Pierre VERHAS
Trop
Jamais
dans l’histoire européenne, en dehors de périodes d’occupations
étrangères, un pays n’a subi un tel diktat provenant de l’extérieur. Les
plans drastiques d’austérité imposés à la Grèce par ce qu’on appelle
la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds
Monétaire international) sont ratifiés quasi dans l’immédiat par une
majorité de parlementaires qui y sont contraints.
Ce phénomène inquiétant ébranle des principes de base de la vie commune. Le premier étant la souveraineté, le second le processus démocratique de décision, le troisième est la solidarité.
Aucun traité ne donnait jusqu’à présent de pouvoirs à la troïka... C’est une sorte de gouvernement supranational né de la crise de la dette souveraine, qui sert en fait d’exécuteur de basses œuvres au remboursement aux créanciers – c’est-à-dire les banques privées – des Etats endettés, aujourd’hui la Grèce. Il impose des plans de remboursements accompagnés de « cures » d’austérité, sans aucun pouvoir de contrôle de l’Etat débiteur, il pratique un chantage à l’aide financière vitale pour ce pays virtuellement en faillite. Il ne tolère aucune discussion. En réalité, ce gouvernement n’a pas d’armée, mais il possède une arme de destruction massive : l’argent.
Ainsi, la souveraineté est tuée et le processus démocratique de décision paralysé. Face au chantage à l’aide financière, les instances démocratiques sont contraintes de s’incliner.
La grande gueule de Daniel Cohn Bendit qui, s’il est très médiatisé, ne représente qu’un groupe minoritaire au Parlement européen, a dénoncé « les talibans néolibéraux qui règnent en Europe ». Très bien ! Il a mis du temps à s’en apercevoir : il oublie qu’il a milité pour le modèle libéral européen figurant dans tous les traités depuis Maastricht. Et puis, il sait bien qu’aucune formation politique importante représentée à cette Assemblée ne le prendra au sérieux. C’est ce genre de contradiction qui affaiblit toute opposition à la doctrine dominante. Le temps n’est plus à la démagogie ! D’autant plus que notre Dany fort dérougi justifiera quelques jours plus tard le fameux MES (Mécanisme Européen de Stabilité, autrement dit, le deuxième volet du traité « Merkozy » )…
Le 12 février, le Parlement grec a adopté le nouveau plan de rigueur préparé par le ministre des Finances Evangélos Vénizelos à la demande de la troïka afin de débloquer un nouveau prêt de 130 milliards d’euros à Athènes. Le plan sera présenté le 15 février à l’Eurogroupe, dont le feu vert est nécessaire pour que la Grèce puisse lancer une offre publique de restructuration de sa dette auprès de ses créanciers privés, le 17. Le plan prévoit une réduction de 22 % du salaire minimum (ramené à 586 euros brut sur 14 mois), la suppression de 15 000 emplois publics en 2012, de nouvelles coupes dans les retraites complémentaires et dans les salaires des fonctionnaires, ainsi que la réduction du budget de la sécurité sociale et de l’armée et la privatisation de quatre entreprises d’Etat.
N’est-ce pas volontaire ? Réduction des salaires, suppression d’emplois publics, privatisation. Ces plans sont appliqués partout où passent les « talibans néolibéraux ». En effet, ce n’est pas nouveau. À chaque fois que des plans de restructuration sont imposés de l’extérieur, ils vont dans le même sens. Cela a commencé en 1973, après le coup d’Etat au Chili. Les « talibans » étaient à l’époque les « golden boys » de l’école de Chicago.
L’austérité imposée par la force à la Grèce, mais aussi, pour bientôt, à tous les Etats de la zone Euro est absurde. L’économiste Jean-Paul Fitoussi dans le « Monde » du 16 février explique : « Ce tête à queue des stratégies européennes - lutter contre une insuffisance de la demande par une politique d’austérité aux fins d’augmenter l’offre – est pour le moins énigmatique. » Pas tellement, M. Fitoussi ! Cette politique absurde, violente, destructrice ne fait-elle partie d’une stratégie bien élaborée ? Difficile de répondre, mais il est clair que tout va dans la même direction et qu’aucune force politique importante n’essaye d’y changer quoi que ce soit.
En tout cas, tous s’accordent pour admettre que le dernier plan infligé à la Grèce est le plus violent d’entre tous. Certains, comme l’Italien Monti, pensent même qu’on est allé trop loin. Logique : nul n’a envie de voir éclater une révolution dans son pays !
Mais, dans une belle unanimité, le mécanisme est adopté par l’Eurogroupe le 21 février.
Ces traités, ces plans, ces nouvelles mesures, de quoi s’agit-il exactement ?
Le plan « Merkozy » était inscrit dans l’évolution européenne depuis longtemps. Il se trouvait déjà dans le pacte dit « de stabilité et de croissance » (PSC) dont le texte a été adopté au Conseil européen d’Amsterdam en 1997, cinq ans après le traité de Maastricht qui fonde l’Euro.
