luni, 24 august 2009

Le savon humain : rumeur, réalité et histoire

Le savon humain :
rumeur, réalité et histoire


Pendant la Seconde guerre mondiale, il y eut des rumeurs de fabrication industrielle de savon à partir des cadavres par les Allemands. Ces rumeurs étaient infondées, mais les sarcasmes des Nazis eux-même en étaient à l'origine. Cependant, il y eut bien une tentative de fabrication de savon humain à Danzig en 1944. Lors du procès de Nuremberg, les seules références à la fabrication de savon dans le jugement se rapportent à cette tentative. Les historiens, dans leur grande majorité n'ont jamais ajouté foi aux bruits de fabrication industrielle de savon. Mais ce savoir là n'est que progressivement entré dans l'inconscient collectif.

Les négationnistes et les ignorants présentent cette prise de conscience par le grand public comme un revirement des historiens. Il n'en est évidemment rien. Aussi s'agit-il ici de rappeler les circonstances et les origines de la rumeur, ce que fut la réalité, et comment les historiens ont traité de ce sujet.

La rumeur

L'écrasante majorité des historiens n'a jamais ni écrit ni cru que la fabrication de savon à partir de restes de corps humains avait été une réalité. Hilberg écrivait en 1961 qu'il pensait que ces bruits étaient infondés (Raul Hilberg, The destruction of the european Jews, Quadrangle books, p. 624), mais il mentionnait la tentative faite à Danzig.

Il existe un témoignage donné à l'occasion du procès de Nuremberg, qui mentionne la rumeur de fabrication de savon à Auschwitz, celui du prisonnier de guerre britannique, Douglas T. Frost:

Les civils allemands menaçaient souvent les déportés d'être gazés et transformés en savon. Des prisonniers nous l'ont personnellement rapporté à plusieurs reprises et j'ai moi-même entendu les civils allemands proférer ces menaces à de nombreuses reprises. J'ai également entendu les Allemands en plaisanter entre eux. Je ne l'ai d'abord pas pris au sérieux, mais je me suis plus tard demandé si cela ne pouvait pas être vrai après tout. Bien que je n'en ai pas eu directement connaissance, j'ai eu l'impression que la fabrication de savon à partir de prisonniers était effectuée à Auschwitz en utilisant le graisse des corps des gazés. (IMT, vol. 8, p. 624)

Ce que Frost rapporte, ce sont des rumeurs dont les premiers propagateurs étaient, par jeu sadique, les Allemands qui travaillaient à Auschwitz. Comme on le verra plus bas, dans son jugement, le Tribunal Militaire International de Nuremberg, n'évoquera pas une quelconque fabrication industrielle de savon dans les centres d'extermination, mais la tentative qui eut lieu à Danzig (voir plus bas).

Nous savons qu'aucun savon humain n'a été fabriqué à Auschwitz. A ce propos, Michael Berenbaum a expliqué que « l'Holocaust Memorial Museum des Etats Unis a analysé plusieurs barres de savon prétenduement composés de graisse humaine, mais qu'aucune graisse humaine ne fut trouvée » (Gutman et al., Anatomy of the Auschwitz Death Camp, Indiana University Press, 1994, p. 80). Mais bien qu'une telle fabrication n'eut pas lieu, il semble bien que de nombreuses personnes y aient alors cru, d'abord parce que les civils allemands qui travaillaient à Auschwitz en menaçaient, par un humour sadique, les prisonniers, ainsi que Frost l'a souligné dans sa déposition.

De très nombreux autres témoignages de survivants d'Auschwitz rapportent des propos analogues à ceux dont Frost a témoignés.

On a évoqué après la guerre des savons marqués d'un sigle, R.I.F, qui aurait signifié « pure graisse juive ». Mais là encore, ce bruit trouve son origine dans des sarcasmes sadiques de Nazis qui avaient montré des savons normaux marqués R.I.F à des Juifs en prétendant que cela signifiait « pure graisse juive ». Du savon portant cette marque a existé, mais c'était du savon normal fabriqué par le Reichsstelle für Industrielle Fettversorgung, Centre d'État pour la fourniture de Graisses. R.I.F n'a jamais signifié « pure graisse juive », ainsi que des Nazis l'ont raconté aux victimes.

