Ce que le film « Demain » ne vous a pas dit
• 23 Sep 2016
• Emmanuel Wathelet
DSource
http://www.investigaction.net/ce-que-le-film-demain-ne-vous-a-pas-dit/Je voudrais d’abord dire combien les monnaies locales, les potagers urbains, la permaculture, une constitution citoyenne, les pédagogies actives ou encore le respect des salariés dans des entreprises dites « horizontales » sont, pour moi, des initiatives séduisantes. D’ailleurs, j’achète bio, mes enfants sont dans une école Freinet et j’ai fait ma thèse sur l’absence de hiérarchie formelle sur Wikipédia. Mais voilà, il y a un malentendu. Un malentendu répété à l’envi, résumé par le film « Demain » dont le slogan promet de « parcourir le monde des solutions ». Je démontre dans cet article que, non, malheureusement, il n’y a dans ces alternatives aucune « solution » et j’en suis le premier désolé.
Ce qui sous-tend les quelques « alternatives » citées dans le premier paragraphe, c’est l’idée selon laquelle il est possible de changer le monde pas à pas, en partant du quotidien des gens et sans exiger d’eux ni prise de risque, ni sacrifice. Pas étonnant que les spectateurs de Cyril Dion et Mélanie Laurent ressentent à ce point une « positive attitude » après la représentation du film « Demain » !
Cette idée a un nom : le réformisme. La pensée réformiste est la conviction selon laquelle un monde meilleur est possible pourvu que l’on adopte les réformes nécessaires. Elle s’appuie sur l’idée que les défauts du capitalisme peuvent être jugulés en adoptant de nouveaux comportements et en votant de nouvelles lois. Aller au travail en train ou à vélo, consommer bio ou échanger des services sont autant de nouveaux comportements lesquels, agrégés les uns aux autres, produiraient l’inéluctable effet de remplacer le système capitaliste corrompu par un capitalisme « sain ». Dans ce nouveau système, la croissance est garantie par l’énergie verte exigée par les électeurs, de même que les excès de la finance et de la spéculation sont régulés par des hommes politiques courageux. Ainsi, le changement vient des (petites) gens et, par contagion, investit l’ensemble de la société. Merveilleux.
Le problème d’une telle vision est qu’elle occulte complètement l’acteur le plus important de la société capitaliste : le capitaliste lui-même ! Chacune des initiatives citées, poussée au terme de sa logique, s’opposera en réalité frontalement à des intérêts puissants que la perspective exclusivement locale fait oublier. Ainsi, si tout le monde cultive son potager en respectant l’environnement et en produisant ses semences, Monsanto ne vendra plus ni ses OGM, ni son glyphosate. Si les citoyens créent des sociétés de journalistes pour empêcher leurs médias d’être détenus par des milliardaires jouant aux rédac-chefs, c’est Bolloré, Niel, Drahi ou Dassault qui verront rouge (si je puis dire !). Si la fabrication de médicaments devient « open source », que diront Pfizer, Glaxo et consorts ? Pas la peine d’en rajouter, vous avez compris le principe.
L’autre erreur, c’est de croire que tout ça, c’est pour après. Dans une certaine mesure, c’est pourtant vrai : la directive de l’UE interdisant les potagers amateurs était un hoax – ce qui n’implique pas qu’une telle décision serait impensable. Toutefois, la règlementation européenne sur les semences est tellement discriminante que seules les variétés des grosses industries répondent aux critères. On voit là la puissance des lobbies…qui agissent aujourd’hui et non pas…demain !
Mais est-ce valable dans tous les secteurs ? Certes oui. Dans leur film, Cyril Dion et Mélanie Laurent s’attardent longuement sur l’expérience de constitution citoyenne en Islande, mais il ne leur faut que quelques secondes pour rappeler que cette dernière est bloquée depuis plusieurs années par le parlement ! Forcément, la constitution allait « contre les intérêts » des députés. Mais ça n’aurait pas été très « positive attitude » de souligner l’échec.
Prenons un autre exemple : le commerce équitable. Le commerce équitable consiste à dire que l’injustice que subissent les paysans du sud (et encore, on parle des producteurs, pas nécessairement des ouvriers agricoles travaillant sous le soleil de plomb) peut être dépassée en « réformant » le commerce classique avec un label rigoureux impliquant des mécanismes de contrôle. Le commerce équitable est-il, à prix de vente égal avec des produits non équitables, rentable ? Non. Preuve en est que ces produits sont plus chers que la moyenne. Il en résulte que ceux qui peuvent se payer ces produits sont précisément ceux qui sont suffisamment riches. Or, les plus riches d’entre nous font partie des privilégiés du système capitaliste. Autrement dit, c’est parce qu’il y a des inégalités par ailleurs que le commerce équitable est possible. Le commerce équitable n’a donc pas pour vocation de se substituer à l’ensemble du commerce puisque, par définition, un privilégié ne peut l’être qu’en comparaison à d’autres qui ne le sont pas. Ici, non plus, pas de changement réel. On pourrait continuer comme ça indéfiniment, avec chacune des « solutions » qui fleurissent un peu partout et qui ressemblent finalement plus à des pansements au système capitaliste, voire à une pernicieuse caution morale.
