs ainsi hommage en passant au phénomène sociologique qu'on peut nommer fascisme, où l'on a vu autrefois retourner contre eux leurs propres méthodes. Mais ces messieurs ne sont pas des historiens. En réussissant à fixer cette étiquette, "fasciste", ils ont l'évidente arrière-pensée d'ôter à leur victime les moyens d'une résistance efficace. En somme - c'est  eux que nous psychanalysons - un fasciste est un résistant efficace. Ce qui rassure ces messieurs, c'est d'avoir affaire à des démocrates, chrétiens ou non, bouffis de scrupules, exhalant des nappes épaisses de mauvaise conscience, et c'est l'essentiel, manifestement incapables de se livrer à ces pratiques mêmes qui confèrent une redoutable efficacité.



Reflux des « grandes sottises collectives »

     Maintenant la conclusion.
     Le mythe attractif de l'URSS qui a fasciné au moins pendant une décennie tant de socialistes, de pacifistes et d'idéalistes, échaudés par la Première Guerre Mondiale, a eu comme ombre, comme double noir, le mythe répulsif du fascisme. Le mythe du fascisme s'oppose au mythe de l'URSS comme l'enfer s'oppose au ciel. Ce mythe répulsif n'acquiert une réelle puissance de contagion en France qu'après que Hitler est parvenu au pouvoir en Allemagne.
     Ces deux mythes, celui de l'URSS et celui du fascisme, sont comme un envers et un endroit. Complémentaires dans leur période ascendante, ils semblent voués à se désintégrer ensemble. Nous voyons trembler devant nos yeux le mythe de l'URSS comme fait une image avant de s'effacer. Bien entendu, je parle d'un mythe et non pas d'un empire.
     Le mythe du fascisme sans support historique actuel n'est pas dans les meilleures conditions pour persister. Les procédés d'intimidation, le terrorisme intellectuel par quoi on tente de le faire durer deviennent de plus en plus gratuits.
     Nous changeons d'époque. Nous pouvons et devons prendre de ce changement une conscience aussi exacte et aussi vive que possible. Les grandes contagions pilotées, aussi efficaces et durables que le mythe "fascisme", n'en ont pas moins toujours été grossières. Ces contagions de masse sont contemporaines du gigantisme économique des planificateurs soviétiques. Aujourd'hui, de nouvelles technologies applicables aux communications, technologies inimaginables au temps de la genèse de ces mythes, de nouvelles technologies, dis-je, sont en train de conquérir rapidement notre monde. Et ces technologies nouvelles semblent porter en elles le déclin de quelques impostures collectives. Les communo-socialistes appellent "masses" la catégorie de personnes susceptibles d'avoir un comportement psychologique de foule après que la foule s'est dispersée. Les media audiovisuels, tant qu'il y a des monopoles de partis et même de coteries, ces media audiovisuels, tant qu'il y a monopole, servent à relayer l'"état de foule", la "crowd psychological situation", à obtenir ce résultat de régression qu'un individu, une fois seul, conserve à maints égards, un psychisme aussi rudimentaire que celui d'une foule, à faire des "hommes-foule". Dans un très proche avenir, sauf séisme historique, nous pouvons prévoir que la diversité des moyens d'écoute et de spectacle, des procédés de mémorisation, déglobalisera l'attention publique, et les conditions technologiques nouvelles se prêteront de moins en moins à la contagion de ce genre de mythe. Les grandes sottises collectives, caractéristiques de l'ère des masses, prendront lentement congé. Le gigantisme politique des idéologies de masse ressemble trop au gigantisme économique des premiers planificateurs russes, pour que cette analogie de forme ne suggère pas une analogie de destin.
     Je dirai donc qu'il y a intérêt à voir, dans la grande opération psychagogique portant sur le mythe du "fascisme", un épisode de cette guerre-Protée qui caractérise la deuxième moitié du XXième siècle.
     A notre époque, l'Ecole Supérieure de Guerre et l'Institut d'Etudes Politiques pourraient être reliés par un passage direct.
      Pour finir, je vous citerai une inscription grecque qu'on lisait à l'époque byzantine sur les murs de l'église Sainte-Sophie. Tous ceux qui ont été, comme moi, les élèves du philosophe Alain au lycée Henri IV la connaissent. Elle signifie : "Ne te contente pas de nettoyer les choses que tu vois, nettoie aussi les mots".

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La culpabilisation du sentiment national

     
     Alliage fort et qui résiste au temps

     Un des effets les moins récusables et les plus pernicieux de ce qu'on est convenu de nommer le pouvoir intellectuel de la gauche, qui a sévi depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, et qui a été très bien supporté par deux Républiques, est l'inversion, le changement de signe, le passage du positif au négatif en matière de sentiment national.
     Nous avons le devoir de ne pas nous payer de mots : de quoi s'agit-il ? De notre identité nationale en tant que les Français l'appréhendent eu eux-mêmes comme sentiment, c'est-à-dire comme une source d'énergie psychologique perçue par intuition directe. L'identité nationale se présente objectivement sous forme d'institutions propres à la France, et peut se présenter en même temps sous forme de justifications intellectuelles : ce sont les différentes idéologies nationales et même nationalistes.
     Mais quand nous disons "France", il ne s'agit pas seulement d'un pays mais de manières de vivre, de sentir, de voir, de réagir et d'agir, qui, cimentées par la longue durée, ont acquis comme une existence propre, une qualité distinctive. Ce type d'état psychologique vécu lie entre eux les hommes d'une cité ou d'une nation historique. Elle les lie en fonction même de l'histoire avec ses mythes historiques, ses grandeurs et ses malheurs qui ne sont qu'à eux. Il s'agit d'un alliage fort de sentiments résistant au temps ; plus durables que l'individu, ils sont transmis par la culture dont ils sont partie intégrante. Ils se colorent différemment avec les générations, mais ils ne sont pas à l'échelle des individus. Ils peuvent, ou non, donner lieu à une idéologie. On n'a pas besoin d'être nationaliste pour être national. Il s'agit là de ce que le plus grand sociologue d'Europe, l'Italien Vilfredo Pareto, nomme une persistance des agrégats.  On dirait que les sentiments dont est fait cet alliage pénètrent en nous avec l'air que nous respirons et le lait maternel.
     C'est ainsi qu'une réalité historique comme la France n'a pas l'inconsistance céleste des idées pures. Elle vit grâce à des hommes porteurs de ces alliages forts de sentiments, de ces agrégats qui se traduisent à l'heure des crises par le patriotisme.  Cette réalité, elle ne peut vivre (car elle vit de notre vie) que s'il y a suffisamment de ces porteurs de culture chez qui existe un tel alliage de sentiments. Quand il n'y eut plus assez d'hommes porteurs des "agrégats" romains, Rome, remarque Pareto, fut condamnée. Autrement dit, il faut une proportion minimale de lignées françaises, de porteurs de culture française, pour acculturer d'autres hommes, en faire des compatriotes. Il ne peut y avoir de nouveaux Français si l'alliage en question est trop rare et menace de disparaître. Il y a des proportions à respecter. Le pouvoir d'acculturation de la France, de la société française, n'est pas illimité. Il est plus limité aujourd'hui qu'il n'était après la guerre de 1914.
     Comment le sentiment national peut-il être culpabilisé ?
     Il nous importe ici de noter un minimum de choses indispensables sur ce renversement de signe, ce passage du sentiment national du positif au négatif.



     Mots parias

     Nous n'avons pas de précisions mathématiques sur la fréquence de circulation de certains mots, donc de certains concepts, mais nous n'avons pas besoin d'un instrument plus précis que notre expérience vécue pour savoir suffisamment que des mots et des idées à très forte circulation il y a encore 40 ans sont beaucoup moins usités aujourd'hui, et qu'ils tendent à s'effacer et à être effacés, qu'ils s'éloignent. Exemple : patrie (les professeurs de philosophie n'osent plus guère parler à leurs élèves de ce sujet qui ne semble pas avoir été officiellement supprimé). Patrie, et bien entendu nation, ordre, honneur, règle de vie, famille, mariage, capacité, propriété, supériorité, autorité, grandeur, force, répression, obligation. D'autres mots sont satanisés, infernisés. Ce sont des mots parias, il convient de les prononcer avec une intonation de mépris sans équivoque ou assortis de commentaires péjoratifs, voire injurieux. Tels sont : élites, sélection, hiérarchie, ordre; dans une partie des cas : notables (alors qu'il y a toujours et de toute manière des notables).          
     A la place des notions ainsi poussées vers la sortie historique, et qui dans de larges espaces sociaux sont déjà des mots tabous et des notions d'abord inusitées, puis interdites et bientôt ignorées, il y a une sorte de cours forcé de concepts et de mots venant en particulier du marxisme simplifié par les communistes et leurs voisins politiques, et qui viennent remplacer  les expressions traduisant l'identité nationale.
     Les vecteurs les plus apparents de cette action ou de cette passivité psychologique sont les media, les livres imprimés et l’enseignement public. Rien ne vaut les exemples. Voici ce qu’écrit, dans la revue Commentaire  (n° 24) un jeune universitaire parlant de ce qu’il connaît bien :
     « Face à de Gaulle, le parti communiste, adossé lui aussi à la légitimité de la résistance, n’était pas seulement une contre-société, mais tout autant un contre-Etat. C’est par rapport à ce contre-Etat que l’intellectuel de gauche s’était prioritairement situé pour s’efforcer de l’influencer, se désespérant de son indigence théorique, ne cessant d’affiner ses analyses de la société contemporaine, tant nationale qu’internationale, pour le jour où le contre-Etat deviendrait Etat…
     « A l’abri du double dispositif gaulliste et communiste qui domine l’histoire de la France d’après-guerre, s’institutionnalise un mécanisme essentiel du système politico-intellectuel central. La vie du milieu intellectuel est rythmée et régulée par les tentatives faites pour influencer le contre-Etat et le reflux des déceptions à son égard. La compréhension d’un tel mécanisme se dévoile à la lumière du traumatisme de la collaboration et du collaborationnisme. Parce que l’on ne peut pas pardonner la collaboration de l’intellectuel français avec l’occupant nazi, on pardonnera plus volontiers la collaboration avec le soviétisme et ce d’autant que l’idée de révolution relaie l’idée de nation »
     La citation n’est pas finie. Notre auteur poursuit :
     « Dans la sociologie des carrières intellectuelles, s’il ne faut naturellement pas avoir été collaborateur, il est recommandé, jusqu’à un certain point, d’avoir été communiste. Le service du contre-Etat représente l’équivalent fonctionnel d’un service militaire intellectuel, c’est-à-dire, si l’on pousse l’équivalence fonctionnelle jusqu’au bout, un outil d’intégration culturelle dans la nation ».



     Fonction du mythe « tiers monde »

     Cette domination globale, hypocrite, du mythe de la révolution n’a finalement pas résisté aux faits. On la voit de plus en plus relayée, dès les années 1950, et au moyen des mêmes vecteurs, les intellectuels de gauche et les enseignants qui les suivent, par le mythe du tiers monde, qui déprécie urbi et orbi, à l’école et à la maison, par l’image et par le son, le monde industriellement avancé en général, et la France en particulier. A partir de quoi, ce qui apparaît à l’observateur historique une sorte de guerre psychologique contre l’identité nationale, renouvelle, dirait-on, non pas ses objectifs, mais ses moyens.
     Les sentiments nationaux sont alors attaqués non plus au nom de la lutte des classes, des prolétaires qui n’ont pas de patrie, puis de la patrie des prolétaires qui est l’URSS, mais pour ainsi dire du dedans.Notre histoire, notre culture, l’histoire des lignées d’hommes qui passent par nous, nous-mêmes qui participons à ces lignées et à cette histoire, et qui sommes porteurs de cette culture, nous serions, en gros et en détail, collectivement et individuellement, coupables. Cette conception délirante qui utilise, à cause des émotions qui leur sont liées, des concepts d’origine théologique tels que le péché, conclut à la culpabilité de la nation à laquelle nous appartenons. Culpabilité dont nous ne pourrions nous laver, ou laver nos descendants, qu’en faisant nôtre la mentalité des «révolutionnaires tiers-mondistes», en épousant leur querelle contre nous-mêmes, en nous identifiant d’une manière hystéro-masochiste aux fantasmes de ceux qui font précisément contre notre culture et notre identité nationale ce genre de fixation.
     Dans l’imputation de colonialisme, l’aversion et l’hostilité n’excluent pas l’ignorance. Il y eut par exemple conquête par l’Islam arabe de toutes les terres qu’il trouvait devant lui et qui ne lui résistèrent pas victorieusement. Il y eut ensuite conquête par les Turcs islamisés d’une grande partie de l’Asie, puis, derechef, par des musulmans venus d’Asie par l'Océan Indien, de toute la façade orientale de l'Afrique. L'Islam conquérant est arrêté en France dès le VIIIe siècle puis les siècles suivants, chassé d'Espagne, alors que l'Islam esclavagiste d'Afrique Orientale persiste jusqu'à la fin du XIXe siècle, et a laissé des séquelles jusqu'à nos jours.
     Il y eut même des Etats musulmans spécialisés dans la traite des esclaves comme le Sultanat de Zanzibar. C'est pourquoi l'invention tardive de la notion très subjective de colonialisme appliquée au profit à la fois des  arabo-musulmans et des peuples qu'ils avaient réduits en esclavage, et, plus généralement de tous les peuples conquis par l'expansion européenne au cours de ce que nous appelons les temps modernes, aurait de quoi surprendre non seulement l'historien, mais tout homme suffisamment informé et pensant avec un minimum de rigueur.




Colonialisme :  les sophismes de la mauvaise conscience

     Le phénomène de la conquête lui-même est aussi ancien que l'histoire. Dès les premières civilisations, celles de l'Indus, de la Mésopotamie et de l'Afrasie, une constante apparaît, et même une dominante. Il se manifeste entre les collectivités, quel que soit leur statut politique, Etats-temples, Etats-cités, empires, royaumes, ce qu'on pourrait appeler des différences de potentiel, des dénivellations d'énergie. Les potentiels de conquête et d'expansion des différentes formations historiques s'avèrent inégaux, et les collectivités qui, d'une part, ont des ressources exploitables, même si elles sont mal exploitées, et qui d'autre part, sont très inférieures quant à l'organisation et à la force militaire, se trouvent en état d'infériorité vis-à-vis de leurs voisins. Et cette dénivellation énergétique constitue aux yeux des plus forts une tentation. Ici, il ne s'agit pas de discours moraux. Il s'agit d'histoire. L'"unité politique" , royaume, empire, république, bref la formation historique qui cède à cette tentation devient conquérante. C'est ainsi - pour prendre des repères - depuis Sumer et Akkad, les premières en date des formations politiques conquérantes que nous connaissons suffisamment pour en parler. Cette constante, cette dominante historique, ne s'est jamais démentie. Lorsqu'au cours de ce que nous appelons nos temps modernes, des conquérants européens ont débarqué outre-mer, ce n'était pas, loin de là, une "grande première historique". Dès que les musulmans d'Asie, de leur côté, ont su maîtriser la mousson, ils ont débarqué sur les côtes orientales de l'Afrique et les ont conquises. Formellement le trinôme dénivellation culturelle et technique - tentation - conquête ne s'est jamais démenti au cours de l'histoire. Je l'ai appelé, en transposant Spengler, un effet de dyschronie. Ce qui veut dire que le conquérant et le conquis n'en sont pas au même stade de développement (n'ont pas le même âge, disait Spengler, n'en sont point au même niveau de civilisation scientifique et technique, dirons-nous) ce qui fait que ceux qui ont eu la supériorité d'organisation et de technique l'ont emporté, tandis que le résultat des épreuves de force entre unités politiques de même niveau est resté aléatoire. Les historiens ne nous donnent les résultats des épreuves qu'à terme échu.
     Lorsque, dès la fin du XVème siècle, l'expansion européenne outre-mer gagne les cinq continents et grâce à la supériorité d'organisation et de technique, l'Europe s'établit dans de nombreux points du globe, ce n'est rien de nouveau en histoire. Si donc ce rapport de domination est constant en histoire, pourquoi réserver la damnation aux derniers en date, aux Européens, qui n'ont peut-être mérité le nom qu'on leur a donné en propre, de colonisateurs, que parce qu'ils ont civilisé davantage ? Pourquoi les successeurs d'Arabes et d'Asiatiques esclavagistes seraient-ils au contraire l'objet d'une élection quasi divine et apparaîtraient-ils une partie intégrante du tiers monde sacré ? Pourquoi l'idée non rigoureuse, ou plus exactement le thème agressif appelé "colonialisme" s'appliquerait-il exclusivement aux dernières en date des grandes puissances conquérantes de l'histoire, c'est-à-dire à la partie occidentale de l'Ancien Continent ? L'Empire Russe qui se dit, depuis 1917, "soviétique", n’est pas englobé dans l'anathème. Bien que la progression russe d'Ouest en Est et au Sud-Est soit le type même de l'expansion coloniale réussie. Il n'y a pas eu d'océan à franchir : l'empire est d'un seul tenant. Mais le développement du thème agressif "colonialisme" était fondé principalement sur le socialisme, dont le nouvel empire russe a passé depuis Lénine pour être la patrie. Ce thème colonialiste se fonde sur les conclusions d'un des catéchismes de Lénine. (Pour ses adeptes il n'a écrit que des catéchismes). Nous faisons allusion à l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme.
      Ce thème agressif du colonialisme consiste à tenir les derniers en date des grands peuples conquérants, et porteurs de civilisation, pour des incarnations du principe du mal, donc à autoriser et à approuver à la limite tout ce qui pourrait être entrepris contre eux. A partir des exactions de la conquête et des scrupules existant chez les individus et les groupes des nations conquérantes, la propagande anticolonialiste  étend son rayonnement.
     Si l'on se place d'un point de vue historique assez détaché, le sentiment de culpabilité cultivé, développé, organisé, et intellectualisé en idéologie, n'est pas le résultat de la conquête, sans quoi il aurait constitué un trait commun de  tous les conquérants, mais le produit, dans un seul cas historique, celui de l'Europe Occidentale et particulièrement de la France, d'un changement d'état d'esprit, un changement subjectif, à l'intérieur de l'empire ou de la nation ex-conquérante.
     En fait, les entreprises menées pour nous culpabiliser dans notre identité nationale entre les deux guerres du XXe siècle reposaient principalement sur le dynamisme communiste directement antipatriotique. Cette idéologie de culpabilité n'a pas survécu à la Deuxième Guerre Mondiale où le patriotisme français pouvait, après la fin de l'alliance Staline-Hitler, être utilisé par le Kremlin. Après la Deuxième Guerre Mondiale, l'entreprise de culpabilisation s'est appuyée sur l'anticolonialisme, que l'on voit alors se diversifier, se développer, et se raffiner. Il s'agit d'une culture intensive de la mauvaise conscience fondée sur la réprobation morale de l'action de la France et des Français outre-mer. Les fruits de cette culture intensive de la mauvaise conscience, nous pouvons les récolter et les examiner. Il s'agit d'une part d'une sorte d'épidémie psychologique qu'on peut nommer le culpabilisme et d'autre part de la mise au point d'une idéologie où certaines données de fait sont majorées, d'autres minimisées, d'autre censurées.



