joi, 9 decembrie 2010

Carole Gayet-Viaud . Est-il devenu indécent de parler politique ?

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

Est-il devenu indécent de parler politique ?

par Carole Gayet-Viaud [08-12-2010]
Domaine(s) : Politique
Mots-clés : ethnographie | engagement | groupe | États-Unis
 
Les mœurs et la culture politique ne forment pas un simple arrière-plan pour l’action politique, elles en constituent le lieu même d’élaboration, ou de refoulement. C’est ce que montre l’ouvrage désormais disponible en français de Nina Eliasoph, Professeur de Sociologie à USC (Los Angeles).

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Recensé : N. Eliasoph, L’évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne [Avoiding Politics. How American produce apathy in everyday life, Cambridge University Press, 1998] traduit de l’anglais par Camille Hamidi, Paris, Economica, 2010, 352p., 30€
L’ouvrage rapporte une enquête menée pendant plus de deux ans, au tournant des années 1990, dans deux petites villes de banlieue des États-Unis désignées sous le nom d’Amargo et Evergreen City. Faisant fond sur l’idée tocquevillienne que vie associative et vitalité démocratique sont étroitement reliées, l’ethnographe investit différents groupes civiques, dont elle devient membre, partage l’existence et les activités, pour décrire et analyser leurs manières de se rapporter à la politique et à la vie publique. La démarche est guidée par deux questions : Quelle est la place des citoyens ordinaires dans la vie publique ? Quelle est la place de la discussion politique dans l’élaboration quotidienne de la compétence politique ? Et c’est par la bande, en analysant le déroulement des conversations ordinaires des Américains, que l’auteure aborde la question de l’engagement des citoyens dans la vie publique. Elle met au jour les rouages d’une culture de l’évitement du politique, par laquelle les citoyens renoncent à thématiser leurs expériences dans une perspective politique, alors même que le cours et les affaires du monde ne les laissent ni satisfaits, ni indifférents.

Enquête sur des citoyens ordinaires

L’ouvrage se compose de neuf chapitres, complétés par deux annexes qui forment des excursus précieux (une réflexion sur le statut de la variable « classe sociale » notamment) que le choix d’une langue et d’un style narratif délibérément peu jargonnants (avec un naturel, un humour et un plaisir à la lecture peu communs pour les habitués du style académique français) remise en bordure d’exposé. Les chapitres d’ouverture et de clôture situent l’enquête dans le paysage des réflexions de sociologie et de sciences politiques nord-américaines concernant la démocratie, l’engagement (associatif, militant), l’expérience publique, la compétence politique, mais sans jamais laisser les enjeux théoriques s’émanciper des entrées proprement empiriques de l’enquête. Leur formulation est constamment mise au service de l’intelligibilité, formulée dans les termes les plus ordinaires et concrets, des situations observées. L’ouvrage offre donc, par son écriture même, un modèle assez exemplaire de ce pour quoi il milite : l’ancrage fermement tenu du questionnement politique dans la vie et les cadres ordinaires de l’expérience sociale. Car l’ouvrage est sur ce plan ouvertement engagé : le moteur de l’enquête est l’idée que la vitalité démocratique passe par la capacité des citoyens ordinaires à prendre part à la vie publique, et que celle-ci commence avec la participation à des discussions animées par « l’esprit public [1] ». Les sept chapitres centraux sont consacrés à la narration analytique de cette quête, souvent déçue, des lieux et formes de la discussion politique « libre et imaginative ».
La découverte centrale de l’enquête est un paradoxe : dans l’ensemble des groupes étudiés, les conversations qui se tiennent entre les membres s’avèrent d’autant moins « animées par l’esprit public » que les situations y sont effectivement publiques. Le caractère politique des conversations « s’évapore » à mesure que l’exposition au public s’intensifie. L’analyse reprend l’opposition d’Erving Goffman entre une scène où les personnes se montrent généralement sous leur meilleur jour, et des coulisses où elles se relâchent (physiquement et moralement), pour en montrer ici le renversement complet. Alors même que les discussions privées, en coulisse, se montrent soucieuses de l’intérêt général, et de la portée proprement politique des thèmes, problèmes et situations rencontrés ou évoqués, sur scène, le désintéressement ou le raisonnement politique pris pour lui-même disparaissent, s’avérant inaudibles et irrecevables. Tout se passe comme si la société américaine avait rendu inconvenant le fait de parler politique en public. Ce qui marque un contexte comme « public » devient donc, ironiquement, le fait que la conversation qui s’y déploie ait des horizons plus étriqués, de portée plus petite, et souvent, bien plus dépourvue d’esprit public, que ce que montrent les contextes privés (les discussions de groupe tenues en coulisses ou dans les entretiens en tête à tête avec l’ethnographe).

