duminică, 8 ianuarie 2017

Nicolas Trifon. Géopolitique de la Russie : des rives du Dniestr à celles du fleuve Amour


Blog • Géopolitique de la Russie : des rives du Dniestr à celles du fleuve Amour

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« L’Occident ne voulait pas admettre la Russie dans son club mais il ne voulait pas non plus entrer en conflit ouvert avec elle. Ce qui paraissait préférable, c’était de repousser la clôture du pré carré de Moscou plus à l’est (...) Ce fut une erreur, car ce fut à ce moment-là, précisément, en 1992-1993, que se trouvait l’occasion d’agir volontairement et de trouver la clé de la solution au ‘’problème russe’’ en accueillant cette grande nation dans le club occidental », fait remarquer l’historien et diplomate moldave Oleg Serebrian dans son livre La Russie à la croisée des chemins qui vient de paraître en français.

Franchement, je n’ai jamais été attiré par la géopolitique. Mon sentiment est que ceux qui pratiquent cette discipline sont davantage préoccupés par le repérage et l’interprétation des facteurs géographiques, au sens large du terme, qui favorisent en dernière instance un Etat, une région, une partie de l’humanité, pénalisant ainsi un autre Etat, une autre région ou encore l’autre partie de la même humanité pour des raisons le plus souvent extérieures aux actions entreprises par les responsables de cet Etat et des membres des sociétés qui composent cette humanité. Pour moi, l’insistance avec laquelle l’accent est mis sur les facteurs présentés de manière souvent péremptoire comme objectifs conforte les attitudes fatalistes. Aussi, ai-je toujours tenté de donner la priorité à la critique et, quand la possibilité se présente, au désamorçage des mécanismes de domination qui, au nom de facteurs prétendument objectifs, empêchent les individus de s’exprimer et de se réaliser en fonction de leurs besoins et de leurs désirs.
Associer la géopolitique aux projets criminels de domination planétaire des nazis par exemple ce serait faire un mauvais procès à certains représentants respectables de cette discipline. C’est ce qui s’est passé après-guerre en France, tout au moins avant l’apparition en 1976 de l’excellente revue Hérodote éditée par Yves Lacoste. Cependant un autre phénomène, en rapport avec l’actualité de ces deux dernières décennies, m’a rappelé la problématique de l’incidence de la géopolitique dans la politique. Je me réfère au poids croissant accordé à la géopolitique en Russie. Les débats à caractère éthique et politique – ouverts et pluriels – portant sur le contenu de la démocratie, le projet de société et l’évaluation du passé qui ont eu lieu notamment pendant la seconde moitié des années 1980 ont été progressivement marginalisés par des spéculations toujours plus hardies, catastrophistes les unes, grisantes les autres, sur l’avenir et le destin de la Russie. Avec l’arrivée de Poutine au pouvoir, les considérations de ce type formulées par ses conseillers, des personnages souvent tout aussi cyniques qu’habiles et même brillants, sont devenues dangereuses. Au service du pouvoir, les scenarii géopolitiques élaborés par des hommes tel le fameux Aleksender Dughin m’ont paru tout aussi nocifs que la dialectique qui justifiait naguère les abus commis sous le régime communiste.
Malgré mes réserves pour la géopolitique, dans le contexte des événements en Ukraine en 2014, j’ai été amené à me demander si les problèmes surgis en cette occasion ne devraient pas être abordés avant tout sur le terrain justement de la géopolitique. Dans ce sens, la lecture du livre d’Oleg Serebrian m’a apporté une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. Dans un texte relativement court, dense par la multitude d’informations apportées mais rédigé dans un langage clair qui le rend abordable au lecteur non spécialisé, O. Serebrian reconstitue le processus historique, culturel et intellectuel qui a conduit la Russie « à la croisée des chemins ». Il part de données précises, des constats réalistes, argumente en adoptant un ton neutre même si ses propres positions sur les questions essentielles sont fermes. Tant le registre spéculatif que les démonstrations paradoxales sont évités, en sorte que le lecteur n’est pas assailli d’injonctions pathétiques et peut se forger sa propre opinion.
« Le futur géopolitique de la Russie ne se décide ni sur les rives du Dniepr, ni sur celles du Dniestr, mais sur celles du fleuve Amour. » [1] Cette boutade résume bien la thèse de l’auteur qui suggère que c’est surtout à la frontière orientale avec la Chine que se joue à moyen et long terme le sort de ce pays. L’intérêt des considérations d’ordre géopolitique de l’auteur sur les trois voies possibles pour la Russie de demain qui figurent dans la conclusion du livre résulte des démonstrations qui les précèdent, des données exposées méthodiquement dans les chapitres consacrées aux « rêveries » de la Russie de hier alimentées par les idéologies panslaviste, eurasiste et internationaliste ainsi qu’aux relations de ce pays au cours de l’histoire avec les Juifs, les Allemands, les Américains et les Chinois.
L’histoire, reconstituée ici avec un louable soin pédagogique, joue un rôle clef dans le portrait de cette Russie, de ce monde qui demeure une grande inconnue pour ceux qui le regardent de dehors, malgré le grand nombre d’informations disponibles à son sujet. Une histoire guère linéaire, suffisamment complexe et imprévisible (Qui a prévu l’implosion du régime communiste en URSS ?) pour que chacune des trois voies mentionnées dans la conclusion, à savoir impériale, eurasiste et européenne, soit possible.