Classe messie et bon sauvage : une fusion de fantasmes

     Le remplacement de la nation par la révolution, cela avait pu se concevoir à l'intérieur de la haute université, c'est-à-dire d'un système fermé de fonctionnaires privilégiés fonctionnant en vase clos, se recrutant par cooptation, qui, tout en se prenant pour une classe sacerdotale, étaient bien entendu aveugles à leur propre aveuglement. La période dite de décolonisation vint à temps pour relayer leurs fantasmes communistes, dont l'histoire de l'Union Soviétique, enfin suffisamment répandue, avait fait justice. L'archétype du prolétaire de Marx, la classe-messie, élue parce qu'elle avait été dépouillée de tout, ne pouvait plus du tout être projeté sur les travailleurs français que la société du XXe siècle a intégrés, et qui participent aux bienfaits du capitalisme, dont les performances en matière de production de biens de consommation, de facilités de paiement, n'ont jamais été atteintes avant notre époque. Il se fit alors entre deux mythes d'intellectuels, la classe-messie de Marx, et le bon sauvage de Rousseau, une sorte de fusion de fantasmes dont l'aspect idéologique se résume dans les concepts de tiers monde et de tiers-mondisme, ce qui en dit très long sur l'abaissement de l'esprit critique en France, chez ceux-là mêmes dont la fonction sociale est de le promouvoir. Idiotement uniformisant, le concept de tiers monde confond tout ce qui n'appartient pas au groupe des sociétés dites économiquement avancées - c'est-à-dire en fait des sociétés, des cultures qui diffèrent autant entre elles qu'elles diffèrent chacune du groupe des sociétés économiquement avancées. L'intellectuel tiers-mondiste n'a cure de distinguer ces sociétés, ces histoires, ces civilisations. Collectivement et indistinctement chargés de relayer la classe-messie, les représentants du "tiers monde" qu'on a sous la main, qu'ils soient musulmans ou fétichistes, doivent venir à bout des défauts que les marxistes trouvent aux sociétés occidentales elles-mêmes. Dans le tiers-mondisme s'incarnent un refus de connaissance et une volonté de subversion. Seulement, appliquée à la réalité, transformée en impératifs, cette idéologie pousse à la submersion de l'identité française par les vagues successives d'allogènes venus du Sud.
     Il est temps d'insister sur une des composantes les plus pernicieuses du culpabilisme.
     Le XXe siècle est le siècle d'une dérive historique du christianisme. Les scrupules, les examens de conscience, les actes de contrition, les mea culpa, la dialectique du péché, de la pénitence et de la remise du péché : tout cela, qui s'est transmis de génération en génération, survit à la désaffection des dogmes. Et nous voyons trop de chrétiens prendre pour de la science ce qui n'est que dogmes d'une autre religion, beaucoup plus éphémère que la leur.



Culpabilisme et christo-marxisme

     Trop souvent, en effet, le vide laissé par les dogmes chrétiens est rempli par les dogmes marxistes. Dans la mythologie de ces anticolonialistes d'origine confessionnelle, l'homme du "tiers monde" n'est plus assimilé au bon sauvage, c'est au Christ qu'on le compare. C'est désormais à lui qu'a été faite la Promesse. Ici nous avons une ligne psychologique continue. A une extrémité de la ligne, les simples chrétiens de gauche qui se sentent collectivement coupables devant les ex-colonisés et assimilés, lesquels, pour eux, incarnent ce tiers monde christifié. A l'autre extrémité de la ligne, une franche hérésie, le christo-marxisme, qui consiste par exemple à s'engager militairement dans les combats d'Amérique du Sud, censément dirigés contre l'impérialisme américain, forme ultime, pour les mêmes chrétiens dévoyés, du colonialisme, donc du Mal. Selon eux, les Français devraient expier les crimes colonialistes de leurs ascendants. Tel est le culpabilisme, et il mène assez loin. Il s'agit de se mettre à la place du colonisé devenu d'ailleurs entre temps immigré, et de voir les choses de son point de vue. Sartre avait déjà moralisé là-dessus. Le philosophe nous conviait à "voir le monde avec le regard du plus défavorisé". Et nos culpabilistes appliquent cet archétype du plus défavorisé aux allogènes divers qui se sont accumulés en France depuis les années 70 et qui sont en réalité à peu près six millions.
     Dans la perspective du socialiste ou du christo-marxiste tiers-mondiste, l'identité nationale n'est plus qu'un obstacle à cette réparation envers le tiers monde, à cette réalisation de l'homogénéité des hommes, dont ils se font les missionnaires. Alors, nous avons sous les yeux des phénomènes caractérisés d'identification hystéro-masochiste à l'allogène, surtout quand il est hostile. Je crains que ce trait pervers et décadent, à propos duquel on pourrait parler, en forçant un peu les mots, de psychopathologie collective, ne soit une véritable permière historique. Il s'agit en effet, au sens plein du terme, d'une aliénation : on pense et on agit comme étant autre que ce qu'on est.
      Je parle des gens sincères, mais s'il n'y a pas de gens sincères, à la longue, il n'y a rien. En tous cas, ce qu'il est facile de constater, c'est l'exploitation à des fins politiques, et par exemple électorales, d'un tel état d'esprit, qui n'est pas seulement entretenu, mais "chauffé".
     Le culpabilisme est une peste morale. Si on réussit à vous infester de culpabilisme, c'est comme si on vous privait de vos défenses immunitaires. Vous êtes attaqués par des agresseurs à qui vous donnez raison contre vous-mêmes, mais comme vous aurez accompli le plus gros du travail, il s'agirait alors de quelque chose d'inédit, d'un véritable suicide collectif.
     Alors que les "nomenclaturistes" soviétiques et les potentats de diverses parties du monde supportent allègrement de régner dans toute la force du terme, vous, Français, vous aurez beau vous laisser envahir et submerger, vous n'aurez jamais assez expié vos péchés.
     Il faut dire aux Français dont le sentiment d'appartenance survit à ces vagues psychologiques de culpabilisation qui déferlent en même temps que les vagues d'immigration, ceci : devant les gigantesques défis du monde actuel, quoi que vous entrepreniez, si vous vous croyez coupables, vous ne pouvez pas gagner.

    

 L'escroquerie au racisme

     Cet exposé, si elliptique, schématique et incomplet soit-il, présenterait une lacune grave, si nous laissions passer un dévergondage pire encore que le culpabilisme, et qui en apparaît comme la suite logique. C'est la tentative de prêcher irresponsablement une sorte de croisade contre une partie des Français, sous prétexte que ces Français sont "racistes". Nous retrouvons ici la technique bien connue de manipulation des mots chargés, qui avait si bien réussi avec l'imputation de fascisme. D'ailleurs, la première charge passionnelle (fascisme) est encore en service quand on manipule la deuxième (racisme). Il y a équivalence irrationnelle entre le mot "fasciste" et le mot " hitlérien", et le mot "raciste" est pris comme synonyme du mot "hitlérien". Ce faisant, les manipulateurs psychologiques utilisent la charge de malédiction du mot "raciste" contre leurs propres compatriotes. A partir du culpabilisme et du tiers-mondisme, on fait un pas de plus dans la direction dangereuse . Les promoteurs de ces nouvelles campagnes de division des Français poussent ceux qu'ils influencent au-delà même de l'identification pathologique aux allogènes. Ils désignent à la vindicte des allogènes présents, et d'ailleurs à la vindicte générale leurs propres compatriotes comme racistes (ce faisant d'ailleurs, ils encourent le mépris d'une partie du moins de ces allogènes, mais ils n'en ont cure). Au-delà de la culpabilisation du sentiment d'appartenance française, ils passent à des opérations de plus en plus agressives tendant à la division nationale. Au-delà de l'incongruité difficile à qualifier qui consiste à  substituer à un problème réel, à savoir la présence en France de six millions d'allogènes, des homélies vengeresses sur le racisme, ils rappellent ces prédicateurs de village qui, à court d'éloquence, menaçaient un peu vite leurs paroissiens de l'enfer. Au-delà de la plaisanterie de très mauvais goût consistant à accuser Jean-Marie Le Pen de tout le mal, il y a un phénomène de carence intellectuelle qui en dit long sur l'affaiblissement de l'esprit critique en France. 
     Tout groupe humain a des particularités. Un groupe politiquement constitué, qui occupe un espace géographique et historique donné, outre sa législation propre, y fait régner des règles et genres de vie, des mœurs qui constituent une réalité vécue, vécue comme contrainte par les éléments allogènes venant à résider dans cet espace historique. Ce qui revient à dire qu'une nation-civilisation comme la France a des mœurs et une manière de vivre façonnées par l'histoire. Il est possible à des étrangers d'y être accueillis s'ils ne présentent pas de particularités heurtant les particularités nationales.
     Le mot "raciste" aujourd'hui, c'est-à-dire 40 ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale qui vit la défaite de Hitler, est devenu, comme le mot "fasciste" qu'il tend à remplacer, un mot "chargé" dont les manipulateurs psychologues, les psychagogues agissant par médias, imprimés, excitations de parti, font un usage immodéré et qu'ils tendent à spécialiser. Si, à partir de descriptions vécues, on définit ce qu'il peut y avoir de précis, psychologiquement et sociologiquement, derrière ce mot "raciste", on peut voir qu'il est usité pour désigner les comportements négatifs qui apparaissent lorsqu'un groupe humain se sent gêné, donc est gêné (esse est percipi) par un autre groupe humain; quand des particularités qui, par le temps vécu, sont devenues des particularismes, se heurtent à un ou à des particularismes autres. Il saute aux yeux que l'épithète de raciste s'emploie péjorativement lorsqu'il s'agit des autres, jamais lorsqu'il s'agit de soi-même. Ainsi tout peuple historique victime d'une invasion, s'il s'avise de regimber, peut se voir traiter de "raciste". Il n'y a pas de racisme absolu, il s'agit d'un rapport.
     (A noter que ce qui définit les invasions, ce n'est pas la manière dont l'envahisseur pénètre, et que beaucoup de coexistences pacifiques ne résisteraient pas à la cohabitation forcée). L'emploi de l'épithète "raciste" dans un sens absolu est donc désobligeante pour l'auditeur dont elle sous-estime avec désinvolture les capacités mentales. Nous retombons dans une de ces tentatives de crétinisation de masse qui sont la honte de notre siècle et hélas ! de notre pays.
     Les groupes humains chargés d'histoire sont dotés d'une sorte d'individualité historique. On peut dire qu'ils ont en particulier une optique non pas naturelle, mais culturelle. C'est selon cette optique que chaque groupe, chaque culture perçoit les ressortissants des autres groupes humains, des autres cultures. Cette optique particulière n'est pas valable en dehors du groupe qui en use, mais n'est pas réfutable à l'intérieur de ce groupe. Pour le ressortissant de toutes les grandes cultures historiques dont la succession et quelquefois la simultanéité constituent l'histoire universelle, sa culture est la culture. Ce phénomène est comparable aux phénomènes naturels. La mouche a l'oeil en facettes, et vous ne contraindrez pas cet être vivant à percevoir autrement qu'il ne perçoit. De plus, l'idée de la substituabilité absolue des hommes et des groupes est résolument  antiscientifique. La preuve en est qu'il y a même une pathologie différentielle.
     Quand un groupe humain est gêné par un autre groupe humain, vous perdez votre temps à expliquer, fût-ce avec des larmes dans la voix, à celui qui est gêné qu'il ne l'est pas. Il peut y avoir des savants qui se font par l'esprit extérieurs à toute particularité, mais cela c'est l'ascèse de toute une vie, ce ne peut être le fait que de quelques individus. Il n'y a aucun moyen d'amener tous les hommes à un pareil niveau.
     Pour un être omniscient et détaché, le dieu des gnostiques, la question de préférence ne se pose pas, mais l'histoire n'est ni la théologie ni la science -fiction. Chaque groupe humain a ses particularités qui sont autant de bornes, et la politique ne traite que de faits.



Une donnée actuelle du problème français

     Il est évident qu'étant donné la confusion du spirituel et du temporel dans l'Islam, la présence d'un nombre important de musulmans en France change les données du problème français, surtout à une époque de "réveil islamique" : la limite de la tolérance est l'intolérance de celui qu'on tolère. Une importante masse de religionnaires ou fanatiques, ou fanatisables, revendiquant sa particularité, refusant la francisation qu'elle ressentirait comme une perte d'identité, outre les troubles qu'elle crée dans le pays en imposant aux Français de subir des comportements qui les gênent ou les vulnèrent, pose les problèmes les plus graves aux autorités responsables. Le civisme national français n'engage pas ces allogènes. Leur allégeance étrangère peut être postulée. En cas de grande crise internationale, ces masses poseraient quasi instantanément le plus grave des problèmes. On ne peut pas leur demander de faire ou de subir la guerre pour une nation, une culture, une civilisation qui n'est pas la leur, et qui n'a pas dans le présent, et dans la portion du futur qui est prévisible, une puissance d'attraction et de modelage suffisante pour les franciser - si l'on admet par principe (nous voulons bien) que la chose est possible et qu'elle est souhaitable.
     Le problème des allogènes en France ne peut être traité seulement au chapitre des atteintes à l'identité nationale. Il est aussi un problème que l'histoire pose. Ce problème ne surgit pas du fait de méchants Français racistes qu'il suffirait de mettre à la raison, c'est-à-dire à mal pour le résoudre. C'est une grande épreuve historique. Elle doit être résolue par des autorités à la hauteur d'une telle responsabilité historique.




Patriotisme de civilisation



La loi en France

     Tous les républicains sont d'accord sur la notion de souveraineté du peuple, telle qu'elle est définie et enseignée dans notre droit constitutionnel. Dans souveraineté du peuple, il y a deux termes : souveraineté et peuple. Cette deuxième notion, la notion du peuple, semble aller de soi. Chose extraordinaire, si nous suivons le débat politique français depuis 1981, elle va de moins en moins de soi. Le doute pourtant, sur le sens du mot peuple, n'est pas permis : il s'agit du peuple français, de ce peuple et non d'un autre, d'un peuple défini comme l'était le demos  athénien, qui se considérait, dans sa continuité, comme l'auteur collectif de lois auxquelles il se soumettait. Ce peuple, c'est le corps même de la cité, politeia, le corps civique ou politeuma, l'ensemble de ceux qui jouissent des droits civiques, c'est-à-dire que ce que nous, nous appelons citoyenneté, et ce que nous, nous appelons nationalité, ne sont pas dissociables. Les autres catégories d'habitants de l'Attique, les non-libres et les étrangers domiciliés, jouissent, surtout ces derniers, d'un certain nombre de droits (beaucoup de métèques athéniens étaient riches et considérés) mais ils ont aussi un certain nombre d'obligations qui leur sont propres. 
     Le mot peuple, en grec demos, est un substantif toujours explicitement accompagné d'un adjectif qualificatif. On dit demos athénien comme on dit peuple français. Il n'y a pas de demos en général. Et une cité, une polis, quel que fût son régime, oligarchique ou démocratique, ne légiférait que pour les siens. Les procédures de naturalisation étaient rares. Certains étrangers éminents jouissaient de la proxénie, et certaines cités avaient des rapports de mère à fille, qui permettait de l'une à l'autre l'usage des droits civiques. Mais l'appartenance à la cité était une appartenance religieuse. Il fallait partager les mêmes cultes de divinités poliades. Une cité pouvait avoir des hôtes, et ces hôtes, elle les choisissait, et ils devaient s'en tenir à cette place d'hôte, selon le contrat des deux parties. 
     Avant d'aller plus loin, nous devons rappeler la filiation historique qui nous rattache directement, nous citoyens de l'actuelle république française, aux origines grecques de notre civilisation politique. Cette filiation ininterrompue révèle une constante remarquable qui est commune à des régimes aussi différents que les cités grecques, la république romaine, l'Etat romain jusqu'à Caracalla, la monarchie française, ou plutôt les différentes formes de monarchie qui se sont succédé sur le sol français, et nos républiques, toutes nos républiques.
     Dans cette filiation de régimes qui se sont succédé en France, les lois du royaume, de l'empire, de la république, se sont appliquées aux peuples qui vivaient à l'intérieur des limites du royaume, de l'empire et de la république. A aucun moment de cette longue histoire il n'y a eu de collectivité résidant à l'intérieur de la république (prenons ce mot qui est le plus général) et ne se soumettant pas aux lois de la république, aussi bien les lois concernant le service militaire que les lois concernant les mariages, les séparations lorsqu'on en admettait, le sort des enfants lorsqu'il y avait séparation. La situation actuelle des Maghrébins étrangers et résidant en France, est sans précédent historique depuis les invasions barbares. 
     Au temps des invasions germaniques, dans l'intermède historique qui se situe entre la complète désagrégation de l'Empire d'Occident et la royauté franque de Clovis, il y a eu ce que les historiens du droit ont appelé la personnalité des lois, ce qui signifie que les tribus barbares occupant une portion d'Europe occidentale s'appliquaient à elles-mêmes leur propre code. Mais cet état de choses , justement, précède la création de la France. On peut dire que c'est un état d'inconstitution. A partir du moment où il y a eu une entité politique France, les mêmes lois ont joué à l'intérieur des frontières du royaume. Certes, il y eut assez longtemps des juridictions ecclésiastiques et des juridictions seigneuriales, mais l'unité de justice et de législation vint couronner définitivement l'unité politique dès le début du XIIIème siècle.
     A l'époque de la personnalité des lois, chaque peuplade barbare était en fait maîtresse du territoire qu'elle occupait, y faisait régner sa loi. Il ne risquait pas d'y avoir à l'intérieur d'une même aire de domination des conflits de juridiction. Dans l'Empire Ottoman par contre, il y avait des peuples différents ayant chacun sa justice et ses lois propres. En cas de litige entre deux catégories d'infidèles, la justice du sultan et de ses vizirs arbitrait. Ce système était viable parce que, au-dessus de cette diversité de législations, il y avait le pouvoir despotique, celui de l'empereur ottoman, à la fois khalife et sultan, qui tranchait par voie d'autorité stricte.



     Un sentiment d'appartenance

     En France, quant aux lois et à la vie de la société, il n'y a donc que des Français et des étrangers. Des étrangers peuvent devenir français par voie de naturalisation. C'est assez dire que la loi récente comportant la nationalité française automatique des enfants d'étrangers nés sur le sol français est contraire à l'esprit de notre droit, non seulement français, mais on peut dire, occidental, et c'est un élément commun entre unités politiques de même civilisation, que fait ressortir d'une manière éclatante le droit comparé. Ce sont les lois mêmes de notre culture, d'un type de civilisation, fortement imprégné par ses origines grecques et romaines, qui statuent qu'on ne peut être à la fois français et ressortissant d'une autre autorité étrangère, quelle qu'elle soit : Commandeur des croyants, Ayatollah suprême, ou Premier Secrétaire du parti communiste de l'URSS, autorité étrangère dont les commandements ou les prescriptions primeraient les obligations de nos lois et les convenances de nos moeurs, ou  simplement entreraient en concurrence avec elles. Mais il y a, selon l'esprit de tout droit occidental, incompatibilité avec les ressortissants d'une religion intransigeante, comme certaines formes d'Islam qui exigent l'obéissance sans partage, n'admettent pas la distinction du spirituel et du temporel, la distinction des domaines d'action entre l'Eglise et l'Etat. Bref, il semble y avoir incompatibilité entre la nationalité française et certaines confessions, ou sous-confessions islamiques. Et il y aurait au moins imprudence à naturaliser en bloc des masses professant peu ou prou une telle religion, ou prédisposées à la contagion d'une telle épidémie psychologique. Dans une pareille éventualité, même la mobilisation en cas de tension internationale poserait des problèmes dont il est impossible d’entrevoir la solution. Ce « fondamentalisme » ou cet « intégrisme » islamique a gagné, progressant d’Est en Ouest comme une traînée de poudre, des ressortissants parmi toutes les populations musulmanes, où qu’elles soient, et le fait d’être en France ne protège nullement contre cette contagion.
     Cette éventualité, menaçante pour nous, n’est pas le seul péril. Tous les excellents orateurs qui m’ont précédé dans ce colloque de Nice : le doyen André Decocq, le professeur François Terré, Mme Pigacé, l’éminent démographe Gérard-François Dumont, ont lumineusement montré et démontré les autres périls, inconvénients et menaces que portent en elles les grandes invasions auxquelles la France est en butte depuis les années 1970, et de ce point de vue, le livre de Jean-Yves Le Gallou et du Club de l’Horloge, « La Préférence nationale », est en passe de devenir, pour les temps qui viennent, l’ouvrage de référence.


