luni, 20 decembrie 2010

L’Histoire en danger par Annie Lacroix-Riz

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L’Histoire en danger par Annie Lacroix-Riz

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11 novembre 2010
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Les Sciences sociales se trouvent au cœur de l’offensive générale contre l’université, l’histoire en particulier, dont le statut a été étroitement associé à l’évolution politique de la France depuis le 19e siècle. Une dégradation considérable des contenus est intervenue en une vingtaine d’années, mesurable par l’évolution du contenu des manuels d’histoire dans tous les cycles de l’enseignement.


Elle a été facilitée par la droitisation de la profession, caractérisée par une soumission plus étroite de ses élites universitaires aux desiderata et pressions des milieux dirigeants, et d’une remise en cause, acceptée par les mêmes élites, revendiquée formellement par certaines d’entre elles, des méthodes classiques du travail historique : contestation de la priorité du recours aux archives originales, dénonciation du « positivisme » besogneux des ringards, promotion de l’histoire des « représentations » au détriment de la recherche de l’objet ou de la vérité historique ; dictature de certains thèmes ou sujets : « histoire du genre » directement importée des États-Unis, « histoire culturelle », « histoire des entreprises » (directement contrôlée par les élites privées et gouvernementales), chacune de ces spécialités tendant en l’occurrence à rompre toute attache avec l’histoire des classes sociales, etc.

Le contrôle des milieux dirigeants, assurément pas neuf, sur la recherche en histoire a été accru depuis les années 1990 : il s’est affiché dans les missions et commissions officielles confiées par divers gouvernements à des universitaires consensuels et médiatiques, et dans la création systématique de groupes institutionnels de recherche directement financés par des grands groupes (Banque de France, SEITA, RATP, banques, etc.) et plaçant en situation de dépendance financière donc scientifique les enseignants-chercheurs ou chercheurs y apportant leur contribution ou leur caution. C’est dans ce cadre conjoncturel que des spécialités historiques, devenues plus périlleuses que jamais pour les carrières et promotions, ont perdu toute attractivité. Entre autres liquidations, on a enregistré celle, spectaculaire, de l’histoire du mouvement ouvrier, dont l’essor, si modeste qu’il fût demeuré, avait accompagné l’existence d’un parti révolutionnaire important. On dispose là de l’exemple type, d’une part, du parallélisme entre la conjoncture politique et le statut de l’histoire, et, d’autre part, du lien direct entre la destruction (ou l’autodestruction) du PCF et les conditions objectives d’exercice du métier d’historien.

Le débat historique, élément organique du bon fonctionnement de la profession, a disparu au cours de la même période au profit de la publicité médiatique accordée à des « débats » dont tous les interlocuteurs sont d’accord sur l’essentiel : ce qui vaut pour la plupart des colloques « scientifiques » est symbolisé par les « Rendez-vous historiques de Blois » qui, chaque année en octobre, incarnent ce consensus distingué droite-gauche de gouvernement, sur tous les thèmes, de « l’Europe » à « l’argent ». Colloques et congrès réunissent sauf exception des scientifiques consensuels, dont la problématique exclut toute contestation des thèses dominantes. Le phénomène a été rendu systématique par les difficultés sans cesse aggravées du financement public et national de la recherche : la récente « réforme des universités » doit achever un processus qui l’a précédée. Le financement « européen » est donc venu renforcer les tendances strictement françaises : tout colloque « européen » n’a pu se tenir que dans un cadre idéologique défini, exclusivement « européiste ». La production historique associée porte désormais label officiel, recommandé par les autorités de la profession, via les bibliographies des concours de recrutement, idéologiquement unilatérales, parfois directement issues des « Presses » européennes de Bruxelles. Car les concours eux-mêmes, naguère caution de la qualité scientifique de l’histoire française, ont été investis, avec la complicité d’universitaires « européistes » et prosélytes, par le dithyrambe sur l’« union européenne » présentée comme un heureux impératif historique depuis l’après Première Guerre mondiale (question mise aux concours de 2007 à 2009). Les bibliographies y afférentes sont agréées par la revue corporative de l’APHG (Association des professeurs d’histoire et de géographie de l’enseignement public), Historiens et Géographes. L’histoire contemporaine s’est à peu près alignée sur l’école des Sciences Politiques et la revue L’histoire, bréviaire de l’anticommunisme et de l’antimarxisme ou de la pensée fureto-courtoisienne (Le livre noir du communisme) qui fait depuis des décennies des ravages du secondaire au supérieur.

