miercuri, 24 septembrie 2014

Manuel Valls, prim ministru, fost ministru de interne. Franța 2014, viitor președinte în 2017

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

http://www.linternaute.com/actualite/politique/secrets-de-manuel-valls/

Ukraine : Ihor Kolomoïsky propose 1 million de dollars pour assassiner Oleg Tsarev



Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

Ukraine : Ihor Kolomoïsky propose 1 million de dollars pour assassiner Oleg Tsarev
http://www.voltairenet.org/article185331.html

RÉSEAU VOLTAIRE | 16 MAI 2014
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L’oligarque israélo-ukrainien résidant en Suisse, Ihor Kolomoïsky, a informé par téléphone le leader des fédéralistes du Sud-Est, Oleg Tsarev, que la communauté juive ukrainienne verserait une prime d’1 million de dollars à qui l’assassinerait. Il l’a sommé de fuir immédiatement le pays [1].

M. Kolomoïsky considéré que M. Tsarev est responsable de la mort d’un militant juif favorable aux putschistes de Kiev, le 9 mai à Marioupol.

Cependant un leader de la communauté juive ukrainienne, Ian Epstein, a démenti les propos de M. Kolomoïsky. Selon lui, M. Kolomoïsky ne représente pas les juifs ukrainiens [2] même s’il joue un rôle important dans le mouvement sioniste international.

Ihor Kolomoïsky avait déjà proposé une prime de 10 000 dollars par « saboteur russe » arrêté dans son fief de Dnipropetrovsk.

Ihor Kolomoïsky est considéré comme étant le principal chef de la mafia ukrainienne. Il serait la seconde ou la troisième fortune du pays (après Rinat Akhmetov et/ou Viktor Pinchuk). Il détient le secteur de la métallurgie, la Privat Bank et a acquis en 2011 le secteur du gaz.

Ihor Kolomoïsky préside la Communauté juive unie d’Ukraine et l’Union juive européenne. Il a créé le Parlement juif européen (qualifié de fumisterie par le Crif) avec le soutien du Bahreïn. Il possède la moitié de la chaîne de télévision Jewish News One (qui émet désormais sous le nom Ukraine News One) [3].

Ihor Kolomoïsky a été nommé gouverneur de l’oblast de Dnipropetrovsk par les autorités putschistes de Kiev. Il a participé à l’organisation du massacre d’Odessa du 2 mai 2014 avec son armée privée, le 1er Bataillon du Dniepr [4]. Il a engagé le fils du vice-président états-unien Joe Biden, R. Hunter Biden, et le président du comité de soutien au secrétaire d’État John Kerry, Devon Archer, comme administrateurs de sa holding gazière [5].


[1] Enregistrement de la conversation téléphonique : « Телефонные переговоры :Коломойский угрожает Царёву и его близким », Life-Maria Channel, YouTube, 15 mai 2014.

[2] « Телефонный перехват : Коломойский нанял побоище в Одессе », Life-Maria Channel Life-Maria Channel, YouTube, 15 mai 2014.

[3] « Lancement de la chaîne satellitaire Jewish News One », Réseau Voltaire, 24 septembre 2011.

[4] « Le massacre d’Odessa organisé au sommet de l’État ukrainien », Traduction Gérard Jeannesson, антифашист, Réseau Voltaire, 16 mai 2014.

[5] « En Ukraine, le fils de Joe Biden joint l’utile à l’agréable », Réseau Voltaire, 14 mai 2014.

Le massacre d’Odessa organisé au sommet de l’État ukrainien

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Suspiciuni personale.
  • Cine are intresul de a difuza o asemenea știre? 
  • Cine are interesul de a organiza un asemenea masacru? 
  • Cine are interesul de a slăbi Ucraina până la dezmembrare? (Ambele părți ?) 
  • Cine are interesul să ne facă să credem că e vorba de neo-naziști? 
Simbolurile «naziste» de pe drapel și de pe cască poate fi adăugate prin simplă manipulare de imagini. Verificarea este posibilă.
Cu prietenie, Dan Culcer

RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR
Le massacre d’Odessa organisé au sommet de l’État ukrainien

La presse atlantiste persiste à présenter les crimes commis le 2 mai à Odessa comme le résultat d’un incendie accidentel alors que les photos et vidéos disponibles ne laissent aucun doute : les victimes ont été torturées, puis exécutées, avant d’être brûlées. Nous publions des informations de première main sur cette opération planifiée sous l’autorité directe et personnelle du président putschiste Olexander Turchinov et de l’oligarque israélien Ihor Kolomoïsky.
RÉSEAU VOLTAIRE | 16 MAI 2014
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Le président putschiste Olexander Turchinov a présidé la réunion de planification du massacre d’Odessa.


Les révélations présentées ci-après proviennent d’un informateur de l’un des services de répression de l’appareil d’État ukrainien. Pour des raisons évidentes, il a requis l’anonymat. Il y a assurément des agents de l’administration de Kiev qui condamnent les violences qui ont été perpétrées, le 2 mai 2014, à Odessa et à travers tout le pays [1].

Après la perte de la Crimée et le soulèvement populaire de Marioupol, Odessa est devenue l’unique accès à la mer de l’État ukrainien, ce qui en fait la seconde ville la plus importante du pays, après Kiev.

Dix jours avant la tragédie, une réunion secrète s’est tenue à Kiev, sous la conduite du président en exercice, Olexander Turchinov, pour mettre au point une opération spéciale devant se dérouler à Odessa. Étaient présents : Arsen Borysovych Avakov, ministre de l’Intérieur, Valentin Nalivaychenko, chef des Services de sécurité, et Andriy Parubiy, secrétaire du Conseil de la Défense et de la Sécurité nationale. L’oligarque ukrainien Ihor Kolomoïsky [2] , placé à la tête de l’administration régionale de Dniepropetrovsk par les autorités de Kiev, a été consulté pour l’organisation de cette opération.

Au cours de la réunion, Arsen Avakov aurait suggéré d’utiliser les voyous opérant dans les rangs des supporters d’un club de football, désignés comme les « ultras ». Depuis l’époque où il à dirigé l’administration régionale de Kharkov, il a toujours travaillé en étroite collaboration avec les dirigeants des clubs de supporters, qu’il a continué de subventionner depuis sa nouvelle résidence installée en Italie. [3]

C’est Kolomoïsky qui a fourni le 1er Bataillon du Dniepr de sa garde personnelle, et l’a placé temporairement sous les ordres des responsables de la police d’Odessa. Il a par ailleurs autorisé le paiement en espèces d’une prime de 5 000 dollars pour chaque séparatiste pro-russe assassiné au cours de l’opération.
Mykola Volvov était recherché pour fraude par les services de police ukrainiens depuis 2012.

Quelques jours avant l’opération d’Odessa, Andriy Parabiy a livré des dizaines de gilets pare-balles aux nationalistes extrémistes locaux [4]. Ce document vidéo montre la distribution des gilets aux militants du Maidan implantés à Odessa. Regardez attentivement l’individu qui prend en charge la livraison. C’est Mykola Volvov, un malfrat du grand-banditisme, que l’on retrouve à plusieurs reprises sur les enregistrements vidéo de l’assaut de la Maison des Syndicats, tandis qu’il fait usage d’une arme à feu [5]. On le voit ensuite au téléphone, en train de faire son rapport aux autorités de Kiev [6].


« Le fanatisme est à la superstition ce que le délire est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique. »
Voltaire (1694-1778)
Les préparatifs de l’opération

Les militants nationalistes extrémistes du « Parlement » national ukrainien (UNA-UNSO), que l’on reconnaît à leurs brassards rouges, ont été également mis à contribution pour cette opération. Ils se sont vus confier un rôle central dans l’organisation des provocations. Dans le camp de tentes du quartier Koulikovo, ils ont joué la comédie, se faisant passer auprès des militants opposés à la junte, regroupés là, pour des défenseurs du camp, afin de mieux les pousser par la suite vers la Maison des Syndicats où les attendaient les meurtriers.

Quinze barrages routiers avaient été installés pour barrer l’accès à Odessa. Les barrages étaient filtrés par des militants placés directement sous les ordres du 1er Bataillon du Dniepr de Kolomoïsky, ainsi que par les exécuteurs de Pravy Sektor venus de Dniepropetrovsk et de Gallicie. De plus, deux unités militaires des forces d’auto-défense de Maidan étaient arrivées à Odessa, encadrées par Sergueï Pachinsky, responsable en chef des services de la Présidence, celui-là même qui, le 18 février 2014, a été identifié sur la place Maidan, et trouvé en possession d’un fusil à longue portée, idéal pour le tir embusqué, dissimulé dans le coffre de sa voiture [7]. Pachinsky a ensuite prétendu qu’il n’était pas pleinement informé des objectifs de l’opération et que, s’il avait envoyé ses hommes sur place, c’était pour « assurer la protection de la population d’Odessa ». Ainsi, ce sont plus de 1 400 combattants originaires d’autres régions de l’Ukraine qui se sont retrouvés dans le périmètre des opérations menées ce jour-là à Odessa. Ces faits enlèvent toute crédibilité à la fable selon laquelle ce seraient les habitants d’Odessa qui auraient réduit en cendres la Maison des Syndicats. Le chef de la police d’Odessa, Dmitry Fucheji, a mystérieusement disparu aussitôt après les évènements tragiques d’Odessa.
Le coordonnateur principal de l’opération, Dmitry Fucheji, chef délégué de la police de la ville, a mystérieusement disparu immédiatement après la tragédie d’Odessa.

C’est le responsable des forces de police régionales, Petr Lutsyuk, et son délégué local, Dmity Fucheji, qui ont pris personnellement en charge la direction des opérations. Petr Lutsiuk était chargé de neutraliser le gouverneur régional d’Odessa, Vladimir Nemirovsky. Il s’agissait de l’empêcher de mettre en place un dispositif de sécurité indépendant risquant de faire échouer l’opération. Fucheji a directement escorté les militants jusqu’à la place de la Grèce où il aurait été « malencontreusement blessé » (de façon à pouvoir échapper ultérieurement aux poursuites liées à la suite des évènements). L’opération avait, dès le départ, été programmée pour le 2 mai. Un match de football était prévu ce jour-là, qui justifierait aisément la présence de nombreux supporters du club de football (« les ultras ») au centre-ville. Par ailleurs, il ne devait y avoir dans les rues que peu d’habitants d’Odessa n’ayant rien à voir avec l’opération. Le jour étant férié, la majorité de la population était sensée profiter en famille de ces congés printaniers du mois de mai.