     
Souveraineté d’un « ramassis »

     Dans la filiation occidentale qu’on peut suivre des Grecs à nous, chacun des peuples concernés a sa constitution et ses lois – parentes entre elles – mais qui leur sont en quelque sorte personnelles à chacune. Montesquieu s’est montré le vrai fondateur de la sociologie historique en décrivant les caractéristiques des peuples d’après leur législation. Dans toute l’histoire de l’Europe moderne, le sentiment d’appartenance à un peuple a été le plus fort carburant historique. En 1914, l’Internationale socialiste s’est quasiment volatilisée à l’heure de la patrie en danger. Ce sentiment d’appartenance fut l’âme des résistances européennes pendant la Deuxième Guerre mondiale. C’est une erreur de croire qu’il soit sensé d’appliquer nos règles de vie politique, nos procédures démocratiques, à un conglomérat d’allogènes qui n’est que le dépôt des vagues successives d’invasion que Jean-Yves Le Gallou a parfaitement caractérisées dans son livre.
     Nous ne sommes plus la France victorieuse des années 1920, puissante dans les cinq parties du monde. Le modèle français, et en général le modèle occidental, a perdu de sa puissance d’attraction. Vouloir supprimer toute différence de statut entre habitants de l’Hexagone, c’est dissoudre les notions de peuple, de souveraineté du peuple, de volonté populaire. Il n’y a pas de souveraineté d’un conglomérat, ni de volonté d’un conglomérat. Nous verrions alors en France converger la submersion et la subversion. Et ce qui fut le peuple français ne serait plus que ce que Hobbes appelle multitudo dissoluta ecclesia confusa, c’est-à-dire un ramassis, une matière première pour manipulateurs politiques, pour psychagogues. A la place du lien national, il y aurait seulement le fait d’être atteint par les mêmes media porteurs de consignes.
     On ne peut ni naturaliser en bloc les allogènes, ni fermer les yeux sur le fait qu’une partie d’entre eux fasse litière de nos lois. Il faut prendre des responsabilités historiques : non seulement arrêter l’invasion, mais puisqu’on peut le faire à temps, reconquérir les possibilités d’action, notamment en cas de péril extérieur, que la négligence des pouvoirs précédents avait peut-être compromises. Les orateurs que j’ai cités ont montré, au moins indirectement, quelles sont les mesures législatives et réglementaires d’urgence qui s’imposent. Je me permettrai d’y ajouter, puisque mon rôle propre n’est pas de proposer des mesures toutes prêtes à se transformer en lois et en décrets, mais d’apporter des idées, je me permettrai d’y joindre un certain nombre de propositions que j’aurai au moins de cette manière soumises à l’observation de nos politiques.



Préférence occidentale

     L’ampleur du phénomène de l’immigration et la profondeur des troubles qu’il suscite posent le problème de la distribution des hommes sur la terre. Le XXe siècle est le siècle où l’on a vu des millions et des millions de ressortissants de divers pays fuir, chassés pour des raisons ou sous des prétextes idéologiques. Ce qui s’ajoute aux invasions du type classique : les envahisseurs ne sont plus attirés, comme les barbares le furent, vers les empires civilisés de Rome et de la Chine, par les riches moissons et l’attrait du butin, mais le sont par notre protection sociale et par une existence plus humaine que les pays dominés par les valeurs qu’ils apportent ne peuvent pas leur donner. L’addition de ces deux types d’invasion menace notre identité nationale. D’autant que la subversion, qui a ses places de sûreté à l’intérieur de notre pays, utilise selon des fins qui ne sont pas les nôtres, la submersion dont nous sommes menacés. Il serait souhaitable qu’à l’initiative de la France, se tienne une conférence des pays à forte immigration, dont le résultat devrait être des accords de quotas et l’assurance qu’un participant ne se débarrasserait pas de ses immigrants au détriment des autres. Voilà un problème qui concerne l’Europe, et dont nos institutions européennes pourraient se saisir. En tout cas, les régimes qui se débarrassent de dizaine et de dizaine de milliers de leurs ressortissants sous des prétextes idéologiques devraient être conduits à payer à ceux qui hébergent ces ressortissants une sorte de pension alimentaire. A défaut ils pourraient être frappés de sanctions économiques.
      Des contradicteurs me diront qu’on peut changer de société, et c’est peut-être le fond du débat. Mais que montre l’expérience des totalitarismes du XXe siècle, se disant socialistes, que suggèrent les rêves des marxistes ruminants et des marxistes carnassiers et tous les ratages du socialisme irresponsable ?
     Au moins une chose : dans les combinaisons nouvelles, dans les créations que réclame une histoire à évolution rapide, la nôtre, s’il faut construire ou reconstruire, c’est avec des matériaux résistants, et nul matériau n’est plus résistant que cet alliage de sentiments forts, dont je parlais ce matin, cet agrégat persistant qui est comme le feu central de la planète « identité nationale ». Et il faut souhaiter aujourd’hui une étroite concertation avec tous les Etats dont les lois témoignent des mêmes tendances que les nôtres et qui prolongent avec nous la même filiation de cultures, la même lignée de civilisation. C’est ce que j’appelle la préférence occidentale.
     Derrière l’alliance avec les Etats-Unis d’Amérique. Derrière l’Europe totale, encore future mais plus que jamais nécessaire, nous devons reconnaître en nous-mêmes, comme variante historique d’époque de notre identité nationale française, un patriotisme de civilisation. 

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Du Pouvoir intellectuel de la gauche, vivisection d'un conformisme



    
Il s'agit bien de « Pouvoir ».

     Si subsiste ce que, pour être rapidement compris, nous appelons le Pouvoir intellectuel de la gauche, on ne pourra pas prendre congé de 50 ans de socialisme. Dans l'histoire, beaucoup de mesures justes sont restées lettre morte parce que des mentalités qui n'avaient pas changé leur ont fait obstacle. L'exemple des conservateurs suédois qui, élus, ne purent en gros que gérer le socialisme, est trop récent pour être oublié. Que nous persistions à ignorer cet aspect des choses, et nous nous exposons à recommencer des errements qui sont des erreurs, à faire d'une "alternance" désirée un retour écoeurant. Actuellement, le dispositif sociologique du "Pouvoir intellectuel de la gauche", en dépit de symptômes d'usure manifeste et de craquements sinistres, et même en partie désaffecté, est toujours matériellement en place. Le septennat socialiste, en dépit de vicissitudes débilitantes, est, somme toute, en cours, et le "Pouvoir intellectuel de la gauche" se porte aussi bien que peut se porter un pouvoir intellectuel quand il n'est soutenu que matériellement.
     Pouvoir, intellectuel, gauche, nous n'avons à définir aucun de ces trois termes. Précisons tout de même, que lorsque nous disons "Pouvoir intellectuel", il s'agit bien de Pouvoir. Non pas pouvoir au sens de la théorie juridique qui depuis Montesquieu en distingue trois, législatif, exécutif, judiciaire. Il s'agit d'un pouvoir exercé en fait, qui relève de l'histoire vécue, comme le Pouvoir économique. (On vit très différemment selon que la décision économique est "centralisée" comme en URSS, ou en partie - insuffisante - "décentralisée", comme en France).
     Le Pouvoir intellectuel n'a pas besoin d'un appareil judiciaire et policier pour s'exercer. Si l'on jette un coup d'oeil d'ensemble sur l'anatomie et la physiologie du Pouvoir intellectuel, on constate qu'il fonctionne par incitations, positives ou négatives, comme le pouvoir économique : dans le cas du Pouvoir intellectuel, les incitations sont psychologiques, portant sur les idées (au sens le plus général du terme) que chacun peut recevoir et cultiver; certaines idées sont imposées par répétition comme des airs obsédants, d'autres, au contraire, sont censurées. Elles n'ont pas de visa de sortie, ce qui les interdit de diffusion, et les enferme à double tour. S'exerce à leur encontre une censure sociologique.
     Un pouvoir effectif - et c'est ici le cas - ne s'exerce que s'il a des moyens. Les principaux moyens du Pouvoir intellectuel dans notre société sont l'enseignement, tous les ordres et toutes les modalités d'enseignement, l'information, toutes les formes d'information, des plus difficiles, les livres et les revues, qui demandent un effort, jusqu'aux plus faciles, qui peuvent être (télévision) administrées à moindres frais intellectuels. Ce pouvoir intellectuel use de toutes les formes de la publicité au sens exact du mot, et nous sommes, en fait, fortement dissuadés de rester sourds aux incitations diffusées à une fréquence telle qu'elles ne cessent, littéralement, de nous traverser. Ce qui rend possible, de l'autre côté des media (on eût dit autrefois "du côté du manche") le maniement du clavier des grandes motivations psychologiques : à savoir l'aspiration à s'élever dans la société telle qu'elle est, à se faire reconnaître d'elle; la volonté d'être "dans le train", et même d'y être plus que les autres, disposition qui se traduit dans ses formes extrêmes par le snobisme et la surenchère, dans ses formes moyennes par la recherche de l'approbation du milieu, au prix, s'il le faut, de concessions qui peuvent aller jusqu'au reniement de ce qu'on sait, de ce qu'on croit, et de ce qu'on est.     
     Ce Pouvoir intellectuel n'apparaît une nouveauté historique que parce qu'il emprunte nos techniques modernes. Le XIXe siècle finissant, et le XXe, n'ont fait que lui donner des modalités imprévisibles pour nos devanciers. C'est, sous sa forme pure, le Pouvoir qu'avait revendiqué et hautement exercé, l'Eglise, et qui a été mis en doctrine par la papauté, de Grégoire VII à Boniface VIII en passant par Innocent III, le pouvoir d'examen comme l'appellent encore les grands Jésuites du siècle d'or, et en même temps, le père de la philosophie politique occidentale, Hobbes. C'est le Pouvoir contre lequel nos "philosophes" du XVIIIe siècle se sont fait un nom, et qu'ils prétendaient transférer de l'Eglise à "La Science", dont ils se croyaient les représentants; le Pouvoir de dire, au sens romain de "dire le droit", le Pouvoir de dire ce qu'il faut penser, et par là même ce qu'il ne faut pas penser; le pouvoir de dire le bien et le mal, de désigner les bons et les mauvais; une sorte de police psychologique ne procédant point par l'anathème ou l'interdit comme l'Eglise médiévale, mais visant à la domination psychologique par ce qu'elle dit et par ce qu'elle tait et par ce qu'elle contribue à "occulter". Il s'agit d'une propagande qui atteint à la fois l'enseignement et l'information sous toutes leurs formes, à tous les niveaux, du livre "difficile" au slogan radiophonique, modifiant même la teneur du langage courant, en usant toujours des mêmes mots et en faisant toujours les mêmes choses. L'envers de cette propagande est une censure de fait, qui tire paradoxalement l'essentiel de sa force de n'être pas incarnée dans une institution. Les censeurs sont ceux qui se servent efficacement d'un catéchisme non écrit, mis à jour quotidiennement, qu'on pourrait intituler "Ne dites pas mais dites". La censure que nous avons connue depuis 1945 n'a pas de visage.  
     Les pensées non exprimées se désaffectent; non transmises, tendent à disparaître avec ceux qui sont empêchés de les transmettre. Les moyens de ce Pouvoir intellectuel ont été, d'une part la répétition généralisée, multiforme, incessante, procédant même par "persuasion clandestine". Ce sont les moyens positifs. On impose par exemple dès 1944, l'idée d'une équation entre les communistes et la Résistance en France ou encore l'idée que l'intelligence est à gauche, d'où il suit que l'"Intelligentsia de gauche" (c'est un pléonasme) est non seulement présumée supérieure à ceux qu'elle occulte, mais qu'elle est présumée unique, qu'elle occupe le champ dans son entier. S'impose par la même occasion, le fait de prendre le communisme en bonne part depuis la défaite de l'"axe" Allemagne-Italie-Japon, et de maintenir le plus longtemps possible la classe politique et l'opinion française dans des dispositions "compréhensives" : on ne condamnait que les excès, non le principe, qui est le socialisme, situé dans l'arrière-monde (aucun fait historique ne peut l'atteindre). A partir de cette époque, les mêmes pratiques, commises par des "non-socialistes", ne pouvaient pas bénéficier de la même absolution. S'il y a des camps de concentration en URSS, ils sont transfiguurés par l'ombre portée de l'"avenir radieux". C'est une telle Gestapo psychologique que nous subissons plus ou moins en France depuis 1945. Ainsi étaient indiqués les livres qu'il faut lire, et par là même ceux qu'il ne faut pas lire. Et tout ce qui ne va pas dans le sens voulu n'a pas d'acoustique. Aux voix qui parlent hors de cette trajectoire prédéterminée, est refusé tout le dispositif que Pierre Chaunu appelle si justement le"surmultiplicateur du discours". Le système médiatique complet : livre-télévision-presse écrite- radio, leur est fermé.
     La face positive du pouvoir intellectuel en question consiste donc en ce "surmultiplicateur du discours", la face négative consiste dans les effets puissants de l'incitation négative. Pour beaucoup d'hommes, s'ils ne veulent pas déplaire à tout ce qui peut les gommer professionnellement comme de simples traits de crayon, il y a des faits qu'il vaut mieux ne pas percevoir, des pensées qu'il vaut mieux ne pas former. Certaines idées et perceptions doivent être si bien censurées - sociologiquement - qu'à la limite on ne doit plus trouver de mots pour les exprimer, ce qui se traduit par des modifications du langage courant.. C'est ainsi que s'explique, au cours de cette deuxième moitié du XXe siècle, la quasi disparition de quelques-unes des principales notions qui faisaient littéralement tenir debout la société et la culture auxquelles nous appartenons et auxquelles nous participons. Les techniques médiatiques au service de cette inquisition grise, et sous le masque hypocrite d'un libéralisme qui avait consenti à la pose de "sens uniques" dans son laisser-faire-laisser-passer, contribuent puissamment à la constitution de ce nouveau conformisme, où ce que nous appelons le Pouvoir intellectuel de la gauche est d'autant plus efficace qu'il n'est plus perçu. A partir de quoi, il ne s'agit plus que de parler et de penser comme les autres, de ne pas se singulariser. C'est à ce signe qu'on reconnaît la réussite d'un conformisme. 
     Il est indispensable de savoir distinguer les traits dominants d'un tel conformisme, ce qui est d'autant moins facile que nous y sommes plongés.
     Le mot conformisme en lui-même ne doit comporter nul sens péjoratif. Toutes les sociétés connues présentent le phénomène du conformisme sans quoi elles n'existeraient pas en tant que sociétés. Mais le conformisme par lequel s'est exercé depuis 1945 le Pouvoir intellectuel de la gauche se distingue paradoxalement de tous les autres, qui sont à la fois expressions et conditions de sociétés où on les observe. Et voici comment :



Inversion du conformisme

    Tout conformisme comporte l'imitation de certains modèles, et même l'identification à ces modèles, du plus grand nombre de citoyens. L'originalité propre de la variété historique de conformisme qui correspond au "Pouvoir intellectuel de la gauche", c'est que c'est un conformisme à modèles subversifs. Tout se passe  comme si, de plus en plus, la société française de 1945 à nos jours, avec ses écrivains représentatifs comme Sartre, avec son enseignement gauchi, sa langue courante, sa "Koinè" à la fois altérée et dégradée, truffée de marxisme "basique" et d'argot franglais, d'un mélange de "langue de bois" et de langue "jetable" comme les gobelets en carton des uniprix (les journaux en abusent) son bas-français comme il y a eu un bas-latin; avec ses media ensinistrés, avec toute une sous-littérature, et tout un infra-cinéma de misérabilisme et de ressentiment, tout se passe comme si la société française des quarante dernières années se voyait, se décrivait et se pensait avec les yeux, la voix et le cerveau de ceux-là mêmes qui la vouent à la destruction totale. En sorte qu'observée à distance par un spectateur détaché, la société française offre un spectacle typique d'auto-destruction. On ne peut s'empêcher d'évoquer à ce sujet une proposition de Gramsci, le Machiavel léniniste, je la cite :
     "Une fois gagnée à des valeurs qui ne sont pas les siennes, la société vacille sur ses bases, et il n'y a plus alors qu'à exploiter la situation sur le terrain politique".
     Le conformisme sinistre, appelons-le ainsi, se retourne contre la société un peu à la manière de ces anticorps que nos organismes fabriquent pour se défendre, et qui, dans certaines situations pathologiques, contribuent à le détruire. Toute société repose sur des personnes et des groupes qui sont conformistes par position. Ils ne font pas de politique et ne s'y intéressent pas outre-mesure, et aucune société ne peut fonctionner sans de tels conformistes. Eh bien ! Le conformisme sinistre joue dans le sens contraire. C'est-à-dire que le conformisme, inévitable dans toute société, et qui par nature soutient et exprime l'ordre, se retourne contre lui-même quand les personnes et les groupes soumis à une propagande intense en viennent à dénigrer le passé, fait, entend-on, de patriotisme belliqueux, de colonialisme inexpiable, de capitalisme exploiteur, etc.. (On arriverait à en conclure qu'il a été déplorable d'avoir eu des parents et qu'il n'est pas souhaitable d'avoir des enfants). L'observance des conditions de la vie en société, la soumission à un ordre indispensable, en vient en définitive à fonctionner au bénéfice d'entreprises de subversion. Ce genre de conformisme qui heureusement n'est pas "inarrêtable", porte en lui - il n'y a pas d'autre mot - un véritable processus d'autodestruction historique. Quand les choses ont été poussées aussi loin, des rouages sociaux, ceux de l'instruction publique, de l'information, de l'édition, etc., en viennent à inverser leurs effets et à fonctionner comme mécanismes de désagrégation.  
     Ces facteurs combinés en codifiant par leur action le langage courant qui est l'instrument de communication absolument général, ne peuvent pas ne pas entraîner des modifications psychologiques déterminantes quant à la formation des idées et la production des actes. Ce que nous désignons ici par "Pouvoir intellectuel de la gauche", va donc bien au-delà de l'action prétendument exercée par les grands "intellectuels de gauche", qui n'ont jamais été tellement lus, et qui ont été moins encore compris.



Imprégnation « sinistre »

     Il y a donc eu pendant quarante ans ce qu'on peut nommer l'imprégnation "sinistre" de la société française. Tout se passe comme si la société française avait été l'objet d'un investissement général et continu. L'air de l'époque était fortement chargé de gaz "sinistres" que nous ne pouvions pas ne pas respirer. On a pu observer pendant toute cette époque ce qu'on pourrait appeler en termes universitaires, une tendance générale à l'unification thématique, de la chanson "engagée" à la thèse de Sorbonne, des sermonnaires qui se trompaient de messie aux enseignants qui confondaient la matière qu'ils étaient chargés d'enseigner avec l'idéologie dont ils étaient gonflés. Il règne donc, dans notre société française de ces quarante années, comme une acoustique qui gauchissait les sons et une optique qui gauchissait les images. Ainsi se constituait insensiblement une sorte d'univers unilatéral de plus en plus fermé et rétréci, où beaucoup de notions autrefois comprises en France, et toujours comprises ailleurs, devenaient de plus en plus incompréhensibles, parce que dans notre langue ainsi appauvrie, elles ne correspondaient plus à des mots usités : citoyenneté, nationalité, civilisation , moeurs, etc. Et beaucoup de notions qui ne pouvaient pas encore être censurées, étaient décriées de manière obsédante, simultanément par l'enseignement, les media, etc..  Des mots étaient diabolisés et progressivement insérés dans un rituel d'exécration.