Politique du groupe

L’enquête porte sur trois types de groupes : des bénévoles (en particulier un groupe de lutte contre les drogues) ; des membres d’un club de danse country (les « personnes privées » du bar Buffalo) et des militants (en particulier un groupe de lutte pour la protection de l’environnement). Chaque groupe fonctionne en réglant, dans l’organisation courante des interactions, via son « style de groupe [2] », les façons de se conduire et les manières propres d’esquiver, ou de cultiver, le politique, en relation avec l’image que le groupe a de lui-même, ce que sont les liens entre les membres, et ce qu’est la façon normale et attendue de se rapporter à « la grande société » dans les interactions quotidiennes.
Chez les bénévoles, l’évitement du politique tient à une volonté farouche de se focaliser sur ce qui est faisable et à portée. Les problèmes sociaux et politiques se voient décomposés en problèmes individuels, se prêtant mieux à des solutions concrètes, locales, immédiates, au format et à l’esprit de l’action bénévole (temps de présence et énergie des personnes, récolte de fonds). L’absence de discussions politiques y est donc le résultat d’une sélection active et d’un refus de se laisser décourager par ce qui semble hors de portée. « En faisant des efforts désespérés pour préserver leur sentiment qu’il était possible d’agir, pour conserver leur optimisme et leur espérance, les bénévoles supposaient qu’il leur fallait taire toute discussion sur des problèmes politiques » (p. 40).
L’« évaporation du politique » chez les bénévoles est le signe, en même temps que le moyen, d’une division du travail politique claire, entre d’un côté ceux qui pensent, discutent et décident (les autres, les institutions, les pouvoirs publics) et de l’autre ceux qui font, à hauteur de leurs capacités limitées, qui « donnent un coup de main », se montrent efficaces plutôt que geignards, réalistes plutôt qu’idéalistes, se retroussent les manches plutôt que de perdre leur temps en bavardages stériles et vains. Les bénévoles se disent que « si tout le monde faisait comme eux » alors le monde irait mieux. La dimension de repli sur les moyens individuels s’oublie même comme pis-aller, à tel point que le régime civil de la vie du groupe va jusqu’à proscrire, en pratique, la thématisation politique des problèmes. Parler politique est considéré comme inconvenant : c’est « prêcher pour sa paroisse », diviser, nuire à la dynamique d’action du groupe, glisser vers la polémique et les logiques partisanes, qui s’apparentent finalement à du mauvais esprit. La perspective politique (de réflexion collective sur la dimension publique des problèmes, et les possibilités d’y apporter des solutions collectives et durables) n’est donc pas simplement suspendue au nom de l’urgence d’actions ponctuelles à mener ; elle y est décrétée totalement et durablement malvenue, comme un contrecoup du centrage univoque et exclusif sur les choses faisables (que l’on peut mener à terme) dans une conception de l’action efficace radicalement calquée sur le modèle du projet. À la discussion politique, qui semble tellement incertaine et risquée (indéterminée, donc vaine), les bénévoles préfèrent l’organisation besogneuse et modeste, mais sûre de ses effets. Les considérations politiques hors de portée immédiate sont jugées stériles et démoralisantes, bref, de mauvais aloi, et finalement de mauvais goût. Impossible d’aborder un problème si l’on n’a pas déjà « une solution à proposer ». On sent l’agacement et la stupeur mêlée d’ironie de l’auteure lorsqu’elle met en regard de cette frilosité devant la discussion d’horizons potentiellement « politiques » des activités (comme la nécessité d’une prise en charge publique des temps périscolaires, à laquelle les bénévoles trouvent naturel de répondre par une mobilisation des personnes de bonne volonté) les longues discussions menées sur « le super cuit-vapeur à hot-dogs » et autres formes d’inventivité débridée, déployées pour collecter des fonds.
Dans l’aboutissement de cette division du travail politique, entre la tête et les bras, on retrouve le phénomène bien analysé par Arendt, dénonçant la séparation platonicienne de l’archein et de la pratein [3]. Pour Arendt, la distinction et bientôt l’autonomisation de ces deux « moments » de l’action, le commencement d’une part (devenant bientôt commandement) et la mise en œuvre d’autre part (bientôt réduite à l’exécution) signifiait la perte de la spécificité de l’action comme praxis, qui est à elle-même sa propre fin, et sur laquelle l’application du modèle de la fabrication est destructeur. Les bénévoles en livrent un exemple saisissant en se donnant d’emblée comme horizon borné l’objectif d’être des maillons besogneux dans une chaîne du travail à abattre, se confinant volontairement et résolument dans une perspective instrumentale, dans le domaine modeste et rassurant de la pratein, où les contours et les fins des actions sont déjà arrêtées, en dehors d’eux. Ils laissent à d’autres estimés plus compétents, la question de définir les fins, de discuter des choses, « au lieu d’agir ». Car pour eux, la discussion s’oppose à l’action et en éloigne. Ils se domicilient dans l’intendance, et s’octroient la vertu modeste et laborieuse de ceux qui ne se paient pas de mots et s’effacent derrière la somme quantitative de travail abattu.
Chez les amateurs de country, l’atmosphère est bien différente ; les gens ne sont pas réunis par leur souci du monde et leur volonté d’en prendre soin ensemble, mais plutôt par une défiance commune vis-à-vis de tout ce qui relève de la vie sociale, de ses règles et institutions, évoquées sur le mode perpétuel de la contrainte et de l’inauthenticité. Les amateurs de country se vivent comme des êtres singuliers que la conversation sérieuse menace ou ennuie. Les blagues salaces, racistes et scatologiques y sont le mode privilégié de communication, entretenant avec anxiété cette distance ricanante vis-à-vis du monde et des manières supposées en vigueur dans le reste de la société. Ici, l’évitement du politique se fait sur ce fond général de cynisme, qui prétend préserver la liberté et « l’authenticité » du moi par cette mise en scène d’une distance désabusée aux affaires du monde. Les membres cultivent la nostalgie des communautés d’interconnaissance, et travaillent dur, dans leur milieu « post-sub-urbain », pour fabriquer un sentiment de communauté au sein de leur club. Mais ils se connaissent mal entre eux, notamment du fait de se parler si peu, et sur ce mode limité où prime l’exigence de se montrer irrespectueux. Ils ne mettent en commun qu’un fond limité de références commerciales à l’univers country. Surtout, leur façon de mettre à distance toute chose (y compris les rituels de leur propre club) au nom d’un esprit festif insouciant, les laisse finalement souvent bredouilles au moment d’établir des liens tangibles. Les conversations en coulisses révèlent ces frustrations, ainsi que le malaise que suscite l’esprit d’irrévérence parfois bien pesant.
C’est, assez logiquement, chez les militants seulement que les discussions animées par l’esprit public trouvent enfin une place (et de justesse, car le groupe évolue au fil de l’enquête). Les militants eux-mêmes sont entravés par une culture partagée de la défiance vis-à-vis du « style militant » et notamment du « style radical », à la fois parce que stratégiquement, ils savent ce style suicidaire dans leur rapport aux institutions publiques et aux médias, mais également parce qu’ils sont eux-mêmes baignés dans cette idée que l’inconvenance guette constamment toute lutte. Dans le groupe de lutte contre la production des déchets toxiques, la distance réservée vis-à-vis des syndicats d’ouvriers, pourtant très actifs et efficaces en matière de défense de l’environnement dans leur région, en est une illustration. S’ils n’éludent pas totalement les questions politiques, ils cèdent eux aussi à la culture publique en vigueur sur la malséance et l’illégitimité du citoyen ordinaire à parler politique, en endossant, dans les contextes publics, l’habit de « la mère de famille » et la focalisation caricaturale de ses préoccupations sur « ses intérêts égoïstes ». Leur souci du bien commun et l’esprit public qui irriguent leurs discussions privées s’éclipsent lorsqu’ils interviennent sur des scènes publiques : « ils s’imaginaient que l’espace public était réservé à des individus ayant des raisons de se plaindre, qui voulaient faire entendre leur point de vue et juste « parler en leur nom propre » » (p. 12). Les interventions en public ravalent la participation citoyenne au rang subalterne d’expression des peurs et de défense de leurs propriétés. La mise au jour des différends, qui exige pourtant un investissement lourd de la part des militants (pour se former sur les dimensions techniques qui servent souvent de prétexte à l’évacuation de toute discussion politique) se voit continuellement reformulée en « manque d’information » et en simple concurrence, entre les nécessités économiques ou sociales qu’une administration responsable ne peut négliger (fatalités et réalités « factuelles » estimées intangibles) et les réflexes étiquetés NIMBY [4] des citoyens aux horizons étriqués et compétences limitées, en regard desquels une tolérance et une hospitalité condescendantes figurent la panacée démocratique. Le registre dans lequel les militants se placent alors eux-mêmes, à force de s’y voir placés d’office, est celui du testimonial.
Les écarts considérables qui séparent les trois groupes n’en rendent que plus remarquable ce qui fait leur point commun : le discrédit de la parole qui règne en leur sein (et sans doute plus fondamentalement le discrédit de la pensée, dans son rapport à l’action). La réduction de la parole et de la discussion à de la rhétorique, au mieux stérile, au pire franchement suspecte, est finalement une constante. Chaque groupe la décline et l’accomplit à sa façon, dessinant autant de figures repoussoirs de la prise de parole publique politiquement engagée. Chez les amateurs de country, parler sérieusement, c’est chercher à se mettre en valeur et monter sur ses grands chevaux. Chez les bénévoles, envisager la face politique et publique des problèmes, c’est se plaindre, perdre son temps et démoraliser les troupes, au lieu de mobiliser les énergies de manière concrète et constructive. Chez les militants, convoquer des raisonnements sur les fins de la collectivité politique, c’est risquer de verser dans le radicalisme. À chaque fois, ce qui s’élabore au travers des interactions, c’est une culture de l’incompétence et de l’illégitimité du citoyen à s’avancer, en tant que citoyen concerné, sur les scènes où pourraient se discuter le bien commun et les questions relatives à la « grande société ». La réduction de l’esprit de débat à de la vaine polémique s’avère une forme particulièrement pernicieuse de menace pour la démocratie : elle siphonne la capacité d’agir des personnes en les encourageant à cultiver l’auto-censure, la distance, le cynisme, et un « réalisme » qui les détourne de la responsabilité du monde et de la capacité d’action politique.

Vertus d’une ethnographie du politique

En appréhendant la culture politique au niveau des interactions ordinaires et des contextes de groupes, cet ouvrage montre combien la prétention à déterminer les opinions, croyances, attitudes ou valeurs des individus, indépendamment des contextes de leur accomplissement pratique, déforme et obscurcit la nature des phénomènes à éclairer. Il constitue à ce titre une critique abrasive des analyses cognitives de la compétence politique. Celles-ci, en se focalisant sur l’évaluation des niveaux d’information ou le degré de connaissances des citoyens, pour mesurer leurs opinions, manquent la dimension éminemment sociale, relationnelle et située, du travail et de l’élaboration du politique. Elles commettent la double erreur du mentalisme et de l’atomisme, en présumant qu’une collectivité n’est que l’agrégat d’individus charriant chacun des croyances et des intérêts univoques et figés. De manière plus grave, elles contribuent, à leur tour, aux cycles d’évaporation du politique, en prenant pour argent comptant cette facette très partielle de la réalité, cette face émergée de l’iceberg que l’enquête dévoile dans sa complexité : la façon qu’ont les gens d’affirmer volontiers ne rien savoir sur tel ou tel problème, trop « technique » ou « lointain » pour eux, et de toute façon ne pas s’y intéresser – puisqu’ils n’y peuvent rien... Prendre cet aspect des choses pour la cause du problème, c’est se condamner à ne pas voir de quoi il est l’effet. Cela revient à nourrir et relayer l’idée que les citoyens sont effectivement incapables de jouer leur rôle actif dans la démocratie, parce qu’ils sont apathiques, égoïstes et indifférents. Or, la capacité ou l’apathie ne se déterminent pas dans les individus mais entre eux. C’est dans les interactions que se voient favorisées ou inhibées les possibilités de parler, de penser et d’agir en commun. Les formes de préoccupation dont la portée est potentiellement politique sont bien présentes et elles apparaissent de manière tangible dans les groupes étudiés (reléguées en coulisse) ; c’est leur thématisation publique qui n’advient pas. Les dimensions épistémologique et politique du problème convergent : l’apathie est l’autre face d’une hypostase partout admise et reconduite du politique, comme entité à part, monde autarcique avec ses règles et objets, dont les actions courantes des citoyens ordinaires ne feraient pas partie.
L’analyse ethnographique, en multipliant les sites et les temps de l’enquête, permet seule de rendre compte de cette complexité des enjeux relatifs à l’élaboration et à la manifestation de la compétence citoyenne (ces deux pans se révélant ici indissociables) : elle montre combien les conditions d’exercice de la parole et de la pensée politiques, au niveau les plus triviaux et quotidiens (dans les conversations courantes) déterminent les possibilités de se sentir concerné et d’agir sur les problèmes du monde. C’est ainsi un renversement complet de la perspective habituelle qui est opéré : ce n’est plus l’incurie, mais l’impuissance et l’illégitimité partout admises des personnes qui sont en cause dans l’apathie. C’est le renoncement à parler et agir qu’il s’agit d’expliquer. L’apathie n’est plus l’état naturel ou par défaut des citoyens ordinaires, et l’engagement ce miracle et cette exception à la règle qu’il faudrait expliquer : « On suppose souvent que l’engagement politique requiert une explication, tandis que l’apathie serait l’état normal des choses. Mais il peut être tout aussi difficile d’ignorer un problème que de s’efforcer de le résoudre, de réprimer des sentiments d’empathie que de les exprimer, de se sentir impuissant et dépassé par les événements que d’exercer une influence, de cesser de penser que de penser » (p. 13). L’apathie n’est pas tant le symptôme d’une indifférence des gens, préoccupés seulement de leurs petits intérêts, que le résultat d’un travail, fruit d’un sentiment d’impuissance, et qui contribue à le rendre vrai. L’apathie désigne une façon active de se détourner du politique, faute de se croire à même d’agir sur et par lui.
par Carole Gayet-Viaud [08-12-2010]
Pour citer cet article :
Carole Gayet-Viaud, « Est-il devenu indécent de parler politique ? », La Vie des idées, 8 décembre 2010. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Est-il-devenu-indecent-de-parler.html