« Lorsqu’une fois le fanatisme a gangréné un cerveau, la maladie est presque incurable »
Voltaire (1694-1778)
Déroulement de l’opération

Le 2 mai, le train de Kharkov est arrivé à Odessa à 8h00, avec ses légions de supporters du Metallist-Kharkov, leur club de football, et certains des « ultras » devant prendre part à l’opération. Dans le même temps, les unités du 1er Bataillon du Dniepr de Kolomoïsky et celles de Pravy Sektor, se sont répandues en petits groupes à travers la ville. Venus de Kiev, les combattants des forces d’auto-défense de Maidan sont arrivés à leur tour, la plupart d’entre eux ayant voyagé en autocar. Les forces de police avaient reçu l’ordre de n’arrêter strictement aucun des autobus immatriculés à Kiev, Dniepropetrovsk et Lvov, circulant ce jour-là.

Dans l’après-midi, certains des combattants se sont dirigés vers la place Sobomaya où devaient se rassembler ceux qui entendaient « défiler pour un État ukrainien unifié ». Ils avaient pour mission d’organiser la foule et de la conduire vers les barricades de la place de la Grèce. Tous les membres d’un groupe des « opérations spéciales » arborant le ruban de Saint-Georges, ont alors enfilé leurs cagoules et descendu l’avenue Alexandrovsky. Ceux-là, c’étaient les prétendus « pro-russes » que l’on voit sur de nombreuses vidéos. Les provocateurs portaient des brassards rouges pour se différencier des authentiques militants pro-russes d’Odessa. De la même façon, ceux des effectifs des forces de police, qui étaient prévenus à l’avance des évènements qui allaient suivre, portaient, pour se reconnaître entre eux, des brassards rouges identiques. Malheureusement, certains des vrais militants pro-russes qui, eux, ignoraient tout de ce qui allait se passer, sont tombés dans le piège des provocateurs qui les incitaient à se ruer sur les fascistes pour les « stopper ».

Beaucoup de témoins oculaires ont filmé la suite des évènements [8]. Avec l’aide de la police, les provocateurs soi-disant « pro-russes » se sont alignés le long du centre commercial Afina, situé à l’intersection de la rue de la Grèce et de l’allée du vice-amiral Zhukov, là où d’autres provocateurs appartenant au groupe des supporters du club de football les ont attaqués. Parmi ces derniers se trouvaient notamment les combattants de Pravy-Sektor et ceux de l’UNA-UNSO. Ces faits ont été corroborés, y compris par les observateurs pro-Maidan qui étaient présents [9]. Des armes à feu ont été utilisées de part et d’autre, et des victimes ont été déplorées dans chacun des deux camps.

La mission qui consistait à détourner l’intérêt des supporters du match pour lequel ils étaient venus, et à les canaliser vers le quartier Koukikovo avait été menée à bien. Les provocateurs qui avaient excité la foule se sont alors repliés sur le centre commercial Afina, où les forces de police sont venues les prendre en charge. Certains d’entre eux avaient été blessés. Ils n’avaient cependant aucun mort à déplorer.

Tandis que les affrontements se poursuivaient sur la place de la Grèce, un groupe de tueurs de Pravy Sektor réglait les derniers détails de la partie principale de l’opération portant le nom de code « Ha’ola » (issu de l’expression « Mizbeach Ha’ola » , qui signifie en hébreu : « l’autel des immolations »). Ils se sont glissés à l’intérieur de la Maison des Syndicats en passant par une porte située à l’arrière du bâtiment. Ils ont alors entrepris de consolider leurs positions dans les sous-sols et les greniers. Dans ce groupe ne figuraient que des combattants aguerris, tous étant des tueurs expérimentés.

Tandis que la masse des gens traversait le centre de la ville en refluant de la place de la Grèce pour aller vers le quartier Koukikovo, certains des provocateurs sont montés dans des voitures et se sont portés à toute allure au-devant du gros de la foule. Ils se sont alors précipités à l’intérieur du camp de tentes, s’évertuant à créer un mouvement de panique en criant : « Ceux de Pravy Sektor arrivent ! » et puis « Ils viennent pour vous tuer ! », et ainsi de suite. Au lieu de s’éparpiller dans la ville, beaucoup sont tombés dans le piège des provocateurs et se sont réfugiés à l’intérieur de la Maison de Syndicats. Certains d’entre eux sont descendus dans les sous-sols d’où personne n’est ressorti vivant. Ils y ont été torturés, tués, et dépecés à coups de machettes. D’autres se sont réfugiés dans les étages. Un mélange d’essence et de napalm avait été préparé de façon à produire un poison âcre, mortel, à base de monoxyde de carbone. C’est sur la place de l’Indépendance à Kiev que des chimistes avaient mis au point ces cocktails meurtriers. Mais ce n’est pas là-bas qu’ils les ont utilisés. Ce mélange a été expérimenté pour la première fois à Odessa. Il ne s’agissait pas d’un accident : Il fallait à tout prix réaliser un massacre de grande ampleur pour terroriser le pays tout entier.

La « bataille » de la Maison des Syndicats a duré plusieurs heures. Pendant tout ce temps, certaines des brutes faisaient semblant de défendre le bâtiment en jetant des cocktails Molotov depuis le toit, tandis que d’autres, méthodiquement, massacraient, étranglaient, et réduisaient leurs victimes à l’état de cendres. L’alimentation en eau du bâtiment avait été coupée de façon à neutraliser par avance les éventuelles tentatives qui seraient faites pour éteindre l’incendie.

Après que la phase « Ha’ola » de l’opération ait été complétée, les assassins de Pravy Sektor se sont enfuis en utilisant les issues situées à l’arrière et sur les côtés du bâtiment, et ont aussitôt quitté la ville. Les forces de police sont alors entrées dans l’immeuble. Le nombre des victimes recensées, qui allait devenir le bilan officiel de la catastrophe, ne comptabilisait en réalité que les martyrs relevés dans les étages supérieurs de l’édifice. La plupart des personnes décédées ont été assassinées dans les sous-sols et leurs décès n’ont pas été répertoriés. Il est peu probable que l’on connaisse un jour le nombre exact des victimes. La plupart des sources indiquent que 120 à 130 personnes au moins ont été massacrées.

« Ceux qui peuvent vous faire croire en des absurdités pourront vous faire commettre des atrocités »
Voltaire (1694-1778)
La vérité ne pourra pas être dissimulée

Les chefs de la junte ont privatisé les forces de police et les services de renseignement. Malheureusement pour eux, ils ont oublié les Bureaux du procureur. Le procureur général en exercice vient de statuer comme suit :

« Cette action criminelle n’a pas été préparée par des échelons intermédiaires. Elle a été soigneusement préparée, coordonnée, et des représentants de diverses autorités y ont pris part. » [10]

Il est peu probable qu’on lui permette de nommer les vrais responsables de cette tragédie. Cependant, il sera impossible pour la junte de cacher entièrement la vérité sur ce qui s’est réellement passé à Odessa. Cette tragédie mérite de faire l’objet d’une enquête circonstanciée. Les coupables doivent être présentés devant une cour de justice internationale et répondre des crimes contre l’humanité qu’ils ont perpétrés.

Messieurs Turchinov et Cie, la deuxième édition des procès de Nuremberg vous attend patiemment, mais sûrement.

Traduction
Gérard Jeannesson

Source
антифашист
  

[1] « Crime à Odessa », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 mai 2014. « Les massacres d’Odessa sonnent le glas de l’unité ukrainienne », Traduction Gérard Jeannesson, Oriental Review/Réseau Voltaire, 12 mai 2014.

[2] « En Ukraine, le fils de Joe Biden joint l’utile à l’agréable », Réseau Voltaire, 14 mai 2014.

[3] “Interpol office in Italy confirms Avakov’s arrest for extradition”, Interfax-Ukraine, 30 mars 2012. Traduction française :
Les bureaux italiens d’Interpol confirment l’arrestation d’Avakov, en vue d’une prochaine extradition.
Le bureau de Rome d’Interpol a confirmé que Arsen Avakov, l’ancien responsable de l’administration régionale de Kharkov, par ailleurs dirigeant de la branche régionale de Kharkov du parti Batkivschyna , a été arrêté et incarcéré en vue de son extradition.
« Nos autorités judiciaires à Rome confirment l’incarcération temporaire de cette personne [Avakov], afin de l’extrader dans votre pays sur la base du mandat d’arrêt délivré par les autorités judiciaires de Kharkov, le 31 janvier 2012 ». C’est ce qu’a indiqué le bureau d’Interpol de Rome, dans une réponse officielle au bureau d’Interpol de Kiev, dont le contenu a été communiqué à l’agence Interfax-Ukraine ce vendredi.
Le document indique que, conformément, aux conventions européennes en matière d’extradition, les documents d’extradition devront être transmis directement au ministre italien de la Justice par les voies diplomatiques dans un délai de quarante jours, à compter du 27 mars.

[4] “Андрей Парубий подарил добровольцам одесской самообороны современные бронежилеты”, Djdansky, YouTube, 24 avril 2014.

[5] “Стрельба по протестующим в здании профсоюзов Одесса 2 мая 2014 года”, Андрей Бонд, YouTube, 3 mai 2014.

[6] “Мыкола сотник правого сектора докладывает про ситуацию в Одессе 2 мая 2014 года”, Андрей Бонд, YouTube, 3 mai 2014.

[7] “Задержана машина с огнестрельным оружием активистами Майдана - сюжет телеканала "112 Украина"”, 112 Украина, YouTube, 18 février 2014.

[8] “Odessa Inferno 18+ May 2, 2014”, André Fomine, YouTube, 6 mai 2014.

[9] “Что в действительности произошло в Одессе вчера...”, Прямо сейчас !, 3 mai 2014.

