Au cours de l’année ou de l’année et demie passée,
les événements qui se sont enchaînés en Afrique du Nord et au
Proche-Orient ont pris une place prépondérante parmi les questions
politiques à l’ordre du jour au niveau mondial. Ils sont fréquemment
qualifiés d’épisode le plus saillant dans la vie internationale de ce
jeune 21è siècle. Des experts évoquent depuis longtemps déjà la
fragilité des régimes autoritaires des pays arabes, ainsi que les
confrontations sociales et politiques potentielles.
Il était cependant difficile de prédire l’ampleur et la vitesse de la
vague de changement qui a déferlé sur la région. En corollaire de la
crise qui se fait sentir dans l’économie mondiale, ces événements ont
clairement démontré que le processus menant à l’émergence d’un nouveau
système international est entré dans une période de turbulences.
À mesure que d’importants mouvements sociaux apparaissaient dans les
pays de la région, il devenait plus urgent de savoir, pour les acteurs
extérieurs et l’ensemble de la communauté internationale, quelle
politique poursuivre. De nombreuses discussions d’experts sur cette
question, puis les actions concrètes mises en œuvre par les États et les
organisations internationales, ont fait ressortir deux approches
principales : soit aider les peuples arabes à déterminer leur avenir par
eux-mêmes, ou alors tenter de façonner une nouvelle réalité politique
en fonction de ce que l’on souhaite, tout en tirant parti de
l’affaiblissement des structures étatiques qui s’avéraient depuis
longtemps trop rigides. La situation continue d’évoluer rapidement, ce
qui impose à ceux qui jouent un rôle de premier plan dans les affaires
régionales de consolider enfin leurs efforts, plutôt que de les
disperser dans des directions différentes comme le feraient les
personnages d’une fable d’Ivan Krylov.
Permettez-moi de récapituler les arguments que je développe
régulièrement en ce qui concerne l’évolution de la situation au
Proche-Orient. Tout d’abord, la Russie, conjointement avec la majorité
des pays dans le monde, encourage les aspirations des peuples arabes à
une vie meilleure, à la démocratie et à la prospérité, et elle est
disposée à soutenir ces efforts. C’est pour cela que nous avons bien
accueilli l’initiative du Partenariat de Deauville lors du sommet du G8
en France. Nous nous opposons fermement au recours à la violence dans le
cadre des bouleversements en cours dans les États arabes, en
particulier contre les civils. Nous savons pertinemment que la
transformation d’une société est un processus complexe et généralement
long, qui s’opère rarement en douceur.
La Russie connaît probablement mieux le véritable prix des
révolutions que la plupart des autres pays. Nous sommes parfaitement
conscients du fait que les changements révolutionnaires s’accompagnent
toujours de revers sociaux et économiques, de pertes de vies humaines et
de souffrances. C’est exactement pour cela que nous défendons une
optique évolutive et pacifique pour la mise en œuvre des changements
attendus de longue date au Proche-Orient et en Afrique du Nord.
Cela étant dit, quelle doit être la réponse dans l’éventualité que
l’épreuve de force entre les autorités et l’opposition prenne la forme
d’une confrontation violente et armée ? La réponse semble évidente : les
acteurs extérieurs doivent faire tout leur possible pour d’une part
mettre fin à l’effusion de sang, et d’autre part soutenir un compromis
impliquant toutes les parties du conflit. En décidant de soutenir la
résolution 1970 du Conseil de Sécurité de l’ONU et en ne faisant aucune
objection à la résolution 1973 sur la Libye, nous estimions que ces
décisions contribueraient à limiter l’usage excessif de la force et
poseraient les fondations d’un règlement politique du conflit.
Malheureusement, les actions entreprises par les pays membres de
l’OTAN dans le cadre de ces résolutions ont conduit à une grave
violation de ces dernières, et au soutien à l’un des belligérants de la
guerre civile, avec comme objectif de renverser le régime existant, en
écornant au passage l’autorité du Conseil de Sécurité.