Notes

[1] Une section du premier chapitre thématise directement la notion, centrale dans l’ouvrage, en posant la question : « Qu’est-ce qu’une conversation politique animée par l’esprit public ? ». Celle-ci n’est « pas simplement une conversation portant sur certains objets qui seraient « politiques ». […] Parce que tout objet est potentiellement politique – ou pas. » (p. 24). C’est en termes de perspective et d’orientation plutôt que de contenus que se définit la notion : « Je présume qu’il existe des relations entre les personnes que j’ai rencontrées et la grande société, même lorsque celles-ci ne reconnaissent pas explicitement de tels liens. Ma question est de savoir si elles tirent les implications publiques de leurs sujets de discussion ; si elles imaginent que ce qu’elles disent importe à d’autres qu’elles mêmes ; si elles pensent que toute la société est en toile de fond de leurs discussions. Ce qui m’intéresse, c’est le processus permettant l’élargissement du champ des préoccupations, c’est une manière de parler, animée par l’esprit public, et non pas un sujet qui serait ou non politique » (p. 25). C’est ainsi comme souci du monde et comme perspective sur les situations, qui suppose de considérer la collectivité dans son ensemble, que se définit la conversation politique : par sa portée et son orientation, plutôt que par la détermination a priori de contenus, de formes ou d’espaces particuliers. Ce qui est en jeu, c’est cette « pensée élargie » dont parlait Arendt en commentant Kant, cet « art d’opiner sans autre autorisation que celle de citoyen », propre aux espaces publics démocratiques (Cottereau A., « “Esprit public” et capacité de juger : la stabilisation d’un espace public en France aux lendemains de la Révolution », in Cottereau, A., Ladrière, P., (eds.), Pouvoir et légitimité. Figures de l’espace public. Paris, Éditions de l’EHESS, 1992, p. 239-272, p. 255).
[2] Sur cette notion, voir Eliasoph N. et Lichterman P., « Culture en interaction. Une ethnographie des « styles de groupe » dans deux organisations civiques en Californie », in Berger M., Cefaï D., Gayet-Viaud C. (eds.), Du civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble, PIE Peter Lang, 2010 (à paraitre).
[3] Tassin E., Le trésor perdu. Hannah Arendt l’intelligence de l’action politique, Paris, Payot, 1999.
[4] L’acronyme est issu de l’anglais Not In My Backyard (littéralement, « pas dans mon arrière-cour », autrement dit « pas de ça chez moi ») et désigne, à partir des années 1980, les mouvements de riverains se mobilisant pour défendre leur environnement immédiat, en réaction aux nuisances avérées ou anticipées, relatives à la présence de populations (sans-abri, toxicomanes, prostitué(e)s, etc.) ou d’infrastructures (usines de traitement de déchets, aéroport, antennes électriques, etc.) jugées indésirables. Le « syndrome NIMBY » a fait l’objet de nombreuses critiques en tant que prétention à simplement repousser ailleurs certains problèmes et leurs effets, en se détournant d’une forme authentiquement publique d’engagement (visant le bien commun) au profit de la défense d’intérêts égoïstes, économiques ou sociaux.

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