Samedi 18 décembre 2010 6 18 /12 /2010 16:44
Une affaire assez folle est sortie tout récemment, et elle produit dans la presse française un silence assourdissant.
Dick Marty, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, suisse, vient de rendre un rapport dans lequel il affirme, nombreux éléments de preuve à l'appui, que l'UCK (indépendantistes kosovars) aurait abattu des prisonniers serbes, de façon répétée, pour revendre leurs organes à des cliniques. L'un des organisateurs de ce trafic ne serait personne d'autre que l'actuel premier ministre du Kosovo, Hashim Thaci.
Le Temps (Suisse) écrit :
Le document de 28 pages, résultat d’une investigation de deux ans, parle d’un «noyau restreint mais incroyablement puissant de personnalités de l’UÇK» impliquées, appelé «Groupe de Drenica», dont le parrain n’était autre que l’actuel premier ministre du Kosovo, Hashim Thaçi. L’UÇK, considéré comme un allié des forces internationales, avait joué un rôle important au cours du conflit qui opposait l’OTAN à la Serbie au début des années 2000. Parmi les membres de ce réseau criminel aux ramifications internationales, le rapport identifie une autre figure historique de l’UÇK, Shaip Muja. Ce chirurgien est actuellement conseiller auprès du cabinet de Hashim Thaçi.
[...]
Le rapport poursuit: «Lorsqu’il était confirmé que les chirurgiens chargés de la transplantation étaient en place et prêts à opérer, les prisonniers auraient été menés un à un hors du «refuge», sommairement exécutés par balle par un agent de l’UÇK et leurs corps étaient transportés rapidement à la clinique où avait lieu l’opération.»
Marty ne dit rien dans son rapport sur les receveurs de ces organes, mais il déclare ceci au Temps :
En savez-vous plus sur les bénéficiaires de ces organes en 1999 et les pays impliqués?
– Oui, j’en sais plus, mais nous n’avons pas donné de détails par respect pour le procès en cours actuellement sur le trafic d’organes qui a eu lieu en 2006 à la clinique Medicus à Pristina, cela sous le nez des internationaux. Et je suis persuadé que ce sont en partie les mêmes personnes qui ont collaboré au trafic de 1999-2000. Aussi, je ne voulais pas être accusé de vouloir influencer ce procès.
Dick Marty avait déjà révélé l'existence en Europe de centres de torture de la CIA.
L'information est suffisamment établie pour que la présidente suisse ait finalement refusé de recevoir un prix kosovar.
Naturellement, comme l'Unon européenne a encouragé le démantèlement de la Yougoslavie, et géré le Kosovo, un grand silence s'impose sur ces révélations.
Comme l'écrit le Temps (qui consacre un vrai dossier à ce sujet), la facture politique est lourde pour Bruxelles :
"L’Union européenne le sait: tout ce qui sortira sur l’implication criminelle du premier ministre Hashim Thaçi la placera en position d’accusée. Comment continuer d’exiger de Belgrade l’arrestation du général bosno-serbe toujours en fuite Ratko Mladic? Ou comment, surtout, contrer ceux qui, comme le jeune politicien kosovar nationaliste Albin Kurti, demandent le départ d’Eulex pour cause de compromission avec l’élite au pouvoir?"
Il faut lire l'ensemble du dossier du Temps pour comprendre à quel degré de cynisme sont parvenus Bruxelles, et le camp occidental (Le Temps : "Il y a ceux qui sont dégoûtés, juge un diplomate. Et les autres pour qui, mafieux ou pas, Hashim Thaçi a au moins le mérite d’être un pragmatique possible à contrôler.")
Le Monde joue son rôle de défenseur de la chrétienté l'Europe, et se déshonore en expédiant le rapport Marty d'un titre infâme : "Kosovo, les faiblesses du rapport sur les trafics d'organes".
L'auteur y cite le rapport Marty en employant systématiquement le conditionnel, pour finir en donnant la parole à Jacques Rupnik, un professeur à Sciences-Po : "Avec un tel rapport, vous intervenez directement dans le jeu politique du Kosovo, en délégitimant celui qui est arrivé en tête et doit organiser des négociations de coalition." L'universitaire ne nie pas le contenu du rapport, il fait sans doute partie de ceux qui trouvent que "mafieux ou pas, Thaci a au moins le mérite d'être possible à contrôler..." Il explique juste qu'il est urgent de regarder ailleurs.
Rupnik a travaillé pour un think tank américain et a été membre de la commission indépendante pour le Kosovo en 1999-2000. Le journaliste du Monde aurait pu trouver une personnalité moins impliquée peut-être pour commenter ce rapport.
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Fermons les yeux une seconde. Imaginons qu'on découvre un jour que la Chine couvre un trafic d'organes en Corée du Nord, ou en Iran. Nul doute que le Monde publierait cette information en employant force conditionnels, et se contenterait de la traiter dans un petit article en pages intérieures. BHL se tairait et personne n'en entendrait parler...
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Je dois à Fred Delorca d'avoir attiré mon attention sur cette information, et sur la façon honteuse dont elle a été traitée par le Monde. Il y a un moment où ne rien dire sur ce que l'on sait, c'est consentir à l'ignoble. Plus l'information est disponible, plus ceux qui soutiennent l'Union européenne, qui tient l'étouffoir dans cette affaire, peuvent être considérés comme moralement complices. *
Dernière réflexion. La Suisse de Ziegler et de Marty honore le monde. Quand Fred m'a parlé de cette affaire, je me suis dit que les journaux suisses devaient l'avoir traitée convenablement. Eux ne sont pas mouillés dans la promotion constante de l'Union européenne. Le jour où, cédant à la pression, ce pays entrerait dans l'Union, le monde en sortirait amoindri. Comme chaque fois qu'une voix indépendante et originale se noie dans une organisation stérilisante et servile. Vive la Suisse libre ! Post scriptum : article moins corrosif de Mediapart (http://www.mediapart.fr/club/blog/henry-moreigne/181210/kosovo-et-trafic-d-organes-une-verite-qui-derange-trop-0#)
PS 2 : article précis sur Agoravox, avec une jolie photo de Kouchner, se marrant aux côtés de Tachi...
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