Les premières rumeurs d'utilisation des cadavres pour la fabrication de savon, datent de 1942. Raul Hilberg a tenté d'en déterminer l'origine. Il écrit:

Nous avons déjà eu l'occasion de noter que les informations sur les centres de mise à mort parvinrent aux populations de plusieurs pays sous la forme d'un bruit bien précis : la graisse des cadavres dont les Allemands faisaient du savon. On n'a pas encore retrouvé l'origine de cette rumeur, mais une indication nous est sans doute fournie par le témoignage, après guerre, d'un inspecteur de la SS, le Dr Konrad Morgen, qui fut très actif en Pologne à une époque. Le Dr Morgen se pencha notamment sur le cas du Brigadeführer Dirlewanger. Il faut souligner que Dirlewanger n'avait rien à voir avec les centres de mise à mort. Il commandait une célèbre brigade de SS douteux stationnée dans le Gouvernement général en 1941. Que faisait cet homme ? D'après Morgen,

« ... Dirlewanger avait arrêté des gens arbitrairement et illégalement et avec ses prisonnières -- de jeunes Juives --, il fit la chose suivante : il réunit un petit groupe d'amis consistant en membres d'une unité d'appui de la Wehrmacht. Puis il procéda à de pseudo-expériences scientifiques qui incluaient le déshabillage des victimes. On leur injecta ensuite de la strychnine. Dirlewanger observa la scène en fumant une cigarette, comme ses amis, et ils regardèrent mourir ces filles. Aussitôt après, les cadavres furent découpés en petits morceaux, mélangés à de la viande de cheval et bouillis pour en faire du savon.
Je voudrais dire ici, catégoriquement, que nous n'avions, pour ce qui est de cette affaire, que des soupçons, même s'ils étaient extrêmement insistants. Nous avions les déclarations des témoins concernant ces incidents, et la Police de sécurité de Lublin a procédé à des enquêtes bien précises... »

(Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988, p. 836-837)

En 1942, au beau milieu de l'Opération Reinhard d'extermination des Juifs polonais, Himmler lui-même était préoccupé par les rumeurs d'utilisation des cadavres pour la fabrication de savon et/ou d'engrais. Le 24 novembre 1942, le rabbin Stephen Wise avait évoqué les rumeurs de savon lors d'une conférence de presse à New York. le 30 novembre 1942, Himmler écrivait au chef de la Gestapo, Heinrich Müller:

« Dans le cadre du grand mouvement d'émigration des Juifs, je ne m'étonne pas que de telle rumeurs se répandent dans le monde. Nous savons tous deux qu'il y a actuellement un taux de mortalité plus élevé parmi les Juifs mis au travail. Vous devez vous assurer que les corps des Juifs morts sont soit brûlés soit ensevelis sur place et qu'en aucun lieu absolument rien d'autre n'advienne de ces corps.
Menez partout une enquête immédiatement afin de déterminer si le genre d'usage détourné [des corps] du genre évoqué au point 1, sans doute des rumeurs mensongères, s'est produit.
Conformément au vœux SS je dois être tenu au courant de tout usage détourné de ce genre. » (Himmler to Müller, 30 Nov. 1942, US National Archives, Record Group 242, Microfilm Series T-175/Roll 58/Frame 2521486. As quoted in Breitman, Richard, "Secrecy and the Final Solution" dans Rochelle L. Millen et al., Eds., New Perspectives on the Holocaust: A Guide for Teachers and Scholars, New York, New York University Press, 1996, p. 70-71)

Si Himmler n'était pas surpris, c'est que le 19 juillet 1942, le chef de la communauté allemande de Slovaquie, Karmasin (sans lien avec le responsable du présent site web PHDN), lui avait écrit pour lui signaler l'existence d'une telle rumeur. En juillet 1942, un groupe de 700 Allemands de souche, mais « asociaux », en provenance de Slovaquie fut « réinstallé ». Au moment de leur départ, une rumeur commença à circuler que rapporta Karmasin à Himmler dans sa lettre du 19 juillet 1942 : les « réinstallés » allaient être « bouillis et transformés en savon » Cette rumeur reprenait un bruit bien connu selon lequel, dans les centre d'extermination, les Allemands faisaient des savonnettes avec la graisse humaine. (Hilberg, p. 637)