Ce pacte est un instrument de contrainte et de coordination des politiques budgétaires des pays de la zone Euro afin d’éviter des déficits budgétaires excessifs. Il impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Le PSC comporte deux types de dispositions :
La surveillance multilatérale, disposition préventive : les États de la zone euro présentent leurs objectifs budgétaires à moyen terme dans un programme de stabilité actualisé chaque année. Un système d’alerte rapide permet au Conseil Ecofin, réunissant les ministres de l’Économie et des Finances de l’Union, d’adresser une recommandation à un État en cas de dérapage budgétaire.
La procédure des déficits excessifs, disposition contraignante, voire répressive. Elle est enclenchée dès qu’un État dépasse le critère de déficit public, c’est-à-dire les soldes budgétaires cumulés des administrations centrales, locales et de sécurité sociale. fixé à 3 % du PIB, sauf circonstances exceptionnelles. Le Conseil Ecofin adresse alors des recommandations pour que l’État mette fin à cette situation. Si tel n’est pas le cas, le Conseil peut prendre des sanctions : dépôt auprès de la BCE qui peut devenir une amende à payer au Trésor Public une somme d’argent fixée par la loi. (de 0,2 à 0,5 % PIB de l’État en question) si le déficit excessif n’est pas comblé.
Une déclaration annexée à l’Acte final du traité de Lisbonne laisse prévoir une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, sans préjuger néanmoins du débat futur sur l’avenir de ce Pacte. Ce Pacte de stabilité n’a pas été appliqué jusqu’à la crise grecque à la demande de l’Allemagne et de la France… les deux pays qui l’avaient inspiré ! Cependant, le PSC reste toujours en vigueur selon sa mouture initiale.
La crise de la dette souveraine l’a réveillé. Le 28 septembre 2011, le Parlement européen approuvait six textes – le fameux « six packs » - qui ont été officiellement adoptés le 16 novembre par le Conseil et qui renforcent le pacte de stabilité. On a parlé à ce moment-là de la fondation d’une « gouvernance économique européenne ». Ce « six packs » est composé de six textes qui comportent trois dispositions principales.
1/ renforcement du pacte de stabilité et de croissance ainsi que pour le volet sanctions
Les trois premiers textes cherchent à améliorer le pacte de stabilité et de croissance et de renforcer les sanctions inhérentes à ce pacte.
2/ création de la procédure de déséquilibre macro-économique
Ensuite, deux textes ajoutent de nouveaux instruments car les règles de vie commune dans la zone euro ne couvraient pas les réalités macro-économiques. Par exemple, en ce qui concerne l’Espagne et de l’Irlande qui respectaient très bien la discipline budgétaire imposée par l’Europe et qui ont été mis en difficulté suite à l’endettement privé après l’éclatement d’une bulle immobilière en Espagne et de l’endettement d’une banque en Irlande. Il s’agit du contrôle des déséquilibres macro-économiques.
3/ renforcement des cadres budgétaires nationaux
Le sixième texte est une directive que les Etats membres devront transposer dans leur droit interne. Il les invite à améliorer leur cadre budgétaire national. Par exemple : avoir des instituts statistiques indépendants, des organes de contrôle des finances publiques indépendants pour vérifier que les hypothèses de croissance émises par le gouvernement sont réalistes, etc.
Outre le renforcement des sanctions en matière budgétaire, ces dispositions visent à socialiser les dettes privées. C’est ce qu’il s’était passé avec les dettes des banques en 2008 et qui a eu pour conséquence un accroissement considérable de la dette publique et par conséquent, le service de la dette augmente le déficit de l’Etat.
Tout est d’ailleurs orienté sur la problématique de la dette, donc de l’intérêt du secteur bancaire. Ainsi, il est introduit une notion de « seuil d’alerte » sur certains indicateurs économiques. Ce seuil d’alerte vise à prévenir et à corriger des déséquilibres macroéconomiques susceptibles de nuire à la sacro-sainte stabilité de l’UE.
Ainsi, en matière d’échanges commerciaux, le seuil est fixé à 4% du PIB pour une balance déficitaire, et à 6% du PIB dans le cas contraire, où l’Etat aurait un excédent courant. Donc, il y a une clémence envers les pays exportateurs. Cela concerne évidemment l’Allemagne.
Des seuils sont fixés pour les flux de crédits au secteur privé (15 %), la hausse annuelle du prix de l’immobilier (6 %), le taux de chômage, etc.
Le dernier volet concerne les outils de surveillance économique, comme les instituts de statistique, par exemple, qui doivent être « indépendants », donc privés.
Ce fameux dispositif « six packs » ne fonde pas une politique européenne commune. Il encadre la politique économique de chaque Etat-membre dans des limites qui constituent des garanties dans l’intérêt des seules banques. Il ne constitue en rien un instrument européen de redressement économique. Le PSC renforcé par le « six packs » comporte le mot « croissance ». Ce terme n’apparaît nulle part dans ce nouveau fourre-tout règlementaire. Ce n’est pas un hasard ! D’autre part, les outils de surveillance sont privatisés et seront donc ainsi au service du seul secteur bancaire.
Avec de pareilles dispositions, il est inutile de pousser des cris d’orfraie à l’égard des fameuses agences de notation…
On peut d’ailleurs s’apercevoir ce qu’est cette mentalité bancaire. C’est proprement ahurissant dans cet exemple.
Ahurissant !