Vous allez me dire : c’est déprimant ! Oui et non. Oui parce qu’en effet, ce n’est pas « si simple » de changer le monde. Non parce que, définitivement, il est possible de changer le monde. Mais cela implique d’être conscient que ce qu’on voyait comme une solution n’est peut-être qu’une première étape amenant à un blocage nécessaire. Cela implique également d’accepter que changer le monde n’est pas sans risque et ne se fera pas sans sacrifice.
Reprenons avec un exemple. Que des habitants se mettent ensemble pour rédiger une nouvelle constitution, qu’ils prennent conscience qu’ils en sont capables et que le résultat est à la hauteur de la mission assignée, c’est éminemment positif… Mais une fois l’alternative capable de rivaliser avec ce à quoi elle s’oppose, elle dérange. La confrontation est inévitable, la stratégie du « pas à pas » ayant fait long feu. C’est ici que le réformisme atteint ses limites et qu’intervient l’idéal révolutionnaire. Oui, je sais, c’est un peu abrupt. Pourtant, lorsqu’un peuple opprimé souhaite s’émanciper de son dictateur, la révolution est unanimement reconnue comme salutaire. La relative invisibilité du caractère totalitariste du capitalisme (sous couvert d’accepter la critique et même d’intégrer des ébauches…d’alternatives !) ne doit pas faire oublier la malbouffe, les licenciements collectifs, l’écart sans cesse plus grand entre les riches et les pauvres, les guerres pour les matières premières et celles qui enrichissent les industries de l’armement.
Face à ces multiples « blocages » dont on a montré qu’ils sont insolubles par une stratégie du pas à pas, la pensée révolutionnaire se pose comme l’opportunité d’opérer l’ultime « déclic ». Par exemple, les Islandais pourraient considérer leurs députés comme illégitimes et décider démocratiquement d’en élire ou d’en tirer au sort de nouveaux…tout en usant des moyens adéquats, éventuellement manu militari, pour arriver à leur fin. Ni sans risque, ni sans sacrifice disais-je… Dans ce contexte, on comprend que les peuples freinent des quatre fers, quitte à avaler des couleuvres – les Grecs en savent quelque chose. On sait toujours ce qu’on s’apprête à perdre, on ne sait rien de ce qu’on pourrait gagner. Faire la révolution est une décision qui se prend souvent au bord du gouffre, c’est-à-dire dans la pire des positions, celle qui permet le moins d’anticiper le système d’après.
De plus, toute une population ne sera jamais en même temps au bord du gouffre. Certains en sont loin, d’autres sont déjà tombés. Le changement ne viendra que par ceux qui ont le moins à perdre et le plus à gagner, c’est-à-dire les classes les plus exploitées par le capitalisme dont les « bobos » tentés par le bio ne font évidemment pas partie. Ces classes devront se mettre ensemble et constituer une masse critique, tout en étant correctement informées. Or, la masse critique est de facto tuée dans l’œuf par la façon qu’a le capitalisme d’opposer les pauvres entre eux (il n’y a qu’à voir le succès du Front National auprès des ouvriers) tandis que l’information est aux mains des plus puissants peu enclins à céder leur outil de propagande.
Que penser de tout ça ? D’abord qu’il faut continuer à « faire sa part » comme le rappelle la légende du colibri racontée par Pierre Rabhi. Parce que ça crée du lien social et ça démontre, en effet, qu’il serait possible (au conditionnel !) de vivre autrement. Ensuite, il faut garder en tête que bien avant qu’une alternative soit mise en œuvre unanimement, ceux qui pourraient en subir les conséquences (les multinationales, les milliardaires, etc.) luttent déjà contre elle. Pire, les différents lobbies et entreprises transnationales ne se contentent pas d’anticiper les « alternatives au système », ils continuent de renforcer ce système chaque jour avec de nouvelles propositions (TTIP, CETA), de nouvelles fusions (Bayer et Monsanto), de nouveaux licenciements (Caterpillar, Alstom), de nouvelles guerres. L’action à l’échelon local est donc nécessaire mais insuffisante : doit y être associé l’activisme politique à l’échelle des structures : lois, directives, projets de traités, etc. Enfin, il faut reconnaître qu’un véritable changement implique toujours une certaine prise de risques : répression violente des pouvoirs en place, incertitudes quant au nouveau système, périodes d’instabilité, instrumentalisations diverses, embargos économiques, menaces à la souveraineté nationale.
S’il est important de penser les alternatives indépendamment des obstacles, parce que cela donne le courage de s’y mettre, il l’est encore plus de penser les processus. Pour que la révolution ne soit pas à la manière de celle des planètes un « retour à la case départ », mais un véritable « monde de solutions » – même provisoires.