Les manuels, dirigés par des universitaires acquis aux orientations en cours, se sont adaptés, sans résistance notoire, aux « programmes » sans cesse remaniés et appauvris par le ministère de l’éducation nationale. L’étude de la crise des années 1930 a été bannie de l’enseignement secondaire, entre autres suppressions chargées d’abolir toute connaissance et toute réflexion sur les systèmes économiques. Les divers manuels ont souscrit à la prescription de l’étude conjuguée des « totalitarismes », confondant dans une même leçon les régimes fascistes et le « régime stalinien ». L’APHG est allée en mars 2007 jusqu’à apporter sa caution officielle à la diffusion, organisée sous l’égide du ministère de l’éducation nationale, d’un long documentaire (100 mn) diffusé sur la chaîne M 6, culturelle entre tous, « Staline, le tyran rouge », insulte à l’intelligence des spectateurs et parangon du brouet qui est aujourd’hui servi à la population française en général et à sa jeunesse en particulier.

Les vingt dernières années, sous les gouvernements de « gauche » comme de droite, ont vu la part de l’histoire s’affaiblir dans l’enseignement secondaire, y compris dans le cycle long (trois heures en section scientifique des lycées au lieu de quatre). En section scientifique, celle qui forme ceux qui sont chargés d’organiser le travail des autres, l’histoire sera, dans le cadre de la « réforme des lycées », qui promet d’être aussi drastique que celle de l’université, transformée en option pur et simple, autrement dit supprimée. Ce qui la réduira au rôle qu’elle occupe aux États-Unis : la masse de la population est là-bas ainsi privée d’accès à la moindre connaissance historique, condition rêvée pour qu’histoire et propagande ne fassent qu’un.

La droitisation du corps, facilitée par la conjoncture politique française, par la sélection sociale grandissante (cf. infra) et par la disparition ou l’amoindrissement des contenus scientifiques, n’a cependant pas suffi à l’entreprise de liquidation. C’est donc la discipline, finalement toujours incontrôlable en dernière analyse, qui requiert intervention directe. En 2008, la nouvelle loi sur les archives, visant à remplacer celle de 1979, a donné prétexte à tentative « parlementaire » d’étendre les délais d’ouverture des fonds d’État (jusqu’à 75 ans au lieu de 30 ou 60) : le succès de l’entreprise aurait rendu impossible l’étude de l’histoire de la France au 20e siècle. Le « débat » s’est tenu sur fond de prescriptions législatives imposées aux enseignants et chercheurs sur la grande mission coloniale et civilisatrice française. La protestation de la profession, plus sensible à ce type d’assaut direct qu’aux attaques insidieuses de long terme, a contribué à l’abandon de certaines prétentions, mais le recul à cet égard ne saurait tromper.

La « réforme des universités », mitonnée à la sauce « européenne » déjà mentionnée, doit parfaire la mission liquidatrice. Tout y contribuera : l’« autonomie » des établissements ; la privatisation revendiquée des ressources, alors même que des fonds publics considérables sont affectés au « crédit recherche », forme de financement public sans contrôle de la grande production privée ; la dictature des présidences d’université sur les recrutements, sur les emplois du temps des personnels classés en « chercheurs » et « non-chercheurs » (offensive contre le décret de 1984 bloquée en 2009 : pour combien de temps ?), sur les carrières, sur le choix des options d’enseignement et de recherche, notamment via les financements ; la précarisation grandissante du corps des enseignants-chercheurs ; la « secondarisation » de la plupart des universités, réduites au premier cycle (avec fermeture des petits établissements et regroupements sur d’autres), excluant la recherche pour leurs personnels et son bénéfice pour les étudiants des premiers cycles du supérieur ; l’affaiblissement considérable, entamé depuis la « réforme [européenne] des LMD » (examinée plus loin), des « masters-recherche » liés à la double filière enseignement-recherche au profit des masters « professionnels » dont le « niveau » final (dit de M2, à bac + 5) exclura ses prétendus « bénéficiaires » de tout statut et de toute protection professionnels. Il y a six ans, l’offensive contre le statut de la fonction publique ou thatchérisation stricto sensu a été annoncée aux cénacles discrets des grandes écoles hérités des clubs synarchiques, notamment par Michel Pébereau, alors président de BNP Paribas, et Eric Woerth alors « secrétaire d’État chargé de la réforme de l’Etat », respectivement devant le « cercle des centraliens dirigeants » les 18 juin et 7 octobre 2004 » (Nos débats, n° 8, octobre 2004. La tempête en cours – la liquidation de fait et de droit du statut de la fonction publique de novembre 1946 y était décrite avec un grand luxe de détails, telle qu’elle se déroule actuellement, en l’absence de forte réaction syndicale jusqu’à présent. Elle aura, certes, des effets directs sur le niveau général des salaires français : tendant à liquider le socle du « salaire minimum vital » que le statut de 1946 a fondé, elle doit faciliter la fixation des salaires, secteur privé inclus, à des niveaux très bas. C’est la garantie statutaire accordée par le statut Thorez à des millions de fonctionnaires qui a conforté la situation de la totalité des salariés, ce que la propagande dissimule à ces derniers, avec un certain succès, depuis les origines.

