vineri, 5 septembrie 2014

Emmanuel Todd - L’Allemagne tient le continent européen

Vă rog să citiți aceste texte selectate de mine, în speranța că vă pot interesa. Cu prietenie, Dan Culcer

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Exclusif] La France s’est mise en état de servitude volontaire par rapport à l’Allemagne, par Emmanuel Todd (1)



Suite de l’interview d’Emmanuel Todd…
Cette carte montre le nouvel empire allemand tel qu’il est, selon vous. On voit la place centrale de l’Allemagne face à ses différents satellites, ou à ceux, comme vous le dites très bien, en état de servitude volontaire. Qu’évoque cette carte pour vous ? 
Je voudrais qu’elle aide à prendre conscience du fait que l’Europe a changé de nature et qu’elle évoque non seulement le présent mais aussi un futur possible très proche. Les cartes que fournit généralement la Communauté européenne sont des cartes à prétention égalitaire et qui ne parlent plus de la réalité. Ici, c’est une sorte de première tentative d’organisation visuelle de la réalité nouvelle de l’Europe. Elle aide à prendre conscience du caractère central de l’Allemagne et de la façon dont elle tient le continent européen. La première chose que tente de dire cette carte, c’est qu’il existe un espace informel plus grand que l’Allemagne elle-même, « l’espace allemand direct », et qui contient des pays dont les économies ont un niveau de dépendance à l’Allemagne quasi absolu.
Certains y verront peut-être des « erreurs », comme, par exemple, l’intégration de la Suisse, qui n’est même pas dans les institutions européennes. Mais quels que soient les sentiments des Suisses, la réalité objective est que, dès qu’on a affaire à des entreprises suisses importantes, on sent la présence allemande. Le niveau d’interpénétration est tel qu’au niveau économique on ne peut pas parler d’indépendance de la Suisse.
Les Pays-Bas, quant à eux, comme l’avait prédit Friedrich List, ne sont plus que le débouché de l’Allemagne sur le Rhin. La Tchécoslovaquie, le jour où elle a décidé de vendre Skoda à Volkswagen, a scellé son destin. Grâce à cet espace central très peuplé, l’Allemagne a une influence très supérieure à celle de ses seuls 82 millions d’habitants.
Celle d’une zone de 130 millions d’habitants environ…
En effet. Mais cet espace n’est pas la seule raison de l’influence allemande. Je pense que jamais l’Allemagne n’aurait été capable de prendre le contrôle du continent sans la coopération de la France. C’est un autre élément représenté par cette carte : la servitude volontaire de la France et de son système économique et, à l’intérieur de ce cadre, l’acceptation par les élites françaises de ce qui est peut-être pour elles – mais non pour le peuple français – la prison dorée de l’euro. Les banques françaises survivent tant bien que mal dans cette prison dorée. La France ajoute ses 65 millions d’habitants à l’espace allemand direct et lui confère ainsi une sorte de masse critique d’échelle continentale.
Près de 200 millions…
Ce qui signifie que nous sommes déjà au-dessus de l’échelle russe ou japonaise. Ce bloc noir et gris représente le cœur de la puissance allemande ; il maintient dans la soumission l’Europe du Sud, devenue une zone dominée à l’intérieur même du système européen. L’Allemagne est détestée en Italie, en Grèce, et sans doute dans toute l’Europe du Sud, pour sa main de fer budgétaire. Mais ces pays n’y peuvent rien, parce que l’Allemagne, avec son espace proche plus la France, a la capacité de tout dominer. Ces pays sont représentés en orange sur la carte.