Source: Investig’Action
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Ce que le film « Demain » ne vous a pas dit
Je voudrais d’abord dire combien les monnaies
locales, les potagers urbains, la permaculture, une constitution
citoyenne, les pédagogies actives ou encore le respect des salariés dans
des entreprises dites « horizontales » sont, pour moi, des initiatives
séduisantes. D’ailleurs, j’achète bio, mes enfants sont dans une école
Freinet et j’ai fait ma thèse sur l’absence de hiérarchie formelle sur
Wikipédia. Mais voilà, il y a un malentendu. Un malentendu répété à
l’envi, résumé par le film « Demain » dont le slogan promet de «
parcourir le monde des solutions ». Je démontre dans cet article que,
non, malheureusement, il n’y a dans ces alternatives aucune « solution »
et j’en suis le premier désolé.
Ce qui sous-tend les quelques « alternatives » citées dans le premier
paragraphe, c’est l’idée selon laquelle il est possible de changer le
monde pas à pas, en partant du quotidien des gens et sans exiger d’eux
ni prise de risque, ni sacrifice. Pas étonnant que les spectateurs de
Cyril Dion et Mélanie Laurent ressentent à ce point une « positive
attitude » après la représentation du film « Demain » !
Cette idée a un nom : le
réformisme. La pensée réformiste est la conviction selon laquelle un
monde meilleur est possible pourvu que l’on adopte les réformes
nécessaires. Elle s’appuie sur l’idée que les défauts du capitalisme
peuvent être jugulés en adoptant de nouveaux comportements et en votant
de nouvelles lois. Aller au travail en train ou à vélo, consommer bio ou
échanger des services sont autant de nouveaux comportements lesquels,
agrégés les uns aux autres, produiraient l’inéluctable effet de
remplacer le système capitaliste corrompu par un capitalisme « sain ».
Dans ce nouveau système, la croissance est garantie par l’énergie verte
exigée par les électeurs, de même que les excès de la finance et de la
spéculation sont régulés par des hommes politiques courageux. Ainsi, le
changement vient des (petites) gens et, par contagion, investit
l’ensemble de la société. Merveilleux.
Le problème d’une telle vision est qu’elle occulte complètement
l’acteur le plus important de la société capitaliste : le capitaliste
lui-même ! Chacune des initiatives citées, poussée au terme de sa
logique, s’opposera en réalité frontalement à des intérêts puissants que
la perspective exclusivement locale fait oublier. Ainsi, si tout le
monde cultive son potager en respectant l’environnement et en produisant
ses semences, Monsanto ne vendra plus ni ses OGM, ni son glyphosate. Si
les citoyens créent des sociétés de journalistes pour empêcher leurs
médias d’être détenus par des milliardaires jouant aux rédac-chefs,
c’est Bolloré, Niel, Drahi ou Dassault qui verront rouge (si je puis
dire !). Si la fabrication de médicaments devient « open source », que
diront Pfizer, Glaxo et consorts ? Pas la peine d’en rajouter, vous avez
compris le principe.
L’autre erreur, c’est de croire que tout ça, c’est pour après. Dans
une certaine mesure, c’est pourtant vrai : la directive de l’UE
interdisant les potagers amateurs était un hoax – ce qui n’implique pas
qu’une telle décision serait impensable. Toutefois, la règlementation
européenne sur les semences est tellement discriminante que seules les
variétés des grosses industries répondent aux critères. On voit là la
puissance des lobbies…qui agissent aujourd’hui et non pas…demain !
Mais est-ce valable dans tous les secteurs ? Certes oui. Dans leur
film, Cyril Dion et Mélanie Laurent s’attardent longuement sur
l’expérience de constitution citoyenne en Islande, mais il ne leur faut
que quelques secondes pour rappeler que cette dernière est bloquée
depuis plusieurs années par le parlement ! Forcément, la constitution
allait « contre les intérêts » des députés. Mais ça n’aurait pas été
très « positive attitude » de souligner l’échec.
Prenons un autre exemple : le commerce équitable. Le commerce
équitable consiste à dire que l’injustice que subissent les paysans du
sud (et encore, on parle des producteurs, pas nécessairement des
ouvriers agricoles travaillant sous le soleil de plomb) peut être
dépassée en « réformant » le commerce classique avec un label rigoureux
impliquant des mécanismes de contrôle. Le commerce équitable est-il, à
prix de vente égal avec des produits non équitables, rentable ? Non.
Preuve en est que ces produits sont plus chers que la moyenne. Il en
résulte que ceux qui peuvent se payer ces produits sont précisément ceux
qui sont suffisamment riches. Or, les plus riches d’entre nous font
partie des privilégiés du système capitaliste. Autrement dit, c’est
parce qu’il y a des inégalités par ailleurs que le commerce équitable
est possible. Le commerce équitable n’a donc pas pour vocation de se
substituer à l’ensemble du commerce puisque, par définition, un
privilégié ne peut l’être qu’en comparaison à d’autres qui ne le sont
pas. Ici, non plus, pas de changement réel. On pourrait continuer comme
ça indéfiniment, avec chacune des « solutions » qui fleurissent un peu
partout et qui ressemblent finalement plus à des pansements au système
capitaliste, voire à une pernicieuse caution morale.