Voici la réponse purement technocratique du Français Benoît Cœuré, nouveau membre du directoire de la BCE, à l’interview de Jean Quatremer, correspondant de « Libération » à Bruxelles à la question sur l’injustice de la différence du taux des prêts de la BCE aux Etats et aux banques privées dénoncée il y a quelques semaines par Michel Rocard et l’économiste Pierre Larrouturou : « Les prêts de la BCE aux banques ne sont pas de même nature que ceux que les banques commerciales consentent à l’économie ou aux Etats. Les premiers sont, pour l’essentiel, des prêts à très court terme (…). Surtout, ce sont des prêts parfaitement sécurisés (…). En revanche, les prêts aux Etats sont souvent à beaucoup plus long terme, parfois jusqu’à trente ou cinquante ans. Et ils présentent de plus grands risques… » Quand on voit l’état de certaines banques en Europe, notamment Dexia, il est assez audacieux de parler de « sécurité » ! Il ressort de ces propos une haine viscérale de l’Etat étant considéré comme un facteur à risques. Plus grave, l’intérêt général est absent de cette analyse d’un financier qui ne voit que le court terme.
Le sauvetage ne peut venir de ces gens-là. L’indépendance de la BCE accordée par le traité de Maastricht est une erreur majeure. Ce M. Cœuré parle en banquier du secteur privé, comme si l’Institution qu’il codirige était un organisme financier ordinaire.
En fait, tout cela n’a rien à voir avec la construction européenne. C’est la mise en place d’un pouvoir supranational associé au tout puissant secteur bancaire. Son embryon existe déjà : on l’appelle la « troïka ».
Un traité inutile et dangereux
En plus, cela ne marche pas. Ces nouvelles réglementations n’apportent aucune solution à la crise de la dette souveraine. Elles ne sont là que pour garantir la survie du secteur bancaire et les intérêts de quelques Etats-membres de l’Union. Le refus obstiné de Merkel de mettre en œuvre les euro-obligations, les difficultés de mise en place du Fonds européen de Solidarité financière ont amené le tandem « Merkozy » à imposer l’adoption d’un nouveau traité intitulé Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) et le « Mécanisme Européen de Solidarité » (MES) qui étaient discutés depuis juillet 2011 et adopté par le Conseil le 2 février 2012.
Ce nouveau traité est inutile et dangereux. Il est inutile car le « six packs » a déjà largement renforcé le pouvoir coercitif de la Commission en matière de « discipline » budgétaire.
Il est dangereux car il met en place un système intergouvernemental et met en pièces la méthode communautaire et tout ce qui est commun au niveau de l’Union européenne. La Commission européenne dont le rôle est d’être la « gardienne des traités » devient à la fois la police et le tribunal des Etats-membres. Il faut dire que cela ne gêne en rien certains commissaires comme le Finnois Olli Rehn, chargé des affaires économiques.
Ce projet de Traité prévoit :
d’abaisser le plafond du déficit budgétaire à 0.5% du PIB, laissant toutefois la procédure de sanction pour déficit excessif applicable aux seuls déficits supérieurs à 3% du PIB.
d’obliger les Etats signataires à mettre en place une règle d’or constitutionnelle obligeant ces derniers au respect du plafond des 0,5%,
la remise à la Commission d’un programme de partenariat économique par les Etats faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif,
le renforcement de la nouvelle procédure de décision, dite à la "majorité inversée" ([1]), réduite aux seuls membres de la zone euro,
une procédure visant à ce que toutes les grandes réformes de politique économique envisagées par les États membres de la zone euro soient débattues et coordonnées au niveau de la zone euro.
Le MES est dit : c’est la troïka.
Le second volet est le Mécanisme Européen de Stabilité, ou MES adopté définitivement le 2 février 2012. Il complète le TSCG et pour en faire partie, les Etats doivent appliquer les mesures d’austérité budgétaire inscrite dans le Traité.
Doté de la personnalité juridique, le MES pourra ester en justice. Le MES, dont le siège est fixé à Luxembourg, est doté du statut d’une institution financière internationale bénéficiant des immunités dont jouissent les institutions internationales. Il n’a donc aucun compte à rendre ni au Parlement européen, ni aux parlements nationaux, ni aux citoyens des Etats membres et ne peut en aucun cas faire l’objet de poursuites. Il est exempté de toute obligation imposée par la législation d’un Etat Membre. Le MES, ses biens, fonds et avoirs jouissent de l’immunité de toute forme de procédure judiciaire.
Le but du MES est de « mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité, » un soutien à la stabilité d’un de ses Etats membres qui connaît des graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité financière de la zone euro. A cette fin, il est autorisé à lever des fonds. Son capital est fixé à 700 Milliards d’euros.
Les Etats Membres, par ce traité, s’engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à fournir leur contribution au capital du MES. Ils s’engagent à verser les fonds demandés par le MES.
Lorsqu’un Etat Membre sollicite une demande de soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne en liaison avec la Banque Centrale Européenne (BCE) qui est chargée d’évaluer le risque pour la stabilité de la zone euro, d’évaluer, en collaboration avec le FMI – autrement dit la troïka – la viabilité de l’endettement public du pays demandeur et d’évaluer les besoins réels de financement de ce dernier. On voit ici que, par le biais du MES, la troïka est institutionnalisée.
