sâmbătă, 25 august 2012

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer


Le peuple est bête et méchant, le peuple est obtus. Au mieux il pense mal, le plus souvent il délire. Son délire le plus caractéristique a un nom : conspirationnisme. Le conspirationnisme est une malédiction. Pardon : c’est une bénédiction. C’est la bénédiction des élites qui ne manquent pas une occasion de renvoyer le peuple à son enfer intellectuel, à son irrémédiable minorité. Que le peuple soit mineur, c’est très bien ainsi. Surtout qu’il veille à continuer d’en produire les signes, l’élite ne s’en sent que mieux fondée à penser et gouverner à sa place.

Pour une pensée non complotiste
des complots (quand ils existent)Retour à la table des matières

Il faudrait sans doute commencer par dire des complots eux-mêmes qu’ils requièrent d’éviter deux écueils symétriques, aussi faux l’un que l’autre : 1) en voir partout ; 2) n’en voir nulle part. Quand les cinq grandes firmes de Wall Street en 2004 obtiennent à force de pressions une réunion longtemps tenue secrète à la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur des marchés de capitaux américains, pour obtenir de lui l’abolition de la « règle Picard » limitant à 12 le coefficient de leviérisation globale des banques d’affaires [1], il faudrait une réticence intellectuelle confinant à l’obturation pure et simple pour ne pas y voir l’action concertée et dissimulée d’un groupe d’intérêts spécialement puissants et organisés – soit un complot, d’ailleurs tout à fait couronné de succès. Comme on sait les firmes de Wall Street finiront leviérisées à 30 ou 40, stratégie financière qui fera leur profits hors du commun pendant la bulle… et nourrira une panique aussi incontrôlable que destructrice au moment du retournement. Des complots, donc, il y en a, en voilà un par exemple, et il est de très belle facture.
Sans doute ne livre-t-il pas à lui seul l’intégralité de l’analyse qu’appelle la crise financière, et c’est peut-être là l’une des faiblesses notoires du conspirationnisme, même quand il pointe des faits avérés : son monoïdéisme, la chose unique qui va tout expliquer, l’idée exclusive qui rend compte intégralement, laréunion cachée qui a décidé de tout. Exemple type de monoïdéisme conspirationniste : Bilderberg (ou la Trilatérale). Bilderberg existe ! La Trilatérale aussi. Ce n’est donc pas du côté de l’établissement de ce (ces) fait(s) que se constitue le problème (comme ça peut être le cas à propos du 11 septembre par exemple) : c’est du côté du statut causal qu’on leur accorde. Ainsi donc de Bilderberg ou de la Trilatérale érigées en organisateurs uniques et omnipotents de la mondialisation néolibérale. Pour défaire le monoïdéisme de la vision complotiste, il suffit de l’inviter à se prêter à une expérience de pensée contrefactuelle : imaginons un monde sans Bilderberg ni Trilatérale, ce monde hypothétique aurait-il évité la mondialisation néolibérale ? La réponse est évidemment non. Il s’en déduit par contraposition que ces conclaves occultes n’étaient pas les agents sine qua non du néolibéralisme, peut-être même pas les plus importants. Et pourtant ceci n’est pas une raison pour oublier de parler de Bilderberg et de la Trilatérale, qui disent incontestablement quelque chose du monde où nous vivons.
Il suffirait donc parfois d’un soupçon de charité intellectuelle pour retenir ce qu’il peut y avoir de fondé dans certaines thèses immédiatement disqualifiées sous l’étiquette désormais infamante de « conspirationnistes », écarter leurs égarements explicatifs, et conserver, quitte à les réagencer autrement, des faits d’actions concertées bien réels mais dont la doctrine néolibérale s’efforce d’opérer la dénégation – il est vrai qu’il entre constitutivement dans la vision du monde des dominants de dénier génériquement les faits de domination (salariés et employeurs, par exemple, sont des « co-contractants libres et égaux sur un marché du travail »…), à commencer bien sûr par tous les faits de ligue explicite par lesquels les intérêts dominants concourent à la production, à la reproduction et à l’approfondissement de leur domination. Dans un débat public médiatique qui n’a pas son pareil pour saloper irrémédiablement n’importe quelle question, il est donc probablement sans espoir d’imaginer définir une position intermédiaire qui tiendrait ensemble et la régulation contre certains errements extravagants (jusqu’au scandaleux) de la pensée conspirationniste, et l’idée que la domination, si elle est principalement produite dans et par des structures, est aussi affaire pour partie d’actions collectives délibérées des dominants – mais faire ce genre de distinction est sans doute trop demander, et on voit d’ici venir les commentaires épais qui feront de ce propos une défense apologétique du complotisme et des complotistes…
On pourrait arguer que l’analyse sociologique ou politologique de ces actions concertées, précisément, se déploie hors des schèmes intellectuels caractéristiques du conspirationnisme : monoïdéisme, exclusivisme, attraction sans partage pour l’occulte, ignorance corrélative pour tous les effets impersonnels de structure, etc. [2] Et ce serait parfaitement exact ! C’est bien pourquoi il serait temps de faire la part des complots – comme faits avérés, puisqu’il en existe certains – et du complotisme – comme forme générale –, soit d’en appeler, en quelque sorte, à une pensée non complotiste des complots, c’est-à-dire aussi bien : 1) reconnaître qu’il y a parfois des menées concertées et dissimulées – on pourra les appeler des complots, et 2) refuser de faire du complot le schème explicatif unique de tous les faits sociaux, ajouter même que de tous les schèmes disponibles, il est le moins intéressant, le moins souvent pertinent, celui vers lequel il faut, méthodologiquement, se tourner en dernier… et ceci quoiqu’il ait parfois sa place ! Et il faudrait surtout consolider cette position intermédiaire à l’encontre de tous ceux pour qui maintenir l’amalgame des complots et du complotisme a l’excellente propriété de jeter le bébé avec l’eau du bain, en d’autres termes de garantir l’escamotage des faits de synarchie avec la disqualification de la forme « complotisme ».

Le conspirationnisme comme symptôme politique
de la dépossessionRetour à la table des matières