Vous allez me dire : c’est déprimant ! Oui et non. Oui parce qu’en
effet, ce n’est pas « si simple » de changer le monde. Non parce que,
définitivement, il est possible de changer le monde. Mais cela implique
d’être conscient que ce qu’on voyait comme une solution n’est peut-être
qu’une première étape amenant à un blocage nécessaire. Cela implique
également d’accepter que changer le monde n’est pas sans risque et ne se
fera pas sans sacrifice.
Reprenons avec un exemple. Que des habitants se mettent ensemble pour
rédiger une nouvelle constitution, qu’ils prennent conscience qu’ils en
sont capables et que le résultat est à la hauteur de la mission
assignée, c’est éminemment positif… Mais une fois l’alternative capable
de rivaliser avec ce à quoi elle s’oppose, elle dérange. La
confrontation est inévitable, la stratégie du « pas à pas » ayant fait
long feu. C’est ici que le réformisme atteint ses limites et
qu’intervient l’idéal révolutionnaire. Oui, je sais, c’est un peu
abrupt. Pourtant, lorsqu’un peuple opprimé souhaite s’émanciper de son
dictateur, la révolution est unanimement reconnue comme salutaire. La
relative invisibilité du caractère totalitariste du capitalisme (sous
couvert d’accepter la critique et même d’intégrer des
ébauches…d’alternatives !) ne doit pas faire oublier la malbouffe, les
licenciements collectifs, l’écart sans cesse plus grand entre les riches
et les pauvres, les guerres pour les matières premières et celles qui
enrichissent les industries de l’armement.
Face à ces multiples « blocages » dont on a montré qu’ils sont
insolubles par une stratégie du pas à pas, la pensée révolutionnaire se
pose comme l’opportunité d’opérer l’ultime « déclic ». Par exemple, les
Islandais pourraient considérer leurs députés comme illégitimes et
décider démocratiquement d’en élire ou d’en tirer au sort de
nouveaux…tout en usant des moyens adéquats, éventuellement manu
militari, pour arriver à leur fin. Ni sans risque, ni sans sacrifice
disais-je… Dans ce contexte, on comprend que les peuples freinent des
quatre fers, quitte à avaler des couleuvres – les Grecs en savent
quelque chose. On sait toujours ce qu’on s’apprête à perdre, on ne sait
rien de ce qu’on pourrait gagner. Faire la révolution est une décision
qui se prend souvent au bord du gouffre, c’est-à-dire dans la pire des
positions, celle qui permet le moins d’anticiper le système d’après.
De plus, toute une population ne sera jamais en même temps au bord du
gouffre. Certains en sont loin, d’autres sont déjà tombés. Le
changement ne viendra que par ceux qui ont le moins à perdre et le plus à
gagner, c’est-à-dire les classes les plus exploitées par le capitalisme
dont les « bobos » tentés par le bio ne font évidemment pas partie. Ces
classes devront se mettre ensemble et constituer une masse critique,
tout en étant correctement informées. Or, la masse critique est de facto
tuée dans l’œuf par la façon qu’a le capitalisme d’opposer les pauvres
entre eux (il n’y a qu’à voir le succès du Front National auprès des
ouvriers) tandis que l’information est aux mains des plus puissants peu
enclins à céder leur outil de propagande.
Que penser de tout ça ? D’abord qu’il faut continuer à « faire sa
part » comme le rappelle la légende du colibri racontée par Pierre
Rabhi. Parce que ça crée du lien social et ça démontre, en effet, qu’il
serait possible (au conditionnel !) de vivre autrement. Ensuite, il faut
garder en tête que bien avant qu’une alternative soit mise en œuvre
unanimement, ceux qui pourraient en subir les conséquences (les
multinationales, les milliardaires, etc.) luttent déjà contre elle.
Pire, les différents lobbies et entreprises transnationales ne se
contentent pas d’anticiper les « alternatives au système », ils
continuent de renforcer ce système chaque jour avec de nouvelles
propositions (TTIP, CETA), de nouvelles fusions (Bayer et Monsanto), de
nouveaux licenciements (Caterpillar, Alstom), de nouvelles guerres.
L’action à l’échelon local est donc nécessaire mais insuffisante : doit y
être associé l’activisme politique à l’échelle des structures : lois,
directives, projets de traités, etc. Enfin, il faut reconnaître qu’un
véritable changement implique toujours une certaine prise de risques :
répression violente des pouvoirs en place, incertitudes quant au nouveau
système, périodes d’instabilité, instrumentalisations diverses,
embargos économiques, menaces à la souveraineté nationale.
S’il est important de penser les alternatives indépendamment des
obstacles, parce que cela donne le courage de s’y mettre, il l’est
encore plus de penser les processus. Pour que la révolution ne soit pas à
la manière de celle des planètes un « retour à la case départ », mais
un véritable « monde de solutions » – même provisoires.