     
Appropriation de la République

     Le mot "république" n'a échappé à ce destin funeste que grâce à une usurpation de sens. Historiquement au XIXe siècle, les républicains se distinguent des socialistes pendant la révolution de 1848. Les républicains du général Cavaignac emploient la force lors des journées de Juin 48 contre une insurrection soutenue par les socialistes. Les républicains qui fondent sous la IIIème République le parti républicain, se désolidarisent totalement de la Commune de Paris, dont ils n'amnistient les survivants que très tard. Les socialistes, même lorsqu'ils sont élus au suffrage universel, ont dans les années 1880 et 1890, des mots très durs pour la "république bourgeoise". C'est une aile modérée et "bourgeoisante" du socialisme qui collabore avec les républicains lorsque Jaurès devient le "ministre de la parole" du Cabinet Waldeck-Rousseau, et entraîne avec lui les camarades. Jusque là, les socialistes n'ont fait qu'entrer dans la République, non sans quelque réticence. Ils sont encore loin de s'en prétendre copropriétaires. Leur attitude est incertaine à la veille de la guerre de 14 : la majorité du parti rallie, non sans pleurs et grincements de dents, le drapeau de la République, mais après la Première Guerre mondiale, les ambiguités recommencent. Ce sont alors les communistes qui contestent, et eux seuls, la république. Les socialistes ne font pas partie ès qualités (je ne dis pas par transfuges interposés) de la majorité du "Cartel des gauches" de 1924, qu'ils soutiennent sans y participer. C'est en 1936 seulement que les socialistes acceptent ès qualités, avec Léon Blum, des responsabilités gouvernementales dans la République française, tandis que c'est au tour des communistes, en 1936, de s'introduire officiellement parmi les républicains avec leur "soutien sans participation", plus justement nommé "soutien à éclipses". C'est à partir de 1936 que les communistes qui ont déjà parmi eux de remarquables spécialistes de la guerre qu'on appellera plus tard psychologique, s'affirment membres à part entière de la famille républicaine. Et là, nous sommes carrément dans l'imposture. Pour Lénine cette "république bourgeoise" n'était que le masque hypocrite du brigandage capitaliste et impérialiste, et si Staline soudainement la ménage, c'est qu'il a deux fers au feu, le second étant Hitler. Lors de la guerre civile espagnole (1936) toute l'extrême-gauche clame, sur le mode obsessionnel, qu'il faut que la France (outre-Pyrénées) vole au secours de la "légalité républicaine", à qui jusque là les marxistes et léninistes des diverses obédiences ne passaient pas pour vouer un culte. Ces nouveaux républicains, comme on dit "nouveaux riches", eussent beaucoup étonné Gambetta, Jules Ferry et même Waldeck-Rousseau. Tels Tartuffe, ces derniers venus clamaient sur tous les tons : "La maison est à moi, c'est à vous d'en sortir".
     Bientôt, le Bureau politique du Parti nommera sans vergogne les jeunesses communistes "Jeunesses républicaines de France". Les staliniens exploitent supérieurement les circonstances (Front populaire et Résistance); l'imposture n'en est pas moins flagrante; et entre 41 et 44, les buts de guerre des communistes vraiment conscients ne s'identifiaient pas aux buts de guerre des membres de la Résistance non-communiste, qui eussent eu - j'en étais - exactement le même comportement s'il s'était agi d'un socialisme allemand différent de celui de Hitler. Ce qui les dressait contre Hitler n'était certainement pas que le Chancelier révolutionnaire allemand ait trahi son allié Staline.
     Un phénomène comme le Pouvoir intellectuel de la gauche n'est pas une fabrication artificielle. Il s'agit de l'exploitation de circonstances historiques favorables par une volonté politique servie par de très forts moyens. C'est un phénomène sociologique, résultante de facteurs parfaitement analysables, phénomène infléchi dans un certain sens par les forces historiques les mieux placées et les plus aptes à réaliser une telle inflexion, et ici, ce sont d'abord les communistes.
     Ce pouvoir intellectuel de la gauche naît donc après la Seconde Guerre mondiale sur le terrain de l'"antifascisme" triomphant. La propagande alliée habilement déviée en France par les communistes suggérait que "les démocraties" avaient vaincu "le fascisme". L'Union Soviétique, donc le communisme, faisait partie des "démocraties" ! Eclipsés par les communistes, les socialistes à cette époque se contentaient de prendre place dans la grande famille républicaine. Ceux des socialistes qui avaient rejoint Londres dans les années 43-44 faisaient plus figure de chevaux de retour du parlementarisme que de tenants d'une Internationale. Dans l'"antifascisme" des années 1930 en France, s'étaient jadis unis des ressortissants de la "Ligue des Droits de l'Homme", liés à la Franc-Maçonnerie et au "socialisme démocratique", des républicains patriotes alarmés par l'expansion de l'Allemagne à qui les erreurs du Traité de Versailles avaient servi de tremplin, Allemagne qui reprenait, avec le pouvoir révolutionnaire des nationaux-socialistes, l'essentiel des méthodes de conquête sans guerre  que le communisme, auparavant, avait mises à l'ordre du siècle (mais pour les Allemands, c'était avec une efficacité très supérieure à celle des Russes, et une très forte accélération). Cet état d'esprit dit "antifasciste" s'était retrouvé dans ce qu'on appelle, entre guillemets, la "résistance intellectuelle". Les Français les plus actifs alors s'adonnaient à diverses formes de guerre et non à l'idéologie. C'était le plus pressé. Au moment de la défaite allemande, c'est au sein d'un milieu très favorable aux Soviétiques, en raison de leur participation à l'issue de la guerre, qu'en France, dans les zones de l'Université, de l'Information et de l'Edition, du Spectacle, où la résistance était surtout "morale", les communistes se trouvèrent la seule force organisée, sûre de son but et ayant une idée précise des moyens.              



Du noyautage à la domination

     Constitués en cercles concentriques, des vagues de sympathisants de plus en plus larges, confondaient aux yeux du public les démarches spécifiques du communisme et les aspirations des Français à relever la France et à la remettre à son rang. Dans la surenchère de nationalisme verbal de l'immédiat après-guerre, les communistes ne furent pas les derniers. Ils infléchirent dans leur sens la vague d'épuration qui atteignit l'enseignement, la presse, l'édition etc., souvent même niant effrontément qu'ils étaient communistes. Organisés dans des milieux qui ne l'étaient pas, ils se concertaient dans toutes les administrations et entreprises suivant le système de la fraction (les communistes font entre eux une répétition générale de la séance qui va avoir lieu, et ils sont si sûrs d'eux qu'ils entraînent beaucoup d'hommes qui n'étaient pas des leurs et n'avaient pas d'information suffisante, ou désiraient avant tout n'être pas dans la minorité). La société parisienne de la fin des années 40 et au-delà, fut ainsi travaillée. Tout le monde était "antifasciste". Certains ne pensaient faire avec les communistes qu'"un bout de chemin". D'autres juraient que "les communistes avaient changé". D'autres enfin avaient été "dédouanés" par les communistes, qui eussent pu leur chercher noise à propos de leur passé de 1940 à 1944. Ce fut le temps de la grande insémination communiste. Les socialistes à cette époque ne comptaient pas beaucoup, et pouvaient être "récupérés" sous couleur d'antifascisme par les groupes "orientés" et souvent ultra-discrets qu'animaient les communistes. C'est ainsi que furent annihilées dans une vaste mesure ce qu'on pourrait appeler les défenses immunitaires de la société française. Un préjugé favorable avait été jeté sur les objectifs des communistes, préjugé dont ces derniers qui avaient su l'entretenir, tirèrent d'énormes bénéfices politiques. Entrés au cours des années 1930 dans la "grande famille républicaine",les communistes pénétraient après la guerre au coeur de l'Etablissement et, avec les nominations faites surtout depuis 1981, ils y sont de plus en plus nombreux. Tous ces "infiltrés" usèrent des moyens mêmes de la société pour y faire prévaloir non le communisme tel qu'il existe en Union Soviétique, mais un état d'esprit favorable à leur mainmise sur la société française et sur l'Etat, enjeu et cible privilégiés, centre distributeur de ressources, de pouvoir et de postes stratégiques. Les socialistes qui considéraient les communistes comme des frères séparés, en partie les aidèrent, en partie leur résistèrent, mal, et finalement leur facilitèrent les choses, sous couleur de "barrer la route" au monstre multiforme nommé tantôt "fascisme", tantôt "droite", tantôt "réaction", et qu'on pouvait invoquer à volonté comme Croquemitaine quand les enfants ne sont pas sages.




De la reproduction chez les « Cryptos »
   
      Rarement terrain fut meilleur pour le succès de la tactique communiste de la fraction que le système de l'Enseignement Supérieur français de Lettres, Sciences Humaines et Sciences, où les professeurs sont en général cooptés, c'est-à-dire désignés par leurs pairs. Le ministre dont la signature est indispensable, en fait entérine le choix de l'Université. Les communistes constituant un noyau fort dans les grandes universités où ils avaient effrayé ou dédouané un certain nombre d'anciens, furent le facteur dominant dans ces cooptations. D'une part, par le système de la"fraction", ils ont en général peu de peine à rallier l'ensemble des votants à leur candidat, qui n'est en général pas inscrit au Parti, mais qui penche de ce côté-là, ou dont on estime qu'il n'opposera pas de résistance. L'article premier est d'écarter les opposants éventuels, et si l'on ne peut faire mieux, de placer le non-communiste estimé le moins dangereux, de le pousser même, en se targuant de libéralisme. A partir d'un certain seuil quantitatif, le système "fait boule de neige". Les "cooptés" présentent certaines caractéristiques souhaitées par les cooptants, ceux-là ayant un intérêt majeur à satisfaire ceux-ci. On peut dire que le ver est dans le fruit, et que le sinistrisme universitaire s'engendre lui-même. D'autant plus que dans le domaine desdites sciences humaines l'expérience ne peut jouer la fonction de contrôle qu'elle exerce par exemple dans l'enseignement de la médecine, où la réalité que constitue le malade met à l'arbitraire une frontière certaine. De même dans l'enseignement du Droit, où il s'agit de connaissances précises, et d'une compétence opérationnelle qui se refère à une réalité existante, le fonctionnement des tribunaux et de tous les appareils de juridiction. Dans le domaine de certaines "sciences humaines" au contraire, il n'y a pas de garde-fous de l'expérience, et l'idéologie complétée par une impressionnante terminologie, donne au néophyte l'assurance du savant, sans les pénibles travaux qui seraient nécessaires pour le devenir vraiment. Il subsistait encore des barrières, consistant dans le sérieux de la "thèse d'Etat", condition nécessaire à cette cooptation. A partir de 1968, de telles barrières sautent. Ce sont les professeurs de l'enseignement supérieur ainsi cooptés qui recrutent par concours les professeurs de l'enseignement secondaire. Formés par de tels maîtres, et désireux de réussir, il leur est injecté une certaine quantité de "sinistrisme" qu'à leur tour ils "seringuent" à leurs élèves, etc. Depuis 1942 je crois, la plupart des instituteurs sont bacheliers. On peut dire que le sinistrisme se transmet du sommet à la base. La contamination devient massive lorsqu'ainsi on descend de la cooptation à la contagion.



 « Intellectuels », « Elite intellectuelle » : ne pas confondre.

     Il faut maintenant dire quelques mots indispensables du rôle des "intellectuels" dans le Pouvoir intellectuel. D'abord il ne faut pas confondre intellectuels et élite intellectuelle. L'élite intellectuelle se compose de ceux qui s'imposent par des performances inimaginables sans de hautes qualités intellectuelles, pour ne parler que d'elles. Il s'agit de biologistes, de mathématiciens, de spécialistes de diverses sciences et de divers domaines de la connaissance et de l'invention, et de "grands écrivains", mais il n'y en a que quelques-uns par siècle. Lorsque vous dites "intellectuels", vous ne pensez pas aux créateurs dans les domaines de l'informatique, de l'ingénierie biologique, aux découvreurs de structures de la réalité - et je prends réalité au sens le plus large qui englobe l'homme, vous ne pensez pas aux poètes. Non. L'intellectuel est une espèce sociologique située et datée, et plus particulièrement une spécialité française (mais non une exclusivité !). Au XIXe siècle encore, les écrivains d'une part, les universitaires d'autre part, et les savants, qu'ils fussent universitaires ou non, constituaient des espèces distinctes. De l'Ode à Michel de l'Hôpital jusqu'aux grands auteurs du XXe siècle, Proust, Claudel,Valéry, il s'agit d'écrivains. Les deux espèces sociologiques n'étaient pas en général confondues. Entre le fait que Bergson ait été un grand écrivain, et le fait qu'il ait été professeur au Collège de France, il n'existait pas de lien organique. C'était un cumul de qualités différentes. Au début du XXe siècle apparaît le mot intellectuel : quelques écrivains avaient signé un manifeste avec des professeurs et ce manifeste (qui ouvrit l'Affaire Dreyfus) fut baptisé "Manifeste des Intellectuels". Cette appellation ne comportait pas de définition rigoureuse. En somme, quiconque avait un métier non manuel et proférait des propos politiques pouvait se dire intellectuel. Le mot, né de l'Affaire Dreyfus connut une seconde vogue dans les années 1930 avec le manifeste dit des intellectuels antifascistes. Mais c'est au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que la littérature est prise d'assaut par les universitaires. C'est cet instant qu'a fixé mon ami Julien Gracq dans son illustre pamphlet "La Littérature à l'estomac". De plus en plus les agrégés écrivaient des romans, de plus en plus les romanciers avaient l'enseignement ou le journalisme comme second métier. Aux yeux du public, il n'y a plus ni écrivains ni universitaires ou, du moins, ces espèces se confondent. On ne perçoit que des intellectuels. De même que les agrariens selon Marx voyaient leur existence assurée par la rente foncière, ces intellectuels la voient en général assurée par la rente étatique. Ils (les intellectuels) se divisent en espèces jalousement stratifiées derrière un rideau de fumées égalitaires. Il y a un haut et un bas-clergé. Une vue aérienne de notre société, au cours des années 60 et 70, montrerait dans leur mouvement incessant, sillonnant tous les canaux de l'enseignement et de l'information, des grandes artères aux imperceptibles capillaires, divers agents de la circulation du conformisme sinistre. Grâce à l'opium de l'idéologie, les inégalités réelles ont été jusqu'ici assez bien supportées.
     Concluons là-dessus : on nous rebat les oreilles de l'an 2000. Il serait temps que nous nous apercevions que le "phénomène" des intellectuels est derrière nous. C'était la confusion historique d'un temps, et l'on confondra sans doute de moins en moins une élite réelle avec ceux qui la singent.


L'ablation de la mémoire

     Un tel conformisme n'a pu se réaliser qu'en instituant par contagion des modèles de discours, en mettant en circulation des idées reçues et des lieux communs, qui supplantent en grande partie ce qui existait avant eux dans le même genre, ce qui suppose en même temps sur les contemporains une puissante action d'oubli, la mise en oeuvre de techniques d'oubli. Elles seules à l'occasion permettent d'inculquer aux enfants, quant au passé, de faux souvenirs. Cette période des voleurs de passé fait partie de notre histoire, une histoire qui n'est pas finie et où nous avons à intervenir. Par l'action de l'instruction publique pénétrée, nous avons vu les grands auteurs français, pour ne pas parler des latins et des grecs, expédiés sans tambour ni trompette dans les chambres froides de l'oubli. Et l'histoire de France dans sa continuité, et à plus forte raison l'histoire de la pensée et des arts, prenaient la même direction. Il suffit d'une génération à qui on a volé son passé pour que la chaîne vivante soit ou rompue, ou devenue très fragile; déjà plusieurs générations ont passé. Et les grands auteurs d'être remplacés par des Boris Vian; Bossuet et Chateaubriand par les rédacteurs du journal "Le Monde". Quant aux livres qui de relais en relais, ont véhiculé une culture, il suffit qu'ils soient introuvables pour que les générations montantes en soient écartées. Ici, on fait donner l'artillerie lourde du silence. Je parle des medias. Je dirai que les medias agissent davantage sur notre histoire par le silence que par le vacarme. Aujourd'hui, l'esprit, dans son effort critique, dejà trahi par l'enseignement, est étouffé sous des avalanches de séquences verbales. Certes les médias ne peuvent tout dire, mais ce qu'ils disent enterre ce qu'ils ne disent pas. Ainsi est fabriquée vingt-quatre heures sur vingt-quatre la gelée d'opinion dans laquelle nous baignons, et l'on peut dire que la classe médiatique a été, tout compte fait, et de manière extrêmement efficace, le pouvoir exécutif du conformisme de gauche. Ce surmultiplicateur du langage l'est aussi du silence, d'autant plus que les enfants, les adolescents et tous les esprits sans défense, lui sont en quelque sorte livrés pieds et poings liés par la carence des enseignements.
Mais on ne détruit que ce qu’on remplace. Tandis que les mythes historiques qui nous ont formés sont enterrés, est diffusée une véritable pseudo-histoire. A base d’ailleurs d’obscurantisme. Des périodes entières disparaissent. En histoire les travaux de la « haute intelligentsia » (comme dit M. Régis Debray) interprétés par la « basse intelligentsia », ont fait progressivement litière de la chronologie. A part une version fausse de la Révolution française, les notions erronées qui tendent à faire croire aux Français que les communistes ont été l’âme de la résistance nationale entre 1940 et 1944 ; que les grandes puissances européennes qui ont été colonisatrices, ont été par là même des criminels collectifs planétaires, responsables de tout ce qui va mal dans le reste du monde ; que la Seconde Guerre mondiale se réduit à un duel des nazis et des antinazis (du Bien et du Mal), antinazis bientôt diminués des Américains, lesquels par décret communiste – en attendant l’Ayatollah Khomeini- rejoignent la légion des démons à titre de « Grand Satan » ; que la lutte des classes et l’exploitation capitaliste expliquent intégralement l’histoire ; que l’ex-empire des tsars a produit à partir de 1917 des légions de rédempteurs à qui le futur est promis et à qui nous devons en fait obéir, etc.. A part ces bêtises non exemptes de nocivité, et pour comble déjà démodées partout ailleurs que dans nos manuels d’enseignement, qui les reproduisent impavidement depuis 1945, l’histoire qu’étudient les enfants dans la France d’aujourd’hui, est une collection de trous ; quant au français, les morceaux choisis sont mal choisis, et tout ce qui s’appelait autrefois philosophie peut de moins en moins être enseigné, puisqu’il est difficile d’émettre quand la jeunesse en direction de qui vous émettez n’a pas été équipée des récepteurs nécessaires pour recevoir ce qui est émis. En un mot la philosophie présuppose l’alphabétisation. Et le pire est qu’on fasse encore semblant, et qu’à part Marx, les noms de Platon, de Descartes, d’Aristote, etc.. sont encore prononcés. Mais ces noms renvoient à une planète disparue. L’essentiel de la culture qui a encore formé les Français des 70 premières années du siècle, on s’est donné beaucoup de mal pour l’évacuer ; le travail semble en très bonne voie, tout au moins dans l’école publique. Par ces moyens que rend irrésistibles la suppression de toute discipline dans les établissements publics, apport historique propre de la Ve République, et, semble-t-il, innovation sans précédent, nos malheureux « enseignants » s’apparentent par plus d’un trait aux premiers chrétiens, ceux qu’on livrait aux bêtes. Tandis que les grands permanents des syndicats de gauche sont de hauts personnages de l’Etat.
     Par ces moyens, les générations françaises qui montent sont devenues des générations sans défense intellectuelle. A partir de la réforme Haby (un nom que l’histoire retiendra) il semble que ce conformisme malfaisant puisse prétendre à la crétinisation de la France. Chaque génération est induite à tenir pour histoire, et même pour « histoire-géo », un tissu très lacunaire de contre-vérités et de notions, pour plus de précautions, stérilisées par la manière même dont elles sont enseignées. On commence d’ailleurs à écrire de fort bons livres d’histoire de cette histoire. Tôt ou tard les manuels obscurantistes de cette triste époque feront l’objet de la part de chercheurs et de savants de travaux minutieux.
     Ce conformisme sinistre a donc abouti à une véritable kakodoxie, et il s’agit là de méfaits en quelque sorte radioactifs. Par un effet que les psychologues appellent réduction de la dissonance cognitive, toutes  les connaissances et toutes les idées incompatibles avec cette réforme ou plutôt cette réduction de l’Entendement, ont été écartées soit par les techniques d’oubli actif dont j’ai déjà parlé, soit par des substitutions du faux au vrai. Il faudrait que quelqu’un prît sur lui, avant qu’il ne soit trop tard,  d’écrire minutieusement l’histoire de l’histoire menteuse, telle qu’elle a été imaginée par le conformisme sinistre régnant en France entre 1946 et 1985. Pour parodier un mot célèbre, ce genre d’historiographie fixerait à jamais pour la postérité « un moment de la bêtise humaine ».