Il est inutile d’expliquer aux gens accoutumés à la politique que le
diable est dans les détails, et que les solutions drastiques impliquant
l’usage de la force ne peuvent aboutir à un règlement viable à long
terme. Et dans les circonstances actuelles, alors que la complexité des
relations internationales s’est considérablement accrue, il devient
évident que le recours à la force pour résoudre les conflits n’a aucune
chance d’aboutir. Les exemples abondent. On citera notamment la
situation compliquée en Irak et la crise en Afghanistan, loin d’être
terminée. De nombreux éléments tendent par ailleurs à indiquer que la
Libye, après le renversement de Mouammar el-Kadhafi, est loin de bien se
porter. L’instabilité s’est propagée au-delà, vers le Sahara et la
région du Sahel, engendrant une dramatique aggravation de la situation
au Mali.
L’Égypte constitue un autre exemple : ce pays est loin d’être arrivé à
bon port, bien que le changement de régime ne se soit pas accompagné
d’importantes flambées de violence et qu’Hosni Moubarak, qui avait
gouverné le pays pendant plus de trente ans, ait quitté le palais
présidentiel de son plein gré peu de temps après le début des mouvements
de protestation. Comment ne pas s’inquiéter, entre autres problèmes,
des informations faisant état d’une augmentation des affrontements
confessionnels et de violation des droits de la minorité chrétienne.
Ainsi, les raisons poussant à adopter l’approche la plus équilibrée
vis-à-vis de la crise syrienne, qui est la plus aigüe de la région
aujourd’hui, sont plus que suffisantes. Il était clair que suite aux
événements en Libye, il était impossible de suivre le Conseil de
Sécurité de l’ONU pour prendre des décisions qui ne soient pas assez
explicites et qui permettraient aux responsables de leur mise en œuvre
d’agir selon leur propre jugement. Tout mandat confié au nom de
l’ensemble de la communauté internationale doit être aussi clair et
précis que possible afin d’éviter l’ambigüité. Aussi est-il important de
comprendre ce qui se passe réellement en Syrie, et comment aider ce
pays à franchir cette douloureuse étape de son histoire.
Malheureusement, les analyses qualifiées et honnêtes des
développements en Syrie et de leurs conséquences potentielles manquent
cruellement. Bien souvent, s’y substituent des images primitives et des
clichés de propagande en noir et blanc. Depuis plusieurs mois, les
principales sources d’informations internationales reproduisent des
articles sur un régime dictatorial corrompu matant brutalement
l’aspiration de son propre peuple à la liberté et la démocratie.
Il semble néanmoins que les auteurs de ces articles n’aient pas pris
la peine de se demander comment le gouvernement pouvait parvenir à se
maintenir en place sans soutien populaire depuis plus d’un an, en dépit
des sanctions étendues qui sont imposées par les principaux partenaires
économiques du pays. Pourquoi une majorité du peuple a-t-elle approuvé
par vote le projet de constitution proposé par les autorités ? Pourquoi,
après tout, la plupart des soldats sont-ils demeurés fidèles à leurs
supérieurs ? Si la seule explication est la peur, alors pourquoi cette
dernière n’a-t-elle pas bénéficié à d’autres régimes autoritaires ?
Nous avons déclaré à de nombreuses reprises que la Russie ne
défendait pas le régime actuellement en place à Damas et qu’elle n’avait
aucune raison politique, économique ou autre de le faire. Nous n’avons
jamais été un partenaire commercial ou économique important pour ce
pays, dont le gouvernement a communiqué principalement avec les
capitales des pays ouest-européens.
Il n’en demeure pas moins clair, tant à nos yeux qu’à ceux des
autres, que la principale responsabilité pour la crise qui secoue le
pays repose sur le gouvernement syrien, qui a échoué à emprunter le
chemin de la réforme en temps voulu ou à tirer les conclusions des
bouleversements profonds que connaissent les relations internationales.
Tout cela est vrai. Il existe néanmoins d’autres faits. La Syrie est un
État multiconfessionnel : y vivent, en plus des musulmans sunnites et
chiites, des alaouites, des orthodoxes et chrétiens d’autres
confessions, des druzes et des kurdes. Durant les quelques dernières
décennies de gouvernance laïque du parti Ba’as, la liberté de conscience
a été respectée en Syrie, et les minorités religieuses craignent que,
si le régime était détruit, cette tradition pourrait prendre fin.
Lorsque nous affirmons que ces inquiétudes doivent être entendues et
prises en compte, nous sommes parfois accusés de prendre des positions
équivalant à de l’anti-sunnisme et, plus généralement, à de
l’anti-islamisme. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. En
Russie, des gens de diverses confessions, la plupart d’entre eux des
chrétiens orthodoxes et des musulmans, vivent côte à côte depuis des
siècles. Notre pays n’a jamais mené de guerre coloniale dans le monde
arabe, mais à l’inverse a continuellement soutenu l’indépendance des
nations arabes et leur droit à un développement indépendant. Et la
Russie n’a pas de responsabilité à assumer pour les conséquences de la
domination coloniale, marquée par les bouleversements des structures
sociales qui ont amené les tensions persistant encore à ce jour.
Mon propos est différent. Si certains membres de la société
s’inquiètent de potentielles discriminations sur la base de la religion
et de la nationalité d’origine, alors les garanties nécessaires
devraient être fournies à ces personnes, conformément aux standards
humanitaires internationaux généralement acceptés.
Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales a
historiquement constitué, et continue de constituer, un problème majeur
pour les États du Proche-Orient ; il est en outre l’une des principales
causes des « révolutions arabes ».
Or la Syrie n’a jamais fait figure de mauvais élève dans cette
région, avec son niveau de libertés civiques incommensurablement plus
élevé que celui de certains autres pays qui entendent aujourd’hui donner
des leçons de démocratie à Damas. Dans l’un de ses derniers numéros, le
magazine français
Le Monde Diplomatique a présenté une
chronologie des violations des droits de l’homme commises par un grand
État du Proche-Orient, qui comprenait, entre autres, l’application de 76
condamnations à mort pour l’année 2011 uniquement, et notamment pour
des accusations de sorcellerie. Si nous souhaitons réellement promouvoir
le respect des droits de l’homme au Proche-Orient, nous devons
ouvertement affirmer cet objectif. Si nous proclamons que le fait de
mettre un terme à l’effusion de sang est notre principal souci, alors
nous devrions nous concentrer précisément là-dessus ; en d’autres
termes, nous devons faire pression pour obtenir un cessez-le-feu dans un
premier temps, puis promouvoir l’initiation d’un dialogue inter-syrien
impliquant toutes les parties et avec pour objectif la négociation d’une
formule de règlement pacifique de la crise par les Syriens eux-mêmes.
La Russie exprime ces messages depuis les premiers jours des troubles
en Syrie. Il apparaissait assez clairement à nos yeux et, je suppose,
aux yeux de toute personne qui dispose de suffisamment d’informations
sur ce pays, qu’exercer des pressions pour que Bachar al-Assad soit
immédiatement évincé, à l’encontre du souhait d’un segment considérable
de la société syrienne qui s’appuie sur ce régime pour sa sécurité et
son bien-être, reviendrait à plonger la Syrie dans une guerre civile
sanglante et prolongée. Les acteurs extérieurs responsables devraient
aider les Syriens à éviter ce scénario et à instiguer des réformes
évolutives plutôt que révolutionnaires au sein du système politique
syrien, par le biais d’un dialogue national plutôt que d’une coercition
exercée depuis l’extérieur.
Si l’on tient compte des réalités actuelles de la Syrie, force est
d’admettre que le soutien unilatéral à l’opposition, en particulier à sa
composante la plus belliqueuse, ne conduira pas à la paix dans ce pays
dans un avenir proche, entrant donc en opposition avec l’objectif de
protection des populations civiles. Ce qui semble ainsi prévaloir dans
ce choix, ce sont les efforts visant à susciter un changement de régime à
Damas dans le cadre d’une stratégie géopolitique régionale plus large.
Il ne fait aucun doute que ces projets ciblent l’Iran, sachant qu’un
regroupement important de pays comprenant les États-Unis, d’autres pays
membres de l’OTAN, Israël, la Turquie et certains États de la région
semblent enclins à affaiblir le positionnement régional de ce pays.
L’éventualité d’une frappe militaire contre l’Iran est un thème sujet
à beaucoup de débats aujourd’hui. J’insiste régulièrement sur le fait
qu’une telle option aurait des conséquences graves, et même
catastrophiques. La tentative de trancher le nœud gordien de problèmes
anciens est vouée à l’échec. Rappelons-nous à cet égard que l’invasion
militaire de l’Irak par les États-Unis fut par le passé considérée comme
une « occasion unique » pour transformer les réalités politique et
économique du « Proche-Orient élargi » de manière rapide et décisive, en
faisant ainsi une région alignée sur le « modèle européen » de
développement.