Source:
Investig’Action
- See more at: http://www.investigaction.net/ce-que-le-film-demain-ne-vous-a-pas-dit/#sthash.GD0dXx6f.dpuf
Ce que le film « Demain » ne vous a pas dit
Je voudrais d’abord dire combien les monnaies
locales, les potagers urbains, la permaculture, une constitution
citoyenne, les pédagogies actives ou encore le respect des salariés dans
des entreprises dites « horizontales » sont, pour moi, des initiatives
séduisantes. D’ailleurs, j’achète bio, mes enfants sont dans une école
Freinet et j’ai fait ma thèse sur l’absence de hiérarchie formelle sur
Wikipédia. Mais voilà, il y a un malentendu. Un malentendu répété à
l’envi, résumé par le film « Demain » dont le slogan promet de «
parcourir le monde des solutions ». Je démontre dans cet article que,
non, malheureusement, il n’y a dans ces alternatives aucune « solution »
et j’en suis le premier désolé.
Ce qui sous-tend les quelques « alternatives » citées dans le premier
paragraphe, c’est l’idée selon laquelle il est possible de changer le
monde pas à pas, en partant du quotidien des gens et sans exiger d’eux
ni prise de risque, ni sacrifice. Pas étonnant que les spectateurs de
Cyril Dion et Mélanie Laurent ressentent à ce point une « positive
attitude » après la représentation du film « Demain » !
Cette idée a un nom : le
réformisme. La pensée réformiste est la conviction selon laquelle un
monde meilleur est possible pourvu que l’on adopte les réformes
nécessaires. Elle s’appuie sur l’idée que les défauts du capitalisme
peuvent être jugulés en adoptant de nouveaux comportements et en votant
de nouvelles lois. Aller au travail en train ou à vélo, consommer bio ou
échanger des services sont autant de nouveaux comportements lesquels,
agrégés les uns aux autres, produiraient l’inéluctable effet de
remplacer le système capitaliste corrompu par un capitalisme « sain ».
Dans ce nouveau système, la croissance est garantie par l’énergie verte
exigée par les électeurs, de même que les excès de la finance et de la
spéculation sont régulés par des hommes politiques courageux. Ainsi, le
changement vient des (petites) gens et, par contagion, investit
l’ensemble de la société. Merveilleux.
Le problème d’une telle vision est qu’elle occulte complètement
l’acteur le plus important de la société capitaliste : le capitaliste
lui-même ! Chacune des initiatives citées, poussée au terme de sa
logique, s’opposera en réalité frontalement à des intérêts puissants que
la perspective exclusivement locale fait oublier. Ainsi, si tout le
monde cultive son potager en respectant l’environnement et en produisant
ses semences, Monsanto ne vendra plus ni ses OGM, ni son glyphosate. Si
les citoyens créent des sociétés de journalistes pour empêcher leurs
médias d’être détenus par des milliardaires jouant aux rédac-chefs,
c’est Bolloré, Niel, Drahi ou Dassault qui verront rouge (si je puis
dire !). Si la fabrication de médicaments devient « open source », que
diront Pfizer, Glaxo et consorts ? Pas la peine d’en rajouter, vous avez
compris le principe.
L’autre erreur, c’est de croire que tout ça, c’est pour après. Dans
une certaine mesure, c’est pourtant vrai : la directive de l’UE
interdisant les potagers amateurs était un hoax – ce qui n’implique pas
qu’une telle décision serait impensable. Toutefois, la règlementation
européenne sur les semences est tellement discriminante que seules les
variétés des grosses industries répondent aux critères. On voit là la
puissance des lobbies…qui agissent aujourd’hui et non pas…demain !
Mais est-ce valable dans tous les secteurs ? Certes oui. Dans leur
film, Cyril Dion et Mélanie Laurent s’attardent longuement sur
l’expérience de constitution citoyenne en Islande, mais il ne leur faut
que quelques secondes pour rappeler que cette dernière est bloquée
depuis plusieurs années par le parlement ! Forcément, la constitution
allait « contre les intérêts » des députés. Mais ça n’aurait pas été
très « positive attitude » de souligner l’échec.
Prenons un autre exemple : le commerce équitable. Le commerce
équitable consiste à dire que l’injustice que subissent les paysans du
sud (et encore, on parle des producteurs, pas nécessairement des
ouvriers agricoles travaillant sous le soleil de plomb) peut être
dépassée en « réformant » le commerce classique avec un label rigoureux
impliquant des mécanismes de contrôle. Le commerce équitable est-il, à
prix de vente égal avec des produits non équitables, rentable ? Non.
Preuve en est que ces produits sont plus chers que la moyenne. Il en
résulte que ceux qui peuvent se payer ces produits sont précisément ceux
qui sont suffisamment riches. Or, les plus riches d’entre nous font
partie des privilégiés du système capitaliste. Autrement dit, c’est
parce qu’il y a des inégalités par ailleurs que le commerce équitable
est possible. Le commerce équitable n’a donc pas pour vocation de se
substituer à l’ensemble du commerce puisque, par définition, un
privilégié ne peut l’être qu’en comparaison à d’autres qui ne le sont
pas. Ici, non plus, pas de changement réel. On pourrait continuer comme
ça indéfiniment, avec chacune des « solutions » qui fleurissent un peu
partout et qui ressemblent finalement plus à des pansements au système
capitaliste, voire à une pernicieuse caution morale.