Le langage piégé

     Ce qui précède fait mieux comprendre que ce qui donne le plein de son efficacité à un tel conformisme, c’est l’action psychologique exercée sur le langage et par le langage. Ce révisionnisme linguistique réussit non pas seulement en supprimant des termes, en changeant, voire en renversant des significations, mais encore en insufflant aux mots une tonalité nouvelle, soit appréciative, soit dépréciative, qui agit sur les dispositions des interlocuteurs. Il y a des épithètes qu’on ne se soucie pas d’encourir, et l’on fait ce qu’il faut pour ne pas prendre un tel risque. Par exemple, un homme public évite que l’épithète « conservateur » s’attache à son nom. Politique d’autruche et morale de lièvre sont lisibles à travers maintes supercheries et contorsions verbales. Le succès même du conformisme est que les candidats s'imaginent qu'il faut y sacrifier pour être élu. Dans les meilleurs des cas, l’ « image de marque » est un hommage de l’intelligence à la bêtise.
     Un des «effets » les plus efficaces obtenus par des moyens uniquement verbaux, est de remplacer une preuve ou un argument par une étiquette. La réussite de ce genre de pratique a été telle qu’elle prend place dans le tout aller quotidien du terrorisme intellectuel. On ne répond pas à ce que vous dites, on répond en vous « collant une étiquette ». Le contenu de ce que vous dites est disqualifié d’avance par l’étiquette. C’est, toutes choses égales, l’équivalent de ce qu’était jadis l’anathème. Anathème moderne qui, comme l’ancien, est exécutoire. Pour les conformistes stricts, si vous portez l’étiquette qui disqualifie de manière sommaire et définitive, vous  n’êtes même plus placé dans le domaine où il est pensable de vous répondre. Vous êtes comme ces sauvages déclarés morts par le sorcier, et que le reste de la tribu peut coudoyer sans les percevoir. Pratique de jeteur de sort ! Nous avons par rapport à nos devanciers médiévaux , changé de magie. Etant hors conformisme, vous êtes dans un ghetto à la fois infranchissable et invisible. C’est un mécanisme comparable à celui de la possession démoniaque. Si vous êtes désigné comme possédé du démon, vous l’êtes. D’où les conséquences selon la situation de chaque présumé possédé. Les livres d’un « homme de droite » peuvent être refusés parce que l’étiquette fait de lui pour l’éditeur, non une source de profit, mais une source d’ennuis : le surmultiplicateur du langage lui sera refusé. Point de Pivot. Telle est la fonction marginalisatrice des médias.  
Un langage ainsi travaillé comporte beaucoup de perversions de sens. Exemple : les communistes, à la suite des socialistes, s’appellent eux-mêmes républicains et démocrates, ce qui, par usurpation historique, veut dire « de gauche », puisque le programme commun de la gauche était en 1972 composé de compte à demi avec les communistes. Les communistes devinrent  républicains et démocrates avec la caution des socialistes, qui n’avaient eux-mêmes conquis cette épithète que quelques décennies auparavant (1945). Après 1975, on constate que, poussant les camarades à la faveur du décri de l’Union Soviétique et du marxisme, ces derniers (les socialistes) se sont mis au centre de ce pouvoir des épithètes. Il ne faut pas s’étonner qu’étant républicains derniers-nés de la famille, donc incarnant la légalité par la vertu des mots, les communistes et la plupart des socialistes retournent contre ceux qu’ils situent à leur « droite », les épithètes de subversifs et de factieux, d’antidémocrates et d’antirépublicains qui, à l’origine pouvaient leur être appliquées à juste titre, Marx et les Pères de leur Eglise ayant condamné comme entachés de bourgeoisie et de capitalisme la République même que les communistes prétendent « défendre » depuis 1936. Les fils de la Révolution sont aujourd’hui bardés de légalité.
     Ainsi la boucle est bouclée et le retournement parfait. On a échangé les places comme deux équipes de football après la mi-temps. Si vous vous efforcez de combattre la famille « sinistre », vous êtes accusés aussitôt de vous conduire en « factieux » et en « subversifs » ! Au premier prétexte (et comme l’on peut en créer !) c’est toute la majesté des lois que les auteurs et les bénéficiaires de cette inversion politique tenteront de déclencher contre vous.



Potestas nominum

       Les disciples de nos philosophes du XVIIIe siècle ont cru que « les lumières » avaient fait justice du « pouvoir d’examen » exercé antérieurement par la papauté et l’Eglise. Cette idée erronée étant officiellement reçue, bien que démentie dans le fait, il est singulier de voir les socialistes et surtout les communistes après Lénine, et avec Gramsci, comprendre ce pouvoir mieux que les représentants qualifiés des civilisations qui l’avaient produit. L’action opiniâtre du communisme pour s’infiltrer dans les moyens d’expression ( media, édition) qui en principe ne sont pas régis par une orthodoxie, afin d’y usurper progressivement, en profitant des circonstances, le pouvoir des noms, a connu un succès décisif quand elle a réussi à orienter puissamment le conformisme régnant. C’est dans l’information, l’édition, l’impression, que la plus décisive des batailles invisibles se gagne ou se perd. Ce « Pouvoir des noms » a réussi au point que les communistes et les socialistes s’identifient aujourd’hui à la république, et qu’au contraire ceux qui étaient jadis en possession du titre, les « républicains sans épithète », assistent sans comprendre à leur propre expropriation, et s’en font, rien qu’en parlant et en écrivant, les complices et les artisans ! Cette Potestas nominum ne peut s’imposer que par le maniement des meilleurs canaux de communication auquel on a pu et on peut parvenir par la simple raison qu’il n’y a pas à cela d’opposition organisée, et qu’une organisation a toujours de bonnes chances de vaincre une passivité générale et des résistances individuelles et sporadiques.
     Les Soviétiques ont compensé leurs nombreuses infériorités par rapport aux Occidentaux, notamment la supériorité quant à l’économique tout entier, quant à la technologie et quant à la productivité du travail, par une compréhension remarquable d’un type de pouvoir venu de notre passé, et servi chez eux par un usage supérieur et par une aptitude remarquable et d'ailleurs apprise, aux techniques d’effraction intellectuelle. On peut leur attribuer une habileté sans précédent dans l’art de pousser, de « chauffer » un conformisme jusqu’à en tirer un rendement politique maximum.
     Il y a eu une véritable course à la nomination que la famille sinistre a gagnée d’autant plus facilement que, chose incroyable, les concurrents dits « de droite » ou du « centre », les autres coureurs, ne savaient pas qu’il y avait course, et marchaient en général à leur train habituel. C’est ainsi que communistes et socialistes, les seconds comme héritiers provisoires des premiers, se donnent pour les propriétaires de la république.
     Appelons pour simplifier ce type de processus, le processus Gramsci. L’idée en procède d’une réflexion sur la Révolution d’Octobre. Il avait fallu aux bolcheviks prendre le pouvoir pour changer le langage. Mais si par un processus inverse on prend le langage pour changer le pouvoir, le bien et le mal en politique seront en conformité avec ce langage, et le pouvoir peut se trouver non au début mais au terme du processus. Comme disent pesamment les Soviétiques, il s’agissait d’abord de délimiter un espace informationnel pour leur propagande, et un espace désinformationnel pour notre culture. Beaucoup de résultats furent obtenus.
     Ce qui vicie l’usage du langage dans toutes sortes de domaines, et la politique ne fait pas exception, c’est la tendance du psychisme humain à imaginer des êtres derrière les substantifs, à croire à ces êtres comme à des forces réelles, créant ainsi ces forces tout en s’abusant complètement. C’est ce que les spécialistes appellent la réification par le langage ; Cela permet de confondre une convention verbale avec ce qui existe réellement. Les « idoles », comme disait Bacon, chassées des sciences exactes et des sciences expérimentales, trouvent encore refuge dans les «sciences humaines», et s’épanouissent dans la politique, où pullulent, par la grâce de mots indéterminés qui sont si commodes, les énoncés vides de sens, les pseudo-problèmes et les plus grandioses mystifications de masse. Les religions séculières, même sous la forme extrêmement abâtardie qu’est le socialisme à la française, donnent lieu à des malentendus qui seraient purement comiques si la France nous était indifférente. Des effets de paronymie ravagent notre activité politique. La paronymie consiste en ceci que le récepteur reçoit un autre message que celui qu’émet l’émetteur. Le récepteur croit ce qu’il a envie de croire, ce qui contamine l’émission. Plus les prédications sont démagogiques et plus un tel «effet» est ravageur. Dans ces quiproquos menteurs on prend pour des réalités objectives ce qui ne peut se réduire qu’à des actes mentaux. Le socialisme vient derrière une très longue chaîne de phénomènes de ce type signalés depuis la protohistoire. Il y a de violents attachements affectifs à des être imaginaires, ce qui permet toujours de récuser les faits : Les échecs dans la réalisation du socialisme laissent intact le socialisme, qu’on ne peut atteindre parce que l’irréel est par définition hors de nos prises.
     Après tant d’abstractions, quelques exemples sont indispensables. En voici un. Ici l’étiquette n’est pas posée sur une personne mais sur un événement. On nous a souvent parlé à la télévision de la junte militaire polonaise, qui aurait à sa tête le général Jaruselski. En fait, le phénomène « général Jaruselski » est une invention tactique du Kremlin pour se dispenser de faire intervenir les forces soviétiques et « satellites » sur le territoire polonais. Après Budapest et Prague, et avec l’Afghanistan, cela risquait d’être dangereux pour le pouvoir kremlinesque. Cette invention tactique qui jusqu’à présent a dans son ordre relativement réussi, n’a absolument rien à voir avec le fait de sociologie historique que serait l’effective prise de pouvoir en Pologne par une junte militaire. Cette junte est bien entendu tout à fait imaginaire. Mais voilà : « junte militaire » fait penser aux généraux de l’Amérique ibérique. Ainsi, on trouvait le moyen, en parlant de « Solidarnosc », où l’agresseur est  en réalité soviétique, de détourner, par un emploi impropre et tendancieux du mot « junte », l’hostilité vers une « junte militaire » qui est une pure invention de désinformateurs. Jaruseslski en somme, n’étant qu’un Pinochet oriental, l’association junte militaire-Amérique du Sud, fichée dans nos mémoires par la répétition, jouait, et par ce moyen les sentiments agressifs ainsi manipulés à partir du signe, étaient orientés contre les généraux de l’Amérique ibérique et contre les Etats-Unis qui les soutiennent. Cherchez et vous trouverez des dizaines et des dizaines d’escroqueries mentales du même type. Autre exemple : démocratisation de l’enseignement signifie, si l’on s’avise de passer des mots aux faits qu’ils masquent, politisation sinistre de l’enseignement. D’excellents livres sont publiés là-dessus aujourd’hui. A ce sujet, ce que recouvre le mot pédagogie est mis parfaitement en lumière dans un livre récent et je ne m’y étendrai pas. Dans le cadre de cette « pédagogie », esprit critique signifie dénigrement systématique des institutions existantes au nom d’un irréel évidemment inattaquable du fait de son irréalité. Ainsi toute réforme était attribuée jadis par les paléocommunistes à la « pression » et à « l’exigence des masses. Autre exemple encore : toutes les pratiques de sectes politico-criminelles qui ne montrent que la partie émergée de l’iceberg, reçoivent un nom rassurant ; la rupture de l’Alliance atlantique sans quoi l’expansion communiste en Europe occidentale se ferait tout au moins dans un premier temps, cette rupture est souhaitée sous le nom d’indépendance nationale, alors qu’il ne s’agirait que de l’unification de la dépendance nationale.

Langue de bois et tête de bois

     Dernier exemple : dans les conversations paronymiques entre Soviétiques et Occidentaux, du type « Accords d’Helsinki », tout repose sur l’usage de mots indéterminés que chacun des deux interlocuteurs peut prendre dans un sens différent. Les Soviétiques l’expriment innocemment par exemple en statuant que par la « coexistence pacifique se développera et se renforcera la lutte idéologique contre les pays capitalistes ». En réalité il faudrait munir nos diplomates d’un dictionnaire : il s’agit d’un langage codé. Dictionnaire qui leur fait depuis longtemps cruellement défaut, et qu’il faudrait remettre périodiquement à jour.
     Une indication encore sur l’usage des mots : le rôle d’un type de discours et plus généralement le rôle du langage, est aussi capital en ce qu’il est un instrument d’exclusion active. L’emploi de certains mots permet de distinguer les « bons » et les « mauvais », donc de servir les uns et de desservir les autres à partir de ces simples signaux.
     Enfin, ultime remarque quant au langage. La détérioration du français, aussi inquiétante que celle du latin pendant le Bas-Empire, et beaucoup plus rapide, va dans le même sens que l’oubli actif, l’histoire substituée et le changement de sens des mots, dont nous avons pris au hasard des exemples. L’invasion des écoles et des quartiers de villes à la fin de ce siècle par diverses sortes d’allogènes, accélère par contagion cette défrancisation, et va dans le même sens que la déculturation s’avançant sous le masque de la prétendue pédagogie. Les mots qui s’apprennent le plus facilement dans une langue, ce sont les mots orduriers. Par un effet d’anaclise, c’est-à-dire d’attirance vers le bas, en matière de langue la mauvaise monnaie chasse la bonne, et l’action de l’école est plus horizontale que verticale au degré primaire. Coincé entre la « pédagogie » et l’allogénie, l’enfant français, quant au langage, se défrancise, et quant aux manières, se barbarise.



La conquête invisible

     Le mot « guerre » a signifié jusqu’à la Première Guerre Mondiale et pour ceux qui ne comprenaient pas très vite, jusqu’à la Seconde, une sorte de spécialisation des moyens de destruction obéissant encore, bien que de moins en moins, à des règles du jeu. Maintenant il ne faut prendre en considération que les notions d’expansion et de conquête, se présentant quand elles ont à se présenter, sous la forme de ce qu’on est convenu de nommer idéologie. En réalité, la logique qui préside à ces processus est la logique de l’action sans limites. Ce n’est pas mon sujet, mais je suis contraint d’y toucher. En fait, de la guerre supra-planétaire aux manipulations de la sémantique, du terrorisme aux grandes invasions modernes largement commencées, de l’école falsifiée aux medias criminogènes, de l’extension de la drogue aux méfaits du syndicalisme, entre des moyens de destruction variés qui tendent à recouvrir le champ actuel des possibles, on peut considérer qu’il y a une chaîne continue, dont les différents anneaux sont les différents moyens de faire prévaloir une volonté politique, et d’atteindre les objectifs successifs que se donne cette volonté. Ainsi on peut tenir pour des maillons de cette chaîne, en dehors des plus connus dont traitent les rubriques militaires des journaux, le ou les terrorismes, le ou les pacifismes, l’action sur l’économie, les techniques de déstabilisation par les diverses formes de désinformation, l’action des agents d’influence, le fait d’infuser ou de transfuser des « convictions » en aidant à constituer un conformisme ou à l’infléchir, le fait d’user des grandes orgues de la publicité pour célébrer les crimes les plus sales, poser et proposer pour modèle la crapule, dresser en excitant les ressentiments, les unes contre les autres, les différentes catégories constituant la population. Même le féminisme, ou l’action en faveur des homosexuels, peut avoir une fonction dans un tel dispositif déstabilisateur (et il ne s’agit pas ici de déterminer des responsabilités, mais de constater des faits). Il y a une foule de moyens de conquête dans lesquels la guerre dite classique ne joue aucun rôle, et contrairement aux adages anciens, on peut en finir sans faire occuper le terrain par des gens en uniforme. On peut même en partie mener des actions d’expansion et de conquête par le moyen de gens qui ignorent complètement ce qu’ils font. Une nation ou une ex-nation peut finir, et cela nous menace, par ne plus être dans son propre camp. Ceci pour faire voir que le conformisme qui correspond chronologiquement au Pouvoir intellectuel de la gauche, constitue un phénomène de première grandeur, et qu’on n’a pas coutume d’examiner dans son ensemble. Les possibilités politiques actuelles de maîtriser un tel phénomène contribuent peut-être à faire des prochaines échéances politiques des points d'arrivée ou des points de départ dont dépend l'avenir de nos enfants. Tous les maux ci-dessus énumérés peuvent passer pour divers, mais le remède ne l’est pas. Il s’appelle Volonté Politique.
     Maintenant, ce sont les socialistes qui jusqu’à nouvel ordre ont, par la grâce électorale, le rôle de chefs de la famille « sinistre ». Le socialisme est une idéologie. Si on va au fond des choses, et c’est l’essence de l’idéologie, le leader communiste ou socialiste ne justifie en dernière analyse ses actes, du moins par rapport au croyant, que par référence à une, disons, doctrine, soustraite à l’expérience, et devant laquelle c’est l’expérience qui comparaît. Par rapport à notre développement intellectuel, ce système de pensée s’apparente à ce qu’au début de ce siècle feu M. Lévy-Bruhl nommait « mentalité primitive », et qu’il attribuait abusivement aux seuls sauvages. Pour les socialistes, c'est la réalité qui est tenue de se justifier devant ce qu'on peut qualifier au mieux d'hypothèse invérifiable. Et si les socialistes sont traîtres à leur « doctrine », et qu’ils restent « représentants du peuple », c’est l’abus de confiance. Condamnés par leur propre idéologie, ils ne veulent pas entendre parler de l’exécution de la sentence. Peu leur chaut de dévaloriser un régime qui permet de telles supercheries…



La politique « autruchienne »

     Une question ne peut manquer de se poser à des auditeurs non prévenus. (Pour abréger, mettons entre parenthèses une minute la IVe République). Mais la France n’a-t-elle pas été gouvernée au moins de 1958 à 1981 par des gouvernements que nos « sinistres » nommaient « de droite », et qu’au moins dans leurs discours ils vilipendaient à ce titre ?  Ces gouvernements successifs, outre les moyens et l’influence inhérente au pouvoir, détenaient le monopole de la radio et de la télévision. Comment alors un tel conformisme a-t-il pu sévir sans entraves ? Ou bien tout ce que je viens de dire est faux, ou bien il y a là une donnée historique et en même temps sans doute prospective, de très grande conséquence. Si reviennent au pouvoir ceux qui ont été à ce point inertes devant un tel conformisme (quand ils n’en étaient pas complices), est-ce que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets ? Comment une succession de gouvernants ont-ils pu être pratiquement complaisants, ou complices d’idéologies (ne parlons pas des personnes) qui les condamnaient à terme et qu’ils aidaient au comptant ? Et comment (nous n’avons pas arrêté d’en avoir des exemples pendant toute cette période) ont-ils pu user, pour décrire la réalité, de la langue même, des mots mêmes, de ceux qui en principe les condamnaient à mort ? Comment dans l’Instruction Publique et dans l’Information, ont-ils laissé se développer les effets de ce conformisme toxique ? Comment ont-ils pratiquement admis une sorte de dyarchie, non pas territoriale, mais fonctionnelle, sinistrisme vraiment destructeur, dont les résultats commencent à ressembler à l’éclipse de la culture latine aux plus sombres jours du Bas-Empire ?
     Pour tenter d’éclairer des traits aussi décevants, on a souvent incriminé, avec raison, deux erreurs fatales. La première se résume à la proposition suivante : La pensée est au fond sans conséquence (ce que dément tout examen attentif de l’histoire). Et de la première découle la deuxième : Laissons-leur ces jouets, et occupons-nous des affaires sérieuses. Administrons. Gérons. Evitons les histoires ». Mais ils ont confondu les histoires avec l’Histoire. Avoir à la fois le monopole de la collation des grades universitaires, et le monopole de la Radio et de la Télévision, et garder ainsi la tête dans le sable, c’était une politique « autruchienne ». (Pardonnez-moi cet exécrable calembour).
     Mais le réquisitoire reste très en deçà de ce qu’il devrait être : loin de combattre avec les défenseurs des valeurs et des agrégats qui font tenir la société dont ils avaient la charge, par myopie historique, ils ont appliqué les ukases des destructeurs de ces valeurs : voyez l’école, regardez la télévision. L’idée que l’instruction publique n’était pas une affaire sérieuse, et qu’on pouvait laisser agir en toute sécurité des personnes et des groupes qui ont apparemment tenté de tordre le cou à la Culture comme Verlaine voulait tordre le cou à l’éloquence, était contraire à toute notre histoire et à la philosophie immanente à cette histoire. Certes, on n’est tenu de prendre au sérieux ni Platon, ni Montaigne, ni les grands humanistes, ni les grands jésuites, ni Renan, ni Berthelot (pour nous arrêter au XIXe siècle). Mais que des pouvoirs deviennent trop étrangers à la culture dont ils ne sont après tout qu’une expression, et la société s’achemine vers des séismes historiques ! Sylla avait épargné Athènes en disant aux Archontes : « Vos ancêtres vous sauvent ». Mais nos ancêtres ne nous sauveront pas.

