22 décembre 2011
« C’est avec une grande fierté – et une fierté durable – que vous quitterez ce pays d’entre les fleuves », a déclaré le ministre américain de la Défense, Leon Panetta, à l’adresse de ses soldats lors de la cérémonie d’adieu qui s’est déroulée à Bagdad le 15 décembre 2011. Et Panetta, ancien patron de la CIA, d’ajouter que « la guerre en Irak a bien valu son coût énorme en sang et en argent ». Un récapitulatif s’impose.
Au
moins 31 pour 100 du million cinq cent mille soldats environ qui
rentrent de la guerre en Irak souffrent de dépression ou de trouble de
stress post-traumatique, lesquels influencent de façon très négative
leur travail, leurs relations et leur existence familiale. C’est ce que
révèle une étude réalisée par des chercheurs de l’armée américaine. Tant
en 2009 qu’en 2010, un plus grand nombre de soldats américains sont
morts de suicide que lors des combats.
Cela en valait-il vraiment la peine ?
Le déclin de l’empire américain
Le 18 mars 2003, ECAAR (EConomists Allied for Arms Reduction – Économistes unis pour la limitation des armements) rédigeait
un pamphlet contre le déclenchement d’une guerre unilatérale en Irak.
Le texte était signé par plus de deux cents économistes américains, dont
sept lauréats du prix Nobel et deux anciens présidents du Comité des
conseillers économiques de la Maison-Blanche. Ce texte constituait la
base d’une annonce publiée dans le Wall Street Journal. En voici quelques extraits :
« En
tant qu’économistes américains, nous nous opposons à une guerre
unilatérale contre l’Irak que nous considérons comme inutile et néfaste
pour la sécurité et l’économie des États-Unis et de l’ensemble de la
communauté mondiale. »
« (...)
Nous doutons que la guerre serve la sécurité et qu’elle n’accroisse le
risque d’instabilité future et de terrorisme. Nous pressentons
clairement l’immédiate tragédie humaine et les destructions de la
guerre, ainsi que la potentialité de dégâts économiques graves pour
notre nation et le monde entier. »
« (…)
Nous ne croyons pas que cette guerre soit nécessaire pour la sécurité
nationale des États-Unis. Une économie saine est nécessaire pour la
sécurité des États-Unis et le développement économique pacifique du
reste du monde. »
La guerre contre l’Irak est la cause de la crise économique
Cette
explication donne une image douloureusement précise de ce qui allait
suivre : Cette guerre a plongé les États-Unis et le reste du monde dans
une crise économique et elle a indiqué clairement les limites de la
puissance américaine. La résistance irakienne contre l’occupation est
coresponsable du déclin de l’Amérique tel qu’il fut prédit en 2004 :
« Nous figerons les occupants ici en Irak, épuiserons leurs moyens et
effectifs et briserons leur volonté de combattre. Nous les obligerons à
investir autant qu’ils pourront voler, si pas plus. Nous perturberons le
flux du pétrole volé, puis l’arrêterons de sorte que leurs plans
deviendront inutiles. »
Le lauréat du prix Nobel Joseph Stiglitz a calculé le prix de la guerre
Joseph
E. Stiglitz, lauréat du prix Nobel et l’un des signataires de la
déclaration susmentionnée, a calculé les coûts de la guerre en Irak dans
son ouvrage paru en 2008, The Three Trillion Dollar War (La guerre à trois mille milliards de dollars). Il
conclut : « Il n’existe pas de déjeuner gratuit, pas plus qu’il
n’existe de guerre gratuite. L’aventure irakienne a gravement affaibli
l’économie américaine et la misère va bien plus loin que la crise des
hypothèques. On ne peut dépenser 3.000 milliards de dollars – oui, 3.000
milliards de dollars – dans une guerre ratée à l’étranger sans en
ressentir la douleur dans son propre pays. »
Stiglitz
décrit ce qu’on pourrait payer avec ces milliards de dollars : 8
millions d’habitations ou 15 millions d’enseignants, les soins de santé
pour 530 millions d’enfants pendant un an, des bourses universitaires
pour 43 millions d’étudiants. Ces 3.000 milliards de dollars
résoudraient le problème de la sécurité sociale de l’Amérique pour un
demi-siècle.