En faisant abstraction des questions relatives à l’Iran, il reste
que, de toute évidence, le fait d’attiser les troubles intra-syriens est
susceptible de déclencher des processus qui auraient un impact sur la
situation d’un vaste territoire entourant la Syrie, et ce de manière
négative, avec des conséquences dévastatrices tant pour la sécurité
régionale que pour la sécurité internationale. Parmi les facteurs de
risques figurent la perte de contrôle de la frontière israélo-syrienne,
l’envenimement de la situation au Liban et dans d’autres pays de la
région, des armes tombant dans de « mauvaises mains », notamment dans
celles d’organisations terroristes et, peut-être le plus dangereux, une
aggravation des tensions et contradictions interconfessionnelles au sein
du monde islamique.
***
Si l’on remonte aux années 90, Samuel Huntington soulignait dans son essai
Le choc des civilisations
la tendance qu’avait la notion d’identité basée sur la civilisation et
la religion à gagner en importance dans l’ère de la mondialisation ; il
démontrait en outre de façon convaincante la relative diminution de la
capacité de l’Ouest historique à étendre son influence. Il serait
certainement exagéré de tenter d’élaborer un modèle des relations
internationales modernes en se basant uniquement sur de tels postulats.
Il est pourtant aujourd’hui impossible d’ignorer cette tendance. Elle
est soutenue par un éventail de facteurs distincts, notamment des
frontières nationales moins hermétiques, la révolution de l’information
qui a mis en lumière l’inégalité socio-économique manifeste, et le désir
croissant des peuples d’une part de préserver leur identité dans de
telles circonstances, et d’autre part d’éviter de se voir inscrits dans
la liste historique des espèces menacées d’extinction.
Les révolutions arabes démontrent sans conteste une volonté de retour
aux racines de la civilisation, volonté qui se manifeste par une large
adhésion populaire aux partis et mouvements agissant sous l’étendard de
l’Islam. Cette tendance n’est pas apparente que dans le monde arabe. On
pourrait citer la Turquie, qui se positionne plus activement comme
acteur majeur de la sphère islamique et de la région environnante. Des
pays asiatiques, dont le Japon, affirment plus haut leur identité.
Une telle situation atteste encore davantage du fait qu’à un schéma
binaire simple (sinon simpliste) datant de la Guerre froide, décrit en
termes de paradigmes Est-Ouest, capitalisme-socialisme, Nord-Sud, vient
se substituer une réalité géopolitique multidimensionnelle qui ne laisse
pas de place à l’identification d’un facteur dominant unique. La crise
financière et économique mondiale a mis en valeur les discussions sur le
fait qu’un quelconque système puisse occuper une position dominante
dans un quelconque domaine que ce soit, qu’il s’agisse de l’économie, de
la politique ou de l’idéologie.
Il ne fait plus aucun doute que dans le cadre élargi qui définit le
développement de la plupart des États et qui se caractérise par la
gouvernance démocratique et une économie de marché, chaque pays choisira
indépendamment son propre modèle politique et économique, en accordant
la place qui leur est due aux traditions, à la culture et à l’histoire
qui sont les siennes. En conséquence de cela, le facteur de l’identité
basée sur la civilisation exercera vraisemblablement une influence plus
importante sur les relations internationales.
Sur le plan pratique de la politique, ces conclusions ne peuvent
suggérer qu’une chose : les tentatives d’imposer son propre ensemble de
valeurs sont totalement futiles et ne risquent de conduire qu’à une
dangereuse aggravation des tensions entre les civilisations. Cela ne
sous-entend aucunement que nous devons renoncer complètement à nous
influencer les uns les autres et à promouvoir une bonne image de notre
pays sur la scène internationale.
Néanmoins, cela devrait être fait en employant des méthodes honnêtes
et transparentes qui stimuleront la diffusion de la culture, de
l’éducation et de la science nationales tout en faisant preuve d’un
respect total vis-à-vis des civilisations des autres peuples, en guise
de mesures de protection de la diversité mondiale et d’estime de la
pluralité dans les affaires internationales.