Dans ces matières,  « laisser faire » l’opinion, c’est laisser faire les faiseurs d’opinion les plus experts. Cela, des décideurs politiques ne devraient pas avoir le droit de l’ignorer, ou l’impudence de feindre de l’ignorer. Il serait stérile de ne pas jeter sur une telle anomalie un coup d’œil historique. Il y a une origine traumatique à ce Pouvoir intellectuel de la gauche, à cette indigence intellectuelle de la France. Les deux expressions sont pour moi synonymes. Le renouvellement inévitable du personnel politique français après la Seconde Guerre Mondiale, compose la classe politique d’hommes parfois valeureux, souvent habiles, mais en général inexpérimentés, et peu au courant du passé. Un élan de générosité sympathique mais vague, fit la vogue de l’étiquette « socialiste ». On pensait surtout à la solidarité des Français qui avaient souffert et espéré ensemble, et parfois combattu. Cette génération politique qui n’avait pas fait ses classes, présentait, par la force des choses, un vide intellectuel que le conformisme sinistro-marxiste qui avait pour lui d’être là, se proposait à remplir. Les communistes flattèrent la génération de la résistance qui arrivait aux affaires et voyait en toute sincérité dans les communistes des patriotes un peu particuliers. Les socialistes de ce temps s’accommodèrent d’une position centrale pour eux providentielle, où les vicissitudes de l’histoire plutôt que leur action propre les avaient placés. En fait, le vide de la pensée, la défaillance de la culture ne sont pas des phénomènes sans conséquence. Nos Républiques françaises furent des régimes de monopole : monopole de l’instruction publique, monopole de la radio et de la télévision. Quand on détient de tels monopoles, on ne peut être tout à fait innocents des conformismes qu'ils véhiculent à la vitesse de la parole.

La pensée sinistro-marxiste, tantôt concentrée, tantôt en émulsion, vient remplir un vide. (Je n’appelle pas pensée ce qui passe aujourd’hui pour philosophie et qui n’est, sauf exception, qu’activité de précieux ridicules, à quoi s’ajoutent malheureusement, balourdise et cuistrerie).
Comme l’expansionnisme russo-communiste en cours ne pouvait, vu la situation géopolitique, que privilégier les méthodes lentes, le conformisme «sinistre » se fortifia progressivement, et en vint à constituer l’atmosphère même où grandirent les générations montantes. C’est peut-être actuellement le plus grand péril. Il naît et pousse en France des barbares par ablation ou falsification de la mémoire de tout un peuple, et l’envahisseur vertical (au sens de Ortega Y Gasset) ce peut être nos propres enfants. Tout un dispositif est en place. Il fonctionne. Il a fallu du temps pour en arriver là. C’est sur un pareil terreau qu’ont poussé et fleuri tant de tentations malsaines et génératrices de déboires, comme l’idée jugée à diverses reprises électoralement et politiquement rentable, d’exproprier la gauche de sa thématique, et dans un passé récent, de «vider le programme commun de son contenu ». Nous avons eu le «libéralisme avancé », qui était aussi un socialisme à petite vitesse, et les diverses conduites d’antilopes fascinées par le serpent, qui rendent si fastidieuses les redites de la campagne électorale. Et si un tel conformisme n’avait depuis longtemps gagné la tête et le cœur de l’Etat, la question des allogènes, pour ne parler que d’elle, apparaîtrait beaucoup plus claire.




Drogue en vente libre : trop tard

     On n’a pas assez remarqué que le Pouvoir intellectuel de la gauche a été, au début du septennat précédent, frappé de coups dont il ne se relèvera pas dans les mentalités des Français, et ceci sans que l’Etat et la classe politique, résolument somnolents, aient jamais rien fait pour cela (et c’est une façon modérée de parler). C’est dans la société civile et c’est par elle que le coup a porté, lorsque l’effet Soljénitsyne », répercuté par la télévision française, après les autres télévisions, vint rendre impossible tout aveuglement sur le régime soviétique, et inviter à remonter la longue chaîne qui conduisait jusqu’à Marx. Alors, mais alors seulement, ceux qui le voulurent bien ou le purent, découvrirent avec des décennies et des décennies de retard, que le marxisme ne tenait pas debout, qu’il était l’exemple le plus typique d’idéologie, et qu’il serait plus tard allégué comme repoussoir modèle dans l’enseignement consacré à l’épistémologie des sciences humaines. Comme application intellectuelle de la fameuse méthode de l’ilote ivre.
     La montée au pouvoir du «socialisme à la Française » coïncide avec l’époque (1981) où il devient impossible de cumuler le statut de «grand intellectuel » avec ce genre d’appartenance idéologique. Et la «Haute Intelligentsia » se réveilla dans la situation du drogué qui, à peine désintoxiqué, s’entend notifier que la drogue est désormais en vente libre. Réflexe de nantis, ou stoïcisme de sages ? Inhibition subite de cobayes pour psychologues, immobilisés net parce que deux pulsions de signe contraire s’annulent réciproquement ? Toujours est-il qu’un silence de plomb s’abattit sur la haute volière intellectuelle. L’Elysée dut se contenter de ceux qui ne disent pas non : des morts, des étrangers, de vagues doublures. L’intelligence de l’Intelligentsia fut tardive.



Thérapeutique de la lumière

     Ce trop long exposé peut sembler « défaitiste ». Il n’en est rien. Il n’y a pas de thérapeutique sans clinique. Nous sommes dans un domaine où les entreprises les plus audacieuses ne réussissent que parce que tous ceux qui ont la force et les moyens d’y mettre le holà, ne croient pas à la réalité de ce qui devrait leur crever les yeux. Cependant la thérapeutique de la lumière est souveraine. Il est de certaines matières où quand on sait, on ne peut plus se comporter comme si on ne savait pas. Qu’est-ce, après tout, que ce conformisme si longuement décrit, sinon une oblitération de la perception historique. Pour que se soit édifiée cette forme moderne de l’obscurantisme, il fallait que les choses en valussent la peine. Des réponses préfabriquées étaient à la disposition de tous, une histoire refaite, un jugement refait, un champ visuel expurgé. Si les moyens d’expression, tous les moyens d’expression, si l’enseignement, si les surmultiplicateurs du langage, ne sont plus maniés par des exécutants médiatiques qui sont le bras séculier du conformisme destructeur, alors, mais alors seulement, il sera permis de nous retrouver. Ce ne sera pas facile. Ce peut être long. Et pour cela, Français, il faut que vous comptiez d’abord sur vous-mêmes. Après tout, il suffit que ce ne soit pas impossible.



Résistance moléculaire

     Si ce n’est pas fait, si les « rigidités » qui s’y opposent ne sont pas écartées, on n’en finira pas avec cinquante ans de socialisme. Mais il fallait commencer par le commencement : éclairer une des fondations même de notre socialisme, sur laquelle, si elle reste en place, il se réédifiera, ou il y aura autre chose qui s’appellera d’un autre nom et qui ne vaudra pas mieux.
     Les Grecs anciens appelaient Kairos le moment favorable qui survient parfois dans l’histoire, et qui est comme le signe qu’un dieu fait à une Cité. C’est le moment à saisir. Peut-être ne se retrouvera-t-il plus jamais. Si nous savons le saisir et si nous savons agir sur tous les champs parfaitement connus et éclairés où l’action, et même le début du succès, est possible, alors il est possible aussi de repousser cette forme contemporaine de « la Bêtise au front de taureau » dont je viens d’indiquer les traits signalétiques. Et qu’on ne s’y trompe pas. Nous n’avons pas besoin d’avoir une idéologie parce que nous sommes une culture.
     Certes, la lutte pour remettre à l’endroit un conformisme inverti, harcelante et quotidienne, semble un comble d’humilité quand la guerre des étoiles est à l’ordre du jour : c’est pourtant là que se joue pour nous la partie décisive. Et rien ne peut être durablement acquis, si, des palais nationaux aux « chez soi » de tous les Français, ce conformisme « sinistre » n’est incessamment balayé par la lumière des projecteurs. Nous devons nous y mettre tous.
     Il n’est pas facile de faire basculer un tel conformisme, et il y a des coups à recevoir. Je dis seulement que c’est une nécessité française.
     Il convient que chacun d’entre nous s’attaque à ce conformisme inverti partout où il le rencontre, c’est-à-dire partout : dans les phrases, les opinions, les conduites, les contraintes. Résistance quotidienne. Moléculaire. La seule efficace.
     Mais c’est chose à faire, et non seulement à dire.     


La Guerre en question, Suite.




Retour du balancier

     La mise en accusation de l’Occident était quasi générale naguère. Maintenant un mouvement de retour du balancier existe. Plus nous en prendrons conscience, plus grande en sera l’amplitude. 
     Je ne puis m’attacher à fixer que quelques points. Il faut les choisir tels qu’ils puissent vous suggérer la figure tout entière. La prise de conscience d’un fait historique de cette nature fait elle-même partie de l’événement, en précise la forme, et en accroît les dimensions
     La mauvaise conscience occidentale – ce remarquable phénomène historique et collectif de la deuxième moitié du XXe siècle – s’est donc mise à décroître, comme en témoignent maintenant tant de travaux et d’analyses venus d’horizons différents et parfois opposés. Comment en était-on arrivé là ?
     Pour se servir d’une comparaison illuminante, tout s’était passé comme s’il y avait eu formation d’une sorte de surmoi occidental, sadique et de tendance autodestructrice. Dans un souci de clarté  je transpose cette notion psychologique de surmoi sur le plan collectif. Le surmoi, en jargon psychanalytique, c’est cette partie du moi qui fait la morale au reste.
     Pendant des décennies, par la voix de ses organes d’expression et de communication, par ses media, l’Occident s’est diffamé lui-même avec un acharnement sans exemple, sinon celui des processions de flagellants qui semblaient faire à notre Moyen-Age déclinant une sorte de service funèbre inconscient. Mais revenons à cette épidémie de culpabilisme dont, comme le montre notamment notre réunion ici, nous sommes en train de sortir. L’occidental adulte était convié à se plonger dans ce qu’un psychiâtre appelle « l’univers morbide de la faute ». En prenant pleinement conscience de ses responsabilités, il était invité à prendre conscience  en toute occasion de torts graves que ses pères auraient commis un peu partout sur la terre, et qu’il devrait s’activer à réparer dans la mesure – toujours très insuffisante, soulignait-on - du possible. Tout se passe comme si, avec ce phénomène, on avait affaire à une historicisation du péché originel, mis au goût, ou plutôt au dégoût, du jour. Cette réactivation, et cette laïcisation discrète d’une notion religieuse, laïcisation qui comme toute laïcisation, est une trahison, a été dirigée, déviée et exploitée. Finalement elle doit beaucoup à l’art, c’est-à-dire à des techniques d’action psychologique.
L’édification au XXe siècle de cette « culpabilité occidentale », est une haute performance de ce qu’on nomme à l’Ecole de Guerre l’ « Action Psychologique », étant bien entendu qu’action signifie agression et conquête, mais sans aucun appareil guerrier. Il s’agit d’obtenir les résultats d’une guerre victorieuse sans la faire. Dans notre siècle paradoxal, non seulement la « non-bataille », mais la « non-guerre », peut être le meilleur accès à la victoire. Les armes nouvelles de notre époque (le nucléaire, les fusées) en vertu d’un potentiel destructeur sans précédent, enlèvent à la notion de victoire la signification qu’elle avait auparavant. L’enjeu de la guerre peut être détruit par la guerre. Nous subissons là comme ailleurs une sorte de crise des définitions. Disons que ce qu’on a pu obtenir jusqu’à la mi-XXe siècle par les guerres « classiques », s’obtient autrement. C’est du moins ce que tend à prouver le processus ici évoqué. Et, bien que les moyens de destruction militaires n’aient jamais été si puissants qu’à notre époque, ils ont avant tout le sens d’une assurance. Type d’assurance lui-même inédit. Les plus grandes puissances sont armées d’armes hyperboliques qui sont jusqu’ici des armes de précaution. Les maîtres de la Russie dite soviétique sont aussi, ou plus exactement ont été et sont encore, mais de moins en moins, les réels meneurs de ce jeu. Ce que leur surarmement est destiné à garantir, c’est que, dans le cas où l’adversaire, leur adversaire, c’est-à-dire non pas les Etats-Unis seuls, mais aussi nous, Europe, c’est que leur adversaire, se sentant graduellement vaincu, non pas dans la guerre, mais dans un système nouveau qui a remplacé la guerre et qui attend le nom que nous lui donnerons, c’est que l’adversaire, se sentant sur le point d’être vaincu dans cette longue épreuve de fond, ait recours à la guerre militaire. Il y a en effet des précédents où un dogmatisme fanatique et conquérant peut être stoppé net par l’usage d’une technologie de pointe. Les ingénieurs byzantins en arrêtant les flottes de l’Islam avec le feu grégeois ont retardé d’un demi-millénaire la chute de Constantinople. Mais le cas actuel est fort différent ; les deux « superpuissances » disposent jusqu’ici de moyens techniques du même ordre d’efficacité. Et le surarmement d’une superpuissance ne peut jouer à plein le rôle dissuasif qui en est en principe la raison d’être. La destruction mutuelle assurée est d’un prix trop élevé pour tout le monde, et le partenaire qui  voudrait avoir recours aux modes d’action du passé, à ce que nous appelions jusqu’en 1945 la grande guerre, la guerre militaire maximale, doit être ramené à ce jeu actuel de la conquête sans massacre, où, au bout de processus divers et combinés, il y a peut-être la victoire.



Transformations de l’art de vaincre.

     Il ne faut pas oublier que l’apport du marxisme appliqué ne se situe ni dans l’économique – il serait cruel d’insister – ni même dans le religieux. Dans le domaine du dogmatisme activiste, l’Islam, et même le Christianisme au temps des guerres de religion, a été plus loin. L’apport propre du marxisme appliqué, disons du marxisme réel, relève d’une discipline générale, d’un genre, dont, si l’on pense avec rigueur, les sciences et arts de la guerre  ne constituent qu’une espèce. On pourrait le nommer Polémique, ce qui entraînerait des confusions de langage. Disons plus simplement que c’est l’art de vaincre. La guerre mondiale simultanée et généralisée qui a donné lieu aux deux expériences meurtrières de la première moitié du XXe siècle, est devenue un moyen trop coûteux pour l’humanité, à quelque camp qu’elle appartienne. Trop coûteux et ne menant en aucun cas à la victoire. Le camp survivant – et dans quel état ! – aurait le monde entier, la reconstruction du monde entier « sur les bras ». Et c’est à peu près la plus désastreuse des opérations qu’on puisse concevoir. Les meilleures têtes du Kremlin ont apparemment compris ce problème – ce qui n’exclut pas du tout çà et là les guerres, petites et moyennes (au contraire) mais seulement la guerre mondiale, qui est en train de devenir plus un sujet académique qu’une éventualité immédiate ou prochaine.
     Les sociétés occidentales du fait de leur extrême complexité, de leur caractère composite et de leur fonctionnement délicat, présentent un indice de vulnérabilité élevé. Tant sur le plan horizontal ou géographique, c’est-à-dire sur celui de la coexistence des peuples divers sur la terre, que sur le plan vertical ou sociologique, celui de la stratification et de la différenciation à l’intérieur d’une même société, l’histoire que nous vivons divise à chaque époque les hommes en « catégories bénéficiaires » et en « catégories victimes ». Peu importe que, sur le plan objectif, ces qualificatifs soient ou non mérités, il suffit de parler de catégories qui  s’estiment soit l’un soit l’autre. L’acquit historique de ce que j’appellerai le « marxisme appliqué », non le marxisme qu’on dit mais celui qu’on fait, est – l’Occident pris dans sa totalité étant ce qu’il est – d’envenimer autant que possible les différences et d’empoisonner les disparités qui s’y troouvent, bref de monter avec succès le grand cheval de bataille des inégalités, étant entendu que les inégalités qui règnent chez  eux  sont beaucoup plus rigides et implacables que celles qu’on rencontre ici.
     Il ne s’agit pas là d’une invention proprement dite. Les puissances historiques ont eu pour habitude de provoquer et d’entretenir la discorde chez l’ennemi. Mais le caractère systématique, mondial, et supposant le fonctionnement d’une organisation elle-même systématique et mondiale, le caractère généralisé, c’est-à-dire n’omettant aucune possibilité conflictuelle sur la planète, suffit à établir l’originalité historique du premier, et sans doute du seul totalitarisme de l’histoire (si on prend les mots dans un sens rigoureux). L’insuffisance technique des sociétés qui ont précédé la nôtre ne permettait pas un vrai totalitarisme. Aucun despote jusqu’à nos jours ne pouvait surveiller scientifiquement ses sujets. On pourrait définir l’Occident comme la culture, comme le type de civilisation qui est menacé dans son essence même par un tel défi.
     Mais la pleine compréhension par nous de ce défi, j’entends une compréhension généralisée  ou en voie de généralisation, est relativement récente, et n’est pas, loin de là, vraiment générale dans nos sociétés. Je ne suis pas le seul à avoir expliqué ces choses depuis presque un demi-siècle, mais sans doute fallait-il pour qu’une telle compréhension ait pleinement lieu, que les faits aient permis à tous les esprits au moins moyennement doués, d’éliminer successivement toutes les interprétations-échappatoires, et d’avoir été ramenés à la seule hypothèse qui a tenu assez pour devenir certitude.



La guerre seule ne peut pas « faire la décision »

     L’esprit occidental, caractérisé par le prix qu’il apporte à l’objectivité, et au fait qu’un des signes distinctifs qu’il porte est une volonté de vérité, à qui il doit les avancées scientifiques et techniques sans précédent qui le placent dans le peloton de tête de l’histoire, l’esprit occidental, l’Occident, est tenu d’examiner ses principales faiblesses. Je pense qu’il est de taille à les neutraliser, du moins quant au conflit en cours.
     Le processus qui est imposé à l’Occident et qui remplace depuis 1945 les guerres mondiales de la première moitié du siècle, maintient la finalité de la guerre, qui est d’imposer à l’ennemi sa volonté, mais considère que le moyen par excellence des époques antérieures, la guerre au sens qu’elle a encore chez Clausewitz, n’est plus, étant donné l’évolution des technologies et des psychologies, le moyen principal de la victoire. Le paradoxe de notre temps, c’est que si l’on s’en remettait uniquement à ce grand moyen du passé, on parviendrait à la « destruction mutuelle assurée » (je traduis l’expression américaine). L’ampleur des moyens du « camp adverse » vide la notion de victoire de toute signification, et cela est vrai des deux « camps ». Certes le monde n’est pas, ne sera pas, dans un avenir proche, en paix, mais les guerres au sens que le mot a eu jusqu’à présent, ne peuvent avoir qu’une fonction d’auxiliaire et d’adjuvant. Il est possible qu’un ensemble d’opérations militaires conclue un conflit mondial, mais il est désormais exclu qu’il fasse à lui seul la décision.
     Nous traiterons donc non de guerre mais de moyens de conquête. Ce mot même d’ailleurs change de sens, et se subtilise. Il ne s’agit pas, du moins d’abord, de conquêtes de terres, de villes, d’océans etc…
     Il n’y a pas d’histoire, par exemple pas de résistance efficace, ni d’esprit d’initiative conquérant, sans qu’il y ait des actes qui s’enchaînent et qui nous semblent le produit de facteurs psychologiques, lesquels ne sont révélés réellement que par les résultats constatés. Mais l’acte n’est que l’aboutissement d’un processus psychologique. Lorsque nous remontons en sens inverse, à partir de l’acte, un tel processus psychologique, la zone que nous atteignons, et sur laquelle nous ne pouvons avoir que des informations indirectes, nous l’appelons zone des motivations. Les actes humains se forment là comme les pluies se forment à partir des nuages. Eh bien ! ce  que l’ennemi entend contrôler et diriger, c’est cette zone des motivations, cette partie du processus psychologique, dont l’acte n’est que la phase terminale. Cette mainmise sur les motivations est le seul moyen de contrôler l’acte à coup sûr. Certes, tous les grands manieurs d’hommes, les mystiques et les politiques, les fondateurs d’empire ou de religion, ont ainsi opéré. Mais ils l’ont fait en vertu d’un charisme dont ils étaient porteurs, non en vertu d’un système appris, comme les spécialistes des organisations communistes, et des organisations qui imitent les communistes.
     Ne vous y trompez pas, je ne critique pas les moyens et les systèmes de défense de l’Occident, qui sont formidables, mais l’esprit qui est, ou plutôt qui n’est pas, ou qui n’est pas assez, derrière eux, et sans lequel ces moyens pourraient devenir inopérants.