En
ce moment, dit Stiglitz, l’Amérique consacré 5 milliards de dollars par
an à l’Afrique et se fait du mouron parce qu’elle est sur le point d’y
être supplantée par la Chine : « Cinq milliards de dollars, cela
représente en gros 10 jours de guerre. Cela vous donne une idée du
gaspillage de moyens ! »
Cela s’aggrave encore
« Maintenant
que les États-Unis vont mettre un terme à la guerre en Irak, il s’avère
que notre estimation de 3.000 milliards de dollars (couvrant aussi bien
les dépenses publiques pour la guerre que l’impact plus large sur
l’économie américaine) était bien trop basse. Ainsi, les coûts du
diagnostic, du traitement et des compensation des vétérans handicapés se
sont révélés plus élevés que nous ne nous y étions attendus », écrivait
Joseph Stiglitz le 3 septembre 2010 dansThe Washington Post.
Encore plus dramatiques sont les conséquences pour le Moyen-Orient même. Un rapport publié par le Strategic Foresight Group en Inde, dans un ouvrage intitulé Les coûts du conflit au Moyen-Orient, a
calculé que, ces vingt dernières années, les conflits dans la région
ont coûté aux pays et aux habitants 12.000 milliards de dollars (!). Le
rapport indien ajoute que le Moyen-Orient « a consacré un montant record
aux dépenses militaires des vingt dernières années et qu’il est
considéré comme la région la plus armée du monde ».
Imaginez
que ce montant soit consacré au développement des régions rurales et
des infrastructures urbaines, des barrages et des réservoirs, de la
désalinisation et de l’irrigation, du reboisement et des pêcheries, de
l’industrie et de l’agriculture, de la médecine et de la santé publique,
du logement et des technologies de l’information, des emplois, de
l’intégration équitable des villes et des villages et aux réparations
des dégâts de la guerre au lieu de produire des armes qui ne sèment que
la destruction.
Les conséquences dramatiques de la prétendue « démocratie florissante » pour l’Irak
L’argent
de la guerre du contribuable américain a non seulement ruiné l’économie
américaine et plongé le reste du monde dans une crise économique, il a
aussi anéanti une nation souveraine qui ne souhaitait aucunement faire
partie du « Nouvel Ordre mondial ». La situation dramatique qui règne en
Irak dément de façon criarde les échos positifs du « progrès en Irak »
tel que le présentent les mass media.
Pour
le contrôle de la perception par l’Américain moyen de la guerre en
Irak, le ministère de la Défense a payé à des entrepreneurs privés
américains jusqu’à 300 millions de dollars dans les années 2009-2011
pour la production d’informations et de programmes de distraction dans
les médias irakiens et ce, dans une tentative de présenter une image
sympathique à la population locale afin que celle-ci soutienne les
objectifs américains et le gouvernement irakien.
Lé désinformation, une arme stratégique de la guerre
« Cette
année, les dépenses en public relations du Pentagone censées ‘rallier
les cœurs et les esprits’ tant au pays qu’à l’extérieur, s’élèveront à
4,7 milliards de dollars au moins », communiquait en 2009 la Fondation
Nieman pour le journalisme à l’Université de Harvard, se demandant où se
situe exactement la frontière entre information et propagande.
Le
public n’est pas censé être mis au courant de tous les méfaits de la
machine de guerre américaine et la désinformation se diffuse à grande
échelle pour être avidement reprise par un appareil médiatique ami.
« Il
est essentiel aussi essentiel pour le succès du nouveau gouvernement
irakien et pour les troupes américaines de communiquer efficacement avec
notre public stratégique (c’est-à-dire le public irakien, panarabe,
international et américain) que de recevoir un large soutien dans nos
thèmes centraux et nos informations », disait l’annonce de recrutement
d’une équipe de 12 entrepreneurs civils en Irak.