Tout ceci cependant est dire à la fois trop et trop peu quand, du conspirationnisme, il est possible de prendre une vue latérale qui vient quelque peu brouiller l’image de ses habituelles dénonciations, et puis, plus encore, celle de ses frénétiques dénonciateurs. Sans doute trouve-t-on de tout à propos du conspirationnisme : des tableaux sarcastiques de ses plus notoires délires (le fait est qu’il n’en manque pas…), des revues de ses thèmes fétiches, jusqu’à de savantes (pitoyables) analyses de la « personnalité complotiste » et de ses psychopathologies. Mais d’analyse politique, point ! La puissance des effets de disqualification, la force avec laquelle ils font le tri des locuteurs, les caractéristiques sociales associées à ce tri même, la réservation de la parole légitime à certains et l’exclusion absolue des autres, procédant là aussi par un effet d’amalgame qui confond dans l’aberration mentale, puis dans l’interdiction de parler, toute une catégorie, voire un ensemble de catégories sociales, à partir de quelques égarés isolés, ceci pour faire du discours politique l’affaire monopolistique des « représentants » assistés des experts : tous ces mécanismes devraient pourtant attirer l’attention sur les enjeux proprement politiques engagés dans le « débat sur le conspirationnisme » – au lieu de quoi il n’est matière qu’à gloussements ou cris faussement horrifiés puisque, si isolées soient-elles, les saillies conspirationnistes fournissent la meilleure raison du monde à la dépossession.
Dépossession : tel est peut-être le mot qui livre la meilleure entrée politique dans le fait social – et non pas psychique – du conspirationnisme. Car au lieu de voir en lui un délire sans cause, ou plutôt sans autre cause que l’essence arriérée de la plèbe, on pourrait y voir l’effet, sans doute aberrant, mais assez prévisible, d’une population qui ne désarme pas de comprendre ce qu’il lui arrive, mais s’en voit systématiquement refuser les moyens – accès à l’information, transparence des agendas politiques, débats publics approfondis (entendre : autre chose que les indigentes bouillies servies sous ce nom par les médias de masse) etc. Décidément l’événement politique le plus important des deux dernières décennies, le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 a montré ce que peut, pourtant dans un extraordinaire climat d’adversité, un corps politique auquel on donne le temps de la réflexion et du débat : s’emparer des matières les plus complexes et se les approprier pour produire un suffrage éclairé.
Hors de ces conditions exceptionnelles, tous les moyens ou presque de faire sens des forces historiques qui l’assaillent et surtout d’avoir part aux délibérations qui décident de son destin lui sont refusés. Or, remarque Spinoza, le quant-à-soi ne saurait connaître aucune suspension : « nul ne peut céder sa faculté de juger » (Traité politique), aussi celle-ci s’exerce-t-elle comme elle peut, dans les conditions qui lui sont faites, et avec l’acharnement du désespoir quand au surplus elle n’a que son malheur à penser. Le conspirationnisme n’est pas la psychopathologie de quelques égarés, il est le symptôme nécessaire de la dépossession politique et de la confiscation du débat public. Aussi est-il de la dernière ineptie de reprocher au peuple ses errements de pensée quand on a si méthodiquement organisé sa privation de tout instrument de pensée et sa relégation hors de toute activité de pensée. Cela, nul ne le dit mieux que Spinoza : « Il n’est pas étonnant que la plèbe n’ait ni vérité ni jugement, puisque les affaires de l’Etat sont traitées à son insu, et qu’elle ne se forge un avis qu’à partir du peu qu’il est impossible de lui dissimuler. La suspension du jugement est en effet une vertu rare. Donc pouvoir tout traiter en cachette des citoyens, et vouloir qu’à partir de là ils ne portent pas de jugement, c’est le comble de la stupidité. Si la plèbe en effet pouvait se tempérer, suspendre son jugement sur ce qu’elle connaît mal, et juger correctement à partir du peu d’éléments dont elle dispose, elle serait plus digne de gouverner que d’être gouvernée » (Traité politique, VII, 27).

L’apprentissage de la majorité
(à propos de la « loi de 1973 »)Retour à la table des matières

Mais plus encore que de la dépossession, le conspirationnisme, dont les élites font le signe d’une irrémédiable minorité, pourrait être le signe paradoxal que le peuple, en fait, accède à la majorité puisqu’il en a soupé d’écouter avec déférence les autorités et qu’il entreprend de se figurer le monde sans elles. Il ne lui manque qu’une chose pour y entrer complètement, et s’extraire des chausse-trappes, telle celle du conspirationnisme, dont tout débat public est inévitablement parsemé : l’exercice, la pratique, l’habitude… soit tout ce que les institutions de la confiscation (représentation, médias, experts) lui refusent et qu’il s’efforce néanmoins de conquérir dans les marges (associations, éducation populaire, presse alternative, réunions publiques, etc.) – car c’est en s’exerçant que se forment les intelligences individuelles et collectives.
Le débat sur la « loi de 1973 », interdisant supposément le financement monétaire des déficits publics devrait typiquement être regardé comme l’une des étapes de cet apprentissage, avec son processus caractéristique d’essais et d’erreurs. Bien sûr la « loi de 1973 », objet dans certaines régions de l’Internet d’une activité effervescente, a connu son lot d’embardées : depuis la vidéo à ambiance complotiste de Paul Grignon, Money as Debt, portant au jour une gigantesque conspiration monétaire – ce sont les banques privées qui créent la monnaie – dont les termes pouvaient cependant être lus dans n’importe quel manuel d’économie de Première ou de Terminale SES !, jusqu’à la lourde insistance à renommer la loi, d’abord « loi Pompidou » mais pour mieux arriver à « loi Rothschild », où certains ne verront qu’une allusion aux connexions du pouvoir politique et de la haute-finance [3] quand d’autres y laisseront jouer toutes sortes d’autres sous-entendus…
Au milieu de toutes ces scories, un principe de charité politique pourrait cependant voir : 1) ce petit miracle des non-experts se saisissant d’une question à l’évidence technique mais que ses enjeux politiques destinent au débat le moins restreint possible : la monnaie, les banques ; 2) le surgissement, peut-être désordonné mais finalement salutaire, d’interrogations sur la légitimité des taux d’intérêt, le financement des déficits publics, les figures possibles de la souveraineté monétaire, la place adéquate des émetteurs de monnaie dans une société démocratique ; 3) une intense activité polémique, au meilleur sens du terme, avec production kilométrique de textes, lancement de sites ou de blogs, controverses documentées en tous sens, etc. Tout ceci, oui, au milieu d’ignorances élémentaires, de quelques dérapages notoires et de fausses routes manifestes – certains parmi les plus acharnés à dénoncer la loi de 1973 commencent à s’apercevoir qu’ils ont poursuivi un fantôme de lièvre [4] … Mais pourtant comme un exercice collectif de pensée qui vaut en soi bien mieux que toutes ses imperfections, et dans lequel, tout sarcasme suspendu, il faudrait voir un moment de ce processus d’apprentissage typique de l’entrée dans la majorité. Sans surprise, des trébuchements de l’apprentissage les élites installées tirent parti pour refuser l’apprentissage même. On les comprend : il y va précisément de la dépossession des dépossédeurs.

À conspirationniste, conspirationniste et demi !Retour à la table des matières

Mais les appeler « élites », n’est-ce pas beaucoup leur accorder ? Et que valent les élites en questions à l’aune même des critères qu’elles appliquent aux autres ? Répondre complètement à cette question exigerait de reparcourir l’interminable liste des erreurs accablantes de diagnostic, de pronostic, de conseils malavisés, innombrables foirades des experts, calamités « intellectuelles » à répétition, obstination dans l’erreur, passion pour le faux : avec une systématicité qui est en soi un phénomène, tous les précepteurs de la mondialisation néolibérale se sont trompés. Mais puisqu’il est question ici du conspirationnisme, c’est bien sur ce terrain qu’il faut les prendre. Car voilà toute la chose : à conspirationniste, conspirationniste et demi… Où il apparaît que la supposée élite y tombe aussi facilement que le bas peuple ! Qui voudrait faire du conspirationnisme un dérèglement n’aurait alors pas d’autre issue que de constater combien largement il est répandu – et que les frontières sociales sont rien moins qu’hermétiques sous ce rapport.
De ce point de vue c’est peut-être l’affaire DSK qui aura le plus spectaculairement déchiré le voile. Car jamais on n’aura vu théories du complot fleurir aussi allègrement dans les plus hautes sphères du commentariat. Les politiques, surtout du PS, sont évidemment les premiers à y choir, quitte à ce que ce soit sur le mode de la prétérition, ainsi Jean-Christophe Cambadélis dans une déclaration fameuse : « Je ne suis pas un adepte des complots mais…  [5 », suivi comme il se doit par une série de conjectures dont la conspiration est la seule conclusion logique ; Jacques Attali qui d’ordinaire sait bien voir les abîmes de la pensée conspirationniste mais, quand il s’agit de DSK, évoque d’abord l’hypothèse d’une « manipulation » [6] ; François Loncle, député PS qui assure pour sa part « qu’il n’y a pas de complot » [7] mais « un coup monté » [8], c’est très différent. « La thèse du complot se répand sur le web » titre un des articles de Libération [9] – « sur le web », n’est-ce pas, en aucun cas dans les pages du papier… Mais il faut bien l’avouer, jamais on n’aura vu « thèse du complot » si amplement exposée et si aimablement relayée dans les colonnes de la grande presse, quitte à ce que ce soit pour la discuter, voire la réfuter, en tout cas sans qu’il soit jugé indigne cette fois d’en faire la mention ou de ridiculiser ceux dans la bouche de qui elle est d’abord venue.

