marți, 2 februarie 2010

Discours inaugural de Dominique Strauss Kahn à la conférence d’Herzliya

Dominique Strauss-Kahn et Salam Fayyad invités de la conférence d’Herzliya
La Xe conférence d’Herzliya sur la sécurité d’Israël se tiendra du 31 janvier au 3 février 2010 sous la présidence du général Danny Rothschild et en présence du président Shimon Peres et du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Alors que, les années précedantes, le discours d’ouverture était prononcé par le président d’Israël, les organisateurs ont souhaité cette année qu’il soit délivré par le directeur du Fond monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn.

Les organisatuers ont également annoncé un débat entre le Premier ministre de facto de Cisjordanie, Salam Fayyad, et le ministre de la Défense, Ehud Barack.
==

Discours inaugural de Dominique Strauss Kahn à la conférence d’Herzliya
par Dominique Strauss-Kahn*



31 janvier 2010


Globalisation économique


(Version distribuée à la presse. Le discours a été délivré en anglais, son contenu était fort différent. cf. Vidéo.)

Au cours de l’année écoulée, la crise financière mondiale a fait l’objet d’un vaste débat. Mais aujourd’hui, plutôt que de m’appesantir sur les risques économiques, je souhaiterais parler plutôt d’un autre sujet important : la relation entre la stabilité économique et la paix. Je crois intimement que l’une et l’autre sont étroitement liées. Si on perd l’une, on perdra probablement l’autre. La paix est indispensable au commerce, à une croissance économique soutenue et à la prospérité. À leur tour, la stabilité économique et une prospérité croissante, largement partagée à la fois au niveau national et au niveau international, peuvent favoriser la paix. Cette interaction est la plus probable dans un climat de coopération économique, d’ouverture et de vision multilatérale des problèmes économiques et politiques.

En fin de compte, la paix et la prospérité s’alimentent. C’est une leçon de l’histoire. Nous savons tous comment la Grande crise des années 30 a créé un terrain favorable pour une guerre dévastatrice. Plus récemment, dans bien des régions du monde, l’instabilité économique a provoqué des bouleversements politiques, des troubles sociaux et des conflits.
Pourquoi parler des risques pesant sur la paix ?

Le ralentissement actuel est le plus profond et le plus général depuis la Grande crise des années 30. Il n’y a pas longtemps, l’économie mondiale était au bord du précipice. Avec l’effondrement de Lehman Brothers, l’incertitude a cédé le pas à la panique, et l’activité économique s’est effondrée. La menace d’une autre grande crise semblait imminente, et ces craintes n’étaient pas sans fondement.

Mais aujourd’hui le monde semble différent. La crainte a laissé place à l’espoir. Il semble que nous ayons franchi un cap, et le moteur de la croissance redémarre. D’après nos dernières prévisions, l’activité économique mondiale devrait progresser d’environ 3 % en 2010.

Ce n’est pas un hasard, ni simplement de la chance. Ce retournement est le résultat des décisions audacieuses que les pouvoirs publics de par le monde ont prises et, c’est tout aussi important, d’une coopération économique sans précédent. Face à la crise, les pays ont uni leurs forces pour affronter les problèmes communs avec des solutions communes, au service du bien commun de l’humanité. Ce fut le cas dans les domaines budgétaire et monétaire, et dans le secteur financier.

Cette collaboration a impliqué plus de pays que jamais par le passé : à l’époque de la mondialisation, la responsabilité de la politique économique globale ne peut plus seulement relever d’un petit nombre de pays. Cette crise a préfiguré la montée en puissance du G-20 — groupe qui accueille en son sein les pays émergents dynamiques — en tant que principal instrument de la coopération multilatérale.

Il s’agit maintenant d’entretenir cet esprit de coopération alors que nous entrons dans le monde de l’après-crise. Dans un climat caractérisé par une crainte et une incertitude considérables, il n’était pas si difficile de coopérer. Mais aujourd’hui que l’optimisme croît, et que la reprise s’annonce, les pays pourraient être tentés de faire cavalier seul et d’abandonner la coopération qui leur a été si utile pendant la crise. Je suis heureux de constater que les premiers signes sont positifs. Lors de leur réunion récente à Pittsburgh, les dirigeants du G-20 ont souligné que les décisions prises au niveau national devraient toujours être guidées par le souci de l’intérêt général au niveau mondial. Le multilatéralisme, je l’espère, est une chose acquise.