Vous allez me dire : c’est déprimant ! Oui et non. Oui parce qu’en
effet, ce n’est pas « si simple » de changer le monde. Non parce que,
définitivement, il est possible de changer le monde. Mais cela implique
d’être conscient que ce qu’on voyait comme une solution n’est peut-être
qu’une première étape amenant à un blocage nécessaire. Cela implique
également d’accepter que changer le monde n’est pas sans risque et ne se
fera pas sans sacrifice.
Reprenons avec un exemple. Que des habitants se mettent ensemble pour
rédiger une nouvelle constitution, qu’ils prennent conscience qu’ils en
sont capables et que le résultat est à la hauteur de la mission
assignée, c’est éminemment positif… Mais une fois l’alternative capable
de rivaliser avec ce à quoi elle s’oppose, elle dérange. La
confrontation est inévitable, la stratégie du « pas à pas » ayant fait
long feu. C’est ici que le réformisme atteint ses limites et
qu’intervient l’idéal révolutionnaire. Oui, je sais, c’est un peu
abrupt. Pourtant, lorsqu’un peuple opprimé souhaite s’émanciper de son
dictateur, la révolution est unanimement reconnue comme salutaire. La
relative invisibilité du caractère totalitariste du capitalisme (sous
couvert d’accepter la critique et même d’intégrer des
ébauches…d’alternatives !) ne doit pas faire oublier la malbouffe, les
licenciements collectifs, l’écart sans cesse plus grand entre les riches
et les pauvres, les guerres pour les matières premières et celles qui
enrichissent les industries de l’armement.
Face à ces multiples « blocages » dont on a montré qu’ils sont
insolubles par une stratégie du pas à pas, la pensée révolutionnaire se
pose comme l’opportunité d’opérer l’ultime « déclic ». Par exemple, les
Islandais pourraient considérer leurs députés comme illégitimes et
décider démocratiquement d’en élire ou d’en tirer au sort de
nouveaux…tout en usant des moyens adéquats, éventuellement manu
militari, pour arriver à leur fin. Ni sans risque, ni sans sacrifice
disais-je… Dans ce contexte, on comprend que les peuples freinent des
quatre fers, quitte à avaler des couleuvres – les Grecs en savent
quelque chose. On sait toujours ce qu’on s’apprête à perdre, on ne sait
rien de ce qu’on pourrait gagner. Faire la révolution est une décision
qui se prend souvent au bord du gouffre, c’est-à-dire dans la pire des
positions, celle qui permet le moins d’anticiper le système d’après.
De plus, toute une population ne sera jamais en même temps au bord du
gouffre. Certains en sont loin, d’autres sont déjà tombés. Le
changement ne viendra que par ceux qui ont le moins à perdre et le plus à
gagner, c’est-à-dire les classes les plus exploitées par le capitalisme
dont les « bobos » tentés par le bio ne font évidemment pas partie. Ces
classes devront se mettre ensemble et constituer une masse critique,
tout en étant correctement informées. Or, la masse critique est de facto
tuée dans l’œuf par la façon qu’a le capitalisme d’opposer les pauvres
entre eux (il n’y a qu’à voir le succès du Front National auprès des
ouvriers) tandis que l’information est aux mains des plus puissants peu
enclins à céder leur outil de propagande.
Que penser de tout ça ? D’abord qu’il faut continuer à « faire sa
part » comme le rappelle la légende du colibri racontée par Pierre
Rabhi. Parce que ça crée du lien social et ça démontre, en effet, qu’il
serait possible (au conditionnel !) de vivre autrement. Ensuite, il faut
garder en tête que bien avant qu’une alternative soit mise en œuvre
unanimement, ceux qui pourraient en subir les conséquences (les
multinationales, les milliardaires, etc.) luttent déjà contre elle.
Pire, les différents lobbies et entreprises transnationales ne se
contentent pas d’anticiper les « alternatives au système », ils
continuent de renforcer ce système chaque jour avec de nouvelles
propositions (TTIP, CETA), de nouvelles fusions (Bayer et Monsanto), de
nouveaux licenciements (Caterpillar, Alstom), de nouvelles guerres.
L’action à l’échelon local est donc nécessaire mais insuffisante : doit y
être associé l’activisme politique à l’échelle des structures : lois,
directives, projets de traités, etc. Enfin, il faut reconnaître qu’un
véritable changement implique toujours une certaine prise de risques :
répression violente des pouvoirs en place, incertitudes quant au nouveau
système, périodes d’instabilité, instrumentalisations diverses,
embargos économiques, menaces à la souveraineté nationale.
S’il est important de penser les alternatives indépendamment des
obstacles, parce que cela donne le courage de s’y mettre, il l’est
encore plus de penser les processus. Pour que la révolution ne soit pas à
la manière de celle des planètes un « retour à la case départ », mais
un véritable « monde de solutions » – même provisoires.