Il apparaît clairement que les espoirs visant à appliquer des
technologies de pointe pour la dissémination des informations et la
communication, notamment les réseaux sociaux, afin de changer la
mentalité d’autres peuples, créant de fait une nouvelle réalité, sont à
long terme condamnés à l’échec. L’offre, sur le marché des idées
d’aujourd’hui, est bien trop diversifiée, et des méthodes virtuelles ne
sauraient engendrer qu’une réalité virtuelle, à moins bien entendu que
nous nous en remettions à une mentalité du type
Big Brother de
George Orwell, et dans ce cas nous pouvons renoncer d’emblée à la notion
de démocratie dans son intégralité, non seulement dans les pays qui
sont soumis à une telle influence, mais également dans ceux qui
l’exercent.
Le développement d’une échelle universelle de valeurs et de préceptes
moraux devient une question politique de premier plan. Une telle
échelle pourrait constituer les fondations d’un dialogue respectueux et
fructueux entre les civilisations, basé sur l’intérêt commun qu’est la
réduction de l’instabilité accompagnant la création d’un nouveau système
international, et visant à finalement établir un ordre mondial solide,
efficace et polycentrique. Dans cette perspective, nous ne pouvons
garantir la réussite qu’en excluant les approches en noir-et-blanc, ce
qui implique de traiter autant la question des préoccupations exagérées
au sujet des droits des minorités sexuelles, qu’au contraire les efforts
visant à faire remonter au niveau politique d’étroits préceptes moraux
qui satisferaient un groupe et violeraient les droits naturels d’autres
citoyens, en particulier ceux d’autres confessions.
***
Les crises, dans les relations internationales, atteignent une
certaine limite qui ne peut être franchie sans porter atteinte à la
stabilité mondiale. C’est pourquoi le travail visant à éteindre les
incendies régionaux, y compris les conflits intérieurs aux États,
devrait être réalisé de façon aussi considérée que possible, sans qu’un
quelconque double standard soit appliqué. L’emploi du « bâton des
sanctions » mène toujours dans l’impasse. Toutes les parties prenantes
dans les conflits intérieurs doivent être assurées du fait que la
communauté internationale formera un front uni et agira conformément à
des principes stricts afin de mettre fin à la violence aussi rapidement
que possible et d’aboutir à une solution mutuellement acceptable par le
biais d’un dialogue impliquant toutes les parties.
À l’égard des crises intérieures, la Russie n’obéit qu’à de tels
principes, ce qui explique nos positions sur la situation en Syrie.
C’est pourquoi nous avons apporté notre soutien total et sincère à la
mission de l’envoyé spécial pour l’ONU et la Ligue Arabe, Kofi Annan,
visant à trouver un compromis mutuellement acceptable aussi rapidement
que possible. Les déclarations de la présidence et les résolutions du
Conseil de sécurité de l’ONU à ce sujet reflètent les approches que nous
avons défendues depuis le début des troubles en Syrie ; ces idées sont
en outre reflétées dans notre déclaration conjointe avec la Ligue des
État Arabes adoptée le 10 mars 2012.
Si nous parvenions à mettre en application ces approches en Syrie,
elles pourraient devenir un modèle d’assistance internationale pour la
résolution des futures crises.
Le fondement des « six principes » de Kofi Annan est de garantir la
fin des violences, peu importe d’où elles émanent, et d’initier un
dialogue politique conduit par la Syrie et dont la mission serait de
répondre aux préoccupations et aux aspirations du peuple syrien. Ce
dialogue aurait pour but d’aboutir à une nouvelle configuration
politique en Syrie qui tiendrait compte des intérêts de tous les groupes
qui constituent sa société multiconfessionnelle.
Il est nécessaire d’encourager la préparation et la mise en
application d’accords destinés à résoudre le conflit sans prendre
partie, de récompenser ceux qui les respectent et de nommer clairement
ceux qui s’opposent au processus de paix. Pour y parvenir, un mécanisme
d’observation impartial est impératif, et un tel mécanisme a été mis en
place conformément aux résolutions 2042 et 2043 du Conseil de Sécurité
de l’ONU. Des observateurs militaires russes sont présents au sein de
l’équipe internationale d’observation.