Je propose une autre catégorie spécifique de pays, en rouge, ceux que j’ai appelés les « satellites russophobes ». Paradoxalement, ces pays ont un certain degré de liberté. Ils sont dans l’espace de souveraineté allemand, mais je ne qualifierais pas leur statut de servitude, parce qu’ils ont de réelles aspirations autonomes et notamment une passion antirusse. Regardez : la France n’a plus de rêve ; sous la direction du PS, de l’UMP et de ses inspecteurs des finances, elle n’aspire plus qu’à obéir, imiter et toucher ses jetons de présence. La Pologne, la Suède, les pays baltes, eux, ont un rêve : avoir la peau de la Russie. Leur participation volontaire à l’espace de domination allemand leur permet d’y croire. Mais je me demande si, plus en profondeur, la Suède, repassée à droite, n’est pas en train de redevenir complètement ce qu’elle était avant 1914, c’est-à-dire germanophile.
Les satellites russophobes méritent une catégorie spéciale, car ils font partie des forces qui peuvent aider l’Allemagne à mal tourner. Les élites françaises ont, quant à elles, déjà aidé l’Allemagne à mal tourner en la déifiant et en se refusant à la critiquer. La soumission française apparaîtra aux historiens du futur comme une contribution fondamentale au déséquilibre psychique à venir de l’Allemagne. Pour la Suède ou la Pologne ou les Baltes, c’est encore autre chose. Là, il s’agit franchement et directement de ramener l’Allemagne à la violence des rapports internationaux.
Je n’ai pas placé la Finlande et le Danemark dans cette catégorie. Au contraire de la Suède, le Danemark est authentiquement libéral de tempérament. Son lien avec l’Angleterre va au-delà du simple bilinguisme typiquement scandinave d’une bonne partie de la population. Il regarde vers l’Ouest et n’est pas obsédé par la Russie. La Finlande avait, quant à elle, appris à vivre avec les Soviétiques, et elle n’a pas de vraie raison de douter de la possibilité de s’entendre avec les Russes. Certes, elle a été en guerre avec eux. Elle a appartenu à l’Empire des Tsars entre 1809 et 1917, mais sous la forme d’un grand-duché, situation qui lui a, de fait, permis d’échapper à l’emprise suédoise. La vraie puissance coloniale, pour les Finlandais, c’est la Suède, et je doute qu’ils aient vraiment envie de revenir sous leadership suédois. Sur la carte, Finlande et Danemark se retrouvent donc dominés, comme les pays du sud. Absurde ? L’économie finlandaise paye déjà le prix de l’agression européenne contre la Russie. Et le Danemark va être mis en difficulté par l’évasion anglaise.
Le Royaume-Uni, je l’ai décrit comme « en cours d’évasion », Parce que les Anglais ne peuvent adhérer à un système continental qui leur fait horreur. Parce qu’ils n’ont pas, comme certains Français, l’habitude d’obéir aux Allemands. Mais aussi parce qu’ils appartiennent à un autre monde, beaucoup plus excitant, moins vieux et autoritaire que l’Europe allemande, « l’anglosphère » : l’Amérique, le Canada, les anciennes colonies… J’ai eu l’occasion de dire que je sympathisais avec leur dilemme, à quel point il doit être horrible d’être britannique face à une Europe si importante dans les échanges commerciaux mais mentalement arthritique.
Pensez-vous qu’un jour ils quitteront l’Union européenne ?
Bien sûr ! Les Anglais ne sont pas plus forts ou meilleurs, mais ils ont derrière eux les États-Unis. Déjà, en ce qui me concerne, petit Français confronté à la disparition de l’autonomie de ma nation, si j’ai le choix entre l’hégémonie allemande et l’hégémonie américaine, je choisis l’hégémonie américaine sans hésiter. Alors, les Anglais, qu’est-ce que vous vous pensez qu’ils vont choisir ?