Un peu plus tard, Himmler eut sans doute à entendre parler d'une autre rumeur. En 1942, les SS et la Police, c'est-à-dire Himmler avaient décidé de faire de Lublin une ville allemande. Tous les Polonais ne justifiant pas d'un emploi furent emmenés dans un camp. La propagande allemande était à l'affut de la réaction des Polonais. Dans un rapport hebdomadaire daté du 24 octobre 1942, il est rapporté qu'à Lublin « on était pratiquement convaincu que les Juifs "reinstallés" avaient été tués et que la graisse des cadavres avait servi à faire du savon. Les passants de Lublin disaient que c'était au tour des Polonais de servir, exactement comme les Juifs, à faire du savon » (cité par Hilberg, p. 447). Hilberg rapporte qu'« à la Generaldirektion des Ostbahn, les responsables du traffic ferroviaire disaient en plaisantant (ironisch), à propos des gazages, qu'une nouvelle distribution de savon était en route » (Hilberg, p. 836-837). Ces rumeurs, souvent basées sur les propres sarcasmes des Allemands, sont bien apparues là, et au moment, où les Juifs étaient exterminés dans des centres de mise à mort. Il ne s'agit donc pas d'un « borbard de guerre », ni de propagande venant de l'extérieur. Il s'agit d'un signal, qui, s'il était erroné sur la forme, n'en était pas moins l'indication (exacte pour ce qui est du lieu, du temps et des victimes) qu'il se passait quelque-chose de monstrueux. Bien évidemment ces rumeurs atteignirent le monde libre (voir Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La "Solution finale" et l'information étouffée, NRF, p. 103-104 et 266).

Il a toujours été clair pour la majorité des historiens que les rumeurs sur des savons humains marqués « R.I.F », ou fabriqués dans les centres d'extermination, sont sans fondement, même si beaucoup de gens y ont cru. Mais ces rumeurs n'ont rien à voir avec les tentatives de l'Institut anatomique de Danzig.

La réalité

Voici ce que le jugement du Tribunal de Nuremberg mentionne à propos du savon fait à partir de graisse humaine:

« Après la crémation, les cendres étaient utilisées comme fertilisant et, dans quelques cas, des tentatives furent effectuées afin d'utiliser la graisse des corps des victimes dans la fabrication industrielle de savon » (IMT, vol. 1, p. 252. )

Le tribunal n'a donc pas déclaré que du savon avait effectivement été fabriqué, mais que des tentatives dans ce sens avaient eut lieu, ce qui est différent; et il n'a pas prétendu que ces tentatives avaient été fréquentes.

Deux prisonniers de guerre britanniques, William Anderson Neely et John Henry Witton, ont témoigné de la production de savon à l'Institut anatomique de Danzig, et non à Auschwitz ou dans un autre centre d'extermination; ces deux témoignages sont ceux de deux personnes qui ont effectivement assisté à ces activités, qui y ont en fait participé; ils ne racontent pas ce qu'ils ont entendu, mais ce qu'ils ont vu (documents IMT USSR-264 et 272). Remarquons au passage que si c'est un procureur soviétique, L. N. Smirnov, qui a présenté l'accusation sur la tentative de fabrication de savon humain devant le tribunal, les dépositions de Neely et Witton ont été faites devant des instances britanniques. Les documents USSR-264 et USSR-272 en portent les mentions.

La meilleure description de ce qui se passa à l'Institut anatomique de Danzig est celle donnée par Sigmund Mazur qui y fut employé à partir de janvier 1941 jusqu'à la capture de Danzig par les Soviétiques.

Il existe un document présenté à Nuremberg mentionnant une recette de savon, le document USSR-196. Ce document ne mentionne pas qu'il s'agit de savon humain, mais la recette avait été tapée sur un papier à entête de l'Institut anatomique de Danzig. Dans son témoignage du 11 juin 1945 (document IMT USSR-197 couvrant les dépositions de Mazur des 28 mai, 11 et 12 juin 1945) Mazur a reconnu cette recette comme celle utilisée à l'Institut de Danzig pour l'essai de fabrication de savon humain. Mazur, avant même de déposer devant les autorités soviétiques avait été interrogé par le Glowna Komisja Badania Zbrodni Niemieckich w Polsce (Commission d'Enquête sur les Crimes Allemands en Pologne), commission formée notamment d'éminents journalistes, scientifiques et juristes polonais. Mazur déposa auprès de cette commission le 12 mai 1945, 16 jours avant sa première déposition auprès des Soviétiques. La substance de ce qu'il rapporta auprès de la commission est la même que celle de sa déposition devant les autorités Soviétiques. Zofia Nalkowska, totalement indépendante des communistes, faisait partie de cette commission. Elle a rapporté le témoignage de Mazur. Par ailleurs, Hilberg écrit:

