Homs une année après le début des troubles
En Syrie, les auteurs d’atrocités sont les opposants armés
En Syrie, les auteurs d’atrocités sont les opposants armés
L’ingénieur qui s’exprime ici résidait dans la ville de Homs, jusqu’à ce qu’en juin 2011, effrayé par les horreurs perpétrées dans son quartier, il a fui Homs avec sa famille pour aller se réfugier chez des parents dans un village proche de Homs (*). Ce qu’il affirme dans cet entretien avec Silvia Cattori contredit tout ce que racontent nos principaux médias. On comprend que les crimes les plus inimaginables sont commis par des extrémistes sunnites et non pas, comme ces derniers l’affirment, par l’armée gouvernementale.
Silvia Cattori : La
ville de Homs, le quartier de Baba Amro, ont été l’objet de nombreux
reportages de la part de journalistes entrés illégalement en Syrie, « au cœur de l’armée syrienne de libération » [1]. Nous aimerions connaître votre point de vue sur ce qui s’est passé à Homs depuis une année.
Réponse :
Je suis originaire de Homs. Je vivais dans le quartier de Bab Sebaa. À
mi-avril 2011 les gens ont commencé à se rassembler pacifiquement au
centre de Homs, rue Al-Kowatly, pour demander des réformes. Mais, assez
rapidement, les gens ne se sentaient plus à leur aise. Ils ont senti
qu’il y avait quelque chose d’étrange, de pas clair dans ces
manifestations ; des comportements provocants et étrangers au pays, des
slogans qui appelaient au Jihad, les ont inquiétés. Très rapidement
les gens que je connaissais ont cessé de manifester. Ils ne se
sentaient plus du tout en accord avec ces manifestations à la sortie des
mosquées le vendredi.
En juin sur la route de
Hadara [à Bab Sebaa], les corps d’une quinzaine d’alaouites ont été
retrouvés en morceaux, la tête coupée, les bras coupés, avec un
écriteau : « viande à vendre ». Bouleversés par ces assassinats, des
alaouites ont mis le feu à des magasins sunnites. Les gens parlaient
entre eux des actes horribles dont ils avaient été témoins. Des
voitures appartenant à des alaouites ont été brûlées. L’inquiétude
grandissait. C’est alors que les alaouites et les chrétiens ont commencé
à mettre des croix bien en vue dans leurs boutiques, sur le pare brise
de leurs voitures. Un jour j’ai entrevu, sous la bâche d’un camion
appartenant à des sunnites, une cargaison d’armes et de munitions. Puis
j’ai vu des sunnites armés tirer sur des alaouites, tuer pour tuer. Il
y avait tout le temps des détonations, des tirs, des cris « Allah Akbar ».
Nos enfants étaient perturbés, avaient peur. C’est alors que j’ai pris
la décision de quitter Bab Sebaa. Avec ma famille nous nous sommes
réfugiés chez des parents dans un village proche de Homs.
Nous
n’avions jamais connu ce genre de choses en Syrie. Nous avions
toujours vécu en parfaite harmonie. Il n’y avait jamais eu aucun
problème entre Syriens de diverses religions. J’ai entendu pour la
première fois les gens parler de salafistes…
Je
suis retourné à Bab Sebaa deux fois, en juillet et août. J’ai vu que
cette zone se vidait peu à peu, qu’elle avait cessé de vivre. La grande
majorité des familles avaient fui. Il n’y avait presque plus d’enfants
et les écoles ont dû fermer. Les rares familles qui étaient restées,
c’était parce qu’elles n’avaient nulle part où aller. J’y suis retourné
une dernière fois en novembre. Toute la ville de Homs était devenue une
ville fantôme. Plus personne n’osait s’aventurer dans certains
quartiers. C’était une ville morte.
Silvia Cattori : Des sunnites ont-ils également été persécutés ? Y en a-t-il qui se sont enfuis ?
Réponse :
Oui bien sûr. La grande majorité des sunnites sont opposés à ces
extrémistes sunnites et sont contre les milices armées. Mon médecin
était sunnite mais il n’était pas d’accord avec leur violence, il en
avait peur. Il allait prier à la mosquée mais il n’allait pas
manifester avec eux. Peu à peu son cabinet s’est vidé de toute sa
clientèle sunnite. Se sentant menacé il a quitté Homs. Dans la rue où
j’habitais, seules deux familles sunnites sont restées. Les Syriens qui
soutiennent ces opposants armés sont très très peu nombreux. Les
opposants armés n’ont pas un comportement humain. Ils font peur aussi
aux sunnites, pas seulement aux chrétiens et aux alaouites.