« L’Occident ne voulait pas admettre la Russie dans son club… »

Paru d’abord en roumain [2] en novembre 2014, l’ouvrage est désormais disponible en français. Il est bienvenu dans un cas comme dans l’autre, tant le public français que roumain ayant beaucoup à apprendre sur ce monde pour des raisons certes différentes. Souvent allergique lorsqu’il s’agit de son voisin tant redouté de l’est, le public roumain préfère s’en tenir à des stéréotypes méprisants tandis que le public français, davantage attiré par la Russie, a tendance à se contenter de stéréotypes bienveillants, pas toujours clairvoyants aussi. Pour être clair, il faudrait préciser « le public roumain de Roumanie », en laissant de côté le public roumain de la République de Moldavie, pays que l’auteur a représenté en France et auprès de l’Unesco entre 2010 et l’été 2016. Le monde russe est nettement mieux connu et compris dans l’ancienne république soviétique et il serait bon qu’en Roumanie on fasse davantage d’efforts pour dépasser la suffisance superficielle dont on fait preuve quand il est question de la Russie, ce monde avec lequel les Roumains ont plus de points communs dans certains domaines qu’avec le monde occidental dont ils veulent se rapprocher. Ceux qui voient dans la Russie seulement une barbarie asiatique avec laquelle il faut rompre à tout prix ont quelque peu tendance à oublier que si ce pays s’engage dans une voie impériale ou eurasiste, la Roumanie risque de rencontrer pas mal d’obstacle dans son engagement européen. Le destin de la Roumanie, et pas seulement de la Roumanie, est étroitement lié à celui de la Russie, nous rappelle O. Serebrian quand il constate par exemple que : « L’Occident ne voulait pas admettre la Russie dans son club mais il ne voulait pas non plus entrer en conflit ouvert avec elle. Ce qui paraissait préférable, c’était de repousser la clôture du pré carré de Moscou plus à l’est, dans les limites (nullement étroites par ailleurs) de la Communauté des Etats indépendants. Il est probable qu’en 1992 Washington croyait que la non-ingérence dans la zone de la CEI serait suffisante pour calmer la ‘’rage de dents’’ du Kremlin. Ce fut une erreur, car ce fut à ce moment-là, précisément, en 1992-1993, que se trouvait l’occasion d’agir volontairement et de trouver la clé de la solution au ‘’problème russe’’ en accueillant cette grande nation (ainsi que tous les pays ex-communistes de l’est de l’Europe) dans le club occidental. » [3]
Pour conclure, je dirais que ce petit traité de géopolitique présente un triple avantage : il ne se cantonne pas à la personne de Poutine, il s’appuie sur une riche bibliographie de langue russe, d’un accès difficile en dehors de ce pays, et resitue le « cas » de la République de Moldavie, même s’il est assez rarement évoqué, dans le contexte de l’espace ex-soviétique.
Un seul regret, la géoculture, annoncée dans le sous-titre du livre, est moins présente dans la démonstration de l’auteur que la géohistoire et la géopolitique. Cependant, sur ce thème, O. Serebrian propose une explication assez ingénieuse du mode dans lequel sont perçues de l’extérieur les réalités postsoviétiques que je citerai in extenso en guise de conclusion : « Encore plus compliquée s’avère la définition de ce que serait l’espace géoculturel russe. Avant toute chose et en aucun cas, celui-ci ne doit être confondu avec une Russie politico-géographique ou ethno-géographique. Même si l’appréciation de ses limites ne saurait être qu’arbitraire, pour les établir il faut prendre en considération plusieurs critères comme l’utilisation de la langue russe comme langue maternelle ou seconde langue, le degré d’influence des médias russes (ou de langue russe) sur l’opinion publique, l’appartenance à l’Eglise orthodoxe russe, mais aussi des facteurs moins perceptibles de l’intérieur, tels que l’onomastique, les habitudes gastronomiques, la façon de s’habiller et de se comporter de la majorité de la population et jusqu’au paysage urbain. Ces faits sautent aux yeux d’un étranger, générant un enchaînement d’associations d’idées qui, à la fin, se matérialisent en hétéro-identification : la grande partie de la population des pays comme la République de Moldavie, le Kazakhstan ou le Kirghizstan ne s’(auto)identifie ni à la Russie, ni aux Russes, ni même au monde slave. Cependant, assez souvent, ceux de l’extérieur des frontières de l’ex-URSS (hétéro)identifient leurs habitants en tant que Russes. Tout ceci s’explique par le fait qu’un ensemble géoculturel se désassemble (et se construit) beaucoup plus lentement qu’in espace politico-géographique. » [4]

Notes

[1Oleg Serebrian, La Russie à la croisée des chemins : géohistoire, géoculture, géopolitique, préface Christian Daudel, Paris, L’Harmatan, 2016, 183 p., p. 135.
[2Rusia la răspântie, Chişinău, Editura Cartier, 2014.
[3Oleg Serebrian, op. cit., p. 120.
[4Id., p. 22.

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