J’ai associé la Hongrie aux Britanniques dans leur tentative d’évasion. Viktor Orban s’est fait une mauvaise réputation en Europe. Soi-disant parce qu’autoritaire et de droite dure. Peut-être. Mais surtout parce qu’il résiste à la pression allemande. On peut se demander pourquoi la Hongrie n’est pas antirusse, alors qu’elle a subi une répression soviétique violente en 1956. Comme souvent le “malgré que” doit sans doute être remplacé ici par un “parce que”. En 1956, seule la Hongrie a fait face. Plus que les Polonais ou les Tchèques – qui n’ont alors que peu ou pas bougé –, la Hongrie peut être fière de son histoire sous domination russe. Elle peut pardonner. Une belle blague hongroise des années 1970 peut aider à comprendre les différences est-européennes : « En 1956, les Hongrois se sont conduits comme des Polonais, les Polonais comme des Tchèques et les Tchèques comme des cochons. »
J’ai représenté l’Ukraine comme « en cours d’annexion ». L’Ukraine n’apparaît pas immédiatement comme l’annexion européiste rêvée. Il s’agit de l’annexion d’une zone en décomposition étatique et industrielle, désintégration qui va être accélérée par les accords de libre-échange avec l’Union européenne. Mais c’est aussi l’annexion d’une population active à très bas coût.
Or, fondamentalement, le nouveau système allemand repose sur l’annexion de populations actives. Dans un premier temps ont été utilisées celles de la Pologne, de la Tchéquie, de la Hongrie, etc. Les Allemands ont réorganisé leur système industriel en utilisant leur travail à bas coût. La population active d’une Ukraine de 45 millions d’habitants, avec son bon niveau de formation hérité de l’époque soviétique, serait une prise exceptionnelle pour l’Allemagne, la possibilité d’une Allemagne dominante pour très longtemps, et surtout, avec son empire, passant immédiatement en puissance économique effective au-dessus des États-Unis. Pauvre Brzezinski !
Et au niveau des enjeux énergétiques ?
Ici, les principaux gazoducs sont indiqués pour bousculer un mythe. Le mythe que les Russes, par la construction du gazoduc South Stream, voudraient seulement échapper au contrôle de leurs relations énergétiques par l’Ukraine. Si on regarde tous les trajets des gazoducs existants, leur seul point commun n’est pas le passage par l’Ukraine, c’est aussi qu’ils arrivent tous en Allemagne. En fait, le véritable problème des Russes, ce n’est pas seulement l’Ukraine, c’est aussi le contrôle de l’arrivée des gazoducs par l’Allemagne. Et c’est également le problème des Européens du Sud.
Si on arrête de penser l’Europe de façon naïve comme un système égalitaire qui aurait des problèmes avec l’ours russe, on voit que l’Allemagne peut aussi avoir intérêt à ce que le gazoduc South Stream ne soit pas construit, parce qu’il ferait échapper à son contrôle les approvisionnements énergétiques de toute la partie de l’Europe qu’elle domine. L’enjeu stratégique du South Stream n’est donc pas juste un enjeu entre l’Est et l’Ouest, entre l’Ukraine et la Russie, mais c’est aussi un enjeu entre l’Allemagne et l’Europe dominée du Sud.
Mais, encore une fois, cette carte n’est pas une carte définitive ; c’est une carte dont l’objet est de créer un début d’image de la réalité de l’Europe et de nous sortir de l’idéologie des cartes neutres qui cachent ce que l’Europe est en train de devenir : un système de nations inégales, prises dans une hiérarchie qui comprend des pays sévèrement dominés, des pays agressifs, un pays dominant, ainsi qu’un pays qui est la honte du continent, le nôtre, la France.
Vous n’évoquez pas la question turque…
Si je n’en ai pas parlé, c’est que ce n’est plus le sujet. Les Européens ne veulent pas de la Turquie. Mais ce qui est beaucoup plus important, c’est que les Turcs ne veulent plus de l’Europe. Qui voudrait désormais rentrer dans cette prison des peuples ?
[À suivre ici]
Interview réalisée pour le site www.les-crises.fr, librement reproductible dans un cadre non commercial (comme le reste des articles du site, cf. Licence Creative Commons).

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