Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer
La grande méchante Russie
Inna DOULKINA publié Jeudi 24 octobre 2013
http://www.lecourrierderussie.com/2013/10/24/grande-mechante-russie/
On a toujours su, en Occident, que les Russes sont des brutes et des ivrognes. La semaine dernière, après les émeutes qui ont enflammé le sud de la capitale, on s’est souvenu qu’ils sont encore racistes.
« Les Russes aiment toujours autant les pogroms », titraient la revue The New Republic et l’article d’une journaliste américaine d’origine russe, Julia Ioffe. Les Américains sont directs – et là où les journalistes français citent prudemment des experts affirmant que « la xénophobie est le socle commun de tous les courants politiques en Russie », eux donnent libre cours à leur sainte colère : « Le problème de la Russie, c’est que c’est le facteur racial, et non économique, qui crée la tension au sein de la société », écrit Julia Ioffe. Autrement dit, si les Américains ont des problèmes avec leurs immigrés, c’est qu’ils ont à cela de bonnes raisons, alors que la violence russe est gratuite. Les Russes haïssent leurs immigrés juste pour leur peau mate, leurs cheveux noirs et leur religion musulmane. Car que faudrait-il de plus à ces bêtes féroces pour s’adonner à leur racisme congénital qui, comme le remarque Le Monde (citation d’expert à l’appui, évidemment), « est caractérisé par une grande expression de violence » ?..
La Russie a encore joué, dans la conscience des journalistes occidentaux, son rôle de bouc émissaire. Ce n’est pas nouveau. Elle semble y exceller depuis l’invention de la presse. Parce qu’en lisant les journaux, cela semble tellement simple, depuis l’étranger, d’écrire sur la Russie. Nul besoin d’en apprendre la langue ni l’histoire, d’en lire les grands auteurs ni d’en étudier les penseurs. Dans la pensée occidentale, la Russie est depuis longtemps décortiquée, examinée, expliquée. Le code russe est déchiffré – tous les éléments qui constituent sa formule ont été relevés. L’autopsie est terminée. Dégagez-moi ce cadavre.
Parce que la Russie, dans les écrits des journalistes étrangers, a bien l’air morte. On dirait la mise en scène d’une pièce maintes fois lue et répétée, où tous les rôles sont distribués depuis des siècles. Voyez le dictateur qui écrase de sa botte la démocratie naissante. Voyez maintenant ceux qui incarnent cette démocratie, les chevaliers de l’opposition, à qui l’on ne pourrait reprocher que leur idéalisme généreux. Parce que sur le reste, ils sont parfaits. Et puis, le peuple, là-bas, qu’on peut plaindre mais dont il faut surtout avoir peur – parce qu’il est raciste et se régale des pogroms.
L’interprétation est facile, séduisante. En rejouant aux lecteurs cette pièce éternelle de la Grande Méchante Russie, les journalistes occidentaux sont sûrs de marquer les esprits, et des points. Regardez comme ils sont mauvais, ces Russes, hurlent leurs lignes, comme ils sont différents de nous, si gentils. Difficile de résister. Et pourtant, il le faut.
Il le faut, parce que si les Russes sont descendus nombreux dans la rue le 13 octobre dernier pour protester contre le meurtre d’Egor Chtcherbakov, 25 ans, poignardé par un immigré azerbaïdjanais et décédé sur les genoux de sa fiancée, c’est probablement qu’eux aussi, les Russes, ils avaient d’autres raisons que la xénophobie primaire. C’est contre le passé que se sont levés, en réalité, les habitants du quartier de Birioulevo, contre une image figée dans laquelle leurs autorités municipales les contraignaient à vivre, ignorant royalement la marche du temps.