La diffamation des mobiles

     Si nous examinons avec une complète objectivité, comme nous savons le faire dans nos laboratoires, ce processus dans lequel nous sommes engagés, en privilégiant la perspective stratégique, nous percevons que la finalité, le but de la culpabilisation, lorsqu’elle se révèle à l’analyse comme un effet cherché, c’est la paralysie des moyens de victoire, c’est-à-dire de survie de l’Occident.. Car l’infériorité économique, pour ne parler que d’elle, du totalitarisme de l’Est, lui fait craindre, à juste titre selon moi, de ne pas pouvoir résister à une longue confrontation pacifique. C’est pourquoi ses dirigeants font de très forts investissements de matière grise et de moyens matériels dans la destruction psychologique, morale et si possible sociologique, de l’Occident, par tous les moyens – ici sans aucun esprit de système – qui peuvent contribuer à une telle fin. Ce qui signifie qu’aujourd’hui pour vaincre, l’Entreprise communiste use d’une grande variété de moyens parmi lesquels les partis communistes, loin d’être les plus efficaces, font de plus en plus figure d’épouvantails de diversion.
     Tout le monde connaît, du moins dans l’abstrait, la « désinformation », « l’intoxication », le jeu des « agents d’influence », et l’ingérence permanente « hyperhabile » qui exploite les « zizanies », les accroît et travaille à la discorde chez l’ennemi à l’âge électronique, bref, « la déstabilisation ». Mais l’arme principale de la panoplie psychologique reste encore une méthode dont la culpabilisation ne constitue qu’un cas particulier et qu’il faut appeler la diffamation des mobiles. J’entends diffamation au sens fort. C’est l’opération par laquelle un individu ou une classe (au sens taxinomique du terme ) une classe d’hommes, doivent être convaincus que les mobiles qui faisaient agir leurs pères étaient des mobiles bas, déshonorants, et tels qu’ils ont eux, les fils, une immensité de torts à réparer. Tout se passe comme s’il s’agissait d’injecter aux Occidentaux non communistes une forte dose de péché originel supplémentaire. Des résultats remarquables ont déjà été obtenus chez les chrétiens. Le succès, même s’il est loin d’être total, d’une telle opération, pose à long ou moyen terme à l’Occident un problème de survie. D’autant plus que l’Islam en révolution semble immunisé contre ce genre de contagion.
     Pour être mieux compris, nous nous plaçons ici du point de vue des fauteurs de guerre. Il s’agit pour eux d’agir sur des dispositions psychologiques qui existent, mais qui, si elles ne sont pas aidées, ne peuvent d’elles-mêmes obtenir le résultat historique cherché, résultat extrêmement ambitieux, qui est de paralyser les défenses immunitaires de l’Occident, d’obtenir comme dans certains arts martiaux, que l’ennemi qui serait plus fort que vous s’il utilisait sa force contre vous, utilise cette force contre lui-même. Ceux qui commandent  et pratiquent  une telle action psychologique savent qu’eux ne pourraient pas venir à bout de l’Occident, mais que l’Occident seul peut venir à bout de lui-même.
     On peut dire qu’une première tentative a échoué : c’était de convertir au communisme des groupes déterminants des « pays avancés ». La civilisation occidentale n’allait pas assez mal pour qu’une telle opération réussisse. Il semble que la première génération de révolutionnaires professionnels bolcheviks ait cru la chose possible. Toutes les techniques psychologiques mises en œuvre l’ont été consciemment au début, en vue de cette conversion au communisme. La dogmatique communiste, ou les versions exportables de cette dogmatique, n’a trouvé de terrain favorable que dans ce qu’on appelle le tiers monde. Dans les pays « avancés » elles n’ont pu s’implanter que dans la mesure où les difficultés ou maladresses dans l’institutionnalisation du changement historique, semblaient réaliser la théorie de Marx des hommes qui étaient  dans la société, mais non de la société. Cependant l’intégration du « secteur secondaire », et la venue d’un « secteur tertiaire » grandissant vite et fort dans nos sociétés, démodaient lentement ce marxisme et tendaient à faire des vrais « religionnaires marxistes » une espèce de schizophrènes historiques.





Socialistes: survivre à la doctrine

     Il ne faut pas oublier que ce que nous appelons en France socialisme quand nous disons que nous venons d’avoir des gouvernements socialistes, que nous avons encore un Président de la République socialiste, ce « socialisme » entre guillemets dont la nocivité est indéniable, n’existerait pas s’il n’existait pas de communisme. Dès la scission de Tours, le socialisme s’est installé dans le domaine de l’illusion (de la self deception) laissée en France, et non seulement en France, par l’adoption au Congrès de Tours du communisme des Bolcheviks, ce « marxisme sauce tartare ». Le socialisme français, la « section française de la 2ème Internationale » (évoquons ici des noms comme celui de Léon Blum) c’était la Doctrine, protégée des horreurs de la réalité, c’était le vrai modèle de ce qui, certes, avait été imprudemment entrepris par les Bolcheviks russes, sortes de conspirateurs malappris et sans rhétorique, dans un empire despotique et encore à demi barbare, mais que, à les entendre, seuls les leaders socialistes des pays civilisés comme la France, réaliseraient. L’opportunisme temporaire (en théorie) des partisans de Blum qui serait, il n’en fallait pas douter, racheté au centuple dans « l’avenir radieux », permettait, sans coup férir, à des « socialistes » d’être des parties prenantes et même très prenantes, de la classe politique en possession d’état, tout en battant la grosse caisse du rêve collectif.  Situation confortable, et je ne parle pas seulement du confort intellectuel ! Le problème qui a beaucoup changé en 1986, est pour les mêmes, ou plutôt pour leurs successeurs, de garder les avantages d’un siècle et plus, de démagogie, tout en se débarrassant prestement de la défroque doctrinale qui avait permis en des temps plus crédules quelques succès électoraux. Il se peut que le socialisme aille bientôt rejoindre au débarras de l'histoire la  «  dictature du prolétariat ». Le socialisme, mais non les socialistes. Il est manifeste que le grand rêve actuel de tous les « importants » du socialisme est de survivre à la doctrine. Ce qui ne signifie nullement pour nous qu’il ne faut pas liquider le passif que nos plus récents socialistes laissent à la France. Certes, nos socialistes prennent une plus grande virulence du fait que les communistes existent , que les communistes ont une forte organisation et une très redoutable malfaisance syndicale. (C’est ce qui jusqu’à présent a interdit au « socialisme français » d’être une simple « social-démocratie »).
     Il y a plus d’un demi-siècle aujourd’hui que la tentation de conquête du monde au XXe siècle par l’organisation logocratique et impériale nommée communisme a commencé. Le mouvement de déculpabilisation de l’Occident qui aujourd’hui a, tant en Europe qu’en Amérique, de plus en plus d’exposants autorisés, nous fait voir que, bien que les techniques de guerre psychologique dont je viens de parler n’aient jamais été systématiquement combattues, bien qu’elles ne se soient jamais heurtées en Occident qu’à des résistances sporadiques et dispersées, on peut dire que ces techniques n’ont pas réussi, et que ce que j’ai appelé une supériorité d’armement psychologique sans précédent, en dépit d’irrécusables succès communistes, n’a pas gagné. Or, à partir du moment où de tels procédés sont analysés, où ils subissent la lumière des projecteurs de l’esprit, et où chez nous un nombre suffisant de personnes voient, le temps ne joue plus en faveur des « agresseurs psychologiques ».
     Je suis bien placé pour procéder à une telle constatation. J’ai décrit jadis, et analysé, les moyens de cette entreprise de conquête, alors que beaucoup n’étaient encore qu’embryonnaires, en 1951, dans un livre intitulé « La Guerre en question », qui rencontra à cette époque et continua longtemps par la suite à rencontrer en France, un déni d’intelligence et même un déni de perception tout à fait remarquables. Il en fut ainsi pendant longtemps. Assez de faits incontestables n’étaient point parvenus à la connaissance d’assez de personnes pour qu’on puisse comparer la description générale que j’en faisais et l’histoire que l’Occident vivait et a continué à vivre. En 35 ans, cette action de conquête psychologique ayant échoué dans tous les grands pays civilisés, en dépit des dégâts très considérables qu’elle ne cesse de leur infliger, il convient d’examiner certains des points faibles et certains des points forts de l’Occident, dans un esprit de contre-offensive.

L’idéologie communiste vaincue par l’intelligence occidentale

     Le fait que l’Entreprise logocratique et impériale dite soviétique ne soit pas parvenue en plus d’un demi-siècle à gagner, a permis à ce qui est peut-être un reflux de cycle long, de se produire. Le développement des dispositions psychologiques qui trouvent leur expression culminante dans l’esprit scientifique, ne permet pas à une imposture (idéologie se faisant passer pour science) de ne pas être, au bout d’un certain temps, corrodée et détruite par les moyens intellectuels qui sont les nôtres. A moins que cette idéologie ne fasse partie intégrante de la formule politique d’une logocratie impériale, bref d’un totalitarisme, et qu’à ce titre elle soit une condition d’identité, et par là même d’existence. (Il en est ainsi en URSS mais non en Europe occidentale). La fin poursuivie par le totalitarisme est d’interdire absolument les initiatives imprévisibles qui caractérisent notre société civile. Dans ce totalitarisme, il ne saurait y avoir de société civile extérieure à l’Etat. Toutes les activités qui, chez nous, se produisent dans la société civile, sont là-bas monopolisées, sont internes à la machine de l’Etat. Mais l’idéologie obligatoire au pays d’Alexandre Zinoviev ne fut protégée à l’Ouest du « rideau de fer », et particulièrement en France, que par les sentiments troubles qu’elle inspirait et qu’elle inspire encore. Il y entre de la peur et une fascination que je n’ai pas à examiner ici. Là-dessus, les écrits et les biographies des plus grands intellectuels de gauche du XXe siècle ne manqueront pas d’édifier la postérité. Mais quarante ans de conformisme sinistre ne constituent pas une défense suffisante contre ce solvant d’idéologie qu’est notre intelligence. L’action convergente de l’esprit critique appliqué à toute espèce de marxisme,  et de la révélation des faits en matière d’histoire soviétique ( les progrès technologiques - satellites etc…- nous permettaient de les mieux connaître) aboutit à une double défaite des so-called « révolutionnaires », à savoir la déconfiture doctrinale du marxisme, et la destruction de l’image de la métropole du socialisme. L’action communiste était menée au nom d’une justice distributive que les logocrates régnant là-bas bafouent chez eux. Et leur Nomenklatura était et est plus arbitraire que notre Etablissement, bien qu’elle soit moins statique et qu’à des yeux complaisants elle puisse passer pour une méritocratie. La faillite du socialisme « scientifique » (on ne peut aujourd’hui s’y convertir ou feindre de le faire que dans certaines parties du tiers monde, mais pour combien de temps encore ?) la faillite du « socialisme scientifique », il ne faut pas se le dissimuler, ne nuit pas autant qu’on pourrait l’imaginer à l’Entreprise qu’on appelle toujours communiste, l’Empire logocratique subsistant intégralement en tant que superpuissance. Sans les armes hyperboliques, pour plus de sûreté braquées sur nous, SS 20 etc.. le rire eût déjà en France fait justice du communisme. Mais les fusées qui nous menacent – même virtuellement neutralisées par les fusées américaines, au moins quant à l’effet d’intimidation – sont un incontestable facteur de sérieux.
     La déconfiture du « socialisme scientifique » n’entrave donc pas la poursuite de la « guerre sans la guerre » dont nous avons indiqué le principe, baptisée par ceux qui la menaient « exploitation systématique des contradictions internes des sociétés capitalistes et bourgeoises ». Des contradictions durables et en quelque sorte structurelles, et des contradictions qu’on pourrait dire conjoncturelles, et qui sont proprement historiques en ce sens que leur apparition sur le devant de la scène contribue à caractériser une époque. Nous passerons en revue certaines de ces « contradictions », nous n’avons pas le temps ici de les analyser dans leurs implications réciproques, nous nous contenterons de les nommer. Nous commencerons, paradoxalement, par les secondes.



Le temps des assassins.

D’abord les terroristes, sous des formes diverses. Ils sont une constante de l’histoire, mais c’est une question de quantité. Ils constituent actuellement un phénomène de grande ampleur. Nettement depuis le XIXe siècle et la montée en Europe des nationalités, les terrorismes ont été pratiqués par des groupes humains qui  s’estimaient victimes de l’histoire. A l’exception du terrorisme russe anti-tsariste qui partageait en principe l’idéal socialiste des conspirateurs mencheviks et bolcheviks, lesquels privilégiaient d’autres moyens, non pour des motifs éthiques, mais parce qu’ils estimaient que le terrorisme qui ne fait que des victimes et des dégâts ponctuels, ne peut pas détruire un système, ce qui est vrai. La péninsule balkanique et l’Irlande fournissaient au XIXe siècle les modèles du genre. C’étaient des terrorismes pauvres en dépit des subsides, par exemple, d’Irlandais et de Balkaniques établis aux Etats-Unis. Le XXe siècle, surtout à partir de la Deuxième Guerre Mondiale, multiplie ces groupes victimes de l’histoire. Par leur quantité et leur diversité, ils en viennent à constituer virtuellement un moyen de choix pour les grands exploiteurs de contradictions internes. Il existe une véritable main d’œuvre de l’assassinat. Même des Etats ne se cachent pas d’avoir choisi ainsi la moins coûteuse des formes de guerre. Le système totalitaire rend extrêmement difficile le terrorisme sur les terres qu’il contrôle, et il mène l’action psychologique dont j’ai parlé plus haut sur les parties du monde qui lui échappent. Bien que, en principe, chaque formation terroriste n’ait dès l’origine visé que ses cibles historiques propres, elle peut mettre ses capacités professionnelles dans des cas chaque fois déterminés, au service de puissances susceptibles de l’armer, de la former et de l’entretenir, de mettre à sa disposition pendant un temps limité des moyens illimités. Il y a ainsi création d’une sorte de marché non seulement de l’assassinat et de la terreur, mais encore des effets politiques de la terreur dans les sociétés démocratiques, ouvertes et humanitaires, dans des « sociétés de sécurité sociale » comme la nôtre. Apparaît donc la possibilité de manœuvrer par la terreur, et par la crainte de la terreur, des sociétés théoriquement invulnérables à des agressions classiques. C’est un aspect important de l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle. Et l’extraordinaire avantage d’un tel système est l’impunité de ceux qui lui donnent (entraînement, armement, subsides, refuges) les moyens de fonctionner, c’est-à-dire d’exister. Sans moyens, sans logistique et sans « médiatique », il n’y a plus d’ « attentats terroristes ». Tout au plus des faits divers.
La résurgence historique d’une partie de l’Islam mettant en pratique la philosophie politique des Assassins (le mot français vient éthymologiquement de là) ne menace jusqu’à présent que les nations occidentales (en raison de l’impérialisme devenu un mythe). Jusqu’à présent, l’arme terroriste n’a joué que dans un sens anti-occidental. Bien que des peuples islamiques soient englobés dans l’empire logocratique. Un changement est possible, mais aucun signe annonciateur sérieux n’a, à ma connaissance, encore été enregistré (mais je ne suis pas spécialiste). L’Empire Soviétique est peut-être fêlé comme le vase de Sully Prudhomme, mais non pas « éclaté » comme le dit Mme Carrère d’Encausse.



Echec de la décolonisation

     L’aide aux « peuples opprimés par l’impérialisme » figure dans la constitution de l’Union Soviétique. L’intervention « soviétique » par les moyens les plus appropriés est en quelque sorte statutaire. L’évacuation par l’Angleterre, la France, la Hollande, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, de presque tous les pays d’outre-mer sur lesquels flottait leur drapeau (ce qui est conceptualisé sous le terme impropre de décolonisation) a produit certains résultats qui n’étaient pas imprévisibles. L’Afrique, continent « monarchique » lorsqu’il était laissé à lui-même, comme l’ont remarqué les meilleurs ethnographes, de Frobenius à Löwie, s’est vue imposer un découpage reproduisant les frontières en usage chez les puissances ex-coloniales, frontières qui délimitaient non des nations, des peuples, ou même des tribus, mais des zones d’influence. Un étatisme sans Etat, des nationalismes sans nation, des régimes représentatifs sans nécessités profondes, suffisaient déjà à entretenir un climat d’instabilité, aggravé par les entreprises, ingérences et manipulations dues à la logocratie impériale dite « soviétique », qui arme les « mouvements de libération ». Une seule puissance appartenant à la civilisation occidentale subsiste, l’Afrique du Sud, qui, du fait qu’elle maintient comme elle peut sa spécificité, est, théoriquement, en proie à la réprobation mondiale. En fait, des mesures discriminatoires d’ethnie à ethnie sur le continent africain sont plutôt la règle que l’exception. Mais la « conscience universelle » ne les condamne qu'en République Sud-Africaine.
     Cette période, dite de la décolonisation, s’est traduite par des avancées stratégiques de l’Empire logocratique, notamment en Ethiopie, au Yemen, et dans les ex-colonies portugaises au Sud de l’équateur. Ainsi, ce qu’on nomme ici « décolonisation » aura permis un interventionnisme mondial accru du Kremlin, qui se sert des Cubains, et de ses satellites comme les souverains européens du XIVe au XVIIIe siècles se servaient des mercenaires allemands et suisses.
     L’Afrique manquant de cadres et de techniciens en général résout très mal les problèmes posés par le développement et les remèdes à trouver à l’absence de développement. D’où un exode vers les villes, un immense chômage et un déclin de la production agricole qui ne concerne pas des puissances protectrices qui n’existent plus, et des institutions internationales qui, pour autant qu’elles existent, sont pour toutes sortes de raisons très inégales à de pareilles tâches. Nous tentons encore cependant d’aider nos amis de notre mieux.
     De plus, la baisse des moyens d’encadrer des populations que les techniques médicales européennes avaient fait croître en supprimant l’implacable régulation des grandes épidémies, des famines et des guerres d’extermination tribales, crée un exode de populations du Sud vers le Nord, dont les économies européennes ont profité un certain temps, mais dont les Etats, et surtout l’Etat français, n’ont pas su réglementer le cours par le moyen de contrats de travail renouvelables à durée limitée, avec retours prévus, et constitution de pécules grâce aux cotisations de ces  travailleurs temporaires.



L’invasion permanente.