[10] “Odessa Tragedy Planned by Authorities’ Representatives – Kiev Official”, Ria-Novosti, 7 mai 2014. Traduction française :
« Le massacre survenu à Odessa vendredi dernier, au cours duquel plus de 40 personnes ont péri, était une opération planifiée et coordonnée minutieusement, à laquelle des représentants des autorités de Kiev ont participé. » C’est ce qu’a déclaré le procureur général en exercice, Oleh Makhnistky, ce mercredi.
« Cette action n’a pas été préparée par des échelons intermédiaires. Elle a été soigneusement préparée et coordonnée et des représentants de diverses autorités y ont pris part. »
Le procureur Makhnitsky a promis qu’il révèlerait les noms de ceux qui avaient trempé dans les évènements dramatiques d’Odessa.
Vendredi dernier, 46 partisans de la fédéralisation de l’Ukraine ont trouvé la mort et deux cents autres ont été blessés dans un incendie, après avoir été pris au piège à Odessa dans la Maison des Syndicats, incendiée au cours des violences survenues entre les militants opposés au coup d’État et ceux qui, dans la ville, soutiennent le régime de Kiev.
Les affrontements qui se sont déroulés sont les évènements les plus sanglants que l’Ukraine ait connus depuis le début de la crise, en février. Ce mercredi, les premiers réfugiés en provenance d’Odessa sont arrivés en Russie, à Yevpatoria, dans la République de Crimée. Les autorités de Crimée ont indiqué que les deux familles avaient été témoins de la tragédie•

marți, 16 septembrie 2014

Robert Steuckers.Eurasisme et atlantisme: quelques réflexions intemporelles et impertinentes

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Eurasisme et atlantisme: quelques réflexions intemporelles et impertinentes

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Robert STEUCKERS:
Eurasisme et atlantisme: quelques réflexions intemporelles et impertinentes

Préface à un ouvrage de Maître Jure Vujic (Zagreb, Croatie)

Il y a plusieurs façons de parler de l’idéologie eurasiste, aujourd’hui, après l’effondrement du bloc soviétique et la disparition du Rideau de Fer: 1) en parler comme s’il était un nouvel avatar du soviétisme; 2) en faisant référence aux idéologues russes de l’eurasisme des années 20 et 30, toutes tendances idéologiques confondues; 3) en adoptant, par le truchement d’un eurasisme synthétique, les lignes de force d’une stratégie turco-mongole antérieure, qui deviendrait ainsi alliée à la spécificité russe; un tel eurasisme est finalement une variante du pantouranisme ou du panturquisme; 4) faire de l’idéologie eurasiste le travestissement d’un traditionalisme révolutionnaire, reposant in fine sur la figure mythique du “Prêtre Jean”, évoquée par René Guénon; cet eurasisme-là prendrait appui sur deux pôles religieux: l’orthodoxie russe et certains linéaments de l’islam centre-asiatique, mêlant soufisme et chiisme, voire des éléments islamisés du chamanisme d’Asie centrale. Ces quatre interprétations de l’eurasisme sont certes séduisantes sur le plan intellectuel, sont, de fait, des continents à explorer pour les historiens qui focalisent leurs recherches sur l’histoire des idées, mais d’un point de vue realpolitisch européen, elles laissent le géopolitologue, le stratège et le militaire sur leur faim.

L’eurasisme, dans notre optique, relève bien plutôt d’un concept géographique et stratégique: il tient compte de la leçon de John Halford Mackinder qui, en 1904, constatait que l’espace centre-asiatique, alors dominé par la Russie des Tsars, était inaccessible à la puissance maritime anglaise, constituait, à terme, un môle de puissance hostile aux “rimlands”, donc, du point de vue britannique, une menace permanente sur l’Inde. L’eurasisme des géopolitologues rationnels, s’inscrivant dans le sillage de John Halford Mackinder, n’est pas tant, dans les premières expressions de la pensée géopolitique, l’antipode d’un atlantisme, mais l’antipode d’une puissance maritime centrée sur l’Océan Indien et possédant le sous-continent indien. Si l’Angleterre est, dès l’époque élisabéthaine, une puissance nord-atlantique en passe de conquérir toute l’Amérique du Nord, au faîte de sa gloire victorienne, elle est essentiellement une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien. La clef de voûte de son empire est l’Inde, qui surplombe un “arc” de puissance dont les assises se situent en Afrique australe et en Australie et dont les points d’appui insulaires sont les Seychelles, l’Ile Maurice et Diego Garcia.

Le premier couple de concepts antagonistes en géopolitique n’est donc pas le dualisme eurasisme/atlantisme mais le dualisme eurasisme/indisme. L’atlantisme ne surviendra qu’ultérieurement avec la guerre hispano-américaine de 1898, avec le développement de la flotte de guerre américaine sous l’impulsion de l’Amiral Alfred Thayer Mahan, avec l’intervention des Etats-Unis dans la première guerre mondiale, avec le ressac graduel de l’Angleterre dans les années 20 et 30 et, enfin, avec l’indépendance indienne et la relative neutralisation de l’Océan Indien. Qui ne durera, finalement, que jusqu’aux trois Guerres du Golfe (1980-1988, 1991, 2003) et à l’intervention occidentale en Afghanistan suite aux “attentats” de New York de septembre  2001.

Route de la Soie et “Greater Middle East”


Avec l’indépendance des anciennes républiques musulmanes de l’ex-URSS, la Russie cesse paradoxalement d’être une véritable puissance eurasienne, car elle perd les atouts territoriaux de toutes ses conquêtes du XIX° siècle, tout en redécouvrant le punch de l’idéologie eurasiste. Donc la fameuse “Terre du Milieu”, inaccessible aux marines anglo-saxonnes, comprenant le Kazakhastan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, est théoriquement indépendante de toute grande puissance d’Europe ou d’Asie. Un vide de puissance existe ainsi désormais en cette Asie centrale, que convoitent les Etats-Unis, la Chine, l’Iran et la Turquie, au nom de concepts tour à tour anti-russes, panasiatiques, panislamistes ou pantouraniens. Les Etats-Unis parlent tout à la fois, avec Zbigniew Brzezinski, de “Route de la Soie” (“Silk Road”), et, avec d’autres stratégistes, de “Greater Middle East”, comme nouveau débouché potentiel pour une industrie américaine enrayée dans ses exportations en Europe, avec l’émergence d’une UE à 75% autarcique, et en Amérique ibérique avec l’avènement du Mercosur et d’autres regroupements politico-économiques.

Vu la population turcophone des anciennes républiques musulmanes d’Asie centrale, cet espace, hautement stratégique, ne partage plus aucune racine, ni culturelle ni linguistique, avec l’Europe ou avec la Russie. Un barrage turcophone et islamisé s’étend de l’Egée à la Muraille de Chine, empêchant le regroupement de puissances à matrice européenne: l’Europe, la Russie, la Perse et l’Inde. La conscience de ce destin raté n’effleure même pas l’immense majorité des Européens, Russes, Perses et Indiens.

L’idée-force qui doit, tout à la fois, ressouder l’espace jadis dominé par les Tsars, de Catherine II à Nicolas II, et donner une conscience historique aux peuples européens, ou d’origine européenne, ou aux peuples d’aujourd’hui qui se réfèrent à un passé historique et mythologique européen, est celle d’un eurasisme indo-européanisant. Cet eurasisme trouve son origine dans la geste des vagues successives de cavaliers et de charistes, dites “proto-iraniennes”, parties de l’ouest de l’Ukraine actuelle pour se répandre en Asie centrale entre 1800 et 1550 avant J. C. Deux historiens et cartographes nous aident à comprendre cette dynamique spatiale, à l’aurore de notre histoire: le Britannique Colin McEvedy (1) et le Suisse Jacques Bertin (2).

L’aventure  des cavaliers indo-européens dans la steppe centre-asiatique


Pour McEvedy, la césure dans le bloc indo-européen initial, dont le foyer primordial se situe en Europe centrale, survient vers 2750 av. J. C. quand le groupe occidental (cultures de Peterborough et de Seine-Oise-Marne) opte pour un mode de vie principalement sédentaire et le groupe oriental, de l’Elbe à la Mer d’Aral, pour un mode de vie semi-nomade, axé sur la domestication du cheval. Bien que la linguistique contemporaine opte pour une classification des langues indo-européennes plus subtile et moins binaire, reposant sur la théorie des ensembles, McEvedy retient, peu ou prou, l’ancienne distinction  entre le groupe “Satem” (oriental: balto-slave, aryen-iranien-avestique, aryen-sanskrit-védique) et le groupe “Centum” (occidental: italique, celtique, germanique), selon le vocable désignant le chiffre “100” dans ces groupes de langues. Pour McEvedy, à cette même époque (-2750), un bloc hittite commence à investir l’Asie Mineure et l’Anatolie; le groupe tokharien, dont la langue est “indo-européenne occidentale”, s’installe en amont du fleuve Syr-Daria, en direction de la “Steppe de la Faim” et à proximité des bassins du Sari-Sou et du Tchou. Récemment, l’archéologie a exhumé des momies appartenant aux ressortissants de ce peuple indo-européen d’Asie centrale et les a baptisées “Momies du Tarim”. A cette époque, les peuples indo-européens orientaux occupent toute l’Ukraine, tout l’espace entre Don et Volga, de même que la “Steppe des Kirghiz”, au nord de la Caspienne et de la Mer d’Aral. De là, ils s’élanceront vers 2250 av. J. C. au delà de l’Aral, tandis que les Tokhariens entrent dans l’actuel Sinkiang chinois et dans le bassin du Tarim, à l’époque assez fertile. La “Terre du Milieu” de John Halford Mackinder a donc été d’abord indo-européenne avant de devenir altaïque et/ou turco-mongole. A partir de 1800 av. J. C., ils font mouvement vers le Sud et pénètrent en Iran, servant d’aristocratie guerrière, cavalière et chariste, à des peuples sémitiques ou élamo-dravidiens. Vers 1575 av. J. C., ils encadrent les Hourrites caucasiens lors de leurs conquêtes au Proche-Orient et en Mésopotamie, pénètrent dans le bassin de l’Indus et dans le Sinkiang et le Gansou.

Ces peuples domineront les steppes centre-asiatiques, des Carpathes à la Chine jusqu’à l’arrivée des Huns d’Attila, au IV° siècle de l’ère chrétienne. Cependant, les empires sédentaires et urbanisés du “rimland”, pour reprendre l’expression consacrée, forgée en 1904 par Mackinder, absorberont très tôt le trop plein démographique de ces cavaliers de la steppe: ce seront surtout les Perses, Parthes et Sassanides qui les utiliseront, de même que les Grecs qui auront des mercenaires thraces et scythes et, plus tard, les Romains qui aligneront des cavaliers iazyges, roxolans et sarmates. Cette réserve militaire et aristocratique s’épuisera progressivement; pour Jacques Bertin, l’expansion vers l’Océan Pacifique de ces peuples cavaliers sera contrecarrée  par des bouleversements climatiques et un assèchement graduel de la steppe, ne permettant finalement plus aucune forme, même saisonnière, de sédentarité. A l’Est, le premier noyau mongol apparaît entre 800 et 600 av. J. C., notamment sous la forme de la culture dite “des tombes à dalles”.

Le reflux vers l’ouest


Les peuples cavaliers refluent alors principalement vers l’Ouest, même si les Yuezhi (on ne connaît plus que leur nom chinois) se heurtent encore aux Mongols et à la Chine des Qin. La pression démographique des Finno-Ougriens (Issédons) et des Arimaspes de l’Altaï et la détérioration générale des conditions climatiques obligent les Scythes à bousculer les Cimmériens d’Ukraine. Quelques éléments, après s’être heurtés aux Zhou chinois, se seraient retrouvés en Indochine, à la suite de ce que les archéologues nomment la “migration pontique”. De 600 à 200 av. J.C., la culture mongole-hunnique des “tombes à dalles” va accroître, graduellement et de manière non spectaculaire, son “ager” initial. Vers –210, les tribus mongoles-hunniques forment une première confédération, celle des Xiongnu, qui font pression sur la Chine mais bloquent définitivement l’expansion des cavaliers indo-européens (Saces). C’est là que commence véritablement l’histoire de l’Asie mongole-hunnique. Vers 175 av. J.C., les Xiongnu dirigés par Mao-Touen, véritables prédécesseurs des Huns, s’emparent, de tout le Gansu, chassent les Yuezhi indo-européens et occupent la Dzoungarie. La vaste région steppique entourant le Lac Balkach cesse d’être dominée par des peuples indo-européens. La Chine intervient et bat la Confédération des Xiongnu, donnant aux empires romain et parthe un répit de quelques centaines d’années.

Le potentiel démographique indo-européen des steppes se fonde dans les empires périphériques, ceux du “rimland”: les Sarmates de l’Ouest, connus sous les noms de Roxolans et de Iazyges s’installent en Pannonie et, après un premier choc avec les Légions de l’Urbs, deviendront des “foederati” et introduiront les techniques de la cavalerie dans l’armée romaine et, partant, dans toutes les régions de l’Empire où ils seront casernés. L’épopée arthurienne découlerait ainsi d’une matrice sarmate. Les Alains, ancêtres des Ossètes, entrent en Arménie. Les Yuezhi envahissent l’Inde et y fondent l’Empire Kusana/Kouchan. De l’an 1 à l’an 100, trois blocs  impériaux de matrice indo-européenne se juxtaposent sur le rimland eurasien, face aux peuples hunniques désorganisés par les coups que lui ont porté les armées chinoises de Ban Chao, qui poussent jusqu’en Transoxiane. Nous avons l’Empire romain qui inclut dans ses armées les “foederati” sarmates. Ensuite, l’Empire perse qui absorbe une partie des peuples indo-européens de la steppe centre-asiatique, dont les Scythes, qu’il fixera dans la province du Sistan. Enfin l’Empire kouchan, sous l’impulsion des tribus yuezhi réorganisées, englobe toutes les terres de l’Aral au cours moyen du Gange, l’Afghanistan et le Pakistan actuels et une vaste portion de l’actuel Kazakhstan.

Les Huns arrivent dans l’Oural et dans le bassin de la Volga


Au cours du II° siècle de l’ère chrétienne, les Xianbei, issus des forêts, deviennent le peuple dominant au nord de la Mandchourie, provoquant, par la pression qu’ils exercent sur leur périphérie occidentale, une bousculade de peuples, disloquant les restes des Xiongnu qui, d’une part, entrent en Chine, et d’autre part, se fixent en Altaï, patrie des futurs peuples turcs (les “Tujue” des chroniques chinoises). Les Huns arrivent dans l’Oural, approchent du bassin de la Volga et entrent ainsi dans les faubourgs immédiats du foyer territorial originel des peuples indo-européens que l’archéologue allemand Lothar Kilian situe du Jutland au Don, les peuples préhistoriques et proto-historiques se mouvant sur de vastes territoires, nomadisme oblige. Thèse qu’adopte également Colin McEvedy.

En 285, les derniers Tokhariens font allégeance aux empereurs de Chine. Sassanides zoroastriens et Kouchans bouddhistes s’affrontent, ce qui conduit au morcellement de l’ensemble kouchan et, ipso facto, à la fragilisation de la barrière des Empires contre les irruptions hunniques venues de la steppe. Chahpour II, Empereur perse, affronte les Romains et les restes des Kouchans. L’Empereur Julien meurt en Mésopotamie en 373 face aux armées sassanides. Dans la patrie originelle des peuples hunniques-mongols, les Ruan Ruan bousculent les Xianbei qui refluent vers l’ouest, bousculant les Turcs, ce qui oblige les Huns à franchir la steppe sud-ouralienne et à se heurter en 375 aux Alains et aux Goths. Le glas de l’Empire romain va sonner. Les Huns ne seront arrêtés qu’en Champagne en 451 (Bataille des Champs Catalauniques). Les Kouchans, désormais vassaux des Sassanides, doivent céder du terrain aux Hephtalites hunniques. Les Tokhariens se soumettent aux Gupta d’Inde.

D’Urbain II à l’échec de la huitième Croisade


La chute de l’Empire romain, les débuts chaotiques de l’ère médiévale signalent un ressac de l’Europe, précisément parce qu’elle a perdu l’Asie centrale, le contact avec la Perse et la Chine. L’émergence de l’islam va accentuer le problème en donnant vie et virulence à la matrice arabique des peuples sémitiques. L’invasion de l’Anatolie byzantine par les Seldjouks au XI° siècle va provoquer une première réaction et enclencher une guerre de près de 900 ans, brièvement interrompue entre la dernière guerre de libération balkanique en 1913 et l’ère de la décolonisation. Le pape Urbain II, dans son discours de Clermont-Ferrand (1095) destiné à galvaniser la noblesse franque pour qu’elle parte en croisade, évoque nettement “l’irruption d’une race étrangère dans la Romania”, prouvant que l’on raisonnait encore en terme de “Romania”, c’est-à-dire d’impérialité romaine, cinq ou six cents ans après la chute de l’Empire romain d’Occident. En 1125, Guillaume de Malmesbury, dans sa “Gesta Regum”, déplore que la “chrétienté”, donc l’Europe, ait été chassée d’Asie et d’Afrique et que, petite en ses dimensions, elle est constamment harcelée par les Sarazins et les Turcs, qui veulent l’avaler toute entière. Les propos de Guillaume de Malmesbury expriment fort bien le sentiment d’encerclement que ressentaient les Européens de son époque, un sentiment qui devrait réémerger aujourd’hui, où les peuples de la périphérie ne cachent pas leur désir de grignoter notre territoire et/ou de l’occuper de l’intérieur par vagues migratoires ininterrompues, en imaginant que notre ressac démographique est définitif et inéluctable.

L’épopée des Croisades ne s’achève pas par l’échec total de la huitième croisade, prêchée par Urbain IV en 1263 et où meurt Saint Louis (1270). La chute d’Acre en 1291 met fin aux Etats latins d’Orient: seul ultime sursaut, la prise de Rhodes en 1310, confiée ensuite aux Hospitaliers. Détail intéressant: en 1274, Grégoire X, successeur d’Urbain IV, tentera en vain d’unir les empires du rimland en un front unique: les Mongols de Perse, les Byzantins et les Européens catholiques (3). Les guerres contre les Ottomans à partir du XIV° siècle et le fiasco de Nicopolis en 1396, à la suite de la défaite serbe du Champs des Merles en 1389, sont des guerres assimilables à des croisades. Le XV° siècle ne connaît pas de répit, avec la défaite européenne de Varna en 1444, prélude immédiat de la chute de Constantinople en 1453. Les XVI° et XVII° siècles verront l’affrontement entre l’Espagne d’abord, l’Autriche-Hongrie ensuite, et les Ottomans. La défaite des Turcs devant Vienne en 1683, puis la Paix de Karlowitz en 1699, scellent la fin de l’aventure ottomane et le début de l’expansion européenne. Ou, plus exactement, le début d’une riposte européenne, enfin victorieuse depuis les premiers revers des Saces.

Les Portugais contournent l’Afrique et arrivent dans l’Océan Indien


Deux réactions ont cependant été déterminantes: d’abord, l’avancée des Russes sur terre, séparant les Tatars de Crimée du gros de la Horde d’Or et du Khanat de Sibir par la conquête du cours de la Volga jusqu’à la Caspienne. Le réveil de la Russie indique le retour d’un peuple indo-européen dans l’espace steppique au sud de l’Oural et un reflux des peuples hunniques et mongols. La Russie poursuivra la conquête jusqu’au Pacifique en deux siècles. Puis reprendra toute l’Asie centrale. Nous avons affaire là au même eurasisme que celui des Proto-Iraniens à l’aurore de notre histoire. Ensuite, deuxième réaction, la conquête portugaise des eaux de l’Atlantique sud et de l’Océan Indien. Elle commence par une maîtrise et une neutralisation du Maroc, d’où disparaissent les Mérinides, remplacés par les Wattasides qui n’ont pas eu les moyens d’empêcher les Portugais de contrôler le littoral marocain. A partir de cette côte, les Portugais exploreront tout le littoral atlantique de l’Afrique avec Cabral et franchiront le Cap de Bonne Espérance avec Vasco de Gama (1498). Les Européens reviennent dans l’Océan Indien et battent la flotte des Mamelouks d’Egypte au large du Goujarat indien. La  dialectique géopolitique de l’époque consiste, peut-on dire, en une alliance de l’eurasisme européanisant des Russes et de l’indisme thalassocratique des Portugais qui prennent un Empire musulman du rimland en tenaille, une empire à cheval sur trois continents: l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Le tandem Ottomans-Mamelouks disposait effectivement de fenêtres sur l’Océan Indien, via la Mer Rouge et le Golfe Persique et était en quelque sorte “hybride”, à la fois tellurique, avec ses armées de janissaires dans les Balkans, et thalassocratique par son alliance avec les pirates barbaresques de la côte septentrionale de l’Afrique et avec les flottes arabe et mamelouk de la Mer Rouge. Les Portugais ont donc réussi, à partir de Vasco de Gama à parfaire une manoeuvre d’encerclement maritime du bloc islamique ottoman et mamelouk, puisque les entreprises terrestres que furent les croisades et les expéditions malheureuses de Nicopolis et de Varna avaient échoué face à l’excellence de l’organisation militaire ottomane. Les héritiers d’Henri le Navigateur, génial précurseur du retour des Européens sur les mers du monde, ont réduit à néant, par leur audace, le sentiment d’angoisse des Européens devant l’encerclement dont ils étaient les victimes depuis l’irruption des Seldjouks dans cette partie de la Romania, qui était alors byzantine.

L’indisme thalassocratique et l’eurasisme tellurique/continental sont alors alliés, en dépit du fait que les Portugais sont catholiques et honorent le Pape de Rome et que les Russes se proclament les héritiers de Byzance, en tant que “Troisième Rome”, depuis la chute de Constantinople en 1453. Après les succès flamboyants d’Albuquerque entre 1503 et 1515 et la pénétration du Pacifique, les Portugais s’épuiseront, ne bénéficieront plus de l’apport de marins hollandais après le passage des Provinces-Unies des Pays-Bas au calvinisme ou au luthérisme; les Hollandais feront brillamment cavaliers seuls avec leur “Compagnie des Indes Orientales” fondée en 1602, s’empareront de l’Insulinde, deviendront pendant les deux tiers du XVII° une puissance à la fois “indiste” et atlantiste, et même partiellement pacifique vu leurs comptoirs au Japon, mais ne disposant que d’une base métropolitaine bien trop exigüe, ils cèderont graduellement le gros de leurs prérogatives aux Anglais dans l’Océan Indien et autour de l’Australie.

Le premier “atlantisme” ibérique: un auxiliaire du dessein “alexandrin”


L’atlantisme naît évidemment de la découverte des Amériques par Christophe Colomb en 1492. Mais l’objectif premier des puissances européennes, surtout ibériques, sera d’exploiter les richesses du Nouveau Monde pour parfaire un grand dessein romain et “alexandrin”, revenir en Méditerranée orientale, reprendre pied en Afrique du Nord, libérer Constantinople et ramener l’Anatolie actuelle dans le giron de la “Romania”. Le premier atlantisme ibérique n’est donc que l’auxiliaire d’un eurasisme “croisé” ibérique et catholique, allié à la première offensive de l’eurasisme russe, et portée par un dessein “alexandrin”, qui espère une alliance euro-perse. Une telle alliance aurait reconstitué le barrage des empires contre la steppe turco-hunnique, alors que les empires antérieurs, ceux de l’antiquité, se nourrissaient de l’énergie des cavaliers de la steppe quand ceux-ci étaient indo-européens.

L’atlantisme proprement dit, détaché dans un premier temps de tout projet continentaliste eurasien, nait avec l’avènement de la Reine Elisabeth I d’Angleterre. Elle était la fille d’Anne Boleyn, deuxième épouse d’Henri VIII et pion du parti prostestant qui avait réussi  à évincer la Reine Catherine, catholique et espagnole. Après la décollation d’Anne Boleyn, la jeune Elisabeth ne devait pas monter directement sur le trône à la mort de son père: son demi-frère Edouard VI succède à Henri VIII, puis, à la mort prématurée du jeune roi, sa demi-soeur Marie Tudor, fille de Catherine d’Espagne, qui déclenche une virulente réaction catholique, ramenant l’Angleterre, pendant cinq ans dans le giron catholique et l’alliance espagnole (1553-1558). Le décès prématuré de Marie Tudor amène Elisabeth I sur le trône en 1558; elle y restera jusqu’en 1603: motivée partiellement par l’ardent désir de venger sa mère, la nouvelle reine enclenche une réaction anti-catholique extrêmement violente, entraînant une cassure avec le continent qui ne peut être compensée que par une orientation nouvelle, anglicane et protestante, et par une maîtrise de l’Atlantique-Nord, avec la colonisation progressive de la côte atlantique, prenant appui sur la réhabilitation de la piraterie anglaise, hissée au rang de nouvelle noblesse après la disparition de l’ancienne aristocratie et chevalerie anglo-normandes suite à la Guerre des Deux Roses, à la fin du XV° siècle (4).

L’expansion anglaise en Amérique du Nord


C’est donc une vendetta familiale, un schisme religieux et une réhabilitation de la piraterie qui créeront l’atlantisme, assorti d’une volonté de créer une culture ésotérique différente de l’humanisme continental et catholique. Elle influence toujours, dans la continuité, les linéaments ésotériques de la pensée des élites anglo-saxonnes (5), notamment ceux qui, en sus du puritanisme proprement dit, sous-tendent la théologie politique américaine. Sous le successeur faible d’Elisabeth commence la colonisation de l’Amérique du Nord, par la fondation d’un premier établissement en 1607 à Jamestown. Elle sera complétée par l’annexion des comptoirs hollandais en 1664, dont “Nieuw Amsterdam” qui deviendra New York. L’inclusion du Delaware et des deux Carolines permet l’occupation de tout le littoral atlantique des futurs Etats-Unis. En 1670, l’Angleterre patronne la fondation de l’Hudson  Bay Company qui lui permet de coincer la “Nouvelle-France”, qui s’étend autour de Montréal, entre les Treize colonies et cette portion importante de l’hinterland du futur territoire canadien. Les liens avec l’Angleterre et l’immigration homogène et massive de Nord-Européens font de l’Atlantique-Nord un lac britannique et le socle d’une future puissance pleinement atlantique.

L’Angleterre en s’emparant de la totalité du Canada par le Traité de Paris en 1763 consolide sa puissance atlantique. Mais les jeux ne sont pas encore faits: lors de la révolte des “Treize colonies” en 1776, les flottes alliées de la France, de l’Espagne et de la Hollande volent au secours des insurgés américains et délogent les Anglais qui, dans les décennies suivantes, redeviendront une puissance principalement indienne, c’est-à-dire axée sur la maîtrise de l’Océan Indien. A partir du développement de la flotte russe sous Catherine la Grande, la Russie devient une menace pour l’Inde et surtout pour la route maritime qui y mène. Quand le Tsar Paul I propose à Napoléon Bonaparte de marcher de conserve, à travers la steppe, vers l’Inde, source de la puissance anglaise, en bousculant la Perse, Londres focalise toute son attention sur le maintien de son hégémonie sur le sous-continent indien et met en sourdine son ancienne vocation atlantique. C’est le “Grand Jeu”, le “Great Game” disent les historiens anglo-saxons, qui oppose, d’une part, une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien et de la Méditerranée, avec un appendice atlantique, comprenant le Canada comme réserve de matières premières et quelques comptoirs africains sur la route des Indes avant le creusement du Canal de Suez, et, d’autre part, une puissance continentale, tellurique, qui avance lentement vers le Sud et reconquiert la steppe d’Asie centrale sur les peuples turcs qui l’avaient enlevée aux Yuezhi, Saces, Tokhariens et Sarmates. Du coup, la Russie des Tsars devient l’héritière et la vengeresse de ces grands peuples laminés par les invasions hunniques, turques et mongoles. La Russie des Tsars développe donc un eurasisme indo-européanisant et se heurte à une thalassocratie qui a hérité de la stratégie de contournement des Portugais de la fin du XV° et du début du XVI° siècle. Mais cette stratégie de contournement est nouvelle, n’a pas de précédent dans l’histoire, ne s’identifie ni à l’Europe continentale ni à une Romania, disparue mais hissée au rang d’idéal indépassable, ni à un catholicisme qui en exprimerait l’identité sous des oripeaux chrétiens (comme dans le discours d’Urbain II ou le texte de Guillaume de Malmesbury). Le choc de cette thalassocratie et du continentalisme russe va freiner, enrayer et empêcher le parachèvement plein et entier d’un eurasisme indo-européanisant.

L’affrontement entre l’Empire continental des Tsars et l’Empire maritime des Britanniques


L’affrontement entre la thalassocratie anglaise et le continentalisme russe débute dès les premières conquêtes de Nicolas I, qui règna de 1825 à 1855 et consolida les conquêtes d’Alexandre I dans le Caucase, tout en avançant profondément dans les steppes du Kazakhstan, entre 1846 et 1853. Nicolas I désenclave également la Mer Noire, en fait un lac russe: alarmée, l’Angleterre fait signer une convention internationale en 1841, interdisant le franchissement des détroits pour tout navire de guerre non turc. Elle avait soutenu le Sultan contre le Pacha d’Egypte, Mehmet Ali, appuyé par la France. En 1838, elle s’installe à Aden, position stratégique clef dans l’Océan Indien et à la sortie de la Mer Rouge. C’est le début d’une série de conquêtes territoriales, en réponse aux avancées russes dans le Kazakhstan actuel: sont ainsi absorbés dans l’Empire thalassocratique anglais, le Baloutchistan en 1876 et la Birmanie intérieure en 1886. Pour contrer les Russes au nord de l’Himalaya, une expédition est même lancée en direction du Tibet en 1903.

Dans ce contexte, la Guerre de Crimée (1853-1855), suivie du Traité de Paris (1856), revêt une importance toute particulière. L’Angleterre entraîne la France de Napoléon III et le Piémont-Sardaigne dans une guerre en Mer Noire pour soutenir l’Empire ottoman moribond que la Russie s’apprête à absorber. Les intellectuels russes, à la suite de cette guerre perdue, vont cultiver systématiquement une méfiance à l’égard de l’Occident, posé comme libéral, “dégénéré” et “sénescent”, sans pour autant abandonner, dans les cinq dernières décennies du XIX° leur eurasisme indo-européanisant: l’obsession du danger “mongol”, qualifié de “panmongoliste”, demeure intacte (6). L’Orient de ces intellectuels orthodoxes et slavophiles est russe et byzantin, les référents demeurent donc de matrice grecque-chrétienne et européenne. Dans ce contexte, Vladimir Soloviev prophétise une future nouvelle invasion “mongole” en 1894, à laquelle la Russie devra faire face sans pouvoir compter sur un Occident décadent, prêt à trahir son européanité. Neuf ans plus tard, la défaite russe de Tchouchima laisse entrevoir que cette prophétie était juste, du moins partiellement.

La thématique du “péril panmongol” dans la littérature russe


Gogol, dans deux récits fantastiques, “Le portrait” et “Une terrible vengeance”, aligne des personnages de traîtres, dont l’anti-héros Petromihali, qui infusent dans l’âme russe des  perversités asiatiques et les préparent ainsi à la soumission. Dostoïevski, dans “La légende de l’Antéchrist”, faire dire à son “Grand Inquisiteur” que le Christ, auquel la Russie doit s’identifier jusqu’à accepter le martyre, a eu tort de refuser une “monarchie universelle” à la Gengis Khan ou à la Tamerlan. Satan l’a proposée au Christ, et le “Grand Inquisiteur” qui est une incarnation du Malin sous le déguisement d’un dignitaire de l’Eglise du Fils de Dieu, reproche au Christ, revenu sur Terre et qu’il va juger, d’avoir refusé ce pouvoir absolu, séculier et non spirituel. La Russie doit donc refuser un pouvoir de type asiatique, rester fidèle à ses racines européennes et chrétiennes, c’est-à-dire à une liberté de l’âme, à une liberté intérieure qui se passe de l’Etat ou, du moins, ne le hisse pas au rang d’idole absolue car, sinon, l’humanité entière connaîtra le sort peu enviable de la “fourmilière rassassiée”. La liberté scythe et cosaque, en lutte contre les ténèbres asiatiques, doit prévaloir, se maintenir envers et contre tout, même si elle n’est plus qu’une petite flamme ténue. Plus tard, le “totalitarisme” communiste et les dangers impitoyables du “panmongolisme”, annoncés par Soloviev, fusionneront dans l’esprit de la dissidence, jusqu’à l’oeuvre de Soljénitsyne. Dimitri Merejkovski ira même plus loin: le monde “s’enchinoisera”, l’Europe sombrera dans la veulerie et la léthargie et le monde entier basculera dans un bourbier insondable de médiocrité. “L’enchinoisement”, craint par Merejkovski, peut certes s’interpéréter de multiples manières mais une chose est certaine: il implique un oubli dramatique de l’identité même de l’homme de qualité, en l’occurrence de l’homme russe et européen, oubli qui condamne l’humanité entière à une sortie hors de l’histoire et donc à une plongée dans l’insignifiance et la répétition stérile de modes de comportement figés et stéréotypés. En ce sens, la figure du “Chinois” est métaphorique, tout aussi métaphorique qu’elle le sera chez un Louis-Ferdinand Céline après 1945.

Jusqu’à la révolution bolchevique, l’eurasisme russe demeure indo-européanisant: il reste dans la logique de la reconquête de l’espace scythique-sarmate, “proto-iranien” dirait-on de nos jours. La Russie est revenue dans les immensités sibériennes et centre-asiatiques: ce n’est pas pour en être délogée comme en furent délogés les peuples cavaliers, à partir du déploiement de la puissance de la Confédération des Xiongnu. Toutefois cet anti-asiatisme, réel ou métaphorique, et cette volonté d’être européen sur un mode non plus repu, comme les Occidentaux, mais sur un mode énergique et héroïque, ne touche pas l’ensemble de la pensée stratégique russe: au lendemain de la Guerre de Crimée, où le Tsar Nicolas I avait délibérément voulu passer sur le corps de l’Empire Ottoman pour obtenir une “fenêtre” sur la Méditerranée, Konstantin Leontiev suggère une autre stratégie. Il vise une alliance anti-moderne des chrétiens orthodoxes et des musulmans contre le libéralisme et le démocratisme modernes, diffusés par les puissances occidentales. On ne déboulera pas sur les rives de  l’Egée par la violence, en allant soutenir des nationalismes balkaniques ou helléniques  entachés de modernisme occidental, mais en soutenant plutôt la Sublime Porte contre les subversions intérieures qui la minent, de façon à apaiser toutes les tensions  qui  pourraient survenir dans le vaste espace musulman et turcophone fraîchement conquis en Asie centrale et à obtenir des concessions portuaires et navales en Egée et en Méditerranée orientale, tout en annulant les contraintes des traîtés fomentés par l’Angleterre pour bloquer le passage des Détroits. Leontiev suggère dès lors une alliance entre Russes et Ottomans, qui constituerait un bloc de Tradition contre le modernisme occidental. Cette idée, conservatrice, est reprise aujourd’hui par les néo-eurasistes russes.

L’idée de Leontiev peut bien sûr se conjuguer à certaines visions de l’anti-mongolisme littéraire, surtout si elle vise, comme ennemi premier, le libéralisme et le positivisme occidentaux, pendants néo-kantiens de l’immobilisme “jaune”, qui engourdissent les âmes. Avec la révolution bolchevique et la rupture avec l’Occident qui s’ensuivit, l’anti-asiatisme va s’estomper et, comme la nouvelle URSS est de facto une synthèse d’Europe et d’Asie, on élaborera, dans un premier temps, “l’idée scythe”. Les “Scythes”, dans cette optique, sont les “Barbares de l’Ouest” dans l’espace russo-sibérien, tandis que les “Barbares de l’Est” sont les cavaliers turco-mongols. On ne spécule plus sur les différences raciales, posées comme fondamentales dans l’eurasisme indo-européanisant, mais sur les points communs de cette civilisation non urbanisée et non bourgeoise, qui abhorre la quiétude et portera l’incendie révolutionnaire dans le monde entier, en balayant toutes les sociétés vermoulues. Du “scythisme”, dont le référent est encore un peuple indo-européen, on passe rapidement à un idéal fusionniste slavo-turc voire slavo-mongol, qui unit dans une même idéologie fantasmagorique tous les peuples de l’URSS, qu’ils soient slaves-scythes ou turco-mongols.

Du scythisme des années 20 au néo-eurasisme actuel


Jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique, l’élément slave et scythe reste implicitement dominant. Quand les républiques musulmanes centre-asiatiques de l’éphémère CEI obtiennent une indépendance pleine et entière, la Russie perd tous les glacis conquis par les Tsars de Catherine la Grande à Nicolas II. Le néo-eurasisme est une réaction face à la dislocation d’un bloc qui fut puissant: il cherche à rallier tous ceux qui en ont fait partie au nom d’une nouvelle idéologie partagée et à constituer ainsi un ersatz à l’internationalisme communiste défunt.

D’un point de vue eurasiste indo-européanisant, cette position peut se comprendre et s’accepter. Le néo-eurasisme refuse de voir se reconstituer, dans les steppes centre-asiatiques, un môle anti-russe, porté par un nouveau panmongolisme, un pantouranisme, un panislamisme ou une idéologie occidentaliste. L’eurasisme indo-européanisant, le “scythisme” des premières années du bolchevisme et le néo-eurasisme actuel, dont la version propagée par Alexandre Douguine (7) ont pour point commun essentiel de vouloir garder en une seule unité stratégique l’aire maximale d’expansion des peuples indo-européens, en dépit du fait qu’une portion majeure, stratégiquement primordiale, de cette aire soit occupée désormais par des peuples turcophones islamisés, dont le foyer originel se trouve sur le territoire de l’ancienne culture dite des “tombes à dalles” ou dans l’Altaï et dont la direction migratoire traditionnelle, et donc la cible de leurs attaques, porte dans l’autre sens, non plus d’ouest en est, mais d’est en ouest.

L’idéologie néo-eurasienne, avec sa volonté de consolider un bloc russo-asiatique, s’exprime essentiellement dans les stratégies élaborées par le Groupe de Changhaï et dans les réponses que celui-ci apporte aux actions américaines sur la masse continentale eurasienne.

L’expansion “bi-océanique” des Etats-Unis au XIX° siècle


Face à cet eurasisme, qui se conjugue en trois modes (indo-européanisant, scythique et russo-turco-mongol), qu’en est-il exactement de l’atlantisme, posé comme son adversaire essentiel sinon métaphysique? A l’aube du XIX° siècle, les “Treize colonies” américaines, qui ont fraîchement acquis leur indépendance face à l’Angleterre, ne possèdent pas encore un poids suffisant pour s’opposer  aux puissances européennes. Leur premier accroissement territorial vient de l’acquisition de la Louisiane, qui leur donne une plus grande profondeur territoriale sur le continent nord-américain. En Europe, l’effondrement du système napoléonien fait éclore, avec le Traité de Vienne de 1815, qui ménage la France redevenue royale, une “Sainte-Alliance” ou une “Pentarchie” qui est, ipso facto, eurasienne. La “Pentarchie”  s’étend, de fait, de l’Atlantique au Pacifique, puisque la Russie du Tsar Alexandre I en fait partie, en constitue même la masse territoriale la plus importante. On oublie trop souvent que l’Europe a été eurasienne et que l’eurasisme n’est pas une lubie nouvelle, imaginée par des intellectuels en mal d’innovation à la suite de la chute du Mur de Berlin et de la disparition du système soviétique. La Pentarchie, système unifiant l’Europe, n’a pas duré longtemps mais elle a existé et rendu notre sous-continent et la Russie-Sibérie inviolables et invincibles. Elle est par conséquent un modèle à imiter, une situation idéale à restaurer.

Face à ce bloc euro-pentarchique, en apparence inexpugnable, les Etats-Unis se sentent minorisés, craignent pour leur subsistance et, par une audace inouïe, leur Président, James Monroe proclame sa célèbre Doctrine en 1823 en imaginant, dans un premier temps, que le monde sera divisé en un “ancien monde” et un “nouveau monde”, dont il s’agira d’interdire l’accès à toutes les puissances de la Pentarchie et à l’Espagne, où elle était intervenue pour rétablir l’ordre (8). La proclamation de la Doctrine de Monroe est un premier grand défi au bloc pentarchique eurasiatique, avant même que les Etats-Unis ne soient devenus une puissance bi-océanique, à la fois atlantique et pacifique. Ils ne possèdent pas encore, en 1823, le Texas, le Nouveau-Mexique, la Californie et l’Alaska. En 1848, suite à la défaite du Mexique, ils deviennent bi-océaniques, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas exclusivement “atlantistes” mais constituent aussi une puissance intervenante dans les immensités du plus grand océan de la planète. Déjà, certains sénateurs envisagent de réorganiser la Chine pour qu’elle devienne le premier débouché des Etats-Unis et de leur industrie naissante. Le Commodore Matthew C. Perry, dès 1853-54, force, sous la menace, le Japon à s’ouvrir au commerce américain: première manifestation musclée d’une volonté claire et nette de dominer le Pacifique, contre les pays riverains du littoral asiatique de ce grand océan. Il faudra attendre la guerre hispano-américaine de 1898 pour que les Etats-Unis s’emparent d’un territoire insulaire face à l’Asie, en l’occurrence les Philippines, pour donner du poids à leurs revendications. Sous la présidence de Théodore (Teddy) Roosevelt, les Etats-Unis jettent les bases, non d’un atlantisme, mais d’un mondialisme offensif. L’instrument de cette politique mondialiste sera la flotte que l’Amiral Alfred Thayer Mahan appelle à constituer pour que les Etats-Unis puissent faire face, avec succès, au reste du monde. En 1912, Homer Lea, officier américain formé à Westpoint mais démis de ses fonctions pour raisons de santé, théorisera, immédiatement après John Halford Mackinder, les règles de l’endiguement de l’Allemagne et de la Russie, avant même que l’alliance anglo-américaine ne soit devenue une réalité.

Une thalassocratie pluri-océanique


Avec Teddy Roosevelt et avec Mackinder, nous avons affaire, dans la première décennie du XX° siècle à un mondialisme thalassocratique américain, maître depuis 1898 des Caraïbes et de la “Méditerranée américaine”, mais sans aucune présence dans l’Océan Indien, et à une thalassocratie britannique, présente dans l’Atlantique Nord, dans l’Atlantique Sud (où l’Argentine est un de ses débouchés), dans l’Océan Indien et dans le Pacifique Sud. La puissance découle des capacités des marines de guerre et des fameux “dreadnoughts”, mais elle est toujours au moins bi-océanique, sinon pluri-océanique. Les Centraux en 1918 et l’Axe en 1945 perdent la guerre parce qu’ils ne maîtrisent aucune mer, même pas la Méditerranée, la Mer du Nord et les zones chevauchant l’Atlantique Nord et l’Océan Glacial Arctique, puisque Malte, Gibraltar, Chypre et l’Egypte (avec Suez) resteront toujours aux mains des Britanniques et que le trafic maritime des “liberty ships”, en dépit des pertes infligées par les sous-marins allemands, ne sera jamais interrompu entre l’Amérique du Nord et le port soviétique de Mourmansk. La seconde guerre mondiale est une lutte entre, d’une part, les thalassocraties anglo-saxonnes maîtresses des océans et alliées à la puissance eurasiatique soviétique, et, d’autre part, une péninsule européenne riche mais dépourvue d’une réelle puissance navale, alliée à un archipel du Pacifique, surpeuplé et dépourvu de matières premières.

Le terme d’atlantisme apparaît lors des accords entre Churchill et Roosevelt, scellés au beau milieu de l’Océan en 1941. En 1945, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale forment un ensemble, qui deviendra l’OTAN, une alliance centrée sur l’Atlantique-Nord, que l’on qualifiera rapidement, dans les écrits polémiques, d’ “atlantisme”. Mais l’Atlantique, en tant qu’espace océanique, est-il si déterminant que cela dans les atouts, multiples et variés, qui confèrent aujourd’hui la puissance aux Etats-Unis? Non. Car, si la puissance de la Russie, des Tsars à la perestroïka, repose, comme l’avait constaté Mackinder en 1904, sur la possession de la “Terre du Milieu”, celle de l’Empire britannique reposait sur la maîtrise complète de l’ “Océan du  Milieu”, l’Océan Indien. En 1947, quand l’Inde accède à l’indépendance mais subit simultanément une partition dramatique, opposant une Inde nouvelle majoritairement hindoue à un Pakistan presque totalement musulman, l’Océan Indien, débarrassé de ses maîtres britanniques épuisés par deux guerres mondiales, entre dans une phase de neutralisation provisoire. Il est alors l’espace du non-alignement. L’Inde de Nehru, clef de voûte géographique de l’ancien arc de puissance britannique (du Cap à Perth), propage une logique politique détachée des blocs issus de la bipolarisation de la Guerre Froide. Dès les années 60, Mohammed Reza Pahlavi, Shah d’Iran, théorise l’idéal d’une “Grande Civilisation” dans l’Océan Indien, tout en multipliant les démarches diplomatiques pacifiantes avec ses voisins, y compris soviétiques. A Washington, on comprend rapidement que la Guerre Froide ne se gagnera pas en Europe, sur un front qui correspond au Rideau de Fer, mais qu’il faut endiguer l’URSS, en renouant avec la Chine, comme le fit le tandem Nixon-Kissinger au début des années 70; en tablant sur les peuples installés le long de la Route de la Soie et en éveillant les forces centrifuges au sein même de l’Union Soviétique, comme l’envisageait Zbigniew Brzezinski; en entraînant l’URSS dans le bourbier afghan; en tablant sur le fanatisme musulman pour lutter contre l’athéisme communiste et pour briser l’alternative locale proposée par le Shah d’Iran, car, en dépit des affrontements irano-américains largement médiatisés depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran au début de l’ère khomeyniste, il ne faut pas oublier que la “révolution islamiste” d’Iran a d’abord été une création des services américains, pour briser la politique énergétique du Shah, casser les relations qu’il entretenait avec l’Europe et mettre l’Iran et ses potentialités au “frigo”, le plus longtemps possible. Ces stratégies avaient toutes pour but de revenir dans l’Océan Indien et dans le Golfe Persique. Elles ont contribué à la reconquête de l’Océan Indien et fait des Etats-Unis une puissance désormais tri-océanique.

La maîtrise de l’Océan Indien reste la clef de la puissance mondiale

La dialectique atlantisme/eurasisme, dont les néo-eurasiens russes actuels font usage dans leurs polémiques anti-américaines, oublie que l’Amérique ne tient pas sa puissance aujourd’hui de sa maîtrise de l’Atlantique, océan pacifié où ne se joue pas l’histoire qui est en train de se faire, mais de son retour offensif dans l’Océan du Milieu. L’abus du vocable “atlantiste” risque de provoquer une sorte d’illusion d’optique et de faire oublier que ce n’est pas la maîtrise des Açores, petit archipel portugais au centre de l’Atlantique, qui a provoqué la désagrégation de l’URSS, puissance eurasienne, mais la maîtrise de Diego Garcia, île au centre de l’Océan Indien, d’où partaient les forteresses volantes qui bombardaient l’Afghanistan et l’Irak. C’est au départ des forces aéronavales massées à Diego Garcia qu’adviendra peut-être le “Greater Middle East”. Si c’est le cas, l’Europe et la Russie seront condamnées à l’isolement, à n’avoir aucune fenêtre sur les espaces où s’est toujours joué, et se joue encore, le destin du monde. 

Certes, l’atlantisme est, pour les Européens, une idéologie engourdissante, aussi engourdissante, sinon plus, que “l’enchinoisement”, réel ou métaphorique, dénoncé par Soloviev ou Merejkovski: Danilevski, lui, parlait de l’Occident comme d’un cimetière pour les plus sublimes vertus spirituelles humaines et l’écrivain russe provocateur et contemporain, Edouard Limonov, parle, lui, d’un “Grand Hospice occidental”. Mais ce n’est pas là un problème géopolitique, c’est un problème théologique, métaphysique, philosophique et éthique. Qu’il convient d’aborder avec force et élan. Pour dégager l’humanité des torpeurs et des enlisements du consumérisme.

Robert STEUCKERS.
(fait à Forest-Flotzenberg, du 11 au 15 février 2009).

Notes:
(1)       Cf. Colin McEVEDY, “The New Penguin Atlas of Ancient History”, Penguin, London, 2nd ed., 2002.
(2)       Cf. Jacques BERTIN, “Atlas historique universel – Panorama de l’histoire du monde”, Minerva, Genève, 1997.
(3)       Robert DELORT (Éd.), “Les croisades”, Seuil, coll. “Points”, 1988.
(4)       Vicente FERNANDEZ & Dionisio A. CUETO, “Los perros de la Reina – Piratas ingleses contra España (s. XVI)”, Almena Ed., Madrid, 2003.
(5)       Frances A. YATES, “Cabbala e occultismo nell’età elisabettiana”, Einaudi, Torino, 1982.
(6)       Cf. Georges NIVAT, “Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours”, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988.
(7)       Cf. Mark J. SEDGWICK, “Contre le monde moderne – Le traditionalisme et l’histoire intellectuelle secrète du XX° siècle”, Ed. Dervy, Paris, 2008.
(8)       Dexter PERKINS, “Storia della Dottrina di Monroe”, Societa Editrice Il Mulino, Bologne, 1960.

vineri, 5 septembrie 2014

Emmanuel Todd - L’Allemagne tient le continent européen

Vă rog să citiți aceste texte selectate de mine, în speranța că vă pot interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

http://www.les-crises.fr/tag/emmanuel-todd/

Exclusif] La France s’est mise en état de servitude volontaire par rapport à l’Allemagne, par Emmanuel Todd (1)