Depuis que le Sibérien Sergueï Sobianine a remplacé à la tête de Moscou son prédécesseur excentrique, la capitale russe se débarrasse peu à peu de sa vieille peau héritée des années 1990 : de tous ces marchés où les commerçants azéris revendaient des caleçons chinois et des maillots de corps confectionnés par des Vietnamiens dans les caves alentour. Sur ces marchés, l’esclavage florissait et les règlements de compte étaient chose courante. Les vendeurs ne payaient pas l’impôt mais versaient tribut aux mafias qui les contrôlaient. Le nouveau maire s’est efforcé de fermer ces foyers de criminalité. Mais une poignée d’acteurs, les plus puissants, ont résisté. Parmi eux, les responsables officieux du marché de Birioulevo, qui s’étendait sur plus de 35 hectares et employait plus de 10 000 immigrés clandestins, originaires du Caucase et d’Asie centrale. Des années durant, les habitants du quartier en ont demandé la fermeture. Finalement, il leur aura fallu pour l’obtenir perdre un de leurs voisins, et répondre par la révolte à ce meurtre gratuit : Egor Chtcherbakov avait juste osé défendre sa fiancée des attaques d’un inconnu – ce dernier lui a porté un coup mortel.
Les habitants de Birioulevo sont descendus dans la rue parce qu’ils étaient excédés. Excédés de vivre près d’un marché où la mafia azerbaïdjanaise imposait tribut au moindre commerçant, où les gens se perdaient à jamais, et où le russe était devenu langue morte. Les habitants de Birioulevo étaient las de partager leur espace vital avec ces hordes d’hommes seuls, se déplaçant en groupes, communiquant exclusivement dans leur langue et réglant leurs affaires à coups de bagarres au couteau.
Par ce geste, les Russes ont adressé aux immigrés un message simple et clair : si vous voulez vivre parmi nous, respectez ceux qui constituent votre entourage. La règle n’a rien de compliqué, et son respect ne demande, généralement, pas d’efforts surhumains. Ainsi une étrangère qui se rend en Iran cachera-t-elle ses cheveux sous un foulard dès l’avion. Une Russe qui vit aux États-Unis n’ira pas danser en pleine ville en kokochnik. Nous avons l’obligation de respecter la culture de l’Autre, et le droit d’exiger ce même respect vis-à-vis de la nôtre. Parce que le joli monde globalisé et sans frontières n’existe que dans les têtes de ceux qui y croient. En réalité, la planète reste divisée en États souverains, dont les habitants ont, du Bien et du Mal, des visions très variées. Et pour garder ce monde en paix relative, il est devenu vital d’en respecter les différences. Les Russes semblent simplement l’avoir compris.
La grande méchante Russie
Inna DOULKINA publié Jeudi 24 octobre 2013
http://www.lecourrierderussie.com/2013/10/24/grande-mechante-russie/
On a toujours su, en Occident, que les Russes sont des brutes et des ivrognes. La semaine dernière, après les émeutes qui ont enflammé le sud de la capitale, on s’est souvenu qu’ils sont encore racistes.
« Les Russes aiment toujours autant les pogroms », titraient la revue The New Republic et l’article d’une journaliste américaine d’origine russe, Julia Ioffe. Les Américains sont directs – et là où les journalistes français citent prudemment des experts affirmant que « la xénophobie est le socle commun de tous les courants politiques en Russie », eux donnent libre cours à leur sainte colère : « Le problème de la Russie, c’est que c’est le facteur racial, et non économique, qui crée la tension au sein de la société », écrit Julia Ioffe. Autrement dit, si les Américains ont des problèmes avec leurs immigrés, c’est qu’ils ont à cela de bonnes raisons, alors que la violence russe est gratuite. Les Russes haïssent leurs immigrés juste pour leur peau mate, leurs cheveux noirs et leur religion musulmane. Car que faudrait-il de plus à ces bêtes féroces pour s’adonner à leur racisme congénital qui, comme le remarque Le Monde (citation d’expert à l’appui, évidemment), « est caractérisé par une grande expression de violence » ?..
La Russie a encore joué, dans la conscience des journalistes occidentaux, son rôle de bouc émissaire. Ce n’est pas nouveau. Elle semble y exceller depuis l’invention de la presse. Parce qu’en lisant les journaux, cela semble tellement simple, depuis l’étranger, d’écrire sur la Russie. Nul besoin d’en apprendre la langue ni l’histoire, d’en lire les grands auteurs ni d’en étudier les penseurs. Dans la pensée occidentale, la Russie est depuis longtemps décortiquée, examinée, expliquée. Le code russe est déchiffré – tous les éléments qui constituent sa formule ont été relevés. L’autopsie est terminée. Dégagez-moi ce cadavre.