D’un certain conspirationnisme européisteRetour à la table des matières

Les illustrations les plus spectaculaires cependant ne sont pas forcément les meilleures, et si elle a fait la démonstration édifiante de ce que valent les régulations de la classe oligarchique – à savoir rien – en situation de grande tension – par exemple quand il s’agit de sauver de l’opprobre son meilleur espoir –, l’affaire DSK demeure trop exceptionnelle pour être parfaitement significative. Autrement parlantes les pulsions conspirationnistes qui émaillent à répétition le discours de la crise européenne, à plus forte raison quand elles se donnent libre cours dans l’un des journaux les plus rigoureusement donneur de leçon anti-conspirationniste, Libération, et sous la plume de son journaliste le plus attaché à traîner dans la boue – y compris pour conspirationnisme – toute position de gauche critique de l’Europe telle qu’elle est, Jean Quatremer, auteur par exemple d’un magnifique « Quand l’euroscepticisme mène au conspirationnisme » [10].
Mais voilà : depuis que son objet chéri est en crise et attaqué de toutes parts, Jean Quatremer n’en finit pas de voir des complots partout. « Presse anglo-saxonne », « marchés financiers américains », « agences de notation », « hedge funds » : la monnaie unique européenne, pourtant plus franche que l’or, est la cible de pernicieuses entreprises de déstabilisation délibérée, orchestrées qui plus est par la plus maléfique des entités : « la finance anglo-saxonne ». Pour qui douterait qu’un esprit fondamentalement sain, puisque européen, ait pu ainsi être infecté par la maladie du complot, florilège de titres : « Les agences de notation complices des spéculateurs ? » (21 septembre 2011), « Les marchés financiers américains attaquent l’euro » (6 février 2010), « Comment le Financial Times alimente la crise » (30 mai 2010), « Moody’s veut la peau du triple-A français » (21 novembre 2011), « Les banques allemandes contre la zone euro » (31 juillet 2011), « Le jeu trouble de Reuters dans la crise de la zone euro » (29 juillet 2012).
Et l’intérieur est à l’avenant de la devanture : « Il apparaît de plus en plus clair (sic) que des banques et des fonds spéculatifs américains jouent l’éclatement de la zone euro » [11] – le complot est donc d’abord anglo-saxon. C’est l’imperméabilité à tout argument rationnel qui atteste l’intention concertée de nuire : « le problème est qu’il ne sert à rien d’expliquer que la faillite de la Grèce est totalement improbable » [12], commentaire qui, au passage, prend toute sa saveur avec le recul, et plus encore après que son auteur se soit cru suffisamment clairvoyant pour décerner un « Audiard d’or » à Emmanuel Todd annonçant l’explosion de l’euro [13] – il est vrai que toute prédiction de malheur à l’encontre de l’objet chéri ne peut être, au choix, qu’une grotesque bouffonnerie ou une ignoble trahison.
En tout cas la perfidie anglo-saxonne a de puissants relais, les médias par exemple dont « le biais anti-euro (…) est difficilement contestable » [14], les agences de presse également, à l’image de Reuters et de son « jeu trouble dans la crise de la zone euro » [15]. Ainsi, par inconscience ou par malignité, on ne sait, donc par malignité, « les médias accroissent la panique des marchés ». Pour ce qui est duFinancial Times en tout cas, l’explication n’est pas douteuse :« pris dans le sac du mensonge (…) il manipule l’information et colporte des rumeurs » [16] le 26 novembre 2010 – le 30 mai déjà il en était « à son second mauvais coup » [17]. Une année plus tard cependant, « les marchés financiers américains » ne sont plus les seuls agents de la cinquième colonne, ce sont les banques allemandes qui sont occupées à « mettre le feu à la zone euro » [18] – et l’ennemi est maintenant à l’intérieur. Peu importe que jusqu’ici l’Allemagne en (toutes) ses institutions ait été la figure même de la vertu, le vrai moteur de l’Europe, dont le couple avec la France patati patatère – maintenant ce sont des traîtres. La circonscription de la conspiration peut donc varier, mais pas le fait conspirationniste lui-même, puisque la construction monétaire européenne est si parfaitement conçue qu’il faut nécessairement une ligue de forces occultes pour la renverser.
Si le mal organisé est partout, il n’en a pas moins son superlatif en les agences de notation : elles sont les « complices des spéculateurs » [19]. « Allons plus loin : qui a déclenché la panique sur la dette française ? Moody’s justement (…) Bref encore une fois les agences viennent donner un coup de main aux spéculateurs pour déstabiliser les marchés » [20]. Il est donc temps de poser la vraie question : « Alors complot des agences de notation qui servent ainsi leurs maîtres principaux, les banques d’affaires, les hedge funds, etc. ? (…) Laurence Parisot, la patronne du Medef en est persuadée » [21]. Bien sûr il reste des amis de l’Europe, donc de Jean Quatremer, qui n’ont pas encore complètement perdu les pédales et tentent de le rattraper. Par fidélité un peu réticente mais impressionné par l’incontestable crédit européen de son interlocuteur, Quatremer cite Jean Pisani-Ferry qui lui explique que les agences ne font jamais que ratifier avec retard des anticipations de longue date incorporées dans les positions des investisseurs… Il lui fallait au moins cette poche à glace pour se persuader que « crier au complot ne sert de toute façon à rien sinon à soulager ses nerfs » [22]. Donc Jean Quatremer a d’abord très fort envie de crier au complot – si fort que ça s’entend à longueur de billets –, puis, instruit par ses précepteurs de toujours, se convainc, mais difficilement, qu’il ne sert à rien d’y céder – moyennant quoi ses nerfs ne sont qu’à demi-soulagés, raison pour laquelle il y revient sans cesse.
Hedge Funds, médias, presse anglo-saxonne, agences de presse, marchés financiers américains, agences de notation, partout des malfaisants ligués contre l’objet chéri. De cette sorte de crumble intellectuel, les agences de notation sont peut-être l’ingrédient le plus caractéristique, boucs émissaires périphériques de toute une structure qui s’exprime par elles [23] – mais qu’évidemment on ne mettra jamais en question. Car les agences de notation, comme dans une moindre mesure la presse financière, sont les agents les plus représentatifs de la finance déréglementée comme pouvoir de l’opinion – l’opinion des investisseurs s’entend, et exclusivement celle-ci, mais opinion d’une foule traversée de croyances, très faiblement régulées par la rationalité, et pourtant base de jugements, le plus souvent mimétiquement polarisés, à partir desquels des masses immenses de capitaux sont mises en mouvement. Il faudrait donc expliquer à Jean Quatremer que la finance libéralisée, est si constamment encouragée par la construction européenne que dans cet ensemble, il entre constitutivement, et non accidentellement, rumeurs, erreurs, errances, absurdités, idées fausses, informations biaisées – Jean Quatremer s’est-il jamais ému pendant toutes les belles années qu’on voie d’incertaines start-up comme des eldorados de profit, ou bien la finance structurée comme la martingale définitive contre le risque de crédit, et l’explosion des titres adossés à l’endettement des ménages comme une géniale trouvaille ? De ce point de vue, et erreur pour erreur, les marchés sont sans doute plus près du vrai en anticipant la décapilotade de l’euro, qu’ils ne l’étaient alors…
Mais dans la vision du monde de Jean Quatremer, la finance est bonne… jusqu’à ce qu’elle s’en prenne à son talisman. On lui fera néanmoins observer qu’il y a une certaine logique, et comme une justice immanente, à ce que l’Europe modèle Maastricht-Lisbonne qui a sans relâche promu la finance périsse par la finance. Car enfin qui a fait le choix de remettre entièrement les politiques économiques entre les mains de ce pouvoir déréglé qu’est la finance libéralisée ? Qui a décidé d’instituer les marchés obligataires comme puissance disciplinaire en charge de la normalisation des politiques publiques ? Qui a voulu constitutionnaliser la liberté de circulation des capitaux qui offre à ce régime son infrastructure ?