« Un document du professeur R. Spanner, directeur de l'Institut d'anatomie de l'Académie de médecine de Dantzig, du 15 février 1944, USSR-196, comporte une recette pour fabriquer du savon avec des restes de graisse (Seifenherstellung aus Fettresten), accompagnée de recommandations pour la suppression de l'odeur. Le document ne fait aucune allusion à de la graisse humaine. Toutefois, le 5 mai 1945, le nouveau maire (polonais) de Dantzig, Kotus-Jankowski, attesta lors d'une session du Conseil national : « Nous avons découvert, à l'Institut d'hygiène de Dantzig, une fabrique de savon où l'on utilisait des corps humains venant du camp du Stutthof, proche de Dantzig. Nous avons découvert 350 cadavres, des prisonniers polonais et soviétiques. Nous avons trouvé des marmites contenant des restes de chair humaine bouillie, une boîte d'os humains préparés,et des paniers de mains et de pieds et de peau humaine, dont la graisse avait été enlevée. » Cité par Friedman, Oswiecim, p. 64. » (Hilberg, 1988, p. 837)

Soulignons que la description faite par Mazur du savon fabriquée à l'Institut de Danzig, ne mentionne aucune marque particulière sur le savon. La photo présentée lors du procès de Nuremberg non plus. Ce document USSR-393 est disponible sur le web, ainsi qu'un plan rapproché. Le jugement du tribunal de Nuremberg ne contient aucune mention de la marque R.I.F.

Il faut bien séparer les rumeurs de fabrication industrielle de savon (y compris l'évocation de la marque R.I.F) d'avec celle de la tentative de fabrication à l'Institut de Danzig. Ce qui fut évoqué dans le jugement de Nuremberg fut bien cette tentative, et non les rumeurs de production industrielle.

Les rumeurs d'utilisation des cadavres pour la fabrication datent de 1942. Cependant les indices se rapportant à la tentative effectuée à l'Institut de Danzig datent de 1944. Mazur a témoigné que le directeur de l'institut, Spanner, lui a donné la « recette » du savon en février 1944 (IMT document USSR-197) et la recette de l'Institut de Danzig est datée du 15 férvrier 1944. Le caporal William Neely a déclaré dans son témoignage (document IMT USSR-272) qu'un réservoir destiné à la fabrication de savon humain avait été installé en mars ou avril 1944.

Spanner a été à deux reprises l'objet d'une enquête des autorités allemandes, à Hambourg en 1947 et à Flensbourg en 1947-1948. Il ne fut cependant pas poursuivi, ce qui ne signifie pas qu'il fut innocent mais simplement que les autorités ne disposaient pas de suffisament de preuves, ou de volonté, pour le poursuivre. Pour le déterminer, il faudrait accéder au fichier du bureau d'enquête de Flensgourg sur Spanner.

Si le grand public, et bien souvent hélas, les médias, ont fait l'amalgame entre les rumeurs qui apparurent en 1942, au départ fréquemment alimentées par les sarcasmes des Nazis, et la réalité de la tentative de Danzig de 1944, il n'en est pas de même des historiens.

Les Historiens

Les auteurs des principales monographies sur l'histoire du génocide juif sont Léon Poliakov (Bréviaire de la haine, 1951) Gerald Reitlinger (The Final Solution, 1953), Raul Hilberg (The destruction of the European Jews, 1961; trad française, 1988), Lucy Dawidowicz (The War against de Jews, 1975) et Martin Gilbert (The Holocaust, 1986). Poliakov, Reitlinger, Dawidowicz, Gilbert n'évoquent pas la question du savon humain. Seul Hilberg en parle.

Dès l'édition de 1961 de son ouvrage, Hilberg notait (p. 624) qu'il ne cherchait pas à déterminer si des barres de savon avaient été fabriquées dans les centres de mise à mort -- mais il ajoutait qu'à son avis ce n'était pas le cas -- ou même en dehors des centres de mise à mort. Cependant, dans ce contexte, il rapporte l'épisode de l'Institut anatomique de Danzig (qui date de 1944). Il est clair qu'Hilberg ne croit pas à la production industrielle de savon humain dans les centres de mise à mort, mais que l'épisode de Danzig lui paraît crédible. Ce qu'Hilberg étudie c'est la rumeur en tant que signe fort des meurtres de masse dans les centres de mise à mort, dès 1942. La date d'apparition de la rumeur du savon, coïncide bien avec l'Opération Reinhard, avec la mise en place de l'assassinat de masse dans les centres d'extermination. Ce n'est pas un hasard.