En
mai, Fadi Ebrahim, un jeune sunnite, âgé de 25 ans, qui avait été vu
en train de prendre des photos alors que les miliciens avaient averti
que cela était interdit, a été kidnappé. On a ensuite retrouvé son
cadavre dans une poubelle à Bab Sebaa, dans mon quartier.
Silvia Cattori : À quand situez-vous la rupture de la population avec cette minorité de manifestants dont le comportement inquiétait ?
Réponse :
À partir de fin avril je crois, la grande majorité des gens, dont de
nombreux sunnites, ont cessé de manifester avec eux. Seuls des gens
fanatisés ont continué d’aller à ces manifestations qui partaient le
vendredi de la mosquée. Des sunnites qui ont refusé d’aller manifester
avec eux ont été kidnappés, rançonnés, tués. Leurs manifestations anti
Bachar el-Assad, n’ont jamais réuni plus de quelques milliers de
personnes, mais elles ont bénéficié d’une grande médiatisation à
l’extérieur.
Peu à peu, il y a eu une grande
prise de conscience du véritable danger qui guettait notre pays. La
crainte que l’on fasse chez nous ce que l’intervention extérieure avait
fait subir au peuple libyen y a contribué. Ce fut le début de grandes
manifestations réunissant des millions de gens dans toutes les villes
du pays appelant à soutenir Bachar el-Assad, appelant à un changement
progressif et pacifique, et surtout à s’opposer à toute intervention
étrangère.
Silvia Cattori : Dans
votre parenté y a-t-il eu des personnes qui ont subi des persécutions
dont vous avez la preuve que leurs auteurs étaient les milices armées ?
Réponse :
Oui. Dans la famille de mon épouse deux cousins, originaires d’Al
Qusayr, un village proche de Homs habité par des chrétiens et des
sunnites. L’un, ingénieur âgé de 24 ans, a été tué en février 2012 en
sortant de sa maison. L’autre, âgé de 30 ans, a été kidnappé il y a dix
jours puis retrouvé pendu à un arbre. C’est dans ce village d’Al
Qusayr que l’armée régulière se concentre aujourd’hui pour déloger les
rebelles.
Du coté de ma propre famille, en
décembre, un cousin âgé de 33 ans, a été kidnappé à Baba Amro. Il a été
retrouvé deux semaines après à côté de notre village entre la vie et
la mort à cause des tortures qu’il avait subies. Il est resté
hospitalisé durant deux mois. Trois autres hommes avaient été arrêtés
avec lui. À celui qui était sunnite, ils ont abîmé les jambes. Les deux
autres étaient alaouites ; ils ont été égorgés. Nous pensons que notre
cousin n’a pas été tué parce qu’il était chrétien.
En
janvier, mon voisin -le seul voisin avec une autre famille à être
resté à Bab Sebaa- sortait de son immeuble en compagnie de sa fille
qu’il conduisait à l’université, quand ils ont tiré sur eux. Lui a été
tué sur le coup, sa fille a été blessée.
Silvia Cattori : Nous
aimerions bien comprendre qui sont véritablement ceux qui égorgent,
torturent, kidnappent. Comment ont-ils procédé dans le cas de votre
cousin par exemple, qui en est revenu et a pu témoigner ?
Réponse :
Lui et ses camarades se sont fait arrêter à l’entrée de Baba Amro à un
barrage militaire par des hommes masqués qui portaient les uniformes
de l’armée gouvernementale. Quand ils ont présenté leurs papiers
d’identité en disant on est vos camarades, les hommes masqués se sont
moqué d’eux en disant : « Oui oui, nos camarades voyons !… » À
ce moment là ils ont compris que ces hommes masqués c’étaient en
réalité des milices de l’« Armée libre ». Chez nous, le nom et la
région d’où ont vient, permettent de savoir de quelle religion vous
êtes. Les hommes masqués ont tout de suite égorgé les deux alaouites.
Ils ont ensuite abîmé les jambes du sunnite mais l’ont laissé partir en
lui disant qu’ils menaçaient sa famille. Quant à mon cousin, ils l’ont
kidnappé et lui ont dit qu’il ne serait libéré que contre rançon. Des
négociations ont commencé entre les miliciens et les forces du
gouvernement, pour obtenir sa libération. Il a été retrouvé comme je
vous l’ai dit deux semaines plus tard dans un état effroyable.
Silvia Cattori : Je
crois en ce que vous me dites. Mais nos médias - se fondant sur les
dires des reporters entrés illégalement en Syrie - imputent
systématiquement au gouvernement d’el-Assad les actes barbares que vous
imputez à des extrémistes sunnites [2] ; comment le public qui lui veut savoir qui dit vrai peut-il s’y retrouver ?
Réponse :
Les violences, les horreurs que nous subissons depuis bientôt une
année ce sont les milices qui les commettent. Nous connaissons notre
peuple ; nos gens, nos soldats ne sont pas violents. Ils font ce qu’ils
peuvent. Ils risquent leur vie pour nous protéger de ces milices
armées qui kidnappent, rançonnent et tuent. Plus de 3’000 soldats ont
perdu la vie depuis une année.
La situation est
devenue très cruelle pour les Syriens dont le quotidien est totalement
bouleversé à cause du chaos et de l’insécurité que ces milices
entretiennent. C’est dur, très dur de voir notre peuple forcé à se
déplacer, tomber dans la misère. Beaucoup de gens ont perdu leur
travail. Les sanctions de l’ONU aggravent la situation.
Silvia Cattori : Nous
apprenons en vous écoutant que Baba Amro était une zone vidée de ses
habitants depuis longtemps. Aucun de nos médias n’a jamais dit cela.
Quand l’armée a donné l’assaut contre l’ASL à Baba Amro il n’y avait
donc pas de civils pris en tenaille comme les médias chez nous le
prétendaient ?
Réponse : Mon
frère est rentré deux fois à Baba Amro en novembre pour y livrer des
marchandises. Il nous avait raconté que la quasi totalité de ses
habitants avait déjà quitté Baba Amro, que tout était détruit, les
magasins étaient fermés. Qu’il y avait encore l’eau et l’électricité
mais très peu de gens ; cent ou deux cent familles tout au plus. Or,
90 000 personnes vivaient à Baba Amro avant l’arrivée des milices
armées. [3]
Silvia Cattori : Combien de personnes ont-elles fui Homs ?
Réponse : La plupart des habitants de la ville de Homs, et de l’agglomération de Homs, ont fui [4].
Plusieurs centaines de milliers je crois. Quand je suis retourné à Bab
Sebaa en novembre, dans la rue où j’habitais seules deux familles sur
cinq cents étaient encore là. Tout le monde avait fui, chrétiens,
sunnites, alaouites.
Silvia Cattori : Quand vous avez appris que les combattants de l’ASL avaient été délogés de Baba Amro qu’avez-vous éprouvé ?
Un
grand soulagement. Cela faisait longtemps que nous attendions que
l’armée intervienne. Les images montrées durant l’assaut de février
pouvaient faire croire que c’était l’armée gouvernementale qui avait
détruit Baba Amro. Comme je l’ai déjà mentionné, Baba Amro avait été
détruite par les milices bien avant.
Silvia Cattori : Si à Baba Amro les gens reviennent, les groupes armés ayant été délogés, qu’en est-il des autres quartiers ?
Réponse :
Un des quartiers les plus problématiques maintenant est celui d’Al
Hamidia. Il y a une petite minorité de sunnites. Les chrétiens qui sont
restés ont vécu des temps très durs. Victimes d’agressions, de vols,
de kidnappings depuis des mois, les gens n’osaient plus sortir de chez
eux. L’armée ne pouvait pas leur venir à leur aide car les milices
contrôlaient les accès, occupant des maisons de chrétiens qu’ils
prennent en otage.
Le seul quartier de Homs où
les gens ne se sont pas enfuis massivement est celui d’Akrama [comme
c’était le cas auparavant à Al Hamidia]. C’était à Akrama, où les
chrétiens et les alaouites sont majoritaires, que les gens qui
voulaient trouver plus de sécurité cherchaient à trouver un logement.
Ses habitants s’étaient organisés pour se protéger. Ils se sentaient
plus en sécurité que dans d’autres zones de Homs, du moins jusqu’en
janvier. [5]
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Silvia Cattori
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