Non pas les agents du mal mais la force des structuresRetour à la table des matières

En fait c’est là la chose que Jean Quatremer a visiblement du mal à comprendre – déficience par quoi d’ailleurs il verse immanquablement dans le conspirationnisme, qu’il dénonçait chez les autres à l’époque où « tout allait bien » (pour lui) –, les crises s’expliquent moins par la malignité des agents que par l’arrivée aux limites des structures. Il est vrai qu’ayant toujours postulé la perfection de son objet, donc l’impossibilité de sa crise, il n’a pas d’autre hypothèse sous la main pour en penser la décomposition : celle-ci ne peut donc être que le fait des méchants (et des irresponsables : Grecs, Portugais, Espagnols…).
Or on peut dire de la construction européenne la même chose que de n’importe quelle autre configuration institutionnelle : les comportements, même destructeurs, des agents n’y sont pas le fait d’un libre-arbitre pervers mais de leurs stratégies ordinaires telles qu’elles ont été profondément conformées par l’environnement structurel dans lequel on les a plongés… quitte à ce que ces structures, laissées à leur simple fonctionnement, produisent in fine leur propre ruine : la Deutsche Bank lâche la dette italienne, non par trahison anti-européenne [24], mais par simple fidélité à la seule chose qu’elle ait à cœur : son profit – et si l’on veut des banques qui aient à cœur d’autres choses, il va falloir se pencher sur leurs statuts autrement que par fulmination et vœux pieux interposés. De même, les spéculateurs spéculent… parce qu’on leur a aménagé un terrain de jeu spéculatif ! Rumeurs et informations incertaines y prennent des proportions gigantesques parce que ce terrain de jeu même institue le pouvoir de l’opinion financière, etc.
Sans doute, poussés comme n’importe quels médias par les forces pernicieuses de la concurrence, de la recherche effrénée du scoop et de la primeur, le FT a-t-il parfois lâché trop vite quelques informations foireuses, Reuters des confidences biaisées ou mal recoupées, mais ni plus ni moins que Libérationou Jean Quatremer lui-même qui n’hésite pas, par exemple, à donner audience à des études aux bases les plus incertaines à propos de la sortie de la Grèce, tout droit tirées des bons soins de la banque UBS [25], son fournisseur attitré, dont l’objectivité et la neutralité sont d’évidence incontestables… Qu’UBS batte la campagne, qui plus est sans doute au service de ses propres positions spéculatives, la chose lui est tout à fait négligeable, l’important est qu’UBS la batte dans le bon sens.
Le monde de la finance a pour propriété que n’importe quelle information est potentiellement porteuse d’effets terriblement déstabilisants, non parce que de machiavéliques émetteurs les ont voulues ainsi mais, en dernière analyse, parce qu’elles sont saisies par les forces immenses de la spéculation qui ont le pouvoir de faire un tsunami d’une queue de cerise. Si Jean Quatremer fantasme une finance dont tous les acteurs observeraient en toutes circonstances le grand calme olympien de la rationalité pure et parfaite, il faut lui dire qu’il fait des rêves en couleur. Encore faudrait-il, pour s’en apercevoir, qu’il daigne faire quelques lectures d’histoire économique, évidemment d’auteurs qui auraient fort le goût de lui déplaire, des gens comme Minsky, Kindleberger, Keynes ou Galbraith, lesquels, instruits des catastrophes passées, n’ont cessé de montrer que la finance de marché est par constructionpar essence, le monde du déchaînement des passions cupides, de l’échec de la rationalité et du chaos cognitif. Et qu’en réarmer les structures, comme l’Europe l’a fait avec obstination à partir du milieu des années 1980, était le plus sûr moyen de recréer ces désastres du passé.
Entre une nouvelle, aussi factuelle soit-elle, et le mouvement subséquent des marchés, il y a toujours l’interprétation – celle des investisseurs –, et c’est par cette médiation que s’introduit la folie, particulièrement en temps de crise où la mise en échec des routines cognitives antérieures alimente les anticipations les plus désancrées. L’Europe a fait le choix de s’en remettre à cette folie-là. Et Quatremer s’étrangle de rage stupéfaite qu’elle en crève… Comme rien ne peut le conduire à remettre en cause ses objets sacrés – les traités, la règle d’or, Saint Jean-Claude et son vicaire Mario –, il ne lui reste que les explications par le mal, un équivalent fonctionnel des hérétiques ou des satanistes si l’on veut. Aussi se meut-il dans une obscurité peuplée d’agents qui fomentent des « mauvais coups » et mènent « un jeu trouble », un underworld de « complices » et d’incendiaires. Si difficile soit-il de s’y résoudre, il faudra pourtant bien admettre que la construction européenne s’effondre selon la pure et simple logique qu’elle a elle-même instituée. Elle n’est pas la proie d’une conjuration du mal : elle tombe toute seule, du fait même de ses tares structurelles congénitales et sous l’effet des forces aveugles qu’elle a elle-même installées – et s’en prendre répétitivement, comme à des incubes, aux agents variés qui n’en sont que les opérateurs (Hedge Funds, banques et agences) est le passeport pour l’asile de l’ignorance.
Mais il y a des aggiornamentos trop déchirants pour être consentis aisément, et des investissements psychiques trop lourds pour être rayés d’un trait de plume, aussi faut-il attendre l’infirmation définitive par le réel pour que se produise le premier mouvement de révision – et encore… On en connaît qui persistent à croire que la défaite de 40 est la faute du Front Populaire… Entre temps tous les moyens sont bons, y compris ceux de la stigmatisation complotiste, pour ravauder comme on peut le tissu de la croyance menacée de partir en lambeaux. Si l’euroscepticisme du peuple mène au conspirationnisme, il semble que l’eurocrétinisme des élites y conduise tout aussi sûrement…