Lorsque le MES décide d’octroyer un soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne, en liaison avec la BCE et le FMI, qui négocie avec l’Etat demandeur les conditions dont est assorti ce soutien. Cette négociation doit s’inscrire dans le respect du Pacte budgétaire (TSCG). La troïka est chargée du respect des conditions imposées.
Les gouvernements signataires de ce traité ont créé un monstre institutionnel contre lequel les Etats eux–mêmes et à fortiori les peuples seront désormais totalement impuissants. Ainsi se poursuit, sous la pression du monde de la finance et des affaires, le démembrement du siège de la souveraineté populaire, l’Etat, au profit d’institutions échappant à tout contrôle.
Ce projet signifie tout simplement la fin du politique. Limiter les déficits à 0,5 % du PIB par une disposition constitutionnelle – la fameuse « règle d’or » - revient à entraver tout pouvoir politique. C’est fondamentalement contraire aux principes démocratiques de base qui veulent qu’une Assemblée élue au suffrage universel – donc, représentant le peuple – puisse décider de toutes les dispositions qu’elle juge nécessaire à sa politique. La limitation des déficits inscrite au niveau des lois fondamentales, revient à exclure tout investissement public, toute disposition nouvelle en matière de sécurité sociale, par exemple.
Ces deux traités MES et TSCG confirment que la construction européenne s’est définitivement éloignée de l’idéal démocratique. Ils instaurent une totale mise sous tutelle financière et budgétaire des Etats et des peuples, sans qu’il y ait pour autant une souveraineté européenne.
Un fédéralisme de contrainte
On n’arrête pas de dire que cette avalanche de nouvelles réglementations renforce le « fédéralisme ». Il faudrait s’entendre sur ce mot. Le « fédéralisme », ce n’est pas simplement le transfert de la souveraineté nationale vers une entité supranationale.
Cette politique renforce le déficit démocratique, notamment par la règle de la « majorité inversée » qui donne à la Commission des pouvoirs exorbitants (voir note 1) sans aucun contrôle. En plus de mettre sous tutelle des Etats membres aux déficits estimés trop élevés, il divise l’Europe en deux, puisque le processus de décision ne sera pas le même pour les Etats membres de la zone Euro et les autres. Enfin, selon de nombreux juristes, ce nouveau traité ne respecte pas les traités européens existants. Cela peut tout simplement signifier la fin de l’Europe.
En réalité, La crise financière débouche sur la perspective d’une Union Européenne à deux niveaux : l’un fédéral (la Communauté) avec les Etats qui choisissent la monnaie unique au prix de la perte d’une part plus grande que jamais de leur souveraineté ; l’autre confédéral (l’Union) avec tous les autres préférant rester dans une simple zone intergouvernementale de libre-échange. Ce pouvoir « fédéral » limité aux Etats de la zone Euro serait en fait un « fédéralisme de contrainte » donnant tout pouvoir aux marchés aidés par une police « eurocrate », sans aucun contrôle parlementaire, ce qui est contraire à l’idée fédéraliste.
Vers la fin de l’Europe ?
Le projet des traités « Merkozy » annonce déjà une division de l’Union puisque deux pays n’y adhérent pas : la Grande Bretagne et la Tchéquie. Le vrai-faux ballon d’oxygène accordé à la Grèce le 20 février ne changera sans doute rien. Les diktats de la « troïka » amèneront sans doute la Grèce à sortir de la zone Euro, le gouvernement allemand le souhaitant manifestement. Cela signifie l’expulsion d’un Etat membre, puisque les dispositions relatives à la monnaie unique sont la base du traité de Maastricht confirmé par les traités suivants jusqu’à celui de Lisbonne. L’absence de deux Etats membres dans le projet de nouveau traité et l’expulsion d’un autre ne peut que signifier la fin de l’Union européenne. D’autres Etats sont menacés d’expulsion de fait comme l’Italie et le Portugal.
Le nouveau « Big Brother » s’appelle « marchés financiers ». Il est bien pire que ses prédécesseurs.
Pierre Verhas http://uranopole.over-blog. com/
[1] Alors qu’auparavant une recommandation de la Commission devait, pour être adoptée, être explicitement appuyée par le Conseil, c’est la logique inverse qui prévaut désormais.
En effet, alors que la majorité qualifiée sert à adopter une position "en faveur de quelque chose", la règle de "majorité inversée" signifie que les sanctions proposées par la Commission ne peuvent être contestées par le Conseil qu’à une majorité qualifiée. Cette nouvelle forme de décision, non prévue par les Traités a été annoncée par Herman Van Rompuy le 27 septembre 2010 :
"Partout où c’est possible, les règles de prise de décision au sujet des sanctions devraient être automatiques et basées sur la règle de la majorité inversée, qui implique qu’une proposition de la Commission est adoptée sauf si elle est rejetée par le Conseil."
Cette automaticité exclut donc toute délibération parlementaire de quelque ordre que ce soit. C’est une négation pure et simple des principes les plus élémentaires du fédéralisme qui prévoit une chambre de représentation des citoyens avec des pouvoirs essentiels.