Source:
Investig’Action
- See more at: http://www.investigaction.net/ce-que-le-film-demain-ne-vous-a-pas-dit/#sthash.GD0dXx6f.dpuf
Ce que le film « Demain » ne vous a pas dit
Je voudrais d’abord dire combien les monnaies
locales, les potagers urbains, la permaculture, une constitution
citoyenne, les pédagogies actives ou encore le respect des salariés dans
des entreprises dites « horizontales » sont, pour moi, des initiatives
séduisantes. D’ailleurs, j’achète bio, mes enfants sont dans une école
Freinet et j’ai fait ma thèse sur l’absence de hiérarchie formelle sur
Wikipédia. Mais voilà, il y a un malentendu. Un malentendu répété à
l’envi, résumé par le film « Demain » dont le slogan promet de «
parcourir le monde des solutions ». Je démontre dans cet article que,
non, malheureusement, il n’y a dans ces alternatives aucune « solution »
et j’en suis le premier désolé.
Ce qui sous-tend les quelques « alternatives » citées dans le premier
paragraphe, c’est l’idée selon laquelle il est possible de changer le
monde pas à pas, en partant du quotidien des gens et sans exiger d’eux
ni prise de risque, ni sacrifice. Pas étonnant que les spectateurs de
Cyril Dion et Mélanie Laurent ressentent à ce point une « positive
attitude » après la représentation du film « Demain » !
Cette idée a un nom : le
réformisme. La pensée réformiste est la conviction selon laquelle un
monde meilleur est possible pourvu que l’on adopte les réformes
nécessaires. Elle s’appuie sur l’idée que les défauts du capitalisme
peuvent être jugulés en adoptant de nouveaux comportements et en votant
de nouvelles lois. Aller au travail en train ou à vélo, consommer bio ou
échanger des services sont autant de nouveaux comportements lesquels,
agrégés les uns aux autres, produiraient l’inéluctable effet de
remplacer le système capitaliste corrompu par un capitalisme « sain ».
Dans ce nouveau système, la croissance est garantie par l’énergie verte
exigée par les électeurs, de même que les excès de la finance et de la
spéculation sont régulés par des hommes politiques courageux. Ainsi, le
changement vient des (petites) gens et, par contagion, investit
l’ensemble de la société. Merveilleux.
Le problème d’une telle vision est qu’elle occulte complètement
l’acteur le plus important de la société capitaliste : le capitaliste
lui-même ! Chacune des initiatives citées, poussée au terme de sa
logique, s’opposera en réalité frontalement à des intérêts puissants que
la perspective exclusivement locale fait oublier. Ainsi, si tout le
monde cultive son potager en respectant l’environnement et en produisant
ses semences, Monsanto ne vendra plus ni ses OGM, ni son glyphosate. Si
les citoyens créent des sociétés de journalistes pour empêcher leurs
médias d’être détenus par des milliardaires jouant aux rédac-chefs,
c’est Bolloré, Niel, Drahi ou Dassault qui verront rouge (si je puis
dire !). Si la fabrication de médicaments devient « open source », que
diront Pfizer, Glaxo et consorts ? Pas la peine d’en rajouter, vous avez
compris le principe.
L’autre erreur, c’est de croire que tout ça, c’est pour après. Dans
une certaine mesure, c’est pourtant vrai : la directive de l’UE
interdisant les potagers amateurs était un hoax – ce qui n’implique pas
qu’une telle décision serait impensable. Toutefois, la règlementation
européenne sur les semences est tellement discriminante que seules les
variétés des grosses industries répondent aux critères. On voit là la
puissance des lobbies…qui agissent aujourd’hui et non pas…demain !
Mais est-ce valable dans tous les secteurs ? Certes oui. Dans leur
film, Cyril Dion et Mélanie Laurent s’attardent longuement sur
l’expérience de constitution citoyenne en Islande, mais il ne leur faut
que quelques secondes pour rappeler que cette dernière est bloquée
depuis plusieurs années par le parlement ! Forcément, la constitution
allait « contre les intérêts » des députés. Mais ça n’aurait pas été
très « positive attitude » de souligner l’échec.
Prenons un autre exemple : le commerce équitable. Le commerce
équitable consiste à dire que l’injustice que subissent les paysans du
sud (et encore, on parle des producteurs, pas nécessairement des
ouvriers agricoles travaillant sous le soleil de plomb) peut être
dépassée en « réformant » le commerce classique avec un label rigoureux
impliquant des mécanismes de contrôle. Le commerce équitable est-il, à
prix de vente égal avec des produits non équitables, rentable ? Non.
Preuve en est que ces produits sont plus chers que la moyenne. Il en
résulte que ceux qui peuvent se payer ces produits sont précisément ceux
qui sont suffisamment riches. Or, les plus riches d’entre nous font
partie des privilégiés du système capitaliste. Autrement dit, c’est
parce qu’il y a des inégalités par ailleurs que le commerce équitable
est possible. Le commerce équitable n’a donc pas pour vocation de se
substituer à l’ensemble du commerce puisque, par définition, un
privilégié ne peut l’être qu’en comparaison à d’autres qui ne le sont
pas. Ici, non plus, pas de changement réel. On pourrait continuer comme
ça indéfiniment, avec chacune des « solutions » qui fleurissent un peu
partout et qui ressemblent finalement plus à des pansements au système
capitaliste, voire à une pernicieuse caution morale.