Notes

[1] Le coefficient de leviérisation désigne le multiple de dette, par rapport à ses fonds propres, qu’une banque peut contracter pour financer ses positions sur les marchés.
[2] Lire, dans l’édition de septembre du Monde diplomatique, en kiosques le mercredi 29 août, Richard Hofstadter, « Le style paranoïaque en politique ».
[3] Puisqu’avant de devenir Premier ministre, Georges Pompidou a été banquier d’affaire chez Rothschild. On remarquera tout de même que, banquier, il cesse de l’être en 1958 quand il devient directeur de cabinet de De Gaulle et que ladite loi date de 1973…
[4] Voir à ce sujet les contributions à la journée « Création monétaire » des Economistes Atterrés du 24 mars 2012, en particulier le texte d’Alain Beitone, « Idées fausses et faux débat à propos de la monnaie. Réflexion à partir de la “loi de 1973” ».
[5] 15 mai 2011.
[6] Cité in Libération, « DSK, la thèse du complot se répand sur le web », 15 mai 2011.
[7France Info, 2 juillet 2011.
[8LCI, 3 juillet 2011.
[9Libération, 15 mai 2011.
[10Libération, blog Coulisses de Bruxelles, 24 septembre 2008. Sauf indication contraire, tous les titres qui suivent correspondent à des billets de ce blog.
[12Id.
[13] « Emmanuel Todd, Audiard d’or 2011 », 1er janvier 2012.
[17] « Comment le Financial Times… », op. cit.
[18] « Les banques allemandes contre la zone euro », 31 juillet 2011.
[20] « Moody’s veut la peau du triple A français », 21 novembre 2011.
[21] « Les agences… », op. cit.
[22Id.
[23] Pour quelques développements sur cette question : « Extension du domaine de la régression », Le Monde Diplomatique, avril 2011 ; « Les gouvernements sont soumis au règne de l’opinion financière] », Marianne, 13 août 2011.
[24] « Les banques allemandes contre la zone euro », 31 juillet 2011.

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29 commentaires sur « Conspirationnisme : la paille et la poutre »