Cela signifie en outre qu’un recours contre une sanction de la Commission sera quasi impossible. Si les déficits des finances publiques sont interdits, c’est au prix du déficit démocratique !
Ce phénomène inquiétant ébranle des principes de base de la vie commune. Le premier étant la souveraineté, le second le processus démocratique de décision, le troisième est la solidarité.
Aucun traité ne donnait jusqu’à présent de pouvoirs à la troïka... C’est une sorte de gouvernement supranational né de la crise de la dette souveraine, qui sert en fait d’exécuteur de basses œuvres au remboursement aux créanciers – c’est-à-dire les banques privées – des Etats endettés, aujourd’hui la Grèce. Il impose des plans de remboursements accompagnés de « cures » d’austérité, sans aucun pouvoir de contrôle de l’Etat débiteur, il pratique un chantage à l’aide financière vitale pour ce pays virtuellement en faillite. Il ne tolère aucune discussion. En réalité, ce gouvernement n’a pas d’armée, mais il possède une arme de destruction massive : l’argent.
Ainsi, la souveraineté est tuée et le processus démocratique de décision paralysé. Face au chantage à l’aide financière, les instances démocratiques sont contraintes de s’incliner.
La grande gueule de Daniel Cohn Bendit qui, s’il est très médiatisé, ne représente qu’un groupe minoritaire au Parlement européen, a dénoncé « les talibans néolibéraux qui règnent en Europe ». Très bien ! Il a mis du temps à s’en apercevoir : il oublie qu’il a milité pour le modèle libéral européen figurant dans tous les traités depuis Maastricht. Et puis, il sait bien qu’aucune formation politique importante représentée à cette Assemblée ne le prendra au sérieux. C’est ce genre de contradiction qui affaiblit toute opposition à la doctrine dominante. Le temps n’est plus à la démagogie ! D’autant plus que notre Dany fort dérougi justifiera quelques jours plus tard le fameux MES (Mécanisme Européen de Stabilité, autrement dit, le deuxième volet du traité « Merkozy » )…
Le 12 février, le Parlement grec a adopté le nouveau plan de rigueur préparé par le ministre des Finances Evangélos Vénizelos à la demande de la troïka afin de débloquer un nouveau prêt de 130 milliards d’euros à Athènes. Le plan sera présenté le 15 février à l’Eurogroupe, dont le feu vert est nécessaire pour que la Grèce puisse lancer une offre publique de restructuration de sa dette auprès de ses créanciers privés, le 17. Le plan prévoit une réduction de 22 % du salaire minimum (ramené à 586 euros brut sur 14 mois), la suppression de 15 000 emplois publics en 2012, de nouvelles coupes dans les retraites complémentaires et dans les salaires des fonctionnaires, ainsi que la réduction du budget de la sécurité sociale et de l’armée et la privatisation de quatre entreprises d’Etat.
N’est-ce pas volontaire ? Réduction des salaires, suppression d’emplois publics, privatisation. Ces plans sont appliqués partout où passent les « talibans néolibéraux ». En effet, ce n’est pas nouveau. À chaque fois que des plans de restructuration sont imposés de l’extérieur, ils vont dans le même sens. Cela a commencé en 1973, après le coup d’Etat au Chili. Les « talibans » étaient à l’époque les « golden boys » de l’école de Chicago.
L’austérité imposée par la force à la Grèce, mais aussi, pour bientôt, à tous les Etats de la zone Euro est absurde. L’économiste Jean-Paul Fitoussi dans le « Monde » du 16 février explique : « Ce tête à queue des stratégies européennes - lutter contre une insuffisance de la demande par une politique d’austérité aux fins d’augmenter l’offre – est pour le moins énigmatique. » Pas tellement, M. Fitoussi ! Cette politique absurde, violente, destructrice ne fait-elle partie d’une stratégie bien élaborée ? Difficile de répondre, mais il est clair que tout va dans la même direction et qu’aucune force politique importante n’essaye d’y changer quoi que ce soit.
En tout cas, tous s’accordent pour admettre que le dernier plan infligé à la Grèce est le plus violent d’entre tous. Certains, comme l’Italien Monti, pensent même qu’on est allé trop loin. Logique : nul n’a envie de voir éclater une révolution dans son pays !
Mais, dans une belle unanimité, le mécanisme est adopté par l’Eurogroupe le 21 février.
Ces traités, ces plans, ces nouvelles mesures, de quoi s’agit-il exactement ?
Le plan « Merkozy » était inscrit dans l’évolution européenne depuis longtemps. Il se trouvait déjà dans le pacte dit « de stabilité et de croissance » (PSC) dont le texte a été adopté au Conseil européen d’Amsterdam en 1997, cinq ans après le traité de Maastricht qui fonde l’Euro.
Ce pacte est un instrument de contrainte et de coordination des politiques budgétaires des pays de la zone Euro afin d’éviter des déficits budgétaires excessifs. Il impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Le PSC comporte deux types de dispositions :
La surveillance multilatérale, disposition préventive : les États de la zone euro présentent leurs objectifs budgétaires à moyen terme dans un programme de stabilité actualisé chaque année. Un système d’alerte rapide permet au Conseil Ecofin, réunissant les ministres de l’Économie et des Finances de l’Union, d’adresser une recommandation à un État en cas de dérapage budgétaire.