Vous allez me dire : c’est déprimant ! Oui et non. Oui parce qu’en
effet, ce n’est pas « si simple » de changer le monde. Non parce que,
définitivement, il est possible de changer le monde. Mais cela implique
d’être conscient que ce qu’on voyait comme une solution n’est peut-être
qu’une première étape amenant à un blocage nécessaire. Cela implique
également d’accepter que changer le monde n’est pas sans risque et ne se
fera pas sans sacrifice.
Reprenons avec un exemple. Que des habitants se mettent ensemble pour
rédiger une nouvelle constitution, qu’ils prennent conscience qu’ils en
sont capables et que le résultat est à la hauteur de la mission
assignée, c’est éminemment positif… Mais une fois l’alternative capable
de rivaliser avec ce à quoi elle s’oppose, elle dérange. La
confrontation est inévitable, la stratégie du « pas à pas » ayant fait
long feu. C’est ici que le réformisme atteint ses limites et
qu’intervient l’idéal révolutionnaire. Oui, je sais, c’est un peu
abrupt. Pourtant, lorsqu’un peuple opprimé souhaite s’émanciper de son
dictateur, la révolution est unanimement reconnue comme salutaire. La
relative invisibilité du caractère totalitariste du capitalisme (sous
couvert d’accepter la critique et même d’intégrer des
ébauches…d’alternatives !) ne doit pas faire oublier la malbouffe, les
licenciements collectifs, l’écart sans cesse plus grand entre les riches
et les pauvres, les guerres pour les matières premières et celles qui
enrichissent les industries de l’armement.
Face à ces multiples « blocages » dont on a montré qu’ils sont
insolubles par une stratégie du pas à pas, la pensée révolutionnaire se
pose comme l’opportunité d’opérer l’ultime « déclic ». Par exemple, les
Islandais pourraient considérer leurs députés comme illégitimes et
décider démocratiquement d’en élire ou d’en tirer au sort de
nouveaux…tout en usant des moyens adéquats, éventuellement manu
militari, pour arriver à leur fin. Ni sans risque, ni sans sacrifice
disais-je… Dans ce contexte, on comprend que les peuples freinent des
quatre fers, quitte à avaler des couleuvres – les Grecs en savent
quelque chose. On sait toujours ce qu’on s’apprête à perdre, on ne sait
rien de ce qu’on pourrait gagner. Faire la révolution est une décision
qui se prend souvent au bord du gouffre, c’est-à-dire dans la pire des
positions, celle qui permet le moins d’anticiper le système d’après.
De plus, toute une population ne sera jamais en même temps au bord du
gouffre. Certains en sont loin, d’autres sont déjà tombés. Le
changement ne viendra que par ceux qui ont le moins à perdre et le plus à
gagner, c’est-à-dire les classes les plus exploitées par le capitalisme
dont les « bobos » tentés par le bio ne font évidemment pas partie. Ces
classes devront se mettre ensemble et constituer une masse critique,
tout en étant correctement informées. Or, la masse critique est de facto
tuée dans l’œuf par la façon qu’a le capitalisme d’opposer les pauvres
entre eux (il n’y a qu’à voir le succès du Front National auprès des
ouvriers) tandis que l’information est aux mains des plus puissants peu
enclins à céder leur outil de propagande.
Que penser de tout ça ? D’abord qu’il faut continuer à « faire sa
part » comme le rappelle la légende du colibri racontée par Pierre
Rabhi. Parce que ça crée du lien social et ça démontre, en effet, qu’il
serait possible (au conditionnel !) de vivre autrement. Ensuite, il faut
garder en tête que bien avant qu’une alternative soit mise en œuvre
unanimement, ceux qui pourraient en subir les conséquences (les
multinationales, les milliardaires, etc.) luttent déjà contre elle.
Pire, les différents lobbies et entreprises transnationales ne se
contentent pas d’anticiper les « alternatives au système », ils
continuent de renforcer ce système chaque jour avec de nouvelles
propositions (TTIP, CETA), de nouvelles fusions (Bayer et Monsanto), de
nouveaux licenciements (Caterpillar, Alstom), de nouvelles guerres.
L’action à l’échelon local est donc nécessaire mais insuffisante : doit y
être associé l’activisme politique à l’échelle des structures : lois,
directives, projets de traités, etc. Enfin, il faut reconnaître qu’un
véritable changement implique toujours une certaine prise de risques :
répression violente des pouvoirs en place, incertitudes quant au nouveau
système, périodes d’instabilité, instrumentalisations diverses,
embargos économiques, menaces à la souveraineté nationale.
S’il est important de penser les alternatives indépendamment des
obstacles, parce que cela donne le courage de s’y mettre, il l’est
encore plus de penser les processus. Pour que la révolution ne soit pas à
la manière de celle des planètes un « retour à la case départ », mais
un véritable « monde de solutions » – même provisoires.
Source:
Investig’Action
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