Le journaliste William L. Shirer a, en 1960, rapporté l'épisode de l'Institut anatomique de Danzig en ces termes:

« Selon un document présenté par l'accusation russe, une firme de Dantzig construisit une cuve chauffée électriquement pour transformer en savon la graisse humaine » (William Shirer, Le troisième Reich. Des origines à la chute, Stock, 1962, vol. 2, p. 343)

Remarquons que Shirer ne souscrit ni ne confirme ces allégations. Il ne mentionne d'aucune manière la moindre fabrication en masse de savon par quelqu'usine que ce soit. Il évoque seulement une firme qui a fabriqué un réservoir, et ce d'après un document du Tribunal de Nuremberg, en fait le document USSR-272, pour être précis. Ce document était constitué de la déposition du prisonnier de guerre britannique déjà mentionné, le caporal William Anderson Neely.

En 1968, Olga Wormser-Migot, dans un ouvrage consacré à l'étude du système concentrationnaire nazi (et non aux centres d'extermination ni au génocide des Juifs, sujets abordés « en passant »), évoque, en note, la fabrication du savon humain. Là encore elle ne mentionne que les expériences de Danzig effectuées à partir de cadavres de concentrationnaires du Stutthof (Olga Wormser-Migot, Le système concentrationnaire nazi (1933-1945), Presses Universitaires de France, 1968, p. 524, n. 2)

En 1980 Walter Laqueur écrivait à propos de la fabrication de savon à partir de cadavres: « Il s'avéra après la guerre que l'histoire était en fait fausse » (Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La "Solution finale" et l'information étouffée, NRF, p. 104) Laqueur fait cette remarque en passant, après avoir mentionné plusieurs rumeurs de ce type.

Sur le même sujet, Gitta Sereny a écrit en 1974:

« l'information largement accréditée partout, selon laquelle les corps servaient à faire du savon et de l'engrais, est finalement infirmée par le Centre national de Ludwigsburg d'investigation sur les crimes nazis, organisme généralement considéré comme digne de foi. Après de très nombreuses recherches, le Centre n'a découvert qu'une seule expérience faite sur "un certain nombre de corps en provenance d'un camp de concentration. L'idée s'étant révélée impraticable, elle semble avoir été abandonnée" » (Gitta Sereny, Au fond des ténèbres, Denoël, 1975, p. 150)

Gitta Sereny commet une erreur en prétendant que l'idée de la fabrication, en tous cas de façon organisée, de savon était « largement accréditée ». Elle ne l'a jamais été, certainement pas auprès des historiens, ainsi qu'on l'a montré ci-dessus. Gitta Sereny ajoute cependant qu'une expérience en ce sens a eu lieu.

Enfin, dans une étude systématique en anglais sur le système concentrationnaire nazi, Konnylin G. Feig aborde la question du savon humain, mais uniquement dans le cadre de l'étude du Stutthof et par l'évocation des expériences de Danzig (Konnylin G. Feig, Hitler's Death Camps, Holmes & Meiers Publishers, 1981, p. 200-202). Feig cite les dépositions de Mazur, Neely et Witton. Dans une note qui se rapporte au même sujet (p. 479), elle précise que les spécialistes savent que les barres de savon marquées « R.J.F » n'étaient pas faits de graisse humaine et elle rappelle que le savon fabriqué à Danzig ne porte pas cette marque. Dans la même note figure une phrase ambigüe qui pourrait suggérer que Feig pense que du savon humain a été fabriqué à d'autres occasions qu'à Danzig, mais Konnylin Feig n'est pas explicite et surtout elle ne parle à aucun moment de fabrication industrielle. L'ambiguité de la note de Feig est ce qui peut se trouver de plus erroné dans le traitement du sujet de la fabrication de savon humain chez les historiens.

Régulièrement ceux-ci doivent faire des mises au point car la rumeur ressurgit. Ainsi Yehuda Bauer, en 1990, rétablissait les faits: pas de production massive mais une tentative à Danzig. Il ne s'agissait là encore que d'un rappel de ce que les historiens savent depuis longtemps. Certainement pas d'une révélation ou d'un revirement.

Compléments :

Témoignage de Sigmund Mazur du 12 mai 1945 devant une commission polonaise, rapporté par un membre de cette commission, Zofia Nalkowska. Lire...
L'historien Yehuda Bauer publie une mise au point dans le Jerusalem Post du 29 mai 1990. Lire...

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