Parce que la Russie, dans les écrits des journalistes étrangers, a bien l’air morte. On dirait la mise en scène d’une pièce maintes fois lue et répétée, où tous les rôles sont distribués depuis des siècles. Voyez le dictateur qui écrase de sa botte la démocratie naissante. Voyez maintenant ceux qui incarnent cette démocratie, les chevaliers de l’opposition, à qui l’on ne pourrait reprocher que leur idéalisme généreux. Parce que sur le reste, ils sont parfaits. Et puis, le peuple, là-bas, qu’on peut plaindre mais dont il faut surtout avoir peur – parce qu’il est raciste et se régale des pogroms.
L’interprétation est facile, séduisante. En rejouant aux lecteurs cette pièce éternelle de la Grande Méchante Russie, les journalistes occidentaux sont sûrs de marquer les esprits, et des points. Regardez comme ils sont mauvais, ces Russes, hurlent leurs lignes, comme ils sont différents de nous, si gentils. Difficile de résister. Et pourtant, il le faut.
Il le faut, parce que si les Russes sont descendus nombreux dans la rue le 13 octobre dernier pour protester contre le meurtre d’Egor Chtcherbakov, 25 ans, poignardé par un immigré azerbaïdjanais et décédé sur les genoux de sa fiancée, c’est probablement qu’eux aussi, les Russes, ils avaient d’autres raisons que la xénophobie primaire. C’est contre le passé que se sont levés, en réalité, les habitants du quartier de Birioulevo, contre une image figée dans laquelle leurs autorités municipales les contraignaient à vivre, ignorant royalement la marche du temps.
Depuis que le Sibérien Sergueï Sobianine a remplacé à la tête de Moscou son prédécesseur excentrique, la capitale russe se débarrasse peu à peu de sa vieille peau héritée des années 1990 : de tous ces marchés où les commerçants azéris revendaient des caleçons chinois et des maillots de corps confectionnés par des Vietnamiens dans les caves alentour. Sur ces marchés, l’esclavage florissait et les règlements de compte étaient chose courante. Les vendeurs ne payaient pas l’impôt mais versaient tribut aux mafias qui les contrôlaient. Le nouveau maire s’est efforcé de fermer ces foyers de criminalité. Mais une poignée d’acteurs, les plus puissants, ont résisté. Parmi eux, les responsables officieux du marché de Birioulevo, qui s’étendait sur plus de 35 hectares et employait plus de 10 000 immigrés clandestins, originaires du Caucase et d’Asie centrale. Des années durant, les habitants du quartier en ont demandé la fermeture. Finalement, il leur aura fallu pour l’obtenir perdre un de leurs voisins, et répondre par la révolte à ce meurtre gratuit : Egor Chtcherbakov avait juste osé défendre sa fiancée des attaques d’un inconnu – ce dernier lui a porté un coup mortel.
Les habitants de Birioulevo sont descendus dans la rue parce qu’ils étaient excédés. Excédés de vivre près d’un marché où la mafia azerbaïdjanaise imposait tribut au moindre commerçant, où les gens se perdaient à jamais, et où le russe était devenu langue morte. Les habitants de Birioulevo étaient las de partager leur espace vital avec ces hordes d’hommes seuls, se déplaçant en groupes, communiquant exclusivement dans leur langue et réglant leurs affaires à coups de bagarres au couteau.
Par ce geste, les Russes ont adressé aux immigrés un message simple et clair : si vous voulez vivre parmi nous, respectez ceux qui constituent votre entourage. La règle n’a rien de compliqué, et son respect ne demande, généralement, pas d’efforts surhumains. Ainsi une étrangère qui se rend en Iran cachera-t-elle ses cheveux sous un foulard dès l’avion. Une Russe qui vit aux États-Unis n’ira pas danser en pleine ville en kokochnik. Nous avons l’obligation de respecter la culture de l’Autre, et le droit d’exiger ce même respect vis-à-vis de la nôtre. Parce que le joli monde globalisé et sans frontières n’existe que dans les têtes de ceux qui y croient. En réalité, la planète reste divisée en États souverains, dont les habitants ont, du Bien et du Mal, des visions très variées. Et pour garder ce monde en paix relative, il est devenu vital d’en respecter les différences. Les Russes semblent simplement l’avoir compris.
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