     Plus généralement, notre classe politique n’a guère été clairvoyante quant à ce qu’on peut appeler les grandes invasions du XXe siècle. Ceux qui sont des familiers de l’histoire savent que la plupart du temps les barbares se sont présentés très humblement aux frontières de l’Empire Romain. De ce point de vue, la pétition du Roi des Wisigoths à l’Empereur Valens en 376 après Jésus-Christ est restée célèbre. Elle n’était pas la première de ce genre. Ces barbares cherchaient du travail. Le travail principal était la guerre. On eut des armées barbares. Le système ne paraissait pas mauvais et les ressortissants de l’empire ne firent guère preuve de « racisme » si l’on en croit les historiens. Ils finirent par être submergés. Dans la fameuse bataille des Champs Catalauniques, il y avait des barbares dans les deux camps. Seul le général en chef, le patrice Aetius, était romain. Mutatis mutandis, comme activité principale nos sociétés n’ont pas la guerre mais le travail. Il est difficile de ne pas trouver saisissante une certaine analogie de situation.
     Ces problèmes méritent d’être pensés. A ma connaissance, en France, dans l’actuel régime, aucune institution disposant des moyens nécessaires n’en est chargée. Nous avons besoin d’un Directoire de Civilisation pour mettre en commun les ressources intellectuelles de l’Occident, afin de résoudre les problèmes qui sont propres à la partie commune de nos cultures diverses. Le fanatisme islamique, les masses d’immigrés et de Français de papier, le terrorisme international tel qu’il se manifeste aujourd’hui, l’action de la logocratie impériale de l’Est, les dérives sinistres des confessions chrétiennes, qui résistent au marxisme beaucoup plus mal que l’Islam, n’y a-t-il pas là comme un dépôt stratifié de matières inflammables, et le rôle de politiques dignes de ce nom ne serait-il pas de déconnecter, de dissocier les divers éléments d’une conflagration possible, de désamorcer cette bombe mondiale ? L’impératif primordial qui conditionne la survie des « unités politiques », des nations dans une « guerre de civilisation », c’est l’impératif de dissociation des fléaux, ce qui suppose, outre la présence à la tête des Etats de politiques dignes de ce nom, un degré de concertation entre les nations composant l’Occident, qui est loin, très loin, d’être donné.
      Ces maux et ces menaces propres à notre époque, que nous appelons historiques (les économistes diraient conjoncturels) et qui donnent lieu à des agressions elles-mêmes historiques, c’est–à-dire situées et datées, se détachent sur fond d’agression permanente, c’est-à-dire d’une exploitation systématique des contradictions occidentales qu’on pourrait dire « structurelles ».
     La politisation de l’existence humaine tout entière par le fanatisme, le dogmatisme activiste qui est l’apanage des « sinistres » en général et des marxistes en particulier, a installé en France, pour ne parler que de la France, à l’intérieur de l’école une autre école, à l’intérieur de l’enseignement un contre-enseignement. Les enseignants « sinistres » sacrifient l’intégrité des notions qu’ils ont à enseigner en les déviant, les gauchissant. Ils endoctrinent plus qu’ils n’enseignent. Sur long parcours, il s’agit d’une formidable opération de déculturation, et de démoralisation, et à la limite, de décivilisation.
     En même temps l’action des media est partie intégrante de l’action terroriste. Que vaudrait un attentat qui serait ignoré ? Un article quelconque n’est vendable que si l’on sait qu’il existe.
     Enfin l’aboutissement de l’action psychologique de longue durée menée contre nous, est de casser la transmission qui est une condition de la vie historique des sociétés et des cultures. C’est la plus grande réussite des « techniques psychagogiques ». Les individus ainsi traités n’ont plus « autant d’identité » que leurs pères. On tend à en faire des « hommes instantanés », régis par des modes, des hommes discontinus où au cinéma de l’actualité, un film chasse l’autre. Ce complot permanent contre la mémoire n’est pas le moindre fléau de ce temps.
     Cependant les noms des « agrégats » qui font tenir les sociétés humaines dans la mesure où ils ne disparaissent pas du vocabulaire, sont chargés de connotations de plus en plus péjoratives. Ce mal est remédiable, et des « responsables » qui n’auraient pas la volonté d’y remédier, ne peuvent avoir de nationaux que le nom.
     C’est ainsi que sont désagrégés les mythes fondateurs de notre histoire – toute histoire en a – remplacés par des abstractions. Et comment pourrait-on respecter une différence, si l’on a insuffisamment conscience d’une identité ?



L’Occident ne peut être vaincu que par lui-même.

      Après l’évaporation en Europe du « socialisme scientifique », la destruction de la civilisation occidentale devient pour la logocratie impériale dite soviétique une fin en soi. Il ne s’agit pas ici de haute culture. Notre civilisation telle qu’elle est, par le fait seul qu’elle existe, soumet la Nomenklatura soviétique à l’épreuve permanente de la comparaison. La société de consommation à une époque de grande circulation des images, constitue une provocation permanente pour une Nomenklatura qui tient là-bas sa légitimité originelle du « socialisme », et qui ne peut se permettre comme le font volontiers d’éminents socialistes français, de jeter la doctrine aux orties.

     Quant au fond, la vérité d’évidence concernant l’infériorité économique du système de décision économique centralisé, ne peut plus échapper à personne. L’économie de marché n’a plus de détracteurs systématiques depuis qu’on a vraiment essayé l’autre. Le dynamisme de l’économie de marché provient du fait que des énergies en grand nombre peuvent se déployer dans l’initiative, l’invention, le changement. Le système à décision économique centralisée ne prélève et ne met en jeu dans le pays où il sévit, qu’une petite partie de cette énergie employable. Un tel malthusianisme est en partie compensé par le marché noir qui traduit la résistance d’une société devant une politique d’appauvrissement systématique.
     L’économie libérale fut une création historique de l’Europe : les physiocrates, puis les économistes comprirent que le fait de ne pas entraver les énergies du vivant en quête de ce qu’il recherche pour vivre, augmentait la somme des biens disponibles, et ils découvrirent qu’il y avait des régulations « naturelles » (formation des prix, etc…). Le fait que les résultats dans l’ordre de la distribution, révélaient des disparités souvent brutales, posait  un problème nouveau dont la solution par approximation ne pouvait et ne peut passer en tout état de cause – et c’est l’erreur cardinale des socialismes – par la suppression partielle de la richesse inégalement partagée, suppression immanquablement consécutive à l’énorme déficit d’énergie psychologique qu’entraîne l’exercice de la décision économique centralisée. Ce genre de solution se réduit ou se réduirait à un déni d’intelligence : pour mieux répartir, supprimer une partie de ce qu’il y aurait à répartir. Le constructiviste – infantile -  est porté à « couper ce qui dépasse ».
     Un despotisme, un totalitarisme peuvent faire disparaître une évidence. Mais non à jamais. La logocratie impériale « soviétique » n’avait qu’un temps limité pour dominer le monde. Ce temps est épuisé. Même si elle sortait victorieuse d’une grande épreuve historique future, cela ne prouverait rien en faveur de dogmes irrémédiablement caducs. En fait l’impératif occidental de vérité et d’objectivité est à la source de tous les succès scientifiques et techniques de toutes nos nations apparentées et de la civilisation qu'elles forment.
     L’ « action psychologique » visant un autre point faible de nos sociétés, le culte de l’égalité, a remporté plus de succès. Elle a fait échec bien des fois à l’application d’une politique des ressources rares portant sur la « matière grise » ou, beaucoup plus exactement, sur les hommes supérieurs dans un domaine donné. La montée des médiocres, la percée d’élites sans caractère, autant de coups que nous nous portons à nous-mêmes. Jointe à la submersion par des vagues d’allogènes chez qui les dispositions psychologiques qui ont, du XVIème au XXe siècles, assuré la prééminence mondiale de l’Europe, ne peuvent pas être postulées à coup sûr, cette haine maniaque des supériorités est, certes, efficace pour dénaturer nos sociétés. Mais on ne voit pas, en dépit d’indéniables efforts et d’irrécusables succès, qu’elle puisse être suffisante  pour emporter la décision. Là encore, l’ « action psychologique » adverse n’a pas remporté le succès décisif.
     Autre point faible : combien a nui à la France la propension de ses élites à ce que Taine appelle la politique déductive, et Hayek le constructivisme : le fait de ne pas savoir que les lois suivant lesquelles se forment et se succèdent les processus de pensée, et les lois selon lesquelles s’enchaînent les événements ne se confondent absolument pas !
     Autre faiblesse : le fait pour la France de tendre à être une organocratie, c’est-à-dire un Etat de fonctionnaires, une société à la discrétion des fonctionnaires (par exemple : ils redeviennent fonctionnaires après avoir été députés ou sénateurs, privilège contraire à la formule politique du régime constitutionnel pluraliste dont la Vème République est une variante). Voilà qui nous rapproche, dans la taxinomie des formes politiques, de la société soviétique telle que la décrit Alexandre Zinoviev, et qui montre qu’on peut aboutir à un régime totalitaire sans prendre pour point de départ une révolution. Tout notre socialisme politique, qui n’est qu’un étatisme économique, n’est-il pas fondé sur un tel postulat que nos démagogues habillent de couleurs plus  avenantes ?
     Un autre défaut de nos sociétés, plus perturbateur encore, les met en péril. C’est d’ailleurs celui qui a rendu possible la formation du surmoi autodestructeur que nous combattons : avec le développement des media, notre civilisation a été littéralement décontenancée par une de ses performances les plus remarquables. La classe politique et les élites n’échappent pas, loin de là, aux effets perturbateurs de ce phénomène caractéristique de notre époque. Qu’un pouvoir politique domine les media, et on le voit s’intoxiquer de sa propre propagande ; qu’au contraire il les laisse faire, et on le voit, comme aux Etats-Unis à la fin de la guerre du Vietnam, ou lors du scandale du Watergate, se laisser traîner dans la boue par des gens irresponsables qui n’ont pas une formation intellectuelle et morale assez forte pour équilibrer chez eux les tentations du vedettariat. Ces « hommes médiatiques » sont les nouveaux riches du Pouvoir. Le génie occidental a produit des effets qu’il ne maîtrise pas. En sorte que la communication qui est le terrain sur lequel pourraient être vaincues les techniques psychologiques de diffamation des mobiles, est au pire l’instrument même de cette diffamation, au mieux un pouvoir sauvage qui inculque aux politiciens médusés par les media le langage avec lequel il trahiront leur propre civilisation et se trahiront eux-mêmes. Par media interposés, il arrive que nos gouvernants se laissent imposer le langage même qui sape leur pouvoir et détruit leur avenir et le nôtre. Tel leader prononce, à l’occasion, des paroles d’une imbécillité dostoïevskienne.
     Enfin, je ne voudrais pas ne pas vous avoir parlé de la carence la plus grave de l’Occident, la carence du sacré. Bergson voyait dans l’Univers une machine à faire des Dieux, Pascal pensait que l’homme passe infiniment l’homme, Nietzsche le voyait comme une corde tendue entre l’animalité et la surhumanité. Il est certain que nous appelons une renaissance du sacré, et qu’une telle renaissance ne pourrait être contenue par quelque dogme que ce soit. Sans doute la future élite religieuse du XXIème siècle se cherche-t-elle dans les confessions et en dehors d’elles, et contre les dogmes, et sans doute l’Occident peut répondre aux périls qui le menacent par des fondations d’Ordres et des Chevaleries nouvelles.
     Mais il faut détourner le regard de l’horizon pour le ramener plus près de nous. Certes, l’hédonisme lourd qui fait peser sur nous sa loi devra être contenu, c’est une question de survie pour notre culture. Et il faut que je revienne ici à ce que j’ai dit il y a trente-cinq ans dans « La Guerre en question ». Il s’agit toujours d’une immense partie jouée par deux joueurs, mais un des joueurs n’a pas à proprement parler de tête, c’est l’Occident. La supériorité stratégique de l’Est, c’est qu’il a une tête. Le Politburo ou ceux qui y font la loi, ont l’échiquier devant les yeux, et cet échiquier est celui de la guerre-Protée où on peut répondre à un coup par un coup tout autre. La réponse pouvant être très différente du stimulus et située très loin. Le joueur d’en face, nous, a beaucoup de têtes si l’on veut, mais plutôt minuscules. Pourtant il n’a pas encore été vaincu. Le terrorisme incite les nations civilisées à se donner une sorte de directoire, un organe sans précédent historique afin que se constitue le joueur « Occident ». Cela n’implique ni identification, ni mélange de cultures, ni renonciation politique. Il n’y a en Europe occidentale et aux Etats-Unis que des nations historiquement fortes. Les conflits d’intérêts et les concurrences économiques qui opposent ces nations, doivent se poursuivre selon leurs propres lois. Une certaine standardisation des méthodes de combat « sans guerre », laisse intacte l’originalité des mœurs, des coutumes et des mythes. Mais en définitive, le joueur Occident ne gagnera la partie du siècle que s’il existe.
     Cette question ne concerne pas seulement les « unités politiques » ou « Polities », les nations, mais la civilisation qu’elles constituent ensemble. L’Occident, jadis, ne s’était pas délivré par le seul effort des royaumes, mais aussi par celui des Ordres religieux et combattants, qui recrutaient, sans tenir compte des frontières intra-européennes, les élites chevaleresques de la Respublica christiana. Les Polonais, les Teutoniques, les Hongrois, les Impériaux à l’Est, les Français, vainqueurs des barbaresques au Sud, ont tracé jadis les frontières à l’intérieur desquelles s’est élevée l’Europe. Les techniques sont plus nouvelles que les situations.



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PRECISIONS



I - La constitution du mythe «Fascisme»:

Colloque du Club de l'Horloge des 26 et 27 novembre 1983, à Paris.  On peut trouver toutes les communications de ce colloque dans l'ouvrage: Le Club de l'Horloge: Socialisme et Fascisme, une même famille, Paris, 1984.

II - Culpabilisation du sentiment national

III - Patriotisme de civilisation

Université de Printemps du Club de l'Horloge, Nice (28,29 et 30 avril, 1985).  On peut trouver toutes les communications présentées à cette «Ùniversité de Printemps» dans l'ouvrage: L'identité de la France, Paris, 1985.

IV - Du Pouvoir intellectuel de la gauche, vivisection d'un conformisme:

Paris, 12ème colloque du Club de l'Horloge: Rompre avec cinquante ans de socialisme 1936-1986.  Les communications de ce colloque ont été publiées dans la revue «Contrepoint» no spécial 52-53.

V - La Guerre en question (suite):

Communication faite à l'Université de Printemps du Club de l'Horloge, à Nice, du 1er au 4 mai 1986.







TABLE DES MATIERES


 TOC \t "thierry01;2;thierry00;1" 
LA CONSTITUTION DU MYTHE « FASCISME » EN FRANCE ET L'UTILISATION POLITIQUE DE CE MYTHE PAGEREF _TOC464734020 \H 3

FASCISME : UN MOT CHARGÉ PAGEREF _TOC464734021 \H 4
L'INFAMIE CONTAGIEUSE PAGEREF _TOC464734022 \H 4
LES TRANSFERTS D'EXÉCRATION PAGEREF _TOC464734023 \H 5
LE POUVOIR SÉMANTIQUE PAGEREF _TOC464734024 \H 6
LA CENSURE EN ACTION PAGEREF _TOC464734025 \H 7
MAIN BASSE SUR LA MORALE PAGEREF _TOC464734026 \H 8
SOCIALISTES ET COMMUNISTES PAGEREF _TOC464734027 \H 8
LA MAUVAISE CONSCIENCE COMME GAZ PARALYSANT PAGEREF _TOC464734028 \H 9
REFLUX DES « GRANDES SOTTISES COLLECTIVES » PAGEREF _TOC464734029 \H 9

LA CULPABILISATION DU SENTIMENT NATIONAL PAGEREF _TOC464734030 \H 11

ALLIAGE FORT ET QUI RÉSISTE AU TEMPS PAGEREF _TOC464734031 \H 11
MOTS PARIAS PAGEREF _TOC464734032 \H 11
FONCTION DU MYTHE « TIERS MONDE » PAGEREF _TOC464734033 \H 12
COLONIALISMELES SOPHISMES DE LA MAUVAISE CONSCIENCE PAGEREF _TOC464734034 \H 13
CLASSE MESSIE ET BON SAUVAGE : UNE FUSION DE FANTASMES PAGEREF _TOC464734035 \H 14
CULPABILISME ET CHRISTO-MARXISME PAGEREF _TOC464734036 \H 15
L'ESCROQUERIE AU RACISME PAGEREF _TOC464734037 \H 15
UNE DONNÉE ACTUELLE DU PROBLÈME FRANÇAIS PAGEREF _TOC464734038 \H 17

PATRIOTISME DE CIVILISATION PAGEREF _TOC464734039 \H 17

LA LOI EN FRANCE PAGEREF _TOC464734040 \H 17
UN SENTIMENT D'APPARTENANCE PAGEREF _TOC464734041 \H 18
SOUVERAINETÉ DUN « RAMASSIS » PAGEREF _TOC464734042 \H 19
PRÉFÉRENCE OCCIDENTALE PAGEREF _TOC464734043 \H 19

DU POUVOIR INTELLECTUEL DE LA GAUCHE, VIVISECTION D'UN CONFORMISME PAGEREF _TOC464734044 \H 21

IL S'AGIT BIEN DE « POUVOIR ». PAGEREF _TOC464734045 \H 21
INVERSION DU CONFORMISME PAGEREF _TOC464734046 \H 23
IMPRÉGNATION « SINISTRE » PAGEREF _TOC464734047 \H 23
APPROPRIATION DE LA RÉPUBLIQUE PAGEREF _TOC464734048 \H 24
DU NOYAUTAGE À LA DOMINATION PAGEREF _TOC464734049 \H 25
DE LA REPRODUCTION CHEZ LES « CRYPTOS » PAGEREF _TOC464734050 \H 26
« INTELLECTUELS », « ELITE INTELLECTUELLE » : NE PAS CONFONDRE. PAGEREF _TOC464734051 \H 26
L'ABLATION DE LA MÉMOIRE PAGEREF _TOC464734052 \H 27
LE LANGAGE PIÉGÉ PAGEREF _TOC464734053 \H 28
POTESTAS NOMINUM PAGEREF _TOC464734054 \H 29
LANGUE DE BOIS ET TÊTE DE BOIS PAGEREF _TOC464734055 \H 31
LA CONQUÊTE INVISIBLE PAGEREF _TOC464734056 \H 31
LA POLITIQUE « AUTRUCHIENNE » PAGEREF _TOC464734057 \H 32
DROGUE EN VENTE LIBRE : TROP TARD PAGEREF _TOC464734058 \H 34
THÉRAPEUTIQUE DE LA LUMIÈRE PAGEREF _TOC464734059 \H 34
RÉSISTANCE MOLÉCULAIRE PAGEREF _TOC464734060 \H 34

LA GUERRE EN QUESTION, SUITE PAGEREF _TOC464734061 \H 36

RETOUR DU BALANCIER PAGEREF _TOC464734062 \H 36
TRANSFORMATIONS DE LART DE VAINCRE. PAGEREF _TOC464734063 \H 37
LA GUERRE SEULE NE PEUT PAS « FAIRE LA DÉCISION » PAGEREF _TOC464734064 \H 38
LA DIFFAMATION DES MOBILES PAGEREF _TOC464734065 \H 38
SOCIALISTES: SURVIVRE À LA DOCTRINE PAGEREF _TOC464734066 \H 39
L’IDÉOLOGIE COMMUNISTE VAINCUE PAR LINTELLIGENCE OCCIDENTALE PAGEREF _TOC464734067 \H 40
LE TEMPS DES ASSASSINS. PAGEREF _TOC464734068 \H 41
ECHEC DE LA DÉCOLONISATION PAGEREF _TOC464734069 \H 42
L’INVASION PERMANENTE. PAGEREF _TOC464734070 \H 42
L’OCCIDENT NE PEUT ÊTRE VAINCU QUE PAR LUI-MÊME. PAGEREF _TOC464734071 \H 43

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 Isabelle Stal et Françoise Thom, L’école des barbares, Paris, 1985.
 Idem.
 Op. Cit.
 Personne ne peut sans une naïveté confinant à la connivence, pousser le conformisme (ou plutôt l’aveuglement) jusqu’à ignorer les actions de guerre souterraine programmées et ordonnées au sommet de la pyramide impériale «soviétique » et s’exerçant à l’intérieur de la France au moyen des actes et des conduites de divers exécutants placés à tous les niveaux de l’échelle sociale, degrés supérieurs compris,  et dont nous négligerons ici les particularités psychologiques.
La France de la deuxième moitié du XXle siècle bat vraisemblablement le record historique de la non-résistance à la trahison. Une nation, prise comme telle peut-elle être suicidaire ?
Voir le livre de Thierry Wolton, Le K.G.B. en France, Grasset, Paris 1985.
On peut dire qu’il y a dans cet ouvrage – qui est fort loin d’être complet – un bouquet de faits éclairants. Les remarques sociologiques,  (par exemple celles que je suis en train de faire) sont comme une monnaie fiduciaire dont les faits historiques constituent l’encaisse-or. De ces faits nous ne connaissons qu’un échantillonnage.



Désintox, au secours de la France décérébrée.                                                              
                                                               


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Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

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