Mais cet assaut contre les fonctionnaires ne concerne pas seulement les salaires, directs et indirects, des fonctionnaires et des non-fonctionnaires. Il heurte aussi de front l’indépendance des disciplines, histoire comprise (les sciences économiques, dont l’indépendance ou le sens critique ulcère le MEDEF, la philosophie, et tout le reste des sciences sociales font l’objet des mêmes tentatives de casse). La disparition du socle protecteur de 1946 a été à l’université (entendue au sens large de maîtresse des diplômes et grades) facilitée par la réduction des concours à une peau de chagrin. Cette réduction, progressive depuis les années 1980, sous les gouvernements de « gauche » et de droite, s’effectue désormais à un rythme drastique. Elle a été concomitante de la réforme « européenne » du « LMD » (licence, maîtrise, doctorat) de 2005, présentée sous un jour fort engageant, qui a dupé la majorité des universitaires. Elle devait assurer un « niveau » de formation théoriquement accru mais qui ne serait sanctionné ni par un concours ni par le statut y afférent : la durée des études a été élevée d’un ou deux ans, mais aucune garantie supplémentaire ne sanctionnera cette élévation. Le contenu scientifique des études a été par ailleurs affaibli par mainte « réforme », notamment par la « semestrialisation » des cours, naguère annuels, prétexte à réduire le contenu scientifique des enseignements. La « réforme » en cours depuis 2008-2009 réservera les concours à une minorité sociologique encore plus étroite qu’actuellement : une bonne moitié des étudiants est constituée de salariés, déjà fortement brimés dans l’avancement de leurs études, puisqu’il leur faut en moyenne deux fois plus de temps qu’à leurs camarades non salariés pour « boucler » leurs études. Ils vont être, dans ce domaine aussi, doublement frappés par la « réforme » des retraites : qui pourra attendre l’âge de 30 ans ou davantage pour accéder à la carrière enseignante (et à la capacité à cotisation) ?

La promesse de « revalorisation » des carrières du secondaire – agréée pendant plusieurs années par le syndicalisme naguère combatif (c’est à dire la FSU, et pas seulement le syndicalisme officiellement compréhensif du style CFDT ou UNSA) – va se transformer, vu la restriction du recrutement des fonctionnaires, en généralisation des personnels précaires dans le secondaire. Sans parler des effets de la loi « mobilité » d’août 2009, qui permettra de licencier ceux qui auront conservé le bénéfice du statut dans le cas, massivement programmé par dizaines de milliers par an, de suppression des postes de titulaires (au bout, vite atteint, de trois refus). Appelés à devenir majoritaires dans les effectifs, contraints à des horaires remis au bon vouloir des chefs d’établissement – la gauche de gouvernement est en plein accord de fait avec la droite sur les « 35 heures » minimales de présence à l’école , ces nouveaux et jeunes personnels seront mis dans l’impossibilité de faire de la recherche – alors que le secondaire a été depuis le 19e siècle un vivier de la recherche historique (ou littéraire) en France.

La liquidation du CNRS, qui complète les multiples mesures contre la recherche prises à l’université même, doit parfaire la mission. Réduits à une situation précaire, soumis à leurs chefs d’établissement, contraints à passer des contrats de recherche brefs et limités aux objectifs fixés par les institutions (présidences d’université et autres responsables de la recherche en France), les historiens seront privés du minimum d’indépendance intellectuelle et économique que leur ont assuré les garanties acquises après la Libération. C’est dire que le sauvetage de l’héritage de la Libération, et notamment du statut de la fonction publique Maurice Thorez, n’est pas moins important pour l’avenir de la science française en général, de l’histoire en particulier, que pour les conditions de vie et de travail de l’ensemble des personnels de l’enseignement et de la recherche. Le sort de l’histoire en France, discipline dont le caractère décisif est lié à son insertion dans le débat politique national depuis les lendemains de la révolution française, dépend directement des réponses politiques qui seront données à la crise systémique. Toute réflexion sur les solutions à envisager impose d’examiner avec lucidité le bilan catastrophique qu’ont accumulé en la matière la droite actuellement aux affaires et la « gauche » qui a sans répit alterné avec elle depuis 1981.

(On trouvera des détails sur les questions ici abordées dans mon ouvrage L’histoire contemporaine sous influence, Pantin, Le temps des cerises, 2004, 145 p., tirage 2010, et sur mon site, http://www.historiographie.info/, rubrique travaux)

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