Une catastrophe humanitaire encore jamais vue
Le
haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), António
Guterres, a constaté que la guerre de l’Irak est le conflit le plus
retentissant au monde, mais également la crise humanitaire la moins
connue. Examinons donc quelques-uns des « résultats » destructeurs de
cette guerre et de cette occupation de ce même Irak que l’élite
américaine qualifie de « démocratie florissante » :
- 1,45 million de victimes. Le nombre est choquant et dégrise. Il est au moins dix fois plus élevé que la plupart des estimations citées dans les médias américains, mais il s’appuie sur une étude scientifique portant sur les morts irakiens par violence suite à l’invasion de mars 2003 dirigée par les États-Unis ;
- la mortalité infantile irakienne a augmenté de 150 pour 100 depuis 1990, lorsque, pour la première fois, les Nations unies ont imposé des sanctions ;
- en 2008, 50 pour 100 seulement des enfants en âge de fréquenter l’école primaire allaient en classe, contre 80 pour 100 en 2005 ;
- en 2007, l’Irak comptait 5 millions d’orphelins, selon les statistiques officielles du gouvernement ;
- l’Irak compte entre 1 et 2 millions de veuves ;
- d’après des chiffres de l’UNHCR, il y a 2,7 millions d’Irakiens expatriés et 2,2 millions de réfugiés, surtout dans les pays voisins. Un Irakien sur six a quitté son pays. Le Croissant-Rouge irakien estime que plus de 83 pour 100 des expatriés irakiens sont des femmes et des enfants, dont la majorité de moins de 12 ans ;
- on estime que 8 millions d’Irakiens ont besoin d’aide humanitaire ;
- 70 pour 100 des Irakiens n’ont pas accès à l’eau potable. Le taux de chômage est officiellement de 50 pour 100 et, officieusement, de 70 pour 100. 43 pour 100 des Irakiens vivent dans une pauvreté profonde. 4 millions de personnes souffrent d’un manque de nourriture. 80 pour 100 des Irakiens n’ont pas accès à des équipements sanitaires décents ;
- 60 pour 100 seulement des 4 millions de personnes dépendant de l’aide alimentaire ont accès aux rations distribuées par le Système de distribution publique (PDS) contre 96 pour 100 en 2004 ;
- l’Irak n’a plus d’argent pour le paiement des indemnités aux veuves, les plantes servant dans l’agriculture et autres programmes pour les pauvres, a déclaré le président du Parlement, le 21 novembre 2010, et ce dans une des nations les plus riches en pétrole de la terre ;
- diverses minorités confessionnelles irakiennes (chaldéens, orthodoxes syriens, chrétiens assyriens et arméniens, communautés yezidi et mandéennes) courent le risque d’être éradiquées parce qu’elles sont confrontées à des niveaux inouïs de violence, d’après un rapport de Minority Rights Group International ;
- d’après un rapport d’Oxfam, 33 pour 100 des femmes n’ont pas reçu la moindre aide humanitaire depuis 2003 ; 76 pour 100 des veuves n’avaient pas reçu la moindre pension ; 52 pour 100 étaient au chômage ; 55 pour 100 s’étaient expatriées depuis 2003 et 55 pour 100 avaient été victimes de violence(s) ;
- des années d’instabilité et de guerre ont fait qu’entre un et deux millions de femmes sont chefs de famille (FHoH) en Irak : veuves, divorcées et soignante de leur époux malade. À peine 2 pour 100 de ces femmes chefs de famille travaillent régulièrement, selon l’Organisation internationale de la migration (OIM).
Prendre la vie à des personnes innocentes est devenu une composante de la vie quotidienne.
Dirk Adriaensens
Dirk
Adriaensens est le coordinateur de SOS Iraq et il est membre du
BRussells Tribunal. Entre 1992 et 2003, il a dirigé plusieurs
délégations en Irak afin d’y observer les effets des sanctions. Il est
également coordinateur de la Global Campaign against the Assassination
of Iraqi Academics (Campagne mondiale contre l’assassinat d’universitaires irakiens).
Traduit du néerlandais par Jean-Marie Flémal pour Investig'Action
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