La procédure des déficits excessifs, disposition contraignante, voire répressive. Elle est enclenchée dès qu’un État dépasse le critère de déficit public, c’est-à-dire les soldes budgétaires cumulés des administrations centrales, locales et de sécurité sociale. fixé à 3 % du PIB, sauf circonstances exceptionnelles. Le Conseil Ecofin adresse alors des recommandations pour que l’État mette fin à cette situation. Si tel n’est pas le cas, le Conseil peut prendre des sanctions : dépôt auprès de la BCE qui peut devenir une amende à payer au Trésor Public une somme d’argent fixée par la loi. (de 0,2 à 0,5 % PIB de l’État en question) si le déficit excessif n’est pas comblé.
Une déclaration annexée à l’Acte final du traité de Lisbonne laisse prévoir une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, sans préjuger néanmoins du débat futur sur l’avenir de ce Pacte. Ce Pacte de stabilité n’a pas été appliqué jusqu’à la crise grecque à la demande de l’Allemagne et de la France… les deux pays qui l’avaient inspiré ! Cependant, le PSC reste toujours en vigueur selon sa mouture initiale.
La crise de la dette souveraine l’a réveillé. Le 28 septembre 2011, le Parlement européen approuvait six textes – le fameux « six packs » - qui ont été officiellement adoptés le 16 novembre par le Conseil et qui renforcent le pacte de stabilité. On a parlé à ce moment-là de la fondation d’une « gouvernance économique européenne ». Ce « six packs » est composé de six textes qui comportent trois dispositions principales.
1/ renforcement du pacte de stabilité et de croissance ainsi que pour le volet sanctions
Les trois premiers textes cherchent à améliorer le pacte de stabilité et de croissance et de renforcer les sanctions inhérentes à ce pacte.
2/ création de la procédure de déséquilibre macro-économique
Ensuite, deux textes ajoutent de nouveaux instruments car les règles de vie commune dans la zone euro ne couvraient pas les réalités macro-économiques. Par exemple, en ce qui concerne l’Espagne et de l’Irlande qui respectaient très bien la discipline budgétaire imposée par l’Europe et qui ont été mis en difficulté suite à l’endettement privé après l’éclatement d’une bulle immobilière en Espagne et de l’endettement d’une banque en Irlande. Il s’agit du contrôle des déséquilibres macro-économiques.
3/ renforcement des cadres budgétaires nationaux
Le sixième texte est une directive que les Etats membres devront transposer dans leur droit interne. Il les invite à améliorer leur cadre budgétaire national. Par exemple : avoir des instituts statistiques indépendants, des organes de contrôle des finances publiques indépendants pour vérifier que les hypothèses de croissance émises par le gouvernement sont réalistes, etc.
Outre le renforcement des sanctions en matière budgétaire, ces dispositions visent à socialiser les dettes privées. C’est ce qu’il s’était passé avec les dettes des banques en 2008 et qui a eu pour conséquence un accroissement considérable de la dette publique et par conséquent, le service de la dette augmente le déficit de l’Etat.
Tout est d’ailleurs orienté sur la problématique de la dette, donc de l’intérêt du secteur bancaire. Ainsi, il est introduit une notion de « seuil d’alerte » sur certains indicateurs économiques. Ce seuil d’alerte vise à prévenir et à corriger des déséquilibres macroéconomiques susceptibles de nuire à la sacro-sainte stabilité de l’UE.
Ainsi, en matière d’échanges commerciaux, le seuil est fixé à 4% du PIB pour une balance déficitaire, et à 6% du PIB dans le cas contraire, où l’Etat aurait un excédent courant. Donc, il y a une clémence envers les pays exportateurs. Cela concerne évidemment l’Allemagne.
Des seuils sont fixés pour les flux de crédits au secteur privé (15 %), la hausse annuelle du prix de l’immobilier (6 %), le taux de chômage, etc.
Le dernier volet concerne les outils de surveillance économique, comme les instituts de statistique, par exemple, qui doivent être « indépendants », donc privés.
Ce fameux dispositif « six packs » ne fonde pas une politique européenne commune. Il encadre la politique économique de chaque Etat-membre dans des limites qui constituent des garanties dans l’intérêt des seules banques. Il ne constitue en rien un instrument européen de redressement économique. Le PSC renforcé par le « six packs » comporte le mot « croissance ». Ce terme n’apparaît nulle part dans ce nouveau fourre-tout règlementaire. Ce n’est pas un hasard ! D’autre part, les outils de surveillance sont privatisés et seront donc ainsi au service du seul secteur bancaire.
Avec de pareilles dispositions, il est inutile de pousser des cris d’orfraie à l’égard des fameuses agences de notation…
On peut d’ailleurs s’apercevoir ce qu’est cette mentalité bancaire. C’est proprement ahurissant dans cet exemple.
Ahurissant !
Voici la réponse purement technocratique du Français Benoît Cœuré, nouveau membre du directoire de la BCE, à l’interview de Jean Quatremer, correspondant de « Libération » à Bruxelles à la question sur l’injustice de la différence du taux des prêts de la BCE aux Etats et aux banques privées dénoncée il y a quelques semaines par Michel Rocard et l’économiste Pierre Larrouturou : « Les prêts de la BCE aux banques ne sont pas de même nature que ceux que les banques commerciales consentent à l’économie ou aux Etats. Les premiers sont, pour l’essentiel, des prêts à très court terme (…). Surtout, ce sont des prêts parfaitement sécurisés (…). En revanche, les prêts aux Etats sont souvent à beaucoup plus long terme, parfois jusqu’à trente ou cinquante ans. Et ils présentent de plus grands risques… » Quand on voit l’état de certaines banques en Europe, notamment Dexia, il est assez audacieux de parler de « sécurité » ! Il ressort de ces propos une haine viscérale de l’Etat étant considéré comme un facteur à risques. Plus grave, l’intérêt général est absent de cette analyse d’un financier qui ne voit que le court terme.
Le sauvetage ne peut venir de ces gens-là. L’indépendance de la BCE accordée par le traité de Maastricht est une erreur majeure. Ce M. Cœuré parle en banquier du secteur privé, comme si l’Institution qu’il codirige était un organisme financier ordinaire.
En fait, tout cela n’a rien à voir avec la construction européenne. C’est la mise en place d’un pouvoir supranational associé au tout puissant secteur bancaire. Son embryon existe déjà : on l’appelle la « troïka ».
Un traité inutile et dangereux
En plus, cela ne marche pas. Ces nouvelles réglementations n’apportent aucune solution à la crise de la dette souveraine. Elles ne sont là que pour garantir la survie du secteur bancaire et les intérêts de quelques Etats-membres de l’Union. Le refus obstiné de Merkel de mettre en œuvre les euro-obligations, les difficultés de mise en place du Fonds européen de Solidarité financière ont amené le tandem « Merkozy » à imposer l’adoption d’un nouveau traité intitulé Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) et le « Mécanisme Européen de Solidarité » (MES) qui étaient discutés depuis juillet 2011 et adopté par le Conseil le 2 février 2012.
Ce nouveau traité est inutile et dangereux. Il est inutile car le « six packs » a déjà largement renforcé le pouvoir coercitif de la Commission en matière de « discipline » budgétaire.
Il est dangereux car il met en place un système intergouvernemental et met en pièces la méthode communautaire et tout ce qui est commun au niveau de l’Union européenne. La Commission européenne dont le rôle est d’être la « gardienne des traités » devient à la fois la police et le tribunal des Etats-membres. Il faut dire que cela ne gêne en rien certains commissaires comme le Finnois Olli Rehn, chargé des affaires économiques.
Ce projet de Traité prévoit :
d’abaisser le plafond du déficit budgétaire à 0.5% du PIB, laissant toutefois la procédure de sanction pour déficit excessif applicable aux seuls déficits supérieurs à 3% du PIB.
d’obliger les Etats signataires à mettre en place une règle d’or constitutionnelle obligeant ces derniers au respect du plafond des 0,5%,
la remise à la Commission d’un programme de partenariat économique par les Etats faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif,
le renforcement de la nouvelle procédure de décision, dite à la "majorité inversée" ([1]), réduite aux seuls membres de la zone euro,
une procédure visant à ce que toutes les grandes réformes de politique économique envisagées par les États membres de la zone euro soient débattues et coordonnées au niveau de la zone euro.
Le MES est dit : c’est la troïka.
Le second volet est le Mécanisme Européen de Stabilité, ou MES adopté définitivement le 2 février 2012. Il complète le TSCG et pour en faire partie, les Etats doivent appliquer les mesures d’austérité budgétaire inscrite dans le Traité.
Doté de la personnalité juridique, le MES pourra ester en justice. Le MES, dont le siège est fixé à Luxembourg, est doté du statut d’une institution financière internationale bénéficiant des immunités dont jouissent les institutions internationales. Il n’a donc aucun compte à rendre ni au Parlement européen, ni aux parlements nationaux, ni aux citoyens des Etats membres et ne peut en aucun cas faire l’objet de poursuites. Il est exempté de toute obligation imposée par la législation d’un Etat Membre. Le MES, ses biens, fonds et avoirs jouissent de l’immunité de toute forme de procédure judiciaire.
Le but du MES est de « mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité, » un soutien à la stabilité d’un de ses Etats membres qui connaît des graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité financière de la zone euro. A cette fin, il est autorisé à lever des fonds. Son capital est fixé à 700 Milliards d’euros.
Les Etats Membres, par ce traité, s’engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à fournir leur contribution au capital du MES. Ils s’engagent à verser les fonds demandés par le MES.
Lorsqu’un Etat Membre sollicite une demande de soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne en liaison avec la Banque Centrale Européenne (BCE) qui est chargée d’évaluer le risque pour la stabilité de la zone euro, d’évaluer, en collaboration avec le FMI – autrement dit la troïka – la viabilité de l’endettement public du pays demandeur et d’évaluer les besoins réels de financement de ce dernier. On voit ici que, par le biais du MES, la troïka est institutionnalisée.