  • permalien nimbus3d :
    24 août @17h48   »
    Merci Mr Lordon pour cette analyse qui m’a fait comprendre ce qui me gênais de plus en plus lorsque je suivais les billets de Mr Quatremer et qui m’a mené à me désabonner de son blog.
  • permalien Yvan :
    24 août @17h53   « »
    « Ainsi donc de Bilderberg ou de la Trilatérale érigées en organisateurs uniques et omnipotents de la mondialisation néolibérale. »
    ... et moi qui croyait que c’était le boulot de l’École de Chicago... de même que l’invention de cette technique qui consiste à créer des complots fictifs pour masquer les connivences réelles.
    ... ou bien encore entretenir la confusion entre "conspirationnisme", sorte de maladie de la persécution et "conspirationnisme", système de manipulation du vulgum pecus à des fins privées :
    "La politique étrangère des Etats-Unis est, pour une large part, un exercice de projection de masse à la faveur duquel une infime élite uniquement préoccupée par ses propres intérêts prend ses besoins et ses désirs pour ceux du monde entier." (Naomi Klein)
    Ainsi la thèse officielle conspirationniste du 11/9, d’un complot musulman contre l’Amérique (« pourquoi ne nous aiment-ils pas »), semble avoir été créée pour taire et toute velléité de suspicion à venir... pourtant cette version officielle n’a jamais été confirmée (Terrorisme : l’espionnage des musulmans à New York n’a rien donné | International | Radio-Canada.ca)
  • permalien zgill :
    24 août @17h55   « »
    Il me semble, vous me direz si je me trompe, que le terme de complotiste apparaît avec la contestation de la version officielle des évènements du 11 septembre 2001, évènement dont découle une partie des politiques menées de nos jours à travers le monde. C’est d’autant plus troublant de ne pas retrouver de questionnement à ce sujet dans votre article. Complot ?
  • permalien Berrillimité :
    24 août @17h55   « »
    complot : que dit la loi
    Au Canada, les lois fédérales et provinciales considèrent que le complot est "un crime non parfait".
    Il suffit qu’il y ait eu entente en vue de commettre un acte illégal.
    Le terme de complot est particulièrement retenu en droit de la concurrence. Une entente de prix entre trois stations-services d’un village de 5000 habitants est ainsi considéré comme un complot.
    Autrement dit : le droit criminel canadien voit assez facilement des complots partout. Et de plus, il a tendance à s’armer juridiquement de plus en plus contre les complots, ententes, crimes organisés, etc.
    Comme quoi, "le peuple" n’est pas le seul à voir des complots partout.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_criminel_au_Canada
    Les crimes non parfaits incluent notamment : la tentative, le complot, la complicité, l’incitation, le but commun, etc.
  • permalien Modigliani :
    24 août @18h05   « »
    La conspiration anti-conspiration signe la conspiration en fait
    De toute façon il est normal que les membres de l’élite crient tels des vierges effarouchées dès qu’une thèse suggère l’éventualité d’un complot, ou semble le suggérer, puisqu’en tant que membre de l’élite ils sont rétribués (matériellement et symboliquement) par cette même élite au bénéfice de laquelle et par le truchement de laquelle sont censés fonctionner lesdites opérations de tendance conspirationniste. Or puisque la raison d’être d’un tel regroupement en vue d’une action concertée vise précisément à défendre (offensivement ou défensivement) les intérêts de ses membres, il est évident qu’il est dans l’intérêt bien senti de ceux-ci que ladite opération concertée ne soit pas divulguée et ceci pour trois raisons au moins :
    - laisser le public prendre connaissance d’une telle organisation avec un tel objectif serait la confirmation que des gens dans notre société constituent un groupe homogène bénéficiant de privilèges et qu’ils recourent à des moyens "clandestins" pour préserver ou accroitre ceux-ci.
    - la clandestinité initiale ainsi démasquée ayant alors valeur d’avoeu quant à l’emploi de méthodes inavouables pour défendre des positions elles-mêmes honteuses !
    - il apparaitrait alors au grand jour que des gens s’entendent illicitement au détriment du plus grand nombre. De quoi faire tomber le montage de la fiction qui permet à l’ensemble social de tenir debout !
    Donc l’énergie endiablée que les représentants médiatique de l’élite déploie pour dénoncer toute hypothèse conspirationiste signe en fait la conspiration. CQFD !
  • permalien Vitigis :
    24 août @18h38   « »
    Mouiller les "élites"
    Ainsi, tout le monde est conspirationniste, aussi bien "le peuple" que "les élites". Mais qu’est-ce que le peuple ? qu’est-ce que "les élites" ? C’est comme les musulmans, la charia et les fourmis de dix-huit mètres : ça n’existe pas. Bon.
    Ceci dit, pour mouiller les élites (donc dire que le peuple est comme tout le monde), M. Lordon étend le concept de "conspirationnisme" d’une manière trop large.
    Le conspirationnisme consiste à expliquer les malheurs du monde par une action secrète inventée de toutes pièces, "sur mesure". Le plus beau c’est le "complot judéo-bolchevique" ou "judéo-maçonnique" de sinistre mémoire, destiné à galvaniser les énergies contre certains ennemis. Il y a des exemples plus modernes.
    On lira avec profit, entre autres, l’article que le Monde tout court a consacré à la question dans son numéro daté du 21 juin 2012, p. 13. Soit dit en passant, je n’ai jamais vu personne dire que le complotisme soit spécialement le fait du "peuple".
  • permalien folantin :
    24 août @19h45   « »
    Très bon papier, pondéré comme il faut (depuis le temps que j’attendais de voir Lordon donner son avis sur la loi de 73...).
    Bon tant qu’à poster un commentaire, j’aimerais signaler le livre de Luc Boltanski publié récemment, qui, sous couvert de sociologie du roman policier et d’espionnage, se rapporte notablement aux « théories du complot ». Théorie du complot à entendre non pas comme une espèce de psychose collective (qui s’emparerait des des honnêtes gens à cause d’internet) mais au contraire comme un grand récit qui permet de ne pas voir ce que l’on entend rendre « transparent » dans l’ordre social.
    En très gros : l’idée est qu’avec la proclamation de l’égalité formelle des individus et la dissolution des corps intermédiaires, la représentation d’une classe dominante (qui constituait l’ordinaire de l’imaginaire social dans les sociétés d’ancien régime) est devenu impossible. C’est à dire que peu à peu, la postulation d’une classe dominante (avec comme corrolaire la lutte des classes) à été assimilée à une "théorie du complot", elle même moteur de conspirations effectives : les socialistes, les anarchistes, les terroristes... perturbent l’ordre social en ce qu’ils croient à tort que l’ordre social est à la base perturbé. Mais plus fondamentalement, ces comploteurs sont des ratés animés par le "ressentiment" à l’encontre de la classe dominante. Classe dominante qui par ailleurs n’existe pas, puisque seuls existent des réussites et des échecs individuels selon l’ordre social libéral (chacun est self made man de lui même).
    Je schématise comme un goret, mais c’est plus toujours fidèle au propos du livre que la chronique de brice couturier l’autre matin qui, ne l’ayant pas lu, voulait y voir une dénonciation irrévocable des "théories du complot" en général et de pierre bourdieu en particulier.
    http://perlbal.hi-pi.com/blog-image...
  • permalien
    24 août @20h00   « »
    Pas trop d’accord que le "complotisme" est un truc principalement populaire.
    Je dirais plutôt une convention de classes moyennes désabusées,biberonnées à la série X-Files mais qui trouvent trop fatiguant de réfléchir aux causes réelles de leur oppression et de leur aliénation.
    Plus facile de tout mettre sur le dos des Illuminati que de décortiquer les mécanismes du capitalisme mondialisé et de mettre en évidence les dégats qu’il produit sur nos vies et l’environnement.
  • permalien J. Halpern :
    24 août @21h01   « »
    Pour reprendre la discussion sur la "loi de 1973", la vérité est que la référence à cette loi n’avait rien de "complotiste" mais l’érigeait en symbole, sans doute abusif mais pas illégitime, de la politique des années 70 de "passage de l’économie d’endettement à l’économie de marchés financiers". Il s’agissait, de façon d’ailleurs assez transparente, d’effacer les traces d’un possible financement monétaire direct de la dette publique, de l’inféoder définitivement aux marchés financiers... Les réactions offusquées des économistes professionnels (même si parfois parfois "atterrés") à l’encontre de ces travaux ne témoignent guère d’une grande ouverture, plutôt de la défense d’un monopole contre une intrusion illégitime. De ce point de vue, les délires antisémites ("loi Rothschild") greffés sur une réflexion initiée en dehors d’eux tombaient à point nommé pour amalgamer réflexion extra-institutionnelle et extrême-droite...
    Pourtant les économistes universitaires seront de plus en plus confrontés à ces réflexions multiformes permises par le web. L’amateurisme et les intrusions groupusculaires sont le prix à payer pour sortir d’une réflexion verrouillée par le "mainstream" au niveau institutionnel.
  • permalien terrabella :
    24 août @21h39   « »
    les medias se sont bien marrés de traiter cheminade de complotiste quand il ciblait la city de londres comme source de la crise financière globale : on voit aujourd’hui que ce n’était pas du complot mais simplement la réalité