Suite de l’interview d’Emmanuel Todd…
Cette carte montre le nouvel empire allemand tel qu’il est, selon vous. On voit la place centrale de l’Allemagne face à ses différents satellites, ou à ceux, comme vous le dites très bien, en état de servitude volontaire. Qu’évoque cette carte pour vous ? 
Je voudrais qu’elle aide à prendre conscience du fait que l’Europe a changé de nature et qu’elle évoque non seulement le présent mais aussi un futur possible très proche. Les cartes que fournit généralement la Communauté européenne sont des cartes à prétention égalitaire et qui ne parlent plus de la réalité. Ici, c’est une sorte de première tentative d’organisation visuelle de la réalité nouvelle de l’Europe. Elle aide à prendre conscience du caractère central de l’Allemagne et de la façon dont elle tient le continent européen. La première chose que tente de dire cette carte, c’est qu’il existe un espace informel plus grand que l’Allemagne elle-même, « l’espace allemand direct », et qui contient des pays dont les économies ont un niveau de dépendance à l’Allemagne quasi absolu.
Certains y verront peut-être des « erreurs », comme, par exemple, l’intégration de la Suisse, qui n’est même pas dans les institutions européennes. Mais quels que soient les sentiments des Suisses, la réalité objective est que, dès qu’on a affaire à des entreprises suisses importantes, on sent la présence allemande. Le niveau d’interpénétration est tel qu’au niveau économique on ne peut pas parler d’indépendance de la Suisse.
Les Pays-Bas, quant à eux, comme l’avait prédit Friedrich List, ne sont plus que le débouché de l’Allemagne sur le Rhin. La Tchécoslovaquie, le jour où elle a décidé de vendre Skoda à Volkswagen, a scellé son destin. Grâce à cet espace central très peuplé, l’Allemagne a une influence très supérieure à celle de ses seuls 82 millions d’habitants.
Celle d’une zone de 130 millions d’habitants environ…
En effet. Mais cet espace n’est pas la seule raison de l’influence allemande. Je pense que jamais l’Allemagne n’aurait été capable de prendre le contrôle du continent sans la coopération de la France. C’est un autre élément représenté par cette carte : la servitude volontaire de la France et de son système économique et, à l’intérieur de ce cadre, l’acceptation par les élites françaises de ce qui est peut-être pour elles – mais non pour le peuple français – la prison dorée de l’euro. Les banques françaises survivent tant bien que mal dans cette prison dorée. La France ajoute ses 65 millions d’habitants à l’espace allemand direct et lui confère ainsi une sorte de masse critique d’échelle continentale.
Près de 200 millions…
Ce qui signifie que nous sommes déjà au-dessus de l’échelle russe ou japonaise. Ce bloc noir et gris représente le cœur de la puissance allemande ; il maintient dans la soumission l’Europe du Sud, devenue une zone dominée à l’intérieur même du système européen. L’Allemagne est détestée en Italie, en Grèce, et sans doute dans toute l’Europe du Sud, pour sa main de fer budgétaire. Mais ces pays n’y peuvent rien, parce que l’Allemagne, avec son espace proche plus la France, a la capacité de tout dominer. Ces pays sont représentés en orange sur la carte.
Je propose une autre catégorie spécifique de pays, en rouge, ceux que j’ai appelés les « satellites russophobes ». Paradoxalement, ces pays ont un certain degré de liberté. Ils sont dans l’espace de souveraineté allemand, mais je ne qualifierais pas leur statut de servitude, parce qu’ils ont de réelles aspirations autonomes et notamment une passion antirusse. Regardez : la France n’a plus de rêve ; sous la direction du PS, de l’UMP et de ses inspecteurs des finances, elle n’aspire plus qu’à obéir, imiter et toucher ses jetons de présence. La Pologne, la Suède, les pays baltes, eux, ont un rêve : avoir la peau de la Russie. Leur participation volontaire à l’espace de domination allemand leur permet d’y croire. Mais je me demande si, plus en profondeur, la Suède, repassée à droite, n’est pas en train de redevenir complètement ce qu’elle était avant 1914, c’est-à-dire germanophile.
Les satellites russophobes méritent une catégorie spéciale, car ils font partie des forces qui peuvent aider l’Allemagne à mal tourner. Les élites françaises ont, quant à elles, déjà aidé l’Allemagne à mal tourner en la déifiant et en se refusant à la critiquer. La soumission française apparaîtra aux historiens du futur comme une contribution fondamentale au déséquilibre psychique à venir de l’Allemagne. Pour la Suède ou la Pologne ou les Baltes, c’est encore autre chose. Là, il s’agit franchement et directement de ramener l’Allemagne à la violence des rapports internationaux.
Je n’ai pas placé la Finlande et le Danemark dans cette catégorie. Au contraire de la Suède, le Danemark est authentiquement libéral de tempérament. Son lien avec l’Angleterre va au-delà du simple bilinguisme typiquement scandinave d’une bonne partie de la population. Il regarde vers l’Ouest et n’est pas obsédé par la Russie. La Finlande avait, quant à elle, appris à vivre avec les Soviétiques, et elle n’a pas de vraie raison de douter de la possibilité de s’entendre avec les Russes. Certes, elle a été en guerre avec eux. Elle a appartenu à l’Empire des Tsars entre 1809 et 1917, mais sous la forme d’un grand-duché, situation qui lui a, de fait, permis d’échapper à l’emprise suédoise. La vraie puissance coloniale, pour les Finlandais, c’est la Suède, et je doute qu’ils aient vraiment envie de revenir sous leadership suédois. Sur la carte, Finlande et Danemark se retrouvent donc dominés, comme les pays du sud. Absurde ? L’économie finlandaise paye déjà le prix de l’agression européenne contre la Russie. Et le Danemark va être mis en difficulté par l’évasion anglaise.
Le Royaume-Uni, je l’ai décrit comme « en cours d’évasion », Parce que les Anglais ne peuvent adhérer à un système continental qui leur fait horreur. Parce qu’ils n’ont pas, comme certains Français, l’habitude d’obéir aux Allemands. Mais aussi parce qu’ils appartiennent à un autre monde, beaucoup plus excitant, moins vieux et autoritaire que l’Europe allemande, « l’anglosphère » : l’Amérique, le Canada, les anciennes colonies… J’ai eu l’occasion de dire que je sympathisais avec leur dilemme, à quel point il doit être horrible d’être britannique face à une Europe si importante dans les échanges commerciaux mais mentalement arthritique.
Pensez-vous qu’un jour ils quitteront l’Union européenne ?
Bien sûr ! Les Anglais ne sont pas plus forts ou meilleurs, mais ils ont derrière eux les États-Unis. Déjà, en ce qui me concerne, petit Français confronté à la disparition de l’autonomie de ma nation, si j’ai le choix entre l’hégémonie allemande et l’hégémonie américaine, je choisis l’hégémonie américaine sans hésiter. Alors, les Anglais, qu’est-ce que vous vous pensez qu’ils vont choisir ?
J’ai associé la Hongrie aux Britanniques dans leur tentative d’évasion. Viktor Orban s’est fait une mauvaise réputation en Europe. Soi-disant parce qu’autoritaire et de droite dure. Peut-être. Mais surtout parce qu’il résiste à la pression allemande. On peut se demander pourquoi la Hongrie n’est pas antirusse, alors qu’elle a subi une répression soviétique violente en 1956. Comme souvent le “malgré que” doit sans doute être remplacé ici par un “parce que”. En 1956, seule la Hongrie a fait face. Plus que les Polonais ou les Tchèques – qui n’ont alors que peu ou pas bougé –, la Hongrie peut être fière de son histoire sous domination russe. Elle peut pardonner. Une belle blague hongroise des années 1970 peut aider à comprendre les différences est-européennes : « En 1956, les Hongrois se sont conduits comme des Polonais, les Polonais comme des Tchèques et les Tchèques comme des cochons. »
J’ai représenté l’Ukraine comme « en cours d’annexion ». L’Ukraine n’apparaît pas immédiatement comme l’annexion européiste rêvée. Il s’agit de l’annexion d’une zone en décomposition étatique et industrielle, désintégration qui va être accélérée par les accords de libre-échange avec l’Union européenne. Mais c’est aussi l’annexion d’une population active à très bas coût.
Or, fondamentalement, le nouveau système allemand repose sur l’annexion de populations actives. Dans un premier temps ont été utilisées celles de la Pologne, de la Tchéquie, de la Hongrie, etc. Les Allemands ont réorganisé leur système industriel en utilisant leur travail à bas coût. La population active d’une Ukraine de 45 millions d’habitants, avec son bon niveau de formation hérité de l’époque soviétique, serait une prise exceptionnelle pour l’Allemagne, la possibilité d’une Allemagne dominante pour très longtemps, et surtout, avec son empire, passant immédiatement en puissance économique effective au-dessus des États-Unis. Pauvre Brzezinski !
Et au niveau des enjeux énergétiques ?
Ici, les principaux gazoducs sont indiqués pour bousculer un mythe. Le mythe que les Russes, par la construction du gazoduc South Stream, voudraient seulement échapper au contrôle de leurs relations énergétiques par l’Ukraine. Si on regarde tous les trajets des gazoducs existants, leur seul point commun n’est pas le passage par l’Ukraine, c’est aussi qu’ils arrivent tous en Allemagne. En fait, le véritable problème des Russes, ce n’est pas seulement l’Ukraine, c’est aussi le contrôle de l’arrivée des gazoducs par l’Allemagne. Et c’est également le problème des Européens du Sud.
Si on arrête de penser l’Europe de façon naïve comme un système égalitaire qui aurait des problèmes avec l’ours russe, on voit que l’Allemagne peut aussi avoir intérêt à ce que le gazoduc South Stream ne soit pas construit, parce qu’il ferait échapper à son contrôle les approvisionnements énergétiques de toute la partie de l’Europe qu’elle domine. L’enjeu stratégique du South Stream n’est donc pas juste un enjeu entre l’Est et l’Ouest, entre l’Ukraine et la Russie, mais c’est aussi un enjeu entre l’Allemagne et l’Europe dominée du Sud.
Mais, encore une fois, cette carte n’est pas une carte définitive ; c’est une carte dont l’objet est de créer un début d’image de la réalité de l’Europe et de nous sortir de l’idéologie des cartes neutres qui cachent ce que l’Europe est en train de devenir : un système de nations inégales, prises dans une hiérarchie qui comprend des pays sévèrement dominés, des pays agressifs, un pays dominant, ainsi qu’un pays qui est la honte du continent, le nôtre, la France.
Vous n’évoquez pas la question turque…
Si je n’en ai pas parlé, c’est que ce n’est plus le sujet. Les Européens ne veulent pas de la Turquie. Mais ce qui est beaucoup plus important, c’est que les Turcs ne veulent plus de l’Europe. Qui voudrait désormais rentrer dans cette prison des peuples ?
[À suivre ici]
Interview réalisée pour le site www.les-crises.fr, librement reproductible dans un cadre non commercial (comme le reste des articles du site, cf. Licence Creative Commons).