Lorsque le MES décide d’octroyer un soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne, en liaison avec la BCE et le FMI, qui négocie avec l’Etat demandeur les conditions dont est assorti ce soutien. Cette négociation doit s’inscrire dans le respect du Pacte budgétaire (TSCG). La troïka est chargée du respect des conditions imposées.
Les gouvernements signataires de ce traité ont créé un monstre institutionnel contre lequel les Etats eux–mêmes et à fortiori les peuples seront désormais totalement impuissants. Ainsi se poursuit, sous la pression du monde de la finance et des affaires, le démembrement du siège de la souveraineté populaire, l’Etat, au profit d’institutions échappant à tout contrôle.
Ce projet signifie tout simplement la fin du politique. Limiter les déficits à 0,5 % du PIB par une disposition constitutionnelle – la fameuse « règle d’or » - revient à entraver tout pouvoir politique. C’est fondamentalement contraire aux principes démocratiques de base qui veulent qu’une Assemblée élue au suffrage universel – donc, représentant le peuple – puisse décider de toutes les dispositions qu’elle juge nécessaire à sa politique. La limitation des déficits inscrite au niveau des lois fondamentales, revient à exclure tout investissement public, toute disposition nouvelle en matière de sécurité sociale, par exemple.
Ces deux traités MES et TSCG confirment que la construction européenne s’est définitivement éloignée de l’idéal démocratique. Ils instaurent une totale mise sous tutelle financière et budgétaire des Etats et des peuples, sans qu’il y ait pour autant une souveraineté européenne.
Un fédéralisme de contrainte
On n’arrête pas de dire que cette avalanche de nouvelles réglementations renforce le « fédéralisme ». Il faudrait s’entendre sur ce mot. Le « fédéralisme », ce n’est pas simplement le transfert de la souveraineté nationale vers une entité supranationale.
Cette politique renforce le déficit démocratique, notamment par la règle de la « majorité inversée » qui donne à la Commission des pouvoirs exorbitants (voir note 1) sans aucun contrôle. En plus de mettre sous tutelle des Etats membres aux déficits estimés trop élevés, il divise l’Europe en deux, puisque le processus de décision ne sera pas le même pour les Etats membres de la zone Euro et les autres. Enfin, selon de nombreux juristes, ce nouveau traité ne respecte pas les traités européens existants. Cela peut tout simplement signifier la fin de l’Europe.
En réalité, La crise financière débouche sur la perspective d’une Union Européenne à deux niveaux : l’un fédéral (la Communauté) avec les Etats qui choisissent la monnaie unique au prix de la perte d’une part plus grande que jamais de leur souveraineté ; l’autre confédéral (l’Union) avec tous les autres préférant rester dans une simple zone intergouvernementale de libre-échange. Ce pouvoir « fédéral » limité aux Etats de la zone Euro serait en fait un « fédéralisme de contrainte » donnant tout pouvoir aux marchés aidés par une police « eurocrate », sans aucun contrôle parlementaire, ce qui est contraire à l’idée fédéraliste.
Vers la fin de l’Europe ?
Le projet des traités « Merkozy » annonce déjà une division de l’Union puisque deux pays n’y adhérent pas : la Grande Bretagne et la Tchéquie. Le vrai-faux ballon d’oxygène accordé à la Grèce le 20 février ne changera sans doute rien. Les diktats de la « troïka » amèneront sans doute la Grèce à sortir de la zone Euro, le gouvernement allemand le souhaitant manifestement. Cela signifie l’expulsion d’un Etat membre, puisque les dispositions relatives à la monnaie unique sont la base du traité de Maastricht confirmé par les traités suivants jusqu’à celui de Lisbonne. L’absence de deux Etats membres dans le projet de nouveau traité et l’expulsion d’un autre ne peut que signifier la fin de l’Union européenne. D’autres Etats sont menacés d’expulsion de fait comme l’Italie et le Portugal.
Le nouveau « Big Brother » s’appelle « marchés financiers ». Il est bien pire que ses prédécesseurs.
Pierre Verhas http://uranopole.over-blog.
[1] Alors qu’auparavant une recommandation de la Commission devait, pour être adoptée, être explicitement appuyée par le Conseil, c’est la logique inverse qui prévaut désormais.
En effet, alors que la majorité qualifiée sert à adopter une position "en faveur de quelque chose", la règle de "majorité inversée" signifie que les sanctions proposées par la Commission ne peuvent être contestées par le Conseil qu’à une majorité qualifiée. Cette nouvelle forme de décision, non prévue par les Traités a été annoncée par Herman Van Rompuy le 27 septembre 2010 :
"Partout où c’est possible, les règles de prise de décision au sujet des sanctions devraient être automatiques et basées sur la règle de la majorité inversée, qui implique qu’une proposition de la Commission est adoptée sauf si elle est rejetée par le Conseil."
Cette automaticité exclut donc toute délibération parlementaire de quelque ordre que ce soit. C’est une négation pure et simple des principes les plus élémentaires du fédéralisme qui prévoit une chambre de représentation des citoyens avec des pouvoirs essentiels.
Cela signifie en outre qu’un recours contre une sanction de la Commission sera quasi impossible. Si les déficits des finances publiques sont interdits, c’est au prix du déficit démocratique !
URL de cet article 15925
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