  • permalien koui :
    24 août @22h12   « »
    Conspirationnisme mainstream
    Le conspirationnisme n’est pas le monopole des rebelles hors systéme. Le Monde dénonce des faux attentats organisés par Assad à Damas qui aurait suscité des rebelles salafistes en Syrie. Ayad dans Liberation dénoncait une fausse rebellion manipulé par Gbagbo en Cote d’ivoire en 2002 avant de dénoncer un faux complot en Mauritanie (un vrai complot a renversé le pouvoir mauritanien l’année suivante). Poutine aurait organisé de faux attentats tchetchenes à Moscou. Khadafi aurait organisé toutes sortes de complots et son rôle expliquait tout attentat, coup d’etat ou rebellion. L’Iran fabriquerait en secret la bombe atomique après saddam Hussein. L’URSS avait des plans secrets pour envahir le Monde. Le Vietnam voulait tuer tous les cambodgiens pour les remplacer par des viets. Poutine aurait poussé la Géorgie à envahir l’Ossétie pour l’attaquer. Le Hezbollah comploterai partout même au fond de l’amazonie. La Syrie a organisé l’assassinat de Hariri, avant que ce soit le hezbollah. Ben Laden et Saddam ont des bases secretes souterraines incroyablement sophistiquées comme dans james Bond. Les tutsis complotent avec les anglosaxons contre la France et les hutus. Il y a tellement d’exemple de complots imaginaires dans la presse mainstream que je ris à chaque fois car c’est eux même qui m’ont mis en garde contre les théories du complot après le 11 septembre.
  • permalien Jordi Grau :
    24 août @22h26   « »
    Merci pour cet article équilibré et salutaire. Les accusations de "complotisme", de "conspirationnisme", voire de "soucoupisme" sont un moyen courant, aujourd’hui, de ridiculiser tous ceux qui remettent en question l’oligarchie financière, politique ou médiatique.
    Même ceux qui, très clairement, disent qu’il n’y a pas besoin de recourir à l’hypothèse d’un complot pour expliquer la domination des oligarchies, se voient parfois accuser de "complotisme". Exemple : Noam Chomsky. Ce vocable infamant est destiné à intimider l’adversaire et à délégitimer sa parole. Autrefois, dans les années 60-70, on usait et abusait de l’adjectif "fasciste" (ou bien, dans l’autre camp, de l’adjectif "communiste"). Aujourd’hui, ce sont d’autres adjectifs : "antisémite", "populiste", mais aussi "complotiste" et "conspirationniste"....
    C’est pour toute ces raisons qu’il est salutaire d’analyser rigoureusement ce qu’il en est réellement des complots et du "complotisme", afin de discréditer tous les chiens de garde des oligarchies actuelles.
    Pour terminer, je dirais que je ne suis pas entièrement d’accord avec vous, M. Lordon, quant au rôle relativement marginal que vous attribuez aux complots par rapport aux structures politiques et économiques. Car ces structures sont en partie l’effet de décisions politiques, dont beaucoup ont été élaborées de façon secrète, ou du moins discrète. Il y a donc, en un sens large, une sorte de grand complot - ou une suite cohérente de complots - depuis trente ou quarante ans, pour éliminer ce qui reste de la démocratie et pour privatiser tout ce qui peut l’être.
    En toute immodestie, je me permets de renvoyer à deux articles que j’ai écrits sur ce sujet il y a un an :
    http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
    http://www.agoravox.fr/actualites/p...
  • permalien K. :
    24 août @22h45   « »
    Les copains de Vitigis : Morsi crucifie les coptes ("comme la charia le lui recommande")
    http://www.algemeiner.com/2012/08/1...
    http://www.wnd.com/2012/08/arab-spr...
    http://www.islamophobia-watch.com/i...
  • permalien Constantin Lévine :
    24 août @22h58   « »
    « ...car s’est en s’exerçant que se forment les intelligences individuelles et collectives. »
    C’est l’exercice qui manque ? Je n’ose y croire...
  • permalien Nathan :
    25 août @00h51   « »
    Les théories du complot me font penser à ce vieux débat poussiéreux sur la publicité subliminale. Chacun sait que la publicité recourt très rarement aux messages subliminaux. Dans ce secteur, il s’agit d’une pratique tout à fait marginale. En effet, pourquoi la publicité chercherait-elle à faire passer des messages subliminaux alors que son but clairement affiché consiste à transmettre des messages explicites et que par convention, le public attend d’elle ces messages.
    Il en va de même pour les soi-disants complots. Pourquoi imaginer systématiquement des menées occultes alors qu’un grand nombre d’actions s’effectuent en plein jour et souvent de manière parfaitement légale ? L’abrogation du Glass-Steagal Act, qui fut certainement un moment fort dans la dérégulation des marchés financiers, a été votée par le Congrès américain, après débat. Les lobbies et autres groupes d’intérêts ont pignon sur rue et leurs activités, - en particulier, le financement de partis politiques - disposent d’un cadre légal et réglementé.
    Consultants, lobbyistes, spin-doctors, agence de RP, tout ce petit monde travaille à ciel ouvert ou presque. Tout le monde se rend parfaitement compte des relations incestueuses entre public et privé et que certains sortent d’un cabinet ministériel pour devenir l’exacte contrepartie dans un organisme privé en emportant presque leurs dossiers avec eux. Tout le monde est au courant que deux Secrétaires au trésor furent patrons de Goldman Sachs ou que Greenspan, ex-patron de la Fed a travaillé ensuite pour Paulson, le spéculateur qui s’en est mis plein les poches avec les subprimes (un comble s’il en est). Bref, il faut être paradoxalement un peu naïf pour croire aux complots car les règles du jeu sont connues. Nous sommes en régime capitaliste et le capitalisme consiste à exploiter toutes les opportunités qui se présentent pour faire du profit, qu’elles soient légales ou à la limite de la légalité. Le monde tel qu’il est, est là devant nous. Pas besoin d’imaginer un outre-monde.
  • permalien hedi :
    25 août @01h01   « »
    finalement les élites c’est aussi de la plèbe ?
    et oui il se trouve que les technocrates, les politiques et les gestionnaires de capitaux (les gens qui ont des hauts postes dans les banques) ont des intérêts généralement convergents mais que parfois leurs intérêts divergent de ceux leurs homologues étrangers : c’est le cas actuellement avec la crise financière de l’Europe continentale.
    une partie des "élites" de l’Europe continentale estiment (à juste raison il me semble) que les "élites" anglo-saxonnes (politiques, organes de presse, analystes) font un battage médiatique maximal sur les déboires de l’Europe continentale pour faire oublier que 1. c’est le modèle économico-financier de ces pays anglo-saxons qui est à l’origine de la crise financière depuis 2008 (4 ans déjà !) 2. que les finances des US et du UK sont en piteux état.
    est-ce un complot de l’ennemi anglo-saxon ? les "élites" de l’Europe continentale (et surtout les "élites" françaises) peut être le voient comme ça, alors que probablement il s’agit de la part de nos amis anglo-saxons d’un effet de meute autour de leurs références culturelles communes de la part des penseurs et décideurs, et autres analystes.
    mais cela n’enlève rien au fait que les mêmes élites d’Europe continentale ont confisqué au nom de la technicité des débats qui aurait dû être tranchés par le "peuple".
    en tant que "technocrate" j’ai eu beaucoup de conversations sur le système financier avec des amis qui ne sont pas du "métier", et bien sûr j’avais des "arguments" pour le système, mais toutes ces conversations ont toujours mis en avant les failles de l’argumentaire technocratique, et les idées de "bon sens" de mes amis non spécialistes apparaissent à chaque fois comme des solutions utiles aux faiblesses du système.
    mais dans le sérail ces idées iconoclastes ne sont pas évoquées sérieusement (en réunion sous format powerpoint) elles restent encore confinées à des discussions de machine à café
  • permalien gloc :
    25 août @07h24   « »
    le dénommé Nathan : « Les théories du complot me font penser à ce vieux débat poussiéreux sur la publicité subliminale. Chacun sait que la publicité recourt très rarement aux messages subliminaux. Dans ce secteur, il s’agit d’une pratique tout à fait marginale. En effet, pourquoi la publicité chercherait-elle à faire passer des messages subliminaux alors que son but clairement affiché consiste à transmettre des messages explicites et que par convention, le public attend d’elle ces messages. »
    Voilà le genre d’affirmation qui alimenterait un climat d’insécurité si le dénommé Nathan avait un jour montré la moindre lueur de légitimité dans ce domaine, ou si comme James Vicary il avait tenté d’appuyer ses affirmations sur une référence fut-elle factice.
    Mais non, il n’y a là que le "ressenti" du dénommé Nathan, qui nous dit : je sens que la publicité subliminale (j’élude la propagande parce que là mon pseudo raisonnement ne fonctionne plus), ça marche, même moi dénommé Nathan, je suis dupé et je le proclame et en plus je suis incapable d’en déceler son influence sur moi, qui suis tellement vigilant... et raisonnant.
    La conclusion du dénommé Nathan est ; puisque que je suis la preuve vivante que la publicité subliminale fonctionne, c’est bien la preuve que les comploteurs se cachent bien, donc que le complot ne peut pas exister aux yeux du vulgaire, donc que les conspirationnistes sont des vieux débatteurs poussiéreux.
  • permalien Toto :
    25 août @08h03   « »
    Trop compliqué pour moi....J’ai lâché l’affaire en cours de route ! L’article sur Peugeot dans le Diplo du moin d’août est l’exact contrepoint de celui-ci.. !
  • permalien Jordi Grau :
    25 août @09h42   « »
    A Nathan
    Ce que vous dites est partiellement exact - mais partiellementseulement. Il est vrai que beaucoup de choses se font au grand jour. Pour qui veut s’informer sérieusement, les connexions entre la politique et le business sont on ne peut plus claires. Encore faut-il avoir le temps, la volonté et la compétence de s’informer sérieusement. Les médias dominants se gardent bien, en général, de mettre ce genre d’informations en relief. Quant aux médias alternatifs (sites internet, notamment), on y trouve le pire comme le meilleur. Il n’est donc pas si facile que cela pour un citoyen lambda d’être bien renseigné sur le système politico-économique actuel. Un exemple : celui de la loi Glass-Steagall, que vous mentionnez à juste titre. Il est vrai qu’elle a fait l’objet de débats publics aux États-Unis. Mais qui sait, en Europe ou aux États-Unis, que l’abrogation de cette loi a été favorisée par des tractations secrètes - ou du moins très discrètes - entre W. Clinton et les principaux banquiers américains ? Qui sait que Clinton fut généreusement remercié pour son zèle après avoir quitté la Maison Blanche ? Cf. à ce sujet cet article de Serge Halimi.
    Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que de nombreuses décisions politiques importantes se trament dans le secret. Le fonctionnement de l’Union européenne en est une illustration frappante.
    Bref, il faut savoir garder un jugement équilibré. Entre la transparence absolue (qui est rare) et les complots au sens strict du terme (qui sont sans doute rare également), il existe une large zone de pénombre, qu’il n’est pas si facile que cela d’éclairer.
  • permalien Cédric :
    25 août @11h11   « »
    Un article très intéressant, dense et argumenté comme d’habitude. Son manque provient peut être de ce que seuls les "complot" des banques ou multinationales de l’économie libérale mondialisée sont envisagées. Or ce ne sont pas elles seules qui cristalisent (plutôt à raison, donc, ici) la vulgate complotiste.
    Il me semble que le discours complotiste dominant est de nature "géopolitique", du genre : "Les sionistes ou les Illuminatis sont partout, contrôlent tout et dirigent tout", "tel attentat -voir TOUS les attentats est/sont en fait une manipulation des services secrets américains", "les meurtres en Syrie ne sont pas commis par le régime d’Al Assad mais par l’Empire, qui veut déstabiliser la région", et autres sornettes...
    Si non merci pour cet éclairage, avec le style et le panache si caractéristiques que Mr Lordon...
  • permalien rubberband :
    25 août @11h28   « »
    « Tout le monde est suspect ; tout le monde est à vendre ; rien n’est vrai ».
    Je n’ai pas lu tous les commentaires mais je me permets un lien rapide vers l’article de Bruno Latour (qui revient au passage sur l’ouvrage de Boltanski) Pour lui, la partie la plus originale de ce travail est de savoir "comment distinguer, dans la manière même dont les enquêtes sont menées, celles qui mènent au vérifié vraisemblable et celles qui alimentent les « théories du complot » ? ou comment distinguer le réalisme de l’enquête avec l’affabulation qui se donne toutes les apparences du positivisme le plus exigeant ?"
    Lien :: http://bruno-latour.fr/sites/defaul...
  • permalien philippulus :
    25 août @11h41   « »
    Y a jamais eu de complot !
    Dans une partie de sa livraison, F. LORDON nous dit en substance que si le conspirationisme fait des ravages dans la vision qu’a la plèbe de la marche du monde ce serait avant tout par ce que celle-ci est assez volontairement laissée dans l’ignorance. Elle en est ainsi réduit à imaginer plus que de raison des complots ou il n’y en aurait pas. Mouais.
    J’ai pourtant l’impression (litote, c’est plus qu’une impression, c’est une certitude étayée comme il se doit par des faits avérés) que dans beaucoup de domaines dits économiques il existe des ententes plus ou moins secrètes et plus ou moins concertées ayant pour but de faire un business bien plus lucratif que celui qui résulterait d’une concurrence pure, libre et non faussée (ne pas rire). Je prétend même que c’est le fonctionnement normal du système.
    Comment appeler cela ? Les mots de complot ou de conspiration ne sont peut-être pas adaptés, mais par extension de leur sens initial il n’est pas déraisonnable de les appliquer à ce très courant type de pratiques, surtout quand elles ont des conséquences très concrètes et très néfastes sur la vie des gueux.
    Exemples à la pelle sur simple demande.
  • permalien RST :
    25 août @11h49   « »
    Beitone, vous aves dit Beitone ...
    Le sens de la référence (renvoi n°4) au texte d’Alain Beitone m’échappe , lui qui n’a eu de cesse d’accuser sans nuance les malheureux qui faisaient apparemment dire à la loi de 73 plus que ce qu’elle ne disait en réalité, d’être des complotistes, des néo-nazis et des antisémites : Alain Beitone est-il à la solde des banquiers ?
    Et sinon, tout à fait d’accord avec le commentaire de J.Halpern
  • permalien K. :
    25 août @12h15   « »
    Par contre évoquer la "géopolitique" du plus fort (Israel rempart de la civilisation contre la barbarie, Ils ne nous aiment pas à cause de nos valeurs, Saddam Hussein et ses ADM et ses liens avec AQ etc, etc...) ne sauraient relever que du conspirationnisme le plus grossier.
  • permalien Arnaud :
    25 août @12h42   « »
    On a donc le droit de s’intéresser à certains sujets sensibles comme le 11-Septembre sans se faire traiter de conspirationniste..
    Il faudrait expliquer ça à Mediapart :
    http://www.reopen911.info/11-septembre/mediapart-dans-l-impasse-du-11-septembre/
  • permalien Nathan :
    25 août @12h56   « »
    @ Jordi Grau
    J’ai sans doute, comme d’habitude, manqué d’un minimum de nuances, mais je voulais souligner ici un point. Les gens qui voient des complots partout ont besoin, comme le dit bien Frédéric Lordon, d’une explication monocausale pour rendre compte des faits. On connaît tous l’exemple archétypique : des gens puissants et mal intentionnés se réunissent en conclave secret pour décider de l’avenir du monde et réduire l’humanité en esclavage. Un fantasme inoxydable s’il en est.
    Mais il y a un autre aspect du conspirationnisme qu’il faut souligner : il me semble que ce type de raisonnement est naïf dans la mesure où il ignore la réalité, à savoir que la poursuite d’intérêts particuliers est un droit reconnu. Les individus et les entreprises ont parfaitement le droit de poursuivre leurs intérêts particuliers. Les conspirationnistes font donc semblant d’exhumer quelque chose qui existe en réalité au grand jour. A les écouter, on retire l’impression que les lobbies sont des instances maléfiques agissant en secret pour atteindre des objectifs inommables. Or, ce n’est pas vrai. Dans la plupart des cas, il s’agit d’organisations ayant pignon sur rue oeuvrant ouvertement et dans un cadre légal afin de défendre les intérêts –reconnus par la loi – d’entreprises, d’organisations et de corporations.
    Cela dit, j’admets que l’on prétende que dans notre régime capitaliste, ces intérêts particuliers ont fini par empiéter complètement sur l’intérêt général. D’accord. Mais alors, il faut, comme le fait Frédéric Lordon, remettre en question le cadre et exiger que l’on soumette les intérêts particuliers à l’intérêt général (pour autant que l’on sache bien distinguer les deux, ce qui n’est pas toujours évident).
    L’article de Frédéric Lordon me fait d’ailleurs penser à une version moderne du mythe platonicien de la caverne. A défaut d’interroger le cadre, on se condamne à ne poursuivre que des ombres sur les parois de la caverne, comme semble le faire Quatremer. Comme le démontre très bien Frédéric Lordon, Quatremer confond l’ombre et la proie, la cause et la conséquence. Tant qu’il estimera justifié que les Etats recourent massivement aux marchés financiers pour financer leurs déficits, Quatremer s’ébattra dans sa basse-cour comme un poulet sans tête et s’en prendra à des moulins à vent (par exemple, aux agences de notation dont il imagine le pire alors qu’elles sont la conséquence inévitable des principes qu’il a accepté).
  • permalien Cyberpipas :
    25 août @13h09   « »
    Parfait !
  • permalien Tristan :
    25 août @13h12   « »
    Votre interprétation quant aux circonstances de survenues de théories conspirationniste, notamment avec l’exemple Quatremer, rejoint de façon remarquable la façon dont les croyances irrationnelles de manière générale se perpétuent. Ainsi pense t-on "Si notre fétiche est attaqué, c’est que des forces maléfiques l’ont maudit", faute d’autres explications plus constructives. Le sorcier vaudou a jeté un sort, le démon l’a possédé, ou quand on ne veut pas déplorer le phénomène, Dieu l’a voulu...
    Et si les théories de la conspiration étaient un nouvel avatar de l’interprétation ignorante, dans une société à peu près débarrassée de l’obscurantisme religieux ?
  • permalien Tristan :
    25 août @13h22   «
    (je parle ici des théories du complot telles qu’elles se construisent dans les esprits bien sûr, non pas comme outil discursif de discrédit de l’adversaire, qui est comme l’article le souligne un autre problème)

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