Malheureusement, le processus de mise en œuvre du plan de Kofi Annan
pour la Syrie progresse avec de grandes difficultés. Le monde s’est ému
de massacres de civils désarmés, dont la tragédie qui s’est déroulée
dans le village de Houla le 25 mai 2012 et les terribles violences
ultérieures dans les environs de Hama. Il est important de clarifier les
responsabilités dans ces événements, et d’en punir les responsables.
Personne n’a le droit d’usurper le rôle de juge et d’utiliser ces
événements tragiques pour atteindre ses propres objectifs politiques. Le
fait de renoncer à de telles tentatives permettra de mettre un terme à
la spirale de violence en Syrie.
Ceux qui affirment que la Russie « est en train de sauver » Bachar
al-Assad ont tort. Je souhaite insister sur le fait que c’est le peuple
syrien lui-même qui choisit le système politique et les dirigeants de
son pays. Nous n’essayons d’aucune façon de blanchir les nombreuses
erreurs et mauvais calculs de Damas, notamment l’usage de la force
contre des manifestations pacifiques aux prémices de la crise.
À nos yeux, la question de savoir qui est au pouvoir en Syrie n’est
pas primordiale ; il est impératif de mettre fin aux morts de civils et
d’initier un dialogue politique dans des conditions où la souveraineté,
l’indépendance et l’intégrité du pays seront respectées par tous les
acteurs extérieurs. Aucune violence ne saurait être justifiée. Le
bombardement de zones résidentielles par les troupes gouvernementales
est inacceptable, mais cette condamnation ne doit pas valoir indulgence
vis-à-vis des actes terroristes perpétrés dans les villes syriennes, des
meurtres commis par les insurgés qui s’opposent au régime, y compris
ceux d’Al-Qaïda.
La logique dictant la nécessité de rompre le cercle vicieux de la
violence s’est manifestée par le soutien unanime des membres du Conseil
de sécurité de l’ONU au plan Annan. Nous nous offusquons des
déclarations et actions de certains acteurs impliqués dans la crise
syrienne, qui font preuve de leur intérêt à voir les efforts de l’Envoyé
spécial échouer. Parmi elles figurent les appels de la direction du
Conseil national syrien (CNS) pour une intervention étrangère. Comment
de telles déclarations seraient susceptibles d’aider les soutiens du CNS
à réunir l’opposition syrienne sous leur égide, rien n’est moins clair.
Nous cautionnons l’intégration de l’opposition syrienne uniquement sur
la base d’un dialogue politique avec le gouvernement, en totale
conformité avec le plan Annan.
La Russie continue, de façon quasi-quotidienne, à travailler
conjointement avec les autorités syriennes, les pressant de se conformer
intégralement aux six points proposés par Kofi Annan et de renoncer
définitivement à leur illusion selon laquelle la crise politique
syrienne s’éteindra par elle-même d’une façon ou d’une autre. Nous
travaillons également aux côtés de représentants de pratiquement toutes
les branches de l’opposition syrienne. Nous sommes convaincus que si nos
partenaires s’activent dans le même état d’esprit, sans mobiles cachés
ni doubles standards, un règlement pacifique de la crise syrienne est
possible. Nous devons peser de tout notre poids sur le régime et sur
l’opposition pour les amener à interrompre les hostilités et à se réunir
à la table des négociations. Nous considérons qu’il est important de
mettre collectivement en œuvre des initiatives en ce sens, et de réunir
une conférence internationale des États directement impliqués dans la
crise syrienne. C’est avec à l’esprit le même objectif que nous
entretenons des contacts rapprochés avec Kofi Annan et d’autres
partenaires.
Ce n’est qu’en agissant de la sorte que nous pourrons éviter que le
Proche-Orient ne sombre dans l’abysse des guerres et de l’anarchie et,
comme il est de bon ton de l’affirmer, que nous pourrons rester du bon
côté de l’Histoire. Nous avons la certitude que les autres formules
impliquant une intervention extérieure en Syrie, qui vont du blocage des
chaînes de télévision déplaisantes aux yeux de certains, à
l’accroissement des livraisons d’armes aux groupes d’opposition, voire à
des frappes aériennes, n’apporteront la paix ni à ce pays, ni à la
région dans son ensemble. Ce qui signifie que ces solutions ne seront
pas justifiées par l’Histoire.
Traduction non-officielle du Réseau Voltaire.
Le ministère russe des Affaires étrangères devrait publier une version française officielle dans les prochaines semaines.