Le FMI a joué son rôle dans cette riposte multilatérale, en œuvrant pour le bien public mondial qu’est la stabilité économique. Lorsque la crise a éclaté, nous avons été les premiers à être appelés à la rescousse, et les dirigeants du G-20 ont accru substantiellement les ressources dont nous disposons. Alors que la crise se propageait, nous avons augmenté sensiblement nos financements d’urgence, nous avons injecté des liquidités d’un montant sans précédent dans le système, nous avons assoupli nos instruments de prêt et nous avons soutenu la riposte internationale à la crise au moyen de nos prévisions et de nos conseils.

Nous avons cherché à jouer notre rôle dans le retour au calme. Ayant précédemment exprimé leur confiance dans notre institution en accroissant nos ressources, les dirigeants du G-20 réunis à Pittsburgh ont élargi cette confiance à notre surveillance, et ils nous ont demandé de contribuer à leur évaluation mutuelle des politiques économiques. Notre objectif est maintenant de nous adapter aux besoins du monde de l’après-crise.

Bien entendu, pour être efficaces, nous devons être considérés comme légitimes. Dans ce domaine aussi, le G-20 nous a donné une impulsion, en s’engageant à opérer un transfert d’au moins 5 % des quotes-parts des pays surreprésentés aux pays émergents et en développement dynamiques qui sont sous-représentés. Ce redéploiement renforce la légitimité du FMI et constitue un gage solide de son efficacité future.
Garantir la stabilité

Permettez-moi de souligner que la crise n’est en aucun cas terminée, et que de nombreux risques subsistent. L’activité économique reste tributaire de l’appui des pouvoirs publics, et un retrait prématuré de cet appui pourrait étouffer dans l’œuf la reprise. Et même si la croissance repart, il faudra du temps pour que l’emploi fasse de même. Cette instabilité économique continuera de menacer la stabilité sociale.

Les enjeux sont particulièrement élevés dans les pays à faible revenu. Selon nos collègues aux Nations Unies et à la Banque mondiale, pas moins de 90 millions de personnes pourraient sombrer dans la misère à cause de la crise. Dans de nombreuses régions du monde, ce n’est pas seulement de hausse du chômage ou de baisse du pouvoir d’achat qu’il s’agit, mais vraiment d’une question de vie ou de mort. La marginalisation économique et l’indigence pourraient entraîner des troubles sociaux, des désordres politiques, une faillite de la démocratie, ou la guerre. Dans un sens, les efforts que nous déployons collectivement pour combattre la crise ne peuvent être distingués de ceux déployés pour préserver la stabilité sociale et obtenir la paix. C’est particulièrement important dans les pays à faible revenu.

Au sujet de la guerre, on pourrait à raison parler de « développement négatif ». La guerre entraîne des morts, des invalidités, des maladies et des déplacements de population. La guerre accroît la pauvreté. La guerre réduit le potentiel de croissance en détruisant des infrastructures, ainsi que du capital financier et humain. La guerre détourne les ressources vers la violence, la recherche de rente et la corruption. La guerre affaiblit les institutions. La guerre dans un pays nuit aux pays voisins, notamment par des afflux de réfugiés.

Depuis les années 70, la plupart des guerres sont nationales. Il est difficile d’estimer le véritable coût d’une guerre civile. Selon des études récentes, une année de conflit peut amputer la croissance d’un pays de 2 à 2 1/2 points de pourcentage. Comme une guerre civile dure en moyenne sept ans, cela signifie une perte de 15 % par rapport à une période de paix. Bien entendu, les pertes de vie ou les grandes souffrances humaines qui accompagnent toujours une guerre n’ont pas de prix.

La causalité marche aussi dans l’autre sens. Tout comme une guerre a des effets dévastateurs sur une économie, un pays économiquement faible est plus exposé à une guerre. Les données sont assez claires à ce sujet : un revenu faible ou une croissance économique lente accroît le risque d’un conflit civil. La pauvreté et la stagnation économique entraînent la marginalisation, dont les victimes n’ont plus de place dans l’économie productive. N’ayant guère d’espoir de trouver un travail ni de s’assurer un niveau de vie raisonnable, ces marginalisés risquent de se tourner vers la violence. La dépendance à l’égard des ressources naturelles constitue aussi un facteur de risque : la compétition pour le contrôle de ces ressources peut provoquer des conflits et le revenu des ressources naturelles peut financer des guerres.

Nous avons donc un cercle vicieux : la guerre entraîne une dégradation de la situation et des perspectives économiques, et affaiblit les institutions, ce qui à son tour accroît la probabilité de guerre. Lorsqu’une guerre a commencé, il est difficile d’y mettre fin. Et même si c’est le cas, il est facile de retomber dans une situation de conflit. Pendant les dix années qui suivent une guerre, il existe une probabilité de 50 % d’un retour à la violence, en partie à cause de l’affaiblissement des institutions.

Quel est le rôle du FMI à cet égard ? De manière générale, il peut aider les pays à préserver ou à consolider la stabilité économique. À cet effet, le moyen le plus évident est de fournir un financement si besoin est. Faute de quoi, le gouvernement pourrait être obligé de réduire la protection sociale et les services publics de base. L’activité économique risque d’être davantage perturbée, et les possibilités d’emploi réduites. Dans ce domaine, le FMI joue son rôle : son appui aux pays à faible revenu pour les deux prochaines années sera trois fois ce qu’il était avant la crise. Et pour alléger la charge de ces pays, tous nos prêts concessionnels seront sans intérêt jusqu’à la fin de 2011.

Les prêts que nous avons accordés ont des effets positifs. Les pays qui ont appliqué de manière soutenue un programme appuyé par le FMI au cours des vingt dernières années ont enregistré une accélération de leur croissance plus forte que les pays sans programme. Nous cherchons à faire mieux encore, en réformant nos mécanismes de prêt en faveur des pays à faible revenu, ainsi qu’en assouplissant et en adaptant mieux ces prêts aux besoins de chaque pays.

Nos programmes de prêt dans ces pays mettent toujours l’accent sur la réduction de la pauvreté et la protection des segments les plus vulnérables de la population. Je suis heureux de noter que la plupart des pays à faible revenu qui appliquent un programme appuyé par le FMI ont prévu dans leur budget une hausse des dépenses sociales et que bon nombre de ces pays s’emploient à mieux orienter leurs dépenses en faveur des pauvres. C’est l’une de nos priorités.

Le FMI accorde aussi beaucoup d’importance à une bonne gouvernance. Environ 40 % des conditions dont sont assortis les programmes que nous appuyons dans les pays à faible revenu mettent l’accent sur l’amélioration de la gestion des ressources publiques et la responsabilisation. Nous fournissons aussi des conseils et de l’assistance technique aux pays riches en ressources naturelles, pour les aider à mieux gérer leurs recettes, ce qui de nouveau contribue à la stabilité sociale.

Le FMI accorde aussi une aide spéciale aux pays qui sortent d’un conflit ou qui se trouvent dans d’autres situations fragiles, au moyen ici aussi de prêts et d’assistance technique. Nous aidons à remettre en état ou à renforcer les institutions et la gestion économique — des éléments essentiels pour la mise en place d’un État qui fonctionne. Nous avons créé un mécanisme de prêt d’urgence plus flexible qui peut être utilisé par les pays sortant d’un conflit. Certes, le rôle du FMI est limité, mais notre soutien peut aussi ouvrir la voie à des apports d’aide qui font cruellement défaut. Il est fondamental que ces pays bénéficient d’une aide soutenue étant donné le risque d’une rechute dans un conflit civil.
Le mandat du FMI

J’en reviens à mon point principal. Lorsque les nations du monde joignent leurs forces pour affronter les problèmes communs dans un esprit de solidarité, il est possible d’enclencher le cercle vertueux de la paix et de la prospérité, et d’éviter le cercle vicieux des conflits et de la stagnation. À première vue, cela peut sembler accessoire au rôle du FMI. Au contraire, cela étaye notre mandat.

Pour mieux comprendre, examinons les origines du FMI et les enseignements du XXe siècle. Les nations du monde se sont réunies après la première guerre mondiale. Mais au lieu de promouvoir la coopération économique, elles étaient motivées par des considérations à courte vue. En particulier, la sévérité des modalités du Traité de Versailles a conduit à la ruine de l’économie allemande, l’une des causes de la Seconde Guerre mondiale.

John Maynard Keynes, l’un des fondateurs du FMI, l’avait bien compris. Il a condamné vigoureusement « la politique consistant à réduire l’Allemagne à la servitude pendant une génération, à avilir des millions d’êtres humains », et il a engagé vivement la société à « fonder son action sur de meilleures attentes, et à croire que la prospérité et le bonheur d’un pays favorisent la prospérité et le bonheur des autres pays, que la solidarité de l’homme n’est pas une fiction ».

L’avertissement de Keynes a été ignoré. Les pays ont préféré défendre leur intérêt personnel et se sont réfugiés dans l’isolationnisme. Il s’ensuivit l’effondrement sans précédent de l’activité économique mondiale dans les années 30, avec de sombres conséquences sociales et politiques. La guerre économique a vite conduit à la vraie guerre, et la Seconde Guerre mondiale a fait des dizaines de millions de victimes et dévasté de nombreux pays.

Après la guerre, les nations du monde se sont réunies de nouveau. Elles se sont engagées à ne plus jamais répéter les erreurs du passé. Elles ont souscrit au multilatéralisme et ont décidé de coopérer dans les domaines économique et financier. Les dirigeants souhaitaient créer un monde nouveau

C’était une stratégie à dimensions multiples. Les Nations Unies ont été fondées pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre » tout en favorisant « le progrès social et de meilleures conditions de vie ». En Europe, les dirigeants ont engagé un processus remarquable d’intégration économique et politique. Ils étaient déterminés à bannir pour toujours du continent le spectre de la guerre et à réaliser le rêve de la « paix perpétuelle » — ce grand rêve de tant de philosophes au fil des siècles, parmi lesquels Saint-Pierre, Rousseau, Bentham et Kant. Rappelez-vous aussi que la paix a été favorisée par une aide financière extérieure, avec le plan Marshall, et intérieure, avec la mise en place de vastes dispositifs de protection sociale. C’est la stabilité économique et sociale qui a consolidé la paix.

Le FMI a été créé à ce moment décisif de l’histoire, dans une ambiance multilatérale tournée résolument vers la paix et la coopération. Il a reçu pour mandat d’assurer la stabilité économique, en encourageant la coopération monétaire et en facilitant une expansion du commerce et de l’emploi qui profite à tous. Il a été chargé de surveiller le système financier mondial et d’accorder des prêts aux pays membres ayant des besoins de financement de leur balance des paiements. Avec la stabilité viendraient la paix et la sécurité, pensait-on.

Lorsque les pères fondateurs se sont réunis à Bretton Woods en 1944, la paix figurait au premier rang de leurs priorités. Le pessimisme de Keynes vingt-cinq ans plus tôt s’était transformé en optimisme. À la fin de la conférence, Keynes a déclaré que, en œuvrant tous ensemble, « ce cauchemar, dans lequel la plupart d’entre nous avons passé une trop grande partie de notre vie, prendra fin ». Signe des temps, il était convaincu que « la fraternité des hommes ne serait plus un vain mot ». Henry Morgenthau, Secrétaire du Trésor américain, était du même avis, liant la paix à la prospérité partagée et dénonçant les politiques économiques de l’entre-deux-guerres. Selon lui, « l’agression économique ne peut déboucher que sur la guerre. Elle est aussi dangereuse que futile. Nous savons qu’il y aura un conflit économique lorsque des pays s’efforcent chacun individuellement de s’attaquer à des maux économiques dont la portée est internationale ». C’est notre héritage, et c’est de là que provient notre mandat.

Une occasion historique nous est donnée aujourd’hui de renouveler cet attachement au multilatéralisme et de l’adapter au monde de l’après-crise. Nous devons tous ensemble relever ce défi. La paix de notre planète en dépend.

Je vous remercie de votre attention.
Dominique Strauss-Kahn

Dominique Strauss-Kahn est député français socialiste du Val d’Oise et ancien